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Date : 20220926


Dossier : IMM-6163-20

Référence : 2022 CF 1318

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 26 septembre 2022

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

X. Y. ET Y. Z.

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT PUBLICS

(Identiques aux motifs et au jugement confidentiels rendus le 22 septembre 2022)

[1] X.Y. et Y.Z. (les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision du 6 novembre 2020 par laquelle une agente principale d’immigration (l’agente) a rejeté leur demande de réexamen de la décision rendue le 22 octobre 2020. L’agente a exercé son pouvoir discrétionnaire de réexaminer la décision, mais ce faisant, elle a jugé que la décision initiale était [traduction] « fondée », et l’a confirmée.

[2] Les demandeurs ont présenté une demande d’asile au Canada à titre de réfugiés au sens de la Convention, sur le fondement de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). Leur demande d’asile avait été confiée à l’agente pour qu’elle statue sur sa recevabilité, après la réception de renseignements indiquant qu’un autre pays –l’Ouganda – avait reconnu aux demandeurs le statut de réfugié au sens de la Convention.

[3] L’agente a envoyé aux demandeurs une lettre d’équité procédurale datée du 25 août 2020 pour leur donner l’occasion de répondre à ces renseignements. L’avocat des demandeurs a répondu le 16 septembre 2020 et a demandé la divulgation complète de la preuve sur laquelle le défendeur s’était fondé. L’agente a envoyé les documents aux demandeurs le 17 septembre 2020. Les demandeurs ont répondu au moyen d’une lettre datée du 15 octobre 2020.

[4] Dans la décision rendue le 22 octobre 2020, l’agente a indiqué que, suivant l’alinéa 101(1)d) de la Loi, la demande d’asile des demandeurs au Canada était irrecevable.

[5] Le 3 novembre 2020, les demandeurs ont sollicité le réexamen de cette décision, à savoir le constat d’irrecevabilité. Ils ont, entre autres, présenté une lettre du cabinet du premier ministre de l’Ouganda qui confirmait que leur statut de réfugié en Ouganda avait été révoqué. L’avocat des demandeurs a présenté la demande de réexamen. Il a allégué que des erreurs de fait et de droit invalidaient la décision initiale.

[6] Par sa décision du 6 novembre 2020, l’agente a rejeté la demande de réexamen et a souligné que les observations présentées ne lui permettaient pas de modifier le constat d’irrecevabilité initial.

[7] La décision faisant l’objet du présent contrôle est celle qui a été rendue le 6 novembre 2020 à la suite de la demande de réexamen qui visait la décision du 22 octobre 2020.

[8] Les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable parce que l’agente n’a pas tenu compte de la preuve et qu’elle n’a pas fourni de motifs intelligibles. Les demandeurs affirment également que l’agente a violé leur droit à l’équité procédurale.

[9] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) fait valoir que la conclusion de l’agente, portant que le réexamen du constat d’irrecevabilité n’était pas justifié, constitue un exercice raisonnable de son pouvoir discrétionnaire.

[10] Se fondant sur l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Kurukkal, 2010 CAF 230, le défendeur soutient également que l’obligation d’équité procédurale applicable à une demande de réexamen est minime. Subsidiairement, il fait valoir que la décision satisfait à la norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire, qui est celle de la décision raisonnable.

[11] La décision de l’agente est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653 (CSC). La norme de la décision correcte s’applique à toute question d’équité procédurale (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339 (CSC)).

[12] Je conviens que l’obligation d’équité procédurale applicable à une demande de réexamen est minime, et qu’un agent peut refuser de réexaminer la décision. Je renvoie à l’arrêt Kurukkal, précité, où la Cour d’appel fédérale a dit qu’un agent avait le pouvoir discrétionnaire de réexaminer et qu’il avait aussi le pouvoir discrétionnaire de refuser de réexaminer une décision antérieure.

[13] À mon avis, l’agente a effectivement réexaminé la décision initiale, même si elle n’était pas tenue de le faire. Je me fonde à cet égard sur les deux premiers paragraphes de la décision du 6 novembre 2020, que voici :

[Traduction]
La présente fait suite à la demande de réexamen, datée du 3 novembre 2020, présentée par votre avocat à l’égard du constat d’irrecevabilité, visé à l’alinéa 104(1)a) de la Loi, prononcé le 22 octobre 2020.

Les observations présentées ne me permettent pas de modifier le constat d’irrecevabilité initial prononcé au titre de l’alinéa 101(1)d) et visé à l’alinéa 104(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

[14] Je fais remarquer que le défendeur s’appuie sur la décision Borovic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 939. Au paragraphe 17 de cette décision, la Cour observe que l’agent n’est pas tenu d’évaluer les nouveaux éléments de preuve, son obligation consiste plutôt à décider s’il doit rouvrir l’affaire. Dans la décision Borovic, précitée, la Cour fait référence à la décision Noor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 308.

[15] Je souligne par ailleurs que les décisions Borovic et Noor, précitées, bien qu’elles appliquent la norme de la décision raisonnable, ont été rendues avant l’arrêt Vavilov, précité. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada énonce expressément que les motifs fournis par les décideurs administratifs doivent être transparents et intelligibles (voir les paragraphes 83 à 86).

[16] Après avoir examiné les documents produits au dossier certifié du tribunal, les dossiers de la demande ainsi que les observations écrites et orales des parties, je retiens les arguments avancés par les demandeurs selon lesquels la décision du 6 novembre 2020 ne respecte pas la norme de contrôle applicable.

[17] L’agente a tout d’abord accepté de réexaminer la demande. Selon les paragraphes de la décision du 6 novembre 2020, reproduits ci-dessous, l’agente aurait examiné les autres observations présentées par les demandeurs :

[traduction]
Après avoir examiné tous les renseignements qui étaient au dossier à la date où la décision a été prise, je suis d’avis que la décision était fondée.

Les nouveaux éléments de preuve pourraient confirmer la révocation de votre statut en Ouganda, mais ce résultat découle uniquement de la demande officielle de retrait que votre mère a présentée en mars 2020. Aucune des mesures prises par les fonctionnaires du cabinet du premier ministre de l’Ouganda, dont il a été question dans les observations précédentes, ne corrobore le fait qu’à cette époque, vous ne pouviez être considérés comme des réfugiés.

[18] Le dossier comporte des éléments de preuve qui peuvent contredire la conclusion de l’agente selon laquelle les demandeurs sont visés par les circonstances d’exclusion précisées à l’alinéa 101(1)d) de la Loi. Cette disposition est ainsi rédigée :

Irrecevabilité

101 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

d) reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel il peut être renvoyé;

Ineligibility

101 (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

(d) the claimant has been recognized as a Convention refugee by a country other than Canada and can be sent or returned to that country;

[19] Les demandeurs ont présenté des éléments de preuve qui jettent un doute sur leur statut de réfugié, relativement à l’Ouganda. À mon avis, l’agente ne s’est pas « attaquée » aux éléments de preuve. Ce défaut rend sa décision déraisonnable.

[20] Il n’est pas nécessaire que j’examine les arguments relatifs à l’équité procédurale avancés par les demandeurs puisque la décision, sur le fond, est déraisonnable.

[21] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau. L’affaire ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6163-20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de l’agente est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6163-20

 

INTITULÉ :

X. Y. ET Y. Z c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO) ET À ST. JOHN’S (TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 mars 2022

MOTIFS ET JUGEMENT :

 

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT CONFIDENTIELS :

 

Le 22 septembre 2022

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT PUBLICS :

Le 26 septembre 2022

COMPARUTIONS :

Joshua Blum

POUR LES DEMANDEURS

Kareena Wilding

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jared Will & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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