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Date : 20220929


Dossier : IMM-5450-20

Référence : 2022 CF 1364

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

OLUWAFEMI SUNDAY AYEYEMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Oluwafemi Sunday Ayeyemi, a présenté une demande d’asile au Canada. Il est un citoyen du Nigéria. Sa demande d’asile était fondée sur sa crainte d’être persécuté par les membres de sa famille élargie au Nigéria. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile. M. Ayeyemi a interjeté appel de cette décision devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La SAR a rejeté son appel. Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Ayeyemi conteste le rejet de la SAR.

[2] Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Ayeyemi soulève trois questions. Premièrement, il soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre en preuve l’avis juridique d’un avocat qui travaille au Nigéria sur sa capacité à se réinstaller ailleurs dans le pays. Deuxièmement, il conteste la conclusion de la SAR concernant la possibilité de refuge intérieur (la PRI) principalement au motif qu’elle a fait abstraction de la preuve objective ou l’a mal interprétée et n’a pas adéquatement examiné la preuve personnelle. Troisièmement, M. Ayeyemi soutient que la conclusion de la SAR selon laquelle il n’avait aucune crainte subjective était déraisonnable étant donné qu’elle n’avait tiré aucune autre conclusion défavorable quant à sa crédibilité.

[3] M. Ayeyemi n’a pas démontré qu’il y a lieu que je modifie la décision de la SAR. En appel, la SAR a examiné les arguments de M. Ayeyemi. À l’appui de sa décision de rejeter l’appel, elle a fourni des motifs détaillés, justifiés, transparents et intelligibles. Comme je l’exposerai plus en détail ci-dessous, je ne relève aucune lacune suffisamment grave dans l’analyse de la SAR pour exiger que l’appel fasse l’objet d’une nouvelle décision. Je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Contexte

[4] En juin 2017, l’oncle de M. Ayeyemi est décédé, laissant dans le deuil sa femme et ses deux enfants. Conformément aux coutumes familiales, M. Ayeyemi a été choisi comme membre de la famille devant marier la veuve de son oncle. Si M. Ayeyemi ne la mariait pas, les membres de sa famille élargie croyaient qu’ils seraient frappés d’un grand malheur.

[5] M. Ayeyemi est déjà marié et a des enfants, et il ne partage pas les croyances traditionnelles des membres de sa famille élargie. Il allègue que ces derniers n’ont pas accepté son refus, l’ont menacé et l’ont agressé physiquement. Il a sollicité l’aide de la police et il allègue que celle-ci n’est pas intervenue, car elle considérait qu’il s’agissait d’une affaire familiale.

[6] M. Ayeyemi, sa femme et leurs enfants ont fini par quitter leur domicile dans l’État d’Ogun et ont déménagé chez un ami à Lagos. M. Ayeyemi allègue que, quelques semaines plus tard, les chefs de son village et d’autres hommes l’ont retrouvé chez son ami, l’ont menacé et l’ont agressé.

[7] Le mois suivant, des inconnus ont attaqué M. Ayeyemi à Lagos. Ce dernier s’est rendu au poste de police et a expliqué qu’il soupçonnait sa famille d’avoir orchestré l’attaque. La police ne l’a pas aidé. Après l’attaque, le père de M. Ayeyemi l’a averti que sa famille planifiait d’autres attaques et lui a conseillé de fuir.

[8] M. Ayeyemi a quitté le Nigéria. Il s’est d’abord rendu aux États-Unis avant de venir au Canada, où il a demandé l’asile en avril 2018.

[9] La femme de M. Ayeyemi est retournée dans l’État d’Ogun après qu’elle et sa famille ont été découvertes à Lagos. À son retour, des membres de la famille éloignée l’ont abordée et lui ont dit qu’ils l’expulseraient de la maison et lui enlèveraient ses enfants si M. Ayeyemi ne revenait pas dans les deux prochains mois. La femme de M. Ayeyemi et leurs enfants se sont réinstallés ailleurs au Nigéria. Depuis, ils ont déménagé dans un lieu plus discret situé dans la même région.

[10] La SPR a tenu l’audition de la demande d’asile de M. Ayeyemi le 27 mars 2019 et a rejeté sa demande le 5 avril 2019. Après avoir interjeté appel devant la SAR, M. Ayeyemi a été invité par la SAR à présenter des observations supplémentaires au sujet d’un point du cartable national de documentation (le CND) sur le Nigéria qui porte sur les répercussions de l’identité autochtone sur les réinstallations à l’intérieur du Nigéria, ce qu’il a fait.

[11] Dans une décision rendue le 5 octobre 2020, la SAR a rejeté l’appel de M. Ayeyemi et a conclu qu’il disposait d’une PRI sécuritaire et raisonnable à Abuja.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[12] Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève trois questions : i) le refus de la SAR de tenir compte de l’avis juridique d’un avocat qui travaille au Nigéria; ii) la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur disposait d’une PRI sécuritaire et raisonnable à Abuja; et iii) la conclusion de la SAR quant à la crainte subjective du demandeur.

[13] Dans mon examen des motifs de la SAR, j’applique la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable dans le cadre du contrôle d’une décision administrative sur le fond. Aucune exception à cette présomption ne s’applique en l’espèce.

IV. Analyse

A. Le refus d’admettre les nouveaux éléments de preuve

[14] Devant la SAR, M. Ayeyemi a déposé comme nouvel élément de preuve l’avis juridique d’un avocat qui travaille au Nigéria. Le document contenait l’avis de l’avocat à propos des conditions générales dans le pays, de la situation sur le plan de la sécurité au Nigéria et de la capacité du demandeur à se réinstaller, en particulier à Port Harcourt. La SAR a conclu que ce nouvel élément de preuve était inadmissible au titre du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. M. Ayeyemi ne m’a pas convaincue qu’il y a lieu de modifier la décision de la SAR sur cette question.

[15] La SAR a conclu que les renseignements figurant dans l’avis juridique de l’avocat n’étaient pas liés à des questions survenues depuis la décision de la SAR et ne pouvaient donc pas être considérés comme « nouveaux » (LIPR, art 110(4)). La SAR a également conclu que M. Ayeyemi n’avait pas démontré que ce type d’élément de preuve n’était alors pas normalement accessible ou, s’il l’était, qu’il ne l’aurait pas normalement présenté devant la SPR (LIPR, art 110(4)).

[16] La SAR a souligné que l’unique argument de M. Ayeyemi sur la question de savoir si les documents satisfaisaient aux exigences prévues au paragraphe 110(4) était qu’il avait appris à l’audience devant la SPR que celle-ci avait désigné Port Harcourt comme une PRI viable. La SAR a conclu que la SPR avait désigné deux villes pouvant constituer une PRI (Port Harcourt et Abuja) au début de l’audience et que M. Ayeyemi n’avait présenté aucune demande à la SPR en vue de fournir d’autres éléments de preuve concernant la viabilité des villes proposées comme PRI. Outre le fait qu’il conteste la conclusion de la SAR, M. Ayeyemi n’a pas relevé de lacunes suffisamment graves dans l’analyse de la SAR.

B. La PRI à Abuja

[17] M. Ayeyemi avance deux arguments pour contester la conclusion de la SAR relative à la PRI.

[18] Le premier volet du critère relatif à la PRI permet d’évaluer si le demandeur peut se réinstaller à Abuja en toute sécurité. M. Ayeyemi soutient que la SAR a conclu de façon déraisonnable qu’il n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que les membres de sa famille éloignée avaient les moyens et la motivation de le retrouver à Abuja. Pour en arriver à cette conclusion, la SAR s’est fondée sur plusieurs facteurs, dont les suivants : M. Ayeyemi n’a présenté aucune preuve quant à la nature du pouvoir détenu par les membres de sa famille éloignée; lorsqu’il a été retrouvé à l’extérieur de son État d’origine, il restait chez un ami; lorsque les membres de sa famille élargie ont abordé sa femme, elle restait chez eux dans l’État d’Ogun; les membres de sa famille élargie n’ont pas abordé sa femme depuis qu’elle a déménagé il y a environ deux ans.

[19] Je ne souscris pas à l’affirmation de M. Ayeyemi selon laquelle l’analyse de la SAR révèle une approche privilégiant la preuve objective plutôt que la preuve personnelle de M. Ayeyemi. Dans son analyse de cette question, la SAR a examiné les tentatives antérieures des membres de la famille éloignée pour retrouver M. Ayeyemi, leurs tentatives depuis qu’il a quitté le pays et le profil de l’agent de persécution. Je ne souscris pas non plus à l’affirmation selon laquelle les motifs de la SAR [traduction] « ne reflètent pas une compréhension des motivations des agents de persécution ». À l’appui de cette affirmation, M. Ayeyemi ne renvoie à rien de précis dans les motifs. Il ne fait que soutenir de manière générale que les familles qui adhèrent à ce genre de pratiques traditionnelles sont fortement motivées à perpétuer ces traditions.

[20] Je ne peux m’appuyer sur la décision Akinola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1308, à laquelle fait référence le demandeur et dans laquelle la Cour a jugé déraisonnable l’évaluation qu’a faite la SAR de la motivation de l’agent de persécution de retrouver les demandeurs. Ces évaluations s’effectuent en fonction du contexte et dépendent des faits de la demande et des motifs fournis par le décideur.

[21] Quant au deuxième volet du critère relatif à la PRI, M. Ayeyemi soutient que la SAR a fait abstraction de la preuve dont elle disposait ou l’a mal interprétée lorsqu’elle a conclu qu’il était raisonnable pour M. Ayeyemi de s’établir à Abuja. J’ai examiné les éléments de preuve qui, selon M. Ayeyemi, démontrent que la SAR s’est appuyée de manière sélective sur la preuve documentaire et a mal interprété la preuve dont elle disposait. Je ne suis pas d’accord avec M. Ayeyemi. Je ne suis pas d’avis que les passages sur lesquels M. Ayeyemi s’appuie démontrent que la SAR a mal interprété la preuve ou a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents qui contredisaient directement ses conclusions.

[22] Je ne suis pas non plus d’avis que M. Ayeyemi a établi que l’analyse de la SAR relative à la PRI souffre de lacunes suffisamment graves pour rendre sa décision déraisonnable. J’estime que la SAR a examiné les arguments que M. Ayeyemi a présentés en appel, a tenu compte tant de la preuve objective que de la preuve personnelle, a appliqué le critère juridique pertinent et a exposé ses motifs de manière transparente et cohérente.

C. La conclusion quant à la crainte subjective

[23] M. Ayeyemi conteste également la conclusion de la SAR selon laquelle le fait qu’il soit retourné chez lui après avoir été retrouvé et attaqué à Lagos démontre une absence de crainte subjective. Invoquant la décision Shanmugarajah c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 583, M. Ayeyemi soutient que la SAR a commis une erreur en concluant qu’il n’avait aucune crainte subjective alors qu’elle n’a tiré aucune conclusion générale défavorable quant à sa crédibilité. Je juge qu’il n’est pas nécessaire d’examiner cette question. La SAR ne s’est pas appuyée sur sa conclusion relative à la crainte subjective ailleurs dans sa décision. Elle ne s’est fondée ni sur l’absence de crainte subjective ni sur le manque de crédibilité de M. Ayeyemi pour rejeter l’appel ou pour tirer sa conclusion relative à la PRI. Par conséquent, même si M. Ayeyemi avait démontré que la conclusion quant à sa crainte subjective était déraisonnable, il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour annuler la décision.

V. Conclusion

[24] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a soulevé de question grave de portée générale à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUDGMENT DANS LE DOSSIER IMM-5450-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sophie Reid-Triantafyllos


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5450-20

 

INTITULÉ :

OLUWAFEMI SUNDAY AYEYEMI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MARS 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTION :

Adela Crossley

 

POUR LE DEMANDEUR

Hillary Adams

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

CROSSLEY LAW

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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