Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220916


Dossier : IMM-4337-21

Référence : 2022 CF 1304

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 16 septembre 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

ROSE MARIAM MUNOZ GALLARDO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 avril 2021 [la décision] par un agent des visas à l’étranger d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC], par laquelle il rejetait la demande de permis de travail présentée par la demanderesse au titre du Programme des travailleurs étrangers temporaires [le PTET]. La demanderesse n’a pas inscrit dans sa demande le refus antérieur d’un visa de résident temporaire [VRT] et les refus antérieurs d’autorisations de voyage électroniques [AVE]. Le décideur a conclu que la demanderesse avait omis d’inclure des faits importants dans sa demande, au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et qu’elle était pour cette raison interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans conformément à l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie étant donné que le dossier dont disposait la Cour ne contenait pas suffisamment de justifications pour la conclusion sous-jacente tirée au titre de l’alinéa 40(1)a) puisqu’aucune analyse n’a été présentée quant à l’importance de l’omission, ce qui rend la décision déraisonnable.

I. Contexte

[3] La demanderesse, madame Rosa Miriam Munoz Gallardo, est une surveillante d’exploitation agricole et une citoyenne du Mexique. Le 3 juillet 2020, elle a présenté une demande de permis de travail au titre du PTET dans le volet agricole, étayée par une étude d’impact sur le marché du travail remplie par son employeur canadien potentiel.

[4] Une inscription mentionnant des réserves quant à la demande présentée par la demanderesse a été faite dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] le 8 août 2020. La recherche intégrée effectuée par l’agent chargé de l’examen d’IRCC a révélé que la demanderesse s’était vu refuser un VRT et quatre AVE depuis son dix-huitième anniversaire et que le dernier refus d’AVE était le seul inscrit dans la demande.

[5] L’agent a envoyé une lettre d’équité procédurale à la demanderesse le 25 août 2020, dans laquelle il l’informait de ces réserves et lui donnait la possibilité de répondre. La consultante en immigration inscrite auprès du Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada [le CRCIC], qui représentait la demanderesse alors, a répondu à la lettre d’équité procédurale en affirmant que l’omission des refus antérieurs était une erreur non intentionnelle et une omission involontaire, et que la demanderesse croyait qu’en inscrivant le plus récent refus, l’agent aurait accès à tous ses antécédents en matière d’immigration dans le système. Elle a fourni une liste des refus antérieurs de la demanderesse et a fait savoir qu’une autre demande d’AVE était en attente de traitement.

[6] Le 22 septembre 2020, le même agent a inscrit des notes dans le SMGC faisant état de la réponse de la demanderesse. Il a souligné qu’il incombait à la demanderesse de présenter de l’information exacte à l’appui de sa demande et a noté que la représentante de la demanderesse était une consultante, inscrite auprès du CRCIC, qui la représentait depuis qu’elle avait présenté sa demande. Comme l’a indiqué l’agent, la représentante [traduction] « savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu’il revient à la demanderesse de répondre véridiquement à toutes les questions, ce qui comprend fournir des précisions sur tous les refus antérieurs ». L’agent a conclu que la demanderesse [traduction] « peut avoir directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi ». Le dossier a été transmis au délégué du ministre [le décideur] pour qu’une décision soit rendue au titre de l’article 40 de la LIPR.

[7] Le décideur a inscrit une nouvelle note dans le SMGC, selon laquelle il a examiné les faits et l’information pertinents et il était [traduction] « convaincu que la demanderesse avait directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR ». La demanderesse a été déclarée interdite de territoire au Canada pour une période de cinq ans, conformément aux alinéas 40(1)a) et 40(2)a) de la LIPR.

II. Question préliminaire –Intitulé

[8] À titre préliminaire, je souligne que l’intitulé de la présente affaire a été modifié afin de désigner correctement le défendeur, soit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[9] La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la décision était raisonnable.

[10] Une décision administrative qui conclut à une présentation erronée dans le cadre d’une demande de permis de travail est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Badmus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1031 au para 9; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Aucune des situations qui permettraient de réfuter la présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable n’est présente en l’espèce : Vavilov, aux para 16-17.

[11] Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov , aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91-95, 99-100.

[12] La demanderesse affirme que l’omission de l’information se rapportant aux refus antérieurs de son visa et des AVE était une erreur commise de bonne foi. Elle affirme que les motifs ne sont pas suffisamment justifiés et ne sont pas transparents puisqu’ils ne répondent pas à l’argument qu’elle a avancé dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, soit qu’elle a commis une erreur de bonne foi; et qu’ils ne contiennent pas non plus d’analyse quant à la question de savoir si la présentation erronée était suffisamment importante eu égard aux exigences de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[13] Le défendeur soutient que la décision était raisonnable. L’exception relative à l’erreur de bonne foi ne s’applique pas et la nature de l’omission est importante en soi. Pour ces raisons, aucune explication supplémentaire n’était nécessaire.

[14] Le caractère raisonnable de la décision en l’espèce repose donc sur la justification.

[15] Comme il est énoncé dans l’arrêt Vavilov, la teneur d’une justification adéquate doit être appréciée à la fois « en tenant dûment compte du régime administratif » et par la reconnaissance des répercussions de la décision sur l’intéressé : aux para 91 et 103.

[16] L’agent des visas a l’obligation minimale de motiver sa décision de rejeter une demande de VRT, et ses motifs sont suffisants s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de sa décision : Alkhaldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 584 [Alkhaldi] au para 17; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465 au para 21. Cependant, une conclusion de fausse déclaration, laquelle entraîne une interdiction de territoire du Canada pour cinq ans, a de graves répercussions et suppose que les motifs du décideur reflètent les enjeux pour l’intéressé et tiennent compte de la perspective de celui-ci : Gill c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1441 [Gill] au para 7; Likhi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 171 aux para 27, citant Vavilov, au para 133.

IV. Analyse

[17] Selon l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, un étranger est interdit de territoire pour fausse déclaration s’il fait une omission à l’égard de faits importants qui risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Les faits doivent être importants pour établir une fausse déclaration, et il doit y avoir des éléments de preuve clairs et convaincants qu’un demandeur a, selon la prépondérance des probabilités, omis des faits importants pour que soit tirée une conclusion de fausse déclaration : Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416 au para 29.

[18] Il convient d’interpréter l’alinéa 40(1)a) de façon libérale et solide : Kazzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 153 au para 38 [Kazzi]; Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428 [Oloumi] au para 23. L’alinéa 40(1)a) a pour objet de protéger l’intégrité du processus d’immigration et de faire en sorte que les demandeurs fournissent des renseignements complets, fidèles et véridiques lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada : Kazzi, au para 38; Bodine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848 au para 41.

[19] Dans des circonstances exceptionnelles, une exception étroite à une conclusion de fausse déclaration en application de l’alinéa 40(1)a) peut être justifiée si un demandeur est en mesure de démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important : Kazzi, au para 38. Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 [Goburdhun], au para 31; Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1990] 2 CF 345, [1990] ACF no 318, (QL) (CAF). Dans la décision Alkhaldi, au paragraphe 19, une telle situation est décrite comme supposant l’application d’un critère subjectif, dans le cadre duquel le décideur doit se demander si la personne croyait sincèrement qu’elle ne faisait pas une présentation erronée, et d’un critère objectif dans le cadre duquel le décideur doit se demander s’il était raisonnable de supposer, selon les faits, que la personne croyait qu’elle ne faisait pas une présentation erronée.

[20] L’élément subjectif a fait l’objet d’une analyse plus approfondie dans la décision Oloumi. Comme il est expliqué au paragraphe 36 de la décision, l’exception est étroite et se rapporte à un renseignement dont le demandeur n’était subjectivement pas au courant ou dont la connaissance échappait à sa volonté :

[36] Quand on la considère dans son contexte factuel, l’exception formulée dans l’arrêt Medel est donc assez étroite. Comme l’a fait remarquer le juge MacKay en faisant une distinction entre cette affaire-là et celle dont il était saisi, soit Mohammed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 3 CF 299 :

41On peut également établir une distinction entre les faits de la présente espèce et ceux de l’affaire Medel, au motif que le renseignement que le requérant n’a pas communiqué n’était pas un renseignement dont il n’était véritablement et subjectivement pas au courant. En l’espèce, le requérant savait bien qu’il était marié. Et il ne s’agissait pas, comme dans l’affaire Medel, d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté. Il ne s’agissait pas d’un renseignement qu’on lui avait dissimulé ou au sujet duquel il avait été induit en erreur par les fonctionnaires de l’ambassade. La présumée ignorance du requérant en ce qui concerne l’obligation de signaler un tel changement important survenu dans son état matrimonial et son incapacité de communiquer ce renseignement à son arrivée à un agent d’immigration ne constituent pas, selon moi, “une ignorance subjective“ de renseignements importants au sens de l’arrêt Medel.

[Non souligné dans l’original.]

[21] La demanderesse soutient que l’exception relative à une erreur de bonne foi a été interprétée de façon plus large dans d’autres affaires, comme la décision Karunaratna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 421 [Karunaratna], dans laquelle la Cour a conclu à une erreur de bonne foi même si le demandeur connaissait l’information qui a été omise. Dans la décision Karunaratna, l’omission du refus d’une demande antérieure de VRT dans la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse a été considérée comme une erreur de bonne foi parce que l’agent avait accès aux demandes antérieures refusées, que la demanderesse avait divulgué le refus dans une autre demande de VRT, et que la demanderesse avait modifié le formulaire de son propre chef, sans l’aide de son conseiller. Dans cette affaire, l’explication donnée par le conseiller de la demanderesse en réponse à la lettre d’équité procédurale étayait une conclusion selon laquelle l’omission était véritablement une erreur commise de bonne foi.

[22] En dépit du fait que, dans la décision Karunaratna, la demanderesse connaissait manifestement l’information non divulguée, je ne crois pas que cette décision annule le courant dominant de la jurisprudence qui a fait suite aux décisions Oloumi et Goburdhun. Les conclusions tirées dans la décision Karunaratna se rapportent aux faits et au contexte de l’omission soulevés dans l’affaire. Je ne crois pas que les circonstances soient les mêmes que celles en jeu en l’espèce.

[23] En fait, j’estime que la situation dans la présente affaire est semblable à celle qu’a tranchée la Cour dans la décision Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1004 [Malik], qui concernait l’omission, dans une demande de permis d’études, d’une information relative à une demande de visa pour les États-Unis refusée, et dans le cadre de laquelle la Cour a examiné le caractère adéquat des motifs donnés par l’agent. Comme l’a affirmé le juge Southcott aux paragraphes 31-35 de la décision Malik :

[31] [...] l’exception à l’article 40 fondée sur l’erreur commise de bonne foi est étroitement circonscrite, et ne s’applique qu’aux circonstances exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas de fausse déclaration au sujet d’un fait important ou qu’il lui était impossible de savoir qu’il faisait une déclaration inexacte. En d’autres termes, d’un point de vue subjectif, le demandeur ignorait qu’il dissimulait des informations. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, la demanderesse a reconnu qu’elle n’avait pas mentionné le refus du visa américain, a justifié cette omission en invoquant un manque d’espace dans le formulaire de demande, et a reconnu qu’elle aurait pu joindre une feuille séparée énumérant toutes les demandes qu’elle s’était vu refuser. Elle a également déclaré qu’elle avait signalé le refus du visa américain dans une demande distincte.

[32] Ainsi, lorsque la demanderesse a présenté sa demande de permis d’études, non seulement elle savait qu’un visa américain lui avait été refusé, mais elle savait également qu’elle avait omis de le mentionner dans sa demande.

[33] Par conséquent, il ne s’agit pas d’une situation analogue à celle dont il est question dans Osisanwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1126. Au contraire, les faits de l’espèce se rapprochent davantage de ceux de Tuiran. Dans cette affaire, la demanderesse avait répondu « oui » à la question : « Vous a-t-on déjà refusé un visa ou un permis, interdit l’entrée ou demandé de quitter le Canada ou tout autre pays? », et n’avait mentionné que les refus des deux demandes de visa canadien de résident temporaire qu’elle avait présentées en 2015, sans signaler l’annulation d’un visa américain qui lui avait été accordé. Par la suite, la demanderesse a reconnu que son visa américain avait été annulé, mais a affirmé avoir mal compris la question et cru qu’elle ne concernait que le Canada. L’agent a déclaré la demanderesse interdite de territoire en raison de fausses déclarations. Elle a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, et soutenu qu’il était déraisonnable que l’agent ne tienne pas compte du fait qu’elle avait commis une erreur de bonne foi. La Cour a analysé l’exception étroitement circonscrite au paragraphe 40(1) qui s’applique aux erreurs commises de bonne foi, et déclaré :

[29] Peu importe si la demanderesse a mal compris la question lorsqu’elle a rempli son formulaire de demande de visa de résident temporaire ou si elle avait ou non l’intention d’indiquer faussement le statut de son visa pour les États-Unis, il n’est tout simplement pas plausible qu’elle n’ait eu aucune idée que son visa avait été annulé. La situation de la demanderesse est semblable à celle du demandeur dans Baro, étant donné que le formulaire demandait précisément ce renseignement, dont la demanderesse était en possession, mais elle ne l’a pas fourni. La question indique clairement [traduction] « le Canada ou tout autre pays », et il incombait à la demanderesse de fournir des renseignements exacts, comme l’exige l’article 16 de la Loi.

[...]

[35] Dans le cas qui nous occupe, les motifs de l’agent auraient certes pu être plus exhaustifs, mais l’agent n’a pas commis d’erreur en omettant de se prononcer explicitement sur la possibilité que l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi puisse s’appliquer. Les motifs démontrent que les éléments de preuve dont disposait l’agent, notamment la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale, permettaient d’établir que cette dernière savait qu’un visa américain lui avait été refusé et qu’elle avait sciemment omis de communiquer cette information. Ainsi, l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi ne s’applique pas en l’espèce, que la fausse déclaration ait été faite dans l’intention d’induire le décideur en erreur ou non. L’agent n’a donc pas commis d’erreur en omettant d’en tenir compte.

[24] Comme dans la décision Malik, il ressortait clairement de la réponse à la lettre d’équité procédurale en l’espèce que la demanderesse avait intentionnellement omis de fournir le reste des informations relatives à l’immigration. Lorsqu’elle a présenté sa demande, la demanderesse était au courant de l’existence des autres refus, comme elle l’a souligné dans sa réponse à la lettre, mais elle savait également qu’elle avait omis de les mentionner dans sa demande. Il ne s’agit pas d’une situation où la demanderesse ne connaissait pas l’information. La demanderesse a affirmé dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale qu’elle ne croyait pas nécessaire d’inscrire les autres refus puisque l’agent pourrait accéder à l’information dans le système à partir du plus récent refus.

[25] Comme dans la décision Malik, en dépit du fait que les motifs auraient pu être plus étoffés, l’agent n’a pas commis d’erreur en omettant d’écrire explicitement que l’exception relative à l’erreur commise de bonne foi ne s’appliquait pas. Dans ses motifs, l’agent chargé de l’examen prend acte de la réponse de la demanderesse à la lettre d’équité procédurale, dans laquelle il était confirmé que la demanderesse était au courant des autres refus de visa et de permis et qu’elle avait sciemment omis d’inscrire l’information. Que la fausse déclaration ait été faite dans l’intention d’induire le décideur en erreur ou pas, l’exception relative à une erreur commise de bonne foi ne s’appliquait pas. Ce n’était pas une erreur que d’avoir omis de l’examiner plus en détail.

[26] De plus, en l’espèce et à l’instar de la décision Malik, nul doute que l’agent n’a pas accepté l’explication de la demanderesse selon laquelle l’omission des refus antérieurs était une erreur commise de bonne foi. Dans ses motifs, l’agent chargé de l’examen mentionne que la demanderesse était représentée par une consultante en immigration pendant tout le processus et que la consultante [traduction] « aurait raisonnablement dû savoir » qu’il [traduction] « revient à la demanderesse de répondre véridiquement à toutes les questions, ce qui comprend fournir des précisions sur tous les refus antérieurs ».

[27] Il est expressément demandé sur le formulaire de demande de permis de travail d’inscrire les refus antérieurs de visa ou de permis de travail. Cela ne signifie pas qu’il faille inscrire uniquement l’information concernant le dernier refus. En fait, les demandeurs doivent indiquer si un visa ou un permis leur a déjà été refusé et inclure des détails. Et ils doivent obligatoirement répondre à la question en n’omettant rien, et non selon leur bon vouloir. Il aurait dû n’y avoir aucune ambiguïté quant aux éléments nécessaires ou pertinents. J’estime que les notes consignées par l’agent chargé de l’examen reflètent ce point de vue et sont raisonnables à cet égard.

[28] Toutefois, je suis d’un autre avis en ce qui concerne le second argument avancé par la demanderesse. Celle-ci conteste séparément le caractère raisonnable de la décision pour ce qui est de la suffisance de l’analyse effectuée quant à l’importance des omissions. Ainsi qu’elle le fait valoir à juste titre, l’omission de procéder à une analyse de l’importance d’une fausse déclaration alléguée peut constituer une erreur susceptible de révision : Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931 au para 29.

[29] La demanderesse soutient que la décision ne renferme qu’une simple conclusion au sujet de l’importance des omissions sans la moindre analyse, de sorte qu’il est impossible pour elle de relier les points sur la page pour comprendre le raisonnement de l’agent : Tung c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 917 aux paras 14-16).

[30] Comme je l’ai fait précédemment, j’ai perçu la décision comme englobant les commentaires formulés par l’agent chargé de l’examen et par le décideur, en constatant que le décideur n’était pas tenu de reprendre les motifs qui figuraient déjà dans les notes consignées par l’agent chargé de l’examen lorsqu’il est clair que le décideur accepte l’examen qui a été effectué : Hasham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 881 aux para 29-31).

[31] Les notes consignées par le décideur ne font qu’énoncer la conclusion qui suit, qui reprend le libellé de la LIPR :

[traduction]

J’ai examiné l’ensemble des faits et de l’information dont j’ai été saisi. Je suis convaincu que la demandeure a, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Pour cette raison, je suis convaincu que la demandeure est interdite de territoire au Canada conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Conformément à l’alinéa 40(2)a), la demandeure sera interdite de territoire au Canada pour les cinq ans suivant la date de la présente lettre ou suivant la date à laquelle une mesure de renvoi précédente a été exécutée.

[32] De même, l’agent chargé de l’examen a souligné que la demanderesse avait [traduction] « omis de déclarer 4 ou 5 refus » et a énuméré les refus selon leurs dates, pour finalement conclure, après avoir examiné la réponse à la lettre d’équité procédurale que la [traduction] « demandeure peut avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR ». Il n’a rien dit quant à la nature des refus qui n’étaient pas inscrits dans la demande et quant à la raison pour laquelle il estimait qu’ils étaient importants eu égard à la demande à l’étude.

[33] Le défendeur soutient qu’une analyse approfondie de l’importance était superflue en l’espèce, étant donné que quatre ou cinq refus antérieurs ont été omis et que toute l’information omise se rapportait à des refus antérieurs enregistrés au Canada. Il souligne qu’au moins deux des refus omis concernaient l’incapacité de la demanderesse de convaincre un agent des visas qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour. Il affirme qu’à première vue, il serait manifeste que les refus ayant été omis auraient pu avoir un effet sur la délivrance ou non d’un VRT et, comme l’a conclu l’agent, auraient donc pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[34] Cependant, je n’accepte pas que l’importance soit présumée. Comme il est énoncé dans la décision Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401 au paragraphe 23, « les agents des visas doivent effectuer une analyse de la notion de fait important; c’est-à-dire ils doivent évaluer les renseignements faux [ou omis] et donner une justification quelconque de la conclusion selon laquelle les renseignements sont importants ». Les répercussions que peut avoir l’interdiction de territoire supposent qu’il faille procéder à une analyse et conclure que la fausse déclaration est importante, c’est-à-dire qu’elle est pertinente pour une question qui fait activement l’objet d’un examen par l’agent et qu’elle aurait pu avoir une incidence sur le résultat de l’examen : Hasham, au para 26. Même si la fausse représentation n’a pas besoin d’être décisive ou déterminante pour être importante, l’agent n’en doit pas moins examiner la façon dont l’omission en question risque d’avoir une incidence sur le processus d’immigration ou sur l’application de la LIPR : Kazzi, au para 38; Gill,au para 29.

[35] J’estime que l’absence totale d’analyse quant à la notion de fait important – élément essentiel aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR – rend la décision insuffisamment justifiée et déraisonnable. Par conséquent, la demande est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

[36] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4337-21

LA COUR STATUE :

  1. L’intitulé est modifié pour que soit inscrit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.

  2. La demande est accueillie, la décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4337-21

 

INTITULÉ :

GEORGE GHOSS ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 SEPTEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 SEPTEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

D. Clifford Luyt

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.