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Date : 20220906


Dossier : T‐445‐20

Référence : 2022 CF 1256

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 septembre 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

RECOURS COLLECTIF ENVISAGÉ

ENTRE :

STEPHANIE DIFEDERICO ET

JAMESON EDMOND CASEY

demandeurs

et

AMAZON.COM, INC., AMAZON.COM.CA, INC., AMAZON.COM SERVICES LLC, AMAZON SERVICES INTERNATIONAL, INC. ET

AMAZON SERVICES CONTRACTS, INC.

défenderesses

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une requête présentée en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7 [Loi sur les Cours fédérales] en vue de suspendre la réclamation que la représentante demanderesse, Stephanie Difederico, cherche à soumettre dans le présent recours collectif envisagé en ce qui a trait à ses achats effectués dans les magasins Amazon.ca au motif qu’elle est assujettie à un arbitrage exécutoire.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il y a lieu d’ordonner une suspension en faveur de l’arbitrage, car il existe une convention d’arbitrage qui s’appliquerait aux achats de Mme Difederico dans les magasins Amazon.ca. Mme Difederico n’a pas établi l’existence de motifs exceptionnels pouvant justifier le refus d’une suspension, notamment des motifs d’intérêt public ou d’iniquité, et toute contestation de la compétence de l’arbitre ou de la validité des clauses d’arbitrage doit être renvoyée à l’arbitre.

I. Contexte

[3] Mme Difederico est une particulière qui habite à Windsor, en Ontario. Le 1er avril 2020, Mme Difederico a déposé le présent recours collectif envisagé contre Amazon.com, Inc., Amazon.com.ca, Inc., Amazon.com Services LLC, Amazon Services International, Inc. et Amazon Services Contracts, Inc. [collectivement, Amazon] à titre de défenderesses [la réclamation]. La réclamation soutient que certaines dispositions, à savoir une disposition sur les prix concurrentiels en vigueur de 2010 à mars 2019, et une politique connexe sur les prix équitables, constituent une fixation criminelle des prix en contravention de l’article 45 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c C‐34 [Loi sur la concurrence].

[4] La réclamation a été modifiée pour inclure un autre représentant du groupe proposé, Jameson Edmund Casey, le 30 septembre 2020. Mme Difederico cherche à représenter le groupe de consommateurs appelé le groupe « Commerce électronique d’Amazon ». M. Casey propose de représenter deux autres catégories d’acheteurs, dont aucune n’est visée par la présente requête. Le groupe « Commerce électronique d’Amazon » est défini comme suit dans la réclamation modifiée :

[traduction]

Toutes les personnes ou entités au Canada qui, du 1er juin 2010 à aujourd’hui (la « période visée par le recours collectif »), ont acheté des produits sur Amazon.ca ou Amazon.com. Le groupe « Commerce électronique d’Amazon » exclut les défenderesses ainsi que leurs sociétés mères, leurs filiales et leurs sociétés affiliées.

[5] La défenderesse Amazon.com, Inc. est un détaillant dont le siège social est situé à Seattle, dans l’État de Washington. La défenderesse Amazon.com.ca, Inc. et les autres défenderesses sont des filiales d’Amazon.com, Inc. Amazon.com.ca, Inc. exploite les magasins en ligne www.amazon.ca [Amazon.ca].

[6] Amazon.ca et les magasins en ligne exploités par Amazon.com Services, LLC [Amazon.com] ont des modalités d’utilisation de leurs services appelées « Conditions d’utilisation ». Les clients doivent accepter les conditions d’utilisation lorsqu’ils créent un compte dans les sites Amazon.ca et Amazon.com et chaque fois qu’ils passent une commande à l’aide de ce compte dans ces magasins en ligne.

[7] Mme Difederico possède des comptes sur Amazon.ca et Amazon.com et a acheté des produits à l’aide de chacun de ces comptes. En 2016, elle a créé son compte sur Amazon.ca et, par la suite, en date du 23 juin 2021, elle avait déjà passé plus de 285 commandes dans le site Amazon.ca pour divers produits. Elle a continué de passer de telles commandes après le début de l’instance sous‐jacente et le dépôt de la présente requête.

[8] Du 24 octobre 2014 au 30 mars 2022, les conditions d’utilisation d’Amazon.ca [les conditions d’utilisation de 2014] comprenaient la clause suivante sur le règlement des différends et l’arbitrage [la clause d’arbitrage de 2014] :

[traduction]

DIFFÉRENDS

(Non applicable aux consommateurs du Québec) Toute réclamation ou tout différend lié de quelque manière que ce soit à l’utilisation que vous faites d’un Service Amazon.ca ou à un produit ou service vendu ou distribué par Amazon.ca ou par l’intermédiaire des Services Amazon.ca sera résolu par voie d’arbitrage liant les parties, plutôt que par voie judiciaire, à l’exception que vous pouvez déposer vos demandes relatives à vos réclamations devant la Cour des petites créances si elles y sont admissibles. La Federal Arbitration Act (États‐Unis) et les lois fédérales des États‐Unis en matière d’arbitrage s’appliquent à la présente entente.

Il n’y a ni juge ni jury dans le cadre d’un arbitrage et le droit à la révision judiciaire d’une décision arbitrale est restreint. Cependant, l’arbitre peut accorder sur une base individuelle les mêmes dommages‐intérêts et mesures de réparation qu’un tribunal judiciaire (y compris une injonction et une mesure de réparation déclaratoire ou des dommages‐intérêts préétablis) et doit se conformer aux présentes Conditions d’utilisation comme le ferait un tribunal judiciaire.

[...]

Chacun de nous convient que les différends ne seront réglés que sur une base individuelle et non dans le cadre d’une action collective, d’instances réunies ou d’une action en justice à titre de représentant. Si, pour quelque raison que ce soit, une réclamation procède devant un tribunal judiciaire plutôt que par arbitrage, chacun de nous renonce à son droit à un procès devant jury. Chacun de nous convient également que vous pouvez, et que nous pouvons, demander à un tribunal judiciaire de faire cesser la violation ou toute autre utilisation inappropriée de droits de propriété intellectuelle.

[9] Les conditions d’utilisation de 2014 comprenaient également une clause sur le choix de la loi applicable qui est énoncée comme suit :

[traduction]

LOIS APPLICABLES

(Non applicable aux consommateurs du Québec) En utilisant un Service Amazon.ca, vous acceptez que la Federal Arbitration Act (États‐Unis), les lois fédérales américaines pertinentes et les lois de l’État de Washington, États‐Unis, sans égard aux principes de conflit de lois, régissent les présentes Conditions d’utilisation, de même que tout différend qui pourrait naître entre vous et Amazon.ca.

Pour les consommateurs du Québec : Les présentes Conditions d’utilisation et tout différend de quelque nature que ce soit qui pourrait survenir entre vous et Amazon.ca seront régis par les lois de la province du Québec, sans tenir compte de ses dispositions en matière de conflits de lois, et les lois du Canada applicables, et tout différend sera soumis aux tribunaux compétents du District de Montréal (Québec). [...]

[10] Des clauses semblables sur le règlement des différends et le choix de la loi applicable se trouvaient dans les conditions d’utilisation applicables au site Amazon.com jusqu’au 3 mai 2021. En date du 3 mai 2021, il n’y a plus de clause sur le règlement des différends prévoyant l’arbitrage dans les conditions d’utilisation d’Amazon.com.

[11] Amazon a initialement déposé la présente requête visant à suspendre l’instance en faveur de l’arbitrage le 6 avril 2021. L’avis de requête initial visait à suspendre les réclamations de Mme Difederico contre Amazon.ca et Amazon.com en raison des dispositions d’arbitrage incluses dans les clauses sur le règlement des différends contenues dans les conditions d’utilisation de ces deux magasins en ligne.

[12] Le 13 avril 2021, la Cour a ordonné que la requête en suspension soit entendue avant la requête en autorisation dans l’instance sous‐jacente [l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes]. L’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes n’a pas fait l’objet d’un appel.

[13] Mme Difederico a présenté une requête en modification de l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes après avoir appris que la disposition d’arbitrage avait été supprimée des conditions d’utilisation d’Amazon.com. La requête en modification a été rejetée le 13 août 2021 à la suite d’une ordonnance [l’ordonnance sur la requête en modification] qui fait actuellement l’objet d’un appel.

[14] Le 3 novembre 2021, la Cour d’appel fédérale a rejeté une requête de Mme Difederico visant à suspendre l’exécution de l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes et de l’ordonnance sur la requête en modification en attendant que son appel soit tranché.

[15] L’avis relatif à la présente requête a été modifié le 28 juin 2021 pour ne viser que la réclamation proposée par Mme Difederico concernant ses achats sur Amazon.ca.

[16] Chaque partie a déposé de nombreux éléments de preuve dans le cadre de la présente requête, y compris des affidavits souscrits par des témoins experts. Cependant, aucun des auteurs d’affidavit n’a été contre‐interrogé.

[17] Les défenderesses ont présenté deux affidavits de Larry Matthew Raibourn, chef de la catégorie des appareils électroniques de consommation d’Amazon.ca, chez la défenderesse Amazon.com.ca Inc. Le premier affidavit a été signé le 2 avril 2021 [premier affidavit de M. Raibourn] et le second, le 4 juin 2021. Les défenderesses ont également fourni un affidavit de l’expert George A. Bermann, professeur de droit à la Faculté de droit de l’Université Columbia à New York, et deux affidavits de Vaughn R. Walker, un arbitre et médiateur de Federal Arbitration Inc., et ancien juge à la Cour de district des États‐Unis, district nord de la Californie. Le premier affidavit de M. Walker a été assermenté le 4 juin 2021 [premier affidavit de M. Walker] et un affidavit supplémentaire a été signé le 24 septembre 2021 [affidavit supplémentaire de M. Walker].

[18] En ce qui concerne la demanderesse, Mme Difederico a présenté son propre affidavit le 6 mai 2021. Elle a également fourni un affidavit de l’experte Lea Brilmayer, professeure à la Faculté de droit de l’Université Yale, assermenté le 7 mai 2021 [affidavit de Mme Brilmayer]. De plus, Eric A. Posner, professeur à la Faculté de droit de l’Université de Chicago, a déposé deux affidavits d’expert; le premier affidavit a été assermenté le 1er juin 2021 et un affidavit supplémentaire a été signé le 24 août 2021 [affidavit supplémentaire de M. Posner]. Il y a également eu deux affidavits de Krupa Shah, avocate du cabinet Orr Taylor LLP qui représente les demandeurs; le premier affidavit a été assermenté le 7 mai 2021 et un affidavit supplémentaire a été signé le 26 août 2021.

[19] La requête a d’abord été entendue le 3 février 2022 et a été prise en délibéré.

[20] Le 30 mars 2022, après l’audition de la présente requête, Amazon.ca a apporté des modifications à ses conditions d’utilisation de 2014 [les modifications]. Les modifications comprenaient des changements apportés aux clauses sur le règlement des différends et le choix de la loi applicable. La nouvelle clause sur le règlement des différends et l’arbitrage [la clause d’arbitrage de 2022] et la clause sur le choix de la loi applicable sont énoncées comme suit (changements soulignés) :

[traduction]

DIFFÉRENDS

Toute réclamation ou tout différend lié de quelque manière que ce soit à l’utilisation que vous faites d’un Service Amazon.ca ou à un produit ou service vendu ou distribué par Amazon.ca ou par l’intermédiaire des Services Amazon.ca sera résolu par voie d’arbitrage liant les parties, plutôt que par voie judiciaire, à l’exception que : 1) vous pouvez déposer vos demandes relatives à vos réclamations devant la Cour des petites créances si elles y sont admissibles, et 2) si les lois applicables dans votre province vous donnent le droit de résoudre votre réclamation ou votre différend par voie judiciaire devant les tribunaux de cette province nonobstant votre consentement à l’arbitrage, vous pouvez décider de procéder ainsi ou de procéder à l’arbitrage.

Il n’y a ni juge ni jury dans le cadre d’un arbitrage et le droit à la révision judiciaire d’une décision arbitrale est restreint. Cependant, l’arbitre peut accorder sur une base individuelle les mêmes dommages‐intérêts et mesures de réparation qu’un tribunal judiciaire (y compris une injonction et une mesure de réparation déclaratoire ou des dommages‐intérêts préétablis) et doit se conformer aux présentes Conditions d’utilisation comme le ferait un tribunal judiciaire.

[...]

Chacun de nous convient que les différends ne seront réglés que sur une base individuelle et non dans le cadre d’une action collective, d’instances réunies ou d’une action en justice à titre de représentant. Si, pour quelque raison que ce soit, une réclamation procède devant un tribunal judiciaire plutôt que par arbitrage, chacun de nous renonce à son droit à un procès devant jury. Chacun de nous convient également que vous pouvez, et que nous pouvons, demander à un tribunal judiciaire de faire cesser la violation ou toute autre utilisation inappropriée de droits de propriété intellectuelle.

LOIS APPLICABLES

En utilisant un Service Amazon.ca, vous acceptez que la Federal Arbitration Act (États‐Unis), les lois fédérales américaines pertinentes et les lois de l’État de Washington, États‐Unis, sans égard aux principes de conflit de lois, régissent les présentes Conditions d’utilisation, de même que tout différend qui pourrait naître entre vous et Amazon.ca, sauf dans la mesure où les lois fédérales ou provinciales du Canada en disposent autrement.

[21] Le 17 juin 2022, une conférence de gestion de l’instance [CGI] a été convoquée pour discuter des modifications. Au cours de la CGI, il a été déterminé que les parties devraient avoir l’occasion de présenter d’autres observations écrites et de vive voix sur l’incidence, le cas échéant, des modifications sur la requête en suspension en instance. Durant la CGI, ni l’une ni l’autre des parties n’ont soutenu que des éléments de preuve supplémentaires étaient nécessaires.

[22] Les parties ont déposé des observations supplémentaires et une autre audience a eu lieu le 29 juillet 2022.

[23] Dans ses documents écrits et ses observations de vive voix, la demanderesse a fait valoir qu’en raison des modifications, il y avait lieu de rejeter la requête ou d’exiger un avis de requête modifié, d’autres éléments de preuve et d’autres observations.

[24] Le 3 août 2022, les parties ont été informées que la Cour n’adopterait pas un autre calendrier pour permettre le dépôt de documents supplémentaires en plus de ceux déjà fournis relativement aux modifications. Comme la demande de Mme Difederico faisait partie de ses observations supplémentaires en réplique, les parties ont été informées que la Cour allait aborder officiellement la demande dans son ordonnance et ses motifs sur la requête en suspension.

II. Questions préliminaires

[25] Dans ses observations sur la requête initiale, Mme Difederico a fait valoir que la présente requête devrait être reportée jusqu’à ce que l’autorisation soit accordée, en raison du retrait de la clause d’arbitrage sur le site Amazon.com. Après l’adoption des modifications, Mme Difederico a réitéré son argument selon lequel la requête devrait être rejetée ou reportée en raison des modifications plus récentes. Je commencerai par traiter de chacun de ces arguments.

A. La décision sur la requête devrait‐elle être reportée jusqu’à ce que l’autorisation soit accordée, en raison du retrait de la clause d’arbitrage sur le site Amazon.com?

[26] Mme Difederico affirme que la suspension demandée par Amazon aura peu d’incidence sur la requête en autorisation, car elle peut continuer d’exercer son rôle de représentante demanderesse, même si la Cour suspend ses réclamations individuelles concernant les achats sur Amazon.ca.

[27] Amazon soutient que la demande d’ajournement de Mme Difederico est un abus de procédure et une attaque collatérale contre l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes et l’ordonnance sur la requête en modification. Elle affirme que la Cour ne devrait pas examiner cet argument, et je suis d’accord.

[28] Comme il est énoncé dans l’arrêt Wilson c La Reine, [1983] 2 RCS 594 à la p 599, une ordonnance du tribunal est valide, concluante et a force exécutoire, à moins dêtre infirmée en appel ou légalement annulée; elle ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance. Les attaques indirectes contournent les procédures de révision applicables et constituent un abus de procédure : Wild c Canada, 2006 CF 777 au para 20.

[29] Comme il a été mentionné précédemment, Mme Difederico n’a pas interjeté appel de l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes. Mme Difederico a présenté une requête en modification de l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes, mais sa demande a été rejetée. L’ordonnance sur la requête en modification fait déjà l’objet d’un appel qui sera tranché en temps opportun. La Cour d’appel fédérale a entendu et rejeté la demande de sursis à l’exécution de l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes et de l’ordonnance sur la requête en modification en attendant que l’appel soit tranché, pour défaut d’établir un préjudice irréparable.

[30] Le juge d’appel LeBlanc a fourni le résumé suivant dans sa décision (2021 CAF 214) concernant la requête en suspension :

[traduction]

[4] Le 16 juillet 2021, les appelants ont demandé à faire annuler ou modifier l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes conformément à l’alinéa 399(2)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106 (les Règles), au motif que les intimées, à la suite de ladite ordonnance, avaient modifié les conditions d’utilisation pour les clients qui achètent des produits sur la plateforme Amazon.com afin de permettre aux différends découlant de l’utilisation de cette plateforme d’être réglés par voie judiciaire, plutôt que par l’arbitrage, et ont modifié leur requête en suspension en conséquence afin de la limiter aux différends découlant de l’utilisation de la plateforme Amazon.ca, qui demeuraient assujettis à l’arbitrage exécutoire. Selon les appelants, ce changement, qui est survenu après que l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes a été rendue, aurait fait obstacle à la réparation demandée par les intimées dans leur requête en suspension initiale, et ce, pour deux raisons. Premièrement, il n’était plus possible de suspendre les réclamations de l’ensemble du groupe Commerce électronique d’Amazon et de restreindre le recours collectif de la façon initialement proposée par les intimées. Deuxièmement, ce changement de circonstances obligerait maintenant la Cour fédérale à se pencher sur la composition du groupe Commerce électronique d’Amazon, ce qui compliquerait la résolution des questions liées à la requête en suspension, tout en faisant inévitablement augmenter les coûts ou les délais.

[5] Le 13 août 2021, la Cour fédérale a rejeté la requête des demandeurs visant à modifier l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes. Bien qu’elle ait été convaincue que la modification apportée aux conditions d’utilisation pour les clients qui achètent des produits sur la plateforme Amazon.com était, comme l’exige l’alinéa 399(2)a) des Règles, un « fai[t] nouvea[u] » qui ne pouvait pas être découvert en faisant preuve de diligence raisonnable avant que l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes ne soit rendue, la Cour fédérale a conclu que cette nouvelle information n’aurait pas eu d’influence déterminante sur l’ordonnance sur l’ordre d’instruction des requêtes. En particulier, elle a statué que ladite ordonnance pouvait encore avoir pour effet de restreindre considérablement les questions avant que la Cour ne se prononce sur la requête en autorisation, qui ne devrait pas être débattue avant le 24 octobre 2022, en éliminant tous les achats effectués sur la plateforme Amazon.ca, ce qui simplifierait la requête en autorisation et réduirait les délais et les coûts.

[31] La requête a été rejetée pour défaut d’établir un préjudice irréparable :

[traduction]

[12] [...] Je ne vois pas comment le préjudice allégué, qui découle d’une erreur présumée dans l’exercice par la Cour fédérale de son pouvoir de gestion de l’instance dont elle est saisie, peut être considéré comme un préjudice inévitable ou irréparable. Si le présent appel est accueilli, le préjudice allégué serait réparé, car la Cour fédérale aurait commis une erreur en permettant que la requête en suspension modifiée des intimées soit entendue avant la requête en autorisation. Si, par contre, l’appel est rejeté sur le fond, il n’y aurait alors aucun préjudice si la requête en suspension des intimées était entendue avant la requête en autorisation, étant donné que cette façon de procéder aurait été permise par une ordonnance judiciaire de nature procédurale confirmée en appel comme étant le résultat d’un exercice valide du pouvoir discrétionnaire. [...] Il est toujours possible que la requête modifiée de l’intimée puisse être entendue avant que l’appel sous‐jacent ne soit entendu. Pour éviter ou atténuer les problèmes potentiels associés à cette possibilité, les appelants pourraient toujours demander que leur appel soit tranché rapidement, ce qu’ils auraient pu faire – mais n’ont pas fait – dans les documents de leur requête en suspension.

[13] Les appelants se reportent à la décision Heller c Uber Technologies Inc., 2021 ONSC 5518, [2021] O.J. No. 4316 (QL/Lexis), pour appuyer la proposition selon laquelle l’établissement des droits en l’absence d’un litige entre les parties constitue un préjudice irréparable. Toutefois, je remarque, d’après ce jugement, qu’Uber a présenté une requête pour que le recours collectif envisagé soit suspendu en faveur de l’arbitrage. Cette requête a été présentée, comme c’était le cas dans la présente affaire, à titre de requête interlocutoire dans le recours collectif envisagé et semble avoir été pleinement débattue sur le fond jusqu’à la Cour suprême du Canada (Heller, aux para 41 à 45). La décision Heller n’est d’aucune utilité pour les appelants aux fins de la présente requête.

[32] L’argument de la demanderesse au sujet de la modification sur le site Amazon.com n’est rien de plus qu’une répétition de l’argument déjà présenté et tranché dans le cadre de la décision sur la requête en modification dont l’appel est en instance devant la Cour d’appel fédérale. La demande de report de Mme Difederico pour cette raison est une attaque indirecte contre les décisions antérieures de la Cour et elle est refusée.

B. La requête devrait‐elle être rejetée ou reportée en raison des modifications?

[33] Mme Difederico affirme en outre que la requête devrait être rejetée ou reportée en raison des modifications plus récentes apportées aux conditions d’utilisation de 2014. Elle soutient que les modifications créent de l’incertitude quant à savoir quelles clauses sur l’arbitrage et le choix de la loi étaient en vigueur et durant quelle période. Elle affirme que, par souci d’équité procédurale, Amazon devrait être tenue de modifier son avis de requête et que les parties devraient avoir la possibilité de déposer d’autres éléments de preuve et observations pour aborder les modifications.

[34] Amazon soutient que les modifications apportées aux clauses sur l’arbitrage et le choix de la loi applicable n’ont pas d’incidence sur les questions soulevées dans la requête, car les parties essentielles de ces clauses demeurent les mêmes et la réparation demandée dans la requête demeure inchangée. Elle affirme que les modifications ne font qu’énoncer expressément la loi qui était déjà en vigueur. Comme il est indiqué plus loin, je suis d’accord avec cette affirmation.

[35] Lorsque les modifications ont été portées à l’attention de la Cour, celle‐ci a convoqué les parties à une CGI pour discuter des prochaines étapes. Avec leur accord, la Cour a permis à chacune des parties de déposer d’autres observations pour traiter des modifications et de présenter des observations lors d’une audience ultérieure. À aucun moment, au cours de la CGI et de cette première rencontre, l’une ou l’autre des parties n’a indiqué qu’elle chercherait à déposer d’autres éléments de preuve pour traiter des modifications. Aucune autre requête n’a été déposée non plus pour présenter une telle demande.

[36] Dans les observations présentées par écrit et à l’audience, les demandeurs ont fait valoir que, par souci d’équité procédurale, Amazon devrait être tenue de déposer un avis de requête modifié et qu’un autre calendrier devrait être adopté pour permettre aux parties de présenter des éléments de preuve et des observations supplémentaires et permettre la tenue d’une autre audience, en plus de ce qui était déjà prévu.

[37] Les défenderesses ont fait valoir qu’un avis de requête modifié et un calendrier supplémentaire n’étaient pas requis, car ni la demande de réparation ni le fondement juridique de la demande de suspension n’avaient pas changé. De plus, les défenderesses n’ont pas proposé de déposer de nouveaux éléments de preuve et, mis à part le fait que la demanderesse soutient que les défenderesses devraient être forcées de le faire, le seul élément de preuve supplémentaire que la demanderesse a proposé de déposer était un éventuel affidavit relatif aux faits pour établir qu’elle a effectué un achat sous le régime des nouvelles conditions d’utilisation.

[38] Cependant, les demandeurs n’ont pas établi de quelle façon les éléments de preuve que Mme Difederico pourrait proposer influeraient sur les questions à trancher dans la requête, ou que de tels éléments de preuve changeraient le résultat : Scott v Cook, 1970 CanLII 331 (CS Ont), [1970] 2 OR 769; 671122 Ontario Ltd c Sagaz Industries Canada Inc, 2001 CSC 59, et ce, d’autant plus qu’Amazon est d’accord pour que la Cour tienne compte du libellé des modifications dans ses motifs.

[39] Étant donné que les parties ont eu pleinement l’occasion de présenter d’autres observations de vive voix et par écrit, je suis d’avis que l’équité procédurale a été respectée.

[40] La demande de la demanderesse en vue d’exiger le dépôt d’un avis de requête modifié et d’obtenir un autre calendrier permettant le dépôt d’éléments de preuve et d’observations supplémentaires relativement aux modifications est donc refusée.

III. Questions à trancher

[41] La présente requête soulève les questions suivantes :

  • a) Quelle est l’approche appropriée pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une suspension?

  • b) Y a‐t‐il lieu d’accorder une suspension?

IV. Analyse

A. Quelle est l’approche appropriée pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une suspension?

[42] Comme l’ont fait valoir les défenderesses, il existe au Canada une politique bien établie selon laquelle le respect des conventions d’arbitrage commercial doit être exigé par les tribunaux, dans la mesure où ces conventions ne sont pas caduques, inopérantes ou non susceptibles d’être appliquées : Nanisivik Mines Ltd c F.C.R.S. Shipping Ltd, [1994] 2 CF 662, 1994 CarswellNat 274 (CAF) [Nanisivik] au para 8. La Cour suprême a toujours soutenu que les tribunaux devaient donner effet aux conventions d’arbitrage en l’absence d’intervention de la législature : Seidel c TELUS Communications Inc, 2011 CSC 15 [Seidel] au para 2; TELUS Communications Inc c Wellman, 2019 CSC 19 [Wellman] au para 46.

[43] Il en va de même en ce qui concerne les conventions d’arbitrage qui s’appliquent aux procédures en dommages‐intérêts fondées sur l’article 36 de la Loi sur la concurrence : Murphy c Amway Canada Corporation, 2013 CAF 38 [Murphy]; Seidel. La Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument selon lequel le droit de la concurrence, de par sa nature, ne devrait jamais faire l’objet d’un arbitrage : Murphy, au para 65.

[44] Amazon soutient que cette politique se reflète dans la Loi sur la Convention des Nations Unies concernant les sentences arbitrales étrangères, LRC 1985, c 16 (2e supp) [LCNUSAE], qui, selon elle, s’applique à la présente requête. La LCNUSAE incorpore au droit canadien la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, 330 RTNU 3, adoptée par la Conférence des Nations Unies sur l’arbitrage commercial international à New York le 10 juin 1958 [la Convention]. Le paragraphe (3) de l’article II de la Convention est ainsi libellé :

Le tribunal d’un État contractant, saisi d’un litige sur une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention au sens du présent article, renverra les parties à l’arbitrage, à la demande de l’une d’elles, à moins qu’il ne constate que ladite convention est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée.

[45] Des assemblées législatives provinciales ont adopté une législation similaire sur la mise en œuvre de la Convention en substance, mais non quant à la forme (Colombie‐Britannique; voir Seidel, aux para 17 et 28) ou l’ont adoptée directement (Ontario; Loi de 2017 sur l’arbitrage commercial international, LO 2017, c 2, annexe 5 [LACI]).

[46] Les défenderesses soutiennent que la Cour n’a aucun pouvoir discrétionnaire résiduel, en vertu de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, de refuser une suspension en faveur de l’arbitrage au titre du paragraphe (3) de l’article II de la Convention lorsque le différend relève vraisemblablement d’une convention d’arbitrage qui n’est pas caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée : Nanisivik, aux para 8‐15; William C. Graham, « The Internationalization of Commercial Arbitration in Canada: A Preliminary Reaction », (1987) 13:1 Can Bus LJ 2 à la p 26.

[47] Mme Difederico soutient que la LCNUSAE ne s’applique pas à la présente requête. Elle affirme plutôt que la Cour ne doit tenir compte que de l’alinéa 50(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, qui donne à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures lorsque l’intérêt de la justice l’exige :

Suspension d’instance

Stay of proceedings authorized

50 (1) La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

50 (1) The Federal Court of Appeal or the Federal Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter

[...]

[...]

b) lorsque, pour quelque autre raison, l’intérêt de la justice l’exige.

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.

[48] Mme Difederico soutient qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’accorder une suspension d’instance en l’espèce parce qu’il n’y a pas de relation contractuelle en ce qui concerne les clauses relatives au règlement des différends, que ces dernières vont à l’encontre de l’intérêt public vu qu’elles interdisent l’accès à la justice, que les clauses de règlement des différends sont iniques, et que l’existence de préjudices éventuels milite contre la suspension.

[49] Afin d’établir le cadre l’analyse, je me prononcerai dès le départ sur l’application de la LCNUSAE.

(1) La LCNUSAE s’applique‐t‐elle?

[50] Suivant le paragraphe 4(1) de la LCNUSAE, « [l]a Convention n’est applicable qu’aux différends découlant d’un rapport commercial de droit, contractuel ou non contractuel ».

[51] Les défenderesses soutiennent que le sens ordinaire et juridique du terme « rapport commercial » et l’intention législative sous‐jacente à la promulgation de la LCNUSAE appuient une interprétation selon laquelle la relation entre Amazon et Mme Difederico relève de la LCNUSAE.

[52] Mme Difederico affirme que le rapport entre elle et Amazon n’est pas commercial, mais que lorsque les consommateurs achètent des biens sur Amazon, ils achètent des biens destinés à leur consommation.

[53] Il n’y a pas de définition de « rapport commercial » dans la LCNUSAE ou la Convention. La Cour n’a pas non plus donné d’interprétation à cette expression de la LCNUSAE.

[54] Amazon soutient que les définitions conventionnelles du dictionnaire appuient son argument selon lequel la relation entre les parties correspondrait au sens d’un rapport commercial. Elle fait référence aux définitions du mot anglais « commercial » dans le Black’s Law Dictionary, qui comprennent les suivantes : [traduction] « se rapportant à l’achat et à la vente de biens » et [traduction] « découlant des activités de commerce ou d’échange » : Bryan A. Garner et coll., éd., Black’s Law Dictionary, (St. Paul, MN : Thomson Reuters, 2019) [Black’s Law Dictionary], sous la rubrique « commercial ». Elle renvoie également à la définition du terme anglais « e‐commerce » (commerce électronique), un terme utilisé par les demandeurs au nom du groupe proposé en cause. Le Black’s Law Dictionary définit le commerce électronique comme [traduction] « [l]a pratique consistant à acheter et à vendre des biens et des services au moyen de services aux consommateurs en ligne et à mener d’autres activités commerciales au moyen d’un appareil électronique et d’Internet ».

[55] Amazon s’appuie en outre sur un certain nombre d’affaires dans lesquelles les relations de consommation ont été jugées « commerciales » dans certains contextes juridiques (notamment dans les contextes du droit fiscal, d’une perquisition en violation de la Charte et du délit civil, respectivement) : Marcantonio c Ministre du Revenu national, [1991] 1 CCI 2702, 1991 CarswellNat 472 (CCI) au para 10; R c Plant, [1993] 3 RCS 281 à la p 294; Stevenson v Clearview Riverside Resort, [2000] OJ No 4863, 2000 CarswellOnt 4888 (CS Ont) au para 21. Cependant, aucune de ces affaires ne traite du même contexte juridique que celui en cause en l’espèce.

[56] Selon l’approche moderne en matière d’interprétation législative, il faut « lire les termes [d’une loi] dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’[économie] de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : Wellman, au para 47.

[57] La Convention définit sa portée en termes larges et précise qu’elle s’applique à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales « issues de différends entre personnes physiques ou morales » (paragraphe (1) de l’article premier) et des conventions visant l’arbitrage de « tous les différends ou certains des différends qui se sont élevés ou pourraient s’élever entre [les parties] au sujet d’un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel, portant sur une question susceptible d’être réglée par voie d’arbitrage » (paragraphe (1) de l’article II).

[58] Toutefois, la Convention prévoit également que les signataires peuvent limiter l’application de la Convention aux « rapports de droit, contractuels ou non contractuels, qui sont considérés comme commerciaux par [la] loi nationale » de l’État faisant une telle déclaration (paragraphe (3) de l’article premier), une option que le Canada a exercée en vertu du paragraphe 4(1) de la LCNUSAE.

[59] La Cour suprême a interprété l’objet de la Convention comme étant « de faciliter l’application des conventions d’arbitrage en assurant le respect de la volonté exprimée par les parties de recourir à l’arbitrage » : GreCon Dimter inc c JR Normand inc, 2005 CSC 46 au para 43.

[60] Mme Difederico renvoie la Cour à l’arrêt Uber c Heller, 2020 CSC 16 [Uber]. Dans l’affaire Uber, la Cour suprême devait déterminer si la LACI s’appliquait aux faits de cette affaire. Le paragraphe 5(3) de la LACI prévoit que la Loi type s’applique « aux conventions d’arbitrage commercial international et aux sentences arbitrales rendues à leur égard ». Aux paragraphes 22 à 27, la Cour suprême a présenté son approche à l’égard de cette question, qui était axée sur la nature du différend plutôt que sur la nature de la relation entre les parties :

[22] Le paragraphe 5(3) de la LACI prévoit que la Loi type s’applique aux « conventions d’arbitrage commercial international et aux sentences arbitrales rendues à leur égard ». Le sens du terme « commercial » employé dans cette disposition de la LACI doit être le même que celui du même terme qui figure dans la Loi type, car cette dernière prévoit qu’elle « s’applique à l’arbitrage commercial international » (par. 1(1)).

[23] La Loi type ne définit pas le terme « commercial », mais une note de bas de page relative au par. 1(1) donne des indications :

Le terme « commercial » devrait être interprété au sens large, afin de désigner les questions issues de toute relation de caractère commercial, contractuelle ou non contractuelle. Les relations de nature commerciale comprennent, sans y être limitées, les transactions suivantes : toute transaction commerciale portant sur la fourniture ou l’échange de marchandises ou de services; accord de distribution; représentation commerciale; affacturage; crédit‐bail; construction d’usines; services consultatifs; ingénierie; licences; investissements; financement; transactions bancaires; assurance; accords d’exploitation ou concessions; coentreprises et autres formes de coopération industrielle ou commerciale; transport de marchandises ou de passagers par voie aérienne, maritime, ferroviaire ou routière.

(Loi type, par. 1(1), n. 2)

[24] Le Commentaire sur le projet de texte d’une loi type sur l’arbitrage commercial international : Rapport du Secrétaire général explique en outre que les « différends liés au travail ou à l’emploi » ne sont pas visés par le terme « commercial », « malgré leurs liens avec l’activité économique » :

Bien que les exemples couvrent presque tous les types de cas ayant donné lieu à des différends soumis à des arbitrages commerciaux internationaux, il est stipulé que la liste n’est pas exhaustive. Ainsi, seraient également considérées comme commerciales des transactions telles que la fourniture d’énergie électrique, le transport de gaz liquéfié par gazoduc et même des « non‐transactions » telles que des demandes de dommages‐intérêts s’inscrivant dans un contexte commercial. Ne sont pas visés par exemple les différends liés au travail ou à l’emploi et les actions intentées par de simples particuliers, malgré leurs liens avec l’activité économique.

(Commission des Nations Unies sur le droit commercial international, Commentaire analytique du projet de texte d’une loi type sur l’arbitrage commercial international : Rapport du Secrétaire général (doc. N.U. A/CN.9/264, 25 mars 1985, p. 10 (italique ajouté); voir aussi p. 11.)

[25] Deux éléments ressortent de ce commentaire. Premièrement, le tribunal doit déterminer si la LACI s’applique en examinant la nature du différend qui oppose les parties et non pas en tirant des conclusions quant à leur relation. Le tribunal peut plus facilement trancher cette question (ou l’arbitre peut plus facilement décider si la Loi type s’applique) en analysant les actes de procédure qu’en tirant des conclusions de fait quant à la nature de la relation. Pour qualifier le différend, le décideur doit seulement examiner les actes de procédure; pour qualifier la relation, il doit tenir compte de diverses circonstances afin de tirer des conclusions de fait. S’il fallait procéder à un examen minutieux des faits pour décider si la LACI ou la Loi type s’applique, cela aurait pour effet de ralentir le processus d’arbitrage, voire de l’interrompre.

[26] Deuxièmement, il appert que le différend lié à l’emploi n’est pas visé par le terme « commercial ». La question de savoir si une personne est un employé constitue le plus fondamental des différends liés à l’emploi. Par conséquent, si le différend lié à l’emploi est exclu du champ d’application de la Loi type, celui portant sur la question de savoir si M. Heller est un employé est également exclu. Il ne s’agit pas du type de différends que la Loi type est censée régir et, par conséquent, il ne s’agit pas du type de différend que la LACI est censée régir.

[27] Ce résultat est compatible avec ce que les tribunaux ont conclu (Patel c. Kanbay International Inc., 2008 ONCA 867, 93 O.R. (3d) 586, par. 11‐13; Borowski c. Fiedler (Heinrich) Perforeirtechnik GmbH (1994), 58 A.R. 213 (B.R.); Rhinehart c. Legend 3D Canada Inc., 2019 ONSC 3296, 56 C.C.E.L. (4th) 125, par. 27; Ross c. Christian & Timbers Inc. (2002), 23 B.L.R. (3d) 297 (C.S.J. Ont.), par. 11). Il s’accorde en outre avec la mention dans la Loi type de transactions « commercial[es] » qui, comme le fait observer Gary B. Born, [traduction] « évoque vraisemblablement la participation de commerçants ou de marchands, par opposition à des consommateurs ou à des employés » (International Commercial Arbitration, vol. 1, International Arbitration Agreements (2e éd. 2014), p. 309). De plus, il est possible de tirer une inférence négative de l’omission dans la définition des relations [traduction] « d’emploi » (p. 309, n. 454). Il nous semble peu probable que les rédacteurs de la Loi type aient inclus une liste aussi détaillée des relations commerciales visées sans s’être demandé s’il y avait lieu d’inclure l’« emploi ».

[61] Mme Difederico affirme que l’arrêt Uber a établi que les différends en matière d’emploi et les réclamations des consommateurs ne sont pas de nature commerciale.

[62] Amazon affirme que l’arrêt Uber n’est d’aucune utilité pour interpréter le sens de « commercial » dans le contexte de la LCNUSAE. Cependant, même si la Cour devait examiner le différend entre les parties, elle conclurait, selon Amazon, qu’il s’agit d’un différend commercial. Je suis d’accord.

[63] Bien que la Cour d’appel fédérale ait interprété les recours offerts en vertu de la Loi sur la concurrence comme des réclamations privées plutôt que publiques (Murphy, au para 66), à mon avis, la nature des réclamations faites par Mme Difederico a un caractère commercial unique. Bien que les préjudices que Mme Difederico prétend avoir subis soient ceux d’un consommateur ordinaire – payer trop cher pour des biens achetés dans le cadre de transactions de consommation – la conduite qui en résulte a un caractère commercial unique.

[64] Mme Difederico soutient essentiellement qu’Amazon a comploté avec des vendeurs tiers pour fixer le prix des produits vendus aux consommateurs sur les plateformes d’Amazon, en violation de la Loi sur la concurrence. À mon avis, Amazon a correctement décrit le caractère véritable du différend comme étant des allégations de conduite anticoncurrentielle liées aux achats de produits en ligne de Mme Difederico, notamment sur le site Amazon.ca.

[65] Les réclamations de Mme Difederico portent sur des allégations selon lesquelles Amazon aurait conclu des ententes commerciales avec des vendeurs tiers sur ses sites concernant le prix des marchandises. À mon avis, ces prétendues ententes sont des transactions commerciales entre des entités commerciales s’apparentant à « toute transaction commerciale portant sur la fourniture ou l’échange de marchandises ou de services » ou à un « accord de distribution », selon les exemples de rapports commerciaux énumérés dans la note de bas de page de la Loi type : Uber, au para 23.

[66] Bien que Mme Difederico soit une consommatrice, à mon avis, les réclamations qu’elle a faites ont un fondement commercial.

[67] Compte tenu du libellé de la LCNUSAE dans son contexte, de son sens grammatical et ordinaire, de l’esprit et de l’objet de la Loi et de l’intention du législateur, la relation entre les parties et la nature du différend entre elles favorisent une définition du mot « commercial » à laquelle s’appliquerait la LCNUSAE.

[68] Étant donné que la Cour n’a pas encore énoncé de cadre qui permet de trancher les requêtes en suspension en vertu de la LCNUSAE, Amazon soutient qu’il convient d’appliquer la même analyse en cinq parties que celle utilisée par les tribunaux de l’Ontario lorsqu’ils ont examiné des requêtes en suspension en vertu de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, LO 1991, c 17, et de la LACI, et de répondre aux questions suivantes (Haas v Gunasekaram, 2016 ONCA 744 au para 17) :

[TRADUCTION]

(i) Y a‐t‐il une convention d’arbitrage?

(ii) Quel est l’objet du différend?

(iii) Quelle est la portée de la convention d’arbitrage?

(iv) Le différend relève‐t‐il vraisemblablement de la portée de la convention d’arbitrage?

(v) Y a‐t‐il des motifs pour lesquels la Cour devrait refuser de suspendre l’instance?

[69] En l’espèce, la question de savoir si une suspension devrait ou non être accordée revient, à mon avis, aux trois questions suivantes, à savoir 1) si une convention d’arbitrage est en place; 2) si la réclamation de Mme Difederico est vraisemblablement visée par la convention d’arbitrage; et 3) s’il y a des motifs de refuser la suspension.

B. Y a‐t‐il lieu d’accorder une suspension?

(1) Une convention d’arbitrage est‐elle en place?

[70] Pour ce qui est de la première question, je suis d’accord avec Amazon : il ne peut y avoir de débat sérieux quant à l’existence d’une convention d’arbitrage.

[71] Mme Difederico soutient qu’il n’existe pas de convention d’arbitrage exécutoire, car elle n’a pas reçu un avis suffisant des modalités de règlement des différends, la clause de règlement des différends sur le site Amazon.ca est inconciliable avec les conditions d’utilisation sur le site Amazon.com, et toute convention est rendue non obligatoire par les modifications apportées à la clause de règlement des différends. Toutefois, aucun de ces arguments n’est convaincant, comme il est indiqué plus loin.

a) Mme Difederico a‐t‐elle reçu un avis suffisant de la convention d’arbitrage?

[72] Mme Difederico s’appuie sur l’arrêt Tilden Rent‐A‐Car Co v Clendenning, (1978) 18 OR (2d) 601, 1978 CanLII 1446 (CA Ont) [Tilden], pour soutenir qu’il n’y a pas eu d’accord de volontés parce qu’Amazon n’a pas porté la clause d’arbitrage de 2014 à son attention.

[73] Dans l’affaire Tilden, le défendeur a signé un contrat d’assurance automobile couvrant les dommages subis lors de la location d’une voiture à l’aéroport. La question en litige était celle de savoir si le défendeur était responsable des dommages causés à l’automobile en raison des dispositions d’exclusion du contrat. Dans cette affaire, la Cour a conclu qu’une partie qui présente un contrat type imprimé aux fins de signature doit prendre des mesures raisonnables pour porter à l’attention de la partie qui signe le contrat toute disposition inhabituelle, rigoureuse et onéreuse (aux para 32‐34).

[74] À mon avis, les circonstances en l’espèce sont différentes de celles de l’affaire Tilden.

[75] Comme l’a fait remarquer le juge Walker, les contrats d’achat par clic qui donnent un avis selon lequel le fait de cliquer constitue l’acceptation d’un accord hyperlié constituent un type d’accord valide en vertu de la loi américaine (affidavit supplémentaire de M. Walker, para 27). Ni le professeur Posner ni la professeure Brilmayer, les experts de Mme Difederico, ne contestent cette affirmation. De même, les tribunaux canadiens jugent valides les contrats d’adhésion par clic depuis plus de deux décennies : Rudder v Microsoft Corp (1999), 2 CPR (4th) 474, 1999 CanLII 14923 (CS Ont) aux para 10 à 18; Loi de 2000 sur le commerce électronique, LO 2000, c 17, sous‐alinéa 19(1)b)(i).

[76] En l’espèce, il n’est pas contesté que Mme Difederico a ouvert un compte sur Amazon.ca et a fait de nombreux achats dans les magasins en ligne Amazon.ca. Elle a été ainsi avisée que le fait de cliquer pour ouvrir un compte ou effectuer un achat constitue une acceptation des conditions d’utilisation. Comme il est indiqué aux paragraphes 7 et 8 du premier affidavit de M. Raibourn :

[traduction]

7. Les clients doivent créer un compte Amazon pour faire des achats dans les magasins Amazon.ca et doivent accepter les conditions d’utilisation à ce moment‐là. Le processus que suit un client aujourd’hui est sensiblement le même que celui qu’un client aurait suivi pendant la période visée par le recours collectif. Par exemple, sur le site Amazon.ca, un client crée d’abord un compte en cliquant sur « Nouveau client? Commencez ici ». Après avoir cliqué sur cette icône, un client canadien est dirigé vers la page d’inscription « Créer un compte », qui indique ceci : « En créant un compte, vous acceptez les Conditions d’utilisation et la Politique de confidentialité d’Amazon ». Dans cette déclaration, les termes « Conditions d’utilisation » et « Déclaration de confidentialité » sont surlignés en bleu et contiennent des hyperliens vers les conditions d’utilisation et la Déclaration de confidentialité. [...]

8. De plus, avant qu’un client n’effectue un achat sur le site Amazon.ca, il est dirigé vers une page appelée « Voir les détails de votre commande », qui indique ce qui suit : « Lorsque vous passez votre commande, vous acceptez la déclaration de confidentialité et les conditions d’utilisation d’Amazon ». Les termes « déclaration de confidentialité » et « conditions d’utilisation » sont surlignés en bleu et contiennent des hyperliens vers la déclaration de confidentialité et les conditions d’utilisation.

[77] Même après avoir intenté le présent litige et avoir fait des allégations au sujet des conditions d’utilisation, Mme Difederico a continué de faire des achats sur le site Amazon.ca.

[78] Les conditions d’utilisation, y compris la clause d’arbitrage de 2014, étaient accessibles au moyen d’un hyperlien, et Mme Difederico était libre de prendre tout le temps nécessaire pour les examiner. La clause d’arbitrage de 2014 n’est pas en petits caractères et elle est précédée de l’intertitre « DIFFÉRENDS ». La partie de la clause qui exige que les différends soient renvoyés à l’arbitrage est en caractères gras et stipule que tout différend [traduction] « sera résolu par voie d’arbitrage liant les parties, plutôt que par voie judiciaire ». Les tribunaux ont déjà conclu que des clauses d’arbitrage ayant une structure semblable donnent un avis suffisant aux consommateurs : Kanitz v Rogers Cable Inc (2002), 58 OR (3d) 299, 2002 CanLII 49415 (CS Ont) aux para 30 à 33. À mon avis, la même conclusion devrait être tirée en l’espèce.

[79] La demanderesse affirme qu’il n’y a pas de preuve devant la Cour concernant son acceptation des conditions d’utilisation de 2022. Toutefois, la clause d’arbitrage qui se trouve dans les conditions d’utilisation de 2022 contient le même libellé que la clause d’arbitrage incluse dans les conditions d’utilisation de 2014, que Mme Difederico a volontairement acceptées lorsqu’elle a ouvert son compte et chaque fois qu’elle a fait ses quelque 285 achats subséquents. Les conditions d’utilisation de 2014 avisaient les utilisateurs que des modifications pouvaient être apportées aux clauses des conditions d’utilisation de 2014 de la manière suivante :

[traduction]

Veuillez lire nos autres politiques, comme notre politique de prix, qui sont affichées sur le site Amazon.ca. Ces politiques régissent également l’utilisation que vous faites des Services Amazon.ca. Nous nous réservons le droit d’apporter à quelque moment que ce soit des modifications à notre site, à nos politiques, aux Conditions de Service et aux présentes Conditions d’utilisation. Si l’une de ces conditions devait être jugée invalide, nulle ou inexécutoire pour quelque raison que ce soit, elle sera réputée être dissociable et n’aura aucun effet sur la validité et le caractère exécutoire des autres conditions. [Souligné dans l’original.]

[80] Comme la partie essentielle de la clause d’arbitrage de 2014 et de la clause d’arbitrage de 2022 demeure la même, je suis d’avis qu’il est possible de conclure qu’une convention d’arbitrage demeure en place en vertu de l’une ou l’autre des versions de la clause d’arbitrage (ci‐après, la clause d’arbitrage de 2014 et la clause d’arbitrage de 2022 seront appelées collectivement les clauses d’arbitrage).

b) La convention d’arbitrage est‐elle rendue inopérante ou inconciliable en raison des conditions d’utilisation sur le site Amazon.com?

[81] Mme Difederico soutient que les conditions d’utilisation sur les sites Amazon.com et Amazon.ca doivent être interprétées de sorte que les conditions d’utilisation modifiées sur Amazon.com créent un conflit irréductible avec la clause d’arbitrage sur Amazon.ca. Elle s’appuie sur l’opinion du professeur Posner pour étayer son argument. Toutefois, cet argument ne peut pas être retenu en vertu des lois américaines ou canadiennes en raison du libellé utilisé dans les documents.

[82] Bien que je sois d’accord avec le professeur Posner pour dire que la définition d’une filiale dans les conditions d’utilisation comprend à la fois Amazon.ca et Amazon.com (affidavit supplémentaire de M. Posner, para 19), à mon avis, son opinion selon laquelle il faut en conclure que les conditions d’utilisation pour les sites Amazon.ca et Amazon.com s’appliquent à tous les achats effectués dans l’un ou l’autre des sites Web est peu convaincante. En particulier, cette approche ignore le libellé de la clause d’introduction dans chacune des versions des conditions d’utilisation, qui limite la portée du document aux services fournis par l’entité concernée d’Amazon.

[83] Comme l’a déclaré le juge Walker, [TRADUCTION] « chaque achat est une transaction distincte régie par les [conditions d’utilisation] spécifiques liées à cet achat ». Les conditions d’utilisation du site Amazon.com ne s’appliquent qu’aux achats sur Amazon.com, et les conditions d’utilisation du site Amazon.ca ne s’appliquent qu’aux achats sur Amazon.ca.

[84] Comme l’a souligné le juge Walker, les conditions d’utilisation sur le site Amazon.ca n’intègrent pas par renvoi les conditions d’utilisation du site Amazon.com et il n’y a aucune mention des conditions d’utilisation du site Amazon.com dans les conditions d’utilisation du site Amazon.ca. Les conditions d’utilisation du site Amazon.ca consistent en un document distinct et autonome qui ne dépend pas des conditions d’utilisation du site Amazon.com et ne s’y réfère pas. Chaque achat est une transaction distincte, assortie d’un formulaire de commande distinct, d’une contrepartie distincte, de sa propre date de livraison et d’un lien hypertexte distinct vers les conditions d’utilisation. Il n’y a aucune raison de considérer que les conditions d’utilisation du site Amazon.ca font partie des conditions d’utilisation du site Amazon.com ou y sont intégrées. La jurisprudence américaine citée par le professeur Posner n’est pas utile.

[85] De plus, même si l’affaire devait être tranchée en vertu du droit canadien, je conclus que l’affaire citée par Mme Difederico (Graves v Correactology Health Care, 2018 ONSC 4263 [Graves]) ne lui est d’aucun secours. Dans l’affaire Graves, la Cour a été confrontée à des clauses contradictoires dans le corps du même accord contractuel. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

[86] J’estime que les conditions d’utilisation du site Amazon.com ne rendent pas les conditions d’utilisation du site Amazon.ca irréconciliables.

c) Les modifications rendent‐elles l’application de la clause d’arbitrage facultative?

[87] L’argument supplémentaire de Mme Difederico selon lequel les modifications rendent le libellé sur l’arbitrage non obligatoire n’est pas non plus convaincant.

[88] La clause d’arbitrage de 2022 énonce simplement en termes explicites le principe juridique déjà en place, c’est‐à‐dire que si une loi applicable de la province de résidence donne le droit de régler le différend ou la réclamation devant les tribunaux de cette province, nonobstant l’entente d’arbitrage, il existe un droit de procéder de cette façon.

[89] Cependant, comme Amazon l’a fait remarquer, un tel libellé législatif explicite ne s’applique pas en l’espèce, et Mme Difederico ne l’a pas non plus invoqué. Bien que Mme Difederico soulève la question du libellé de l’article 36 de la Loi sur la concurrence, la Cour d’appel fédérale a déjà reconnu que le législateur n’a pas restreint ou interdit l’applicabilité des conventions d’arbitrage dans le cas des réclamations découlant de la Loi sur la concurrence. Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Murphy, au paragraphe 60, « la Loi sur la concurrence ne contient aucune disposition qui indique que le législateur avait l’intention de restreindre ou d’interdire les clauses d’arbitrage. [...] aucune disposition de la Loi sur la concurrence n’interdirait la renonciation à un recours collectif dans le but d’empêcher la saisine de la réclamation par l’arbitre ».

[90] De plus, j’estime que le renvoi de Mme Difederico à la décision Patel v Kanbay International Inc., 2008 CanLII 21222 (CS Ont) [Patel] n’est pas applicable. Dans l’affaire Patel, la clause d’arbitrage portait sur un aspect de la convention (c.‐à‐d. la convention des actionnaires) qui n’était pas en cause dans l’instance. La Cour a pu séparer les questions régies par l’arbitrage obligatoire de celles qui ne l’étaient pas. Les circonstances sont différentes en l’espèce.

[91] À mon avis, rien dans le libellé de la clause d’arbitrage de 2022 ne la rend non exécutoire ou inapplicable.

(2) Les réclamations de Mme Difederico sont‐elles visées par la convention?

[92] Le seuil prévu pour cette partie de l’analyse est peu élevé : la Cour n’a qu’à déterminer qu’il est possible de soutenir que le différend est visé par la clause d’arbitrage : Campney & Murphy c Bernard & Partners, 2002 CFPI 1136 au para 18; Kore Meals LLC v Freshii Development LLC, 2021 ONSC 2896 au para 15.

[93] La réclamation a trait à des allégations selon lesquelles Amazon et ses vendeurs tiers ont conclu des ententes anticoncurrentielles pour fixer les prix de détail du commerce électronique au Canada, causant ainsi des pertes ou des préjudices à Mme Difederico, qui a acheté des produits sur Amazon.ca.

[94] La partie essentielle des clauses d’arbitrage stipule que « [t]oute réclamation ou tout différend lié de quelque manière que ce soit à l’utilisation que vous faites d’un Service Amazon.ca ou à un produit ou service vendu ou distribué par Amazon.ca ou par l’intermédiaire des Services Amazon.ca sera résolu par voie d’arbitrage liant les parties, plutôt que par voie judiciaire ». La définition des Services Amazon.ca donnée dans les conditions d’utilisation inclut le magasinage de produits sur Amazon.ca.

[95] Amazon affirme, et j’en conviens, que la portée des clauses d’arbitrage (sous l’une ou l’autre forme) est vaste et couvre toutes les questions relatives aux achats effectués sur Amazon.ca. Cela comprend la réclamation de Mme Difederico concernant ses achats sur Amazon.ca.

(3) Y a‐t‐il des motifs pour lesquels la Cour devrait refuser d’accorder une suspension?

[96] L’approche générale dans les cas où la validité d’une convention d’arbitrage ou la compétence de l’arbitre est contestée consiste à renvoyer la question à l’arbitre, sous réserve d’exceptions limitées : Dell Computer Corp c Union des consommateurs, 2007 CSC 34 [Dell] aux para 84‐86. Comme l’a récemment résumé le juge Fothergill dans la décision General Entertainment and Music Inc c Gold Line Telemanagement Inc, 2022 CF 418 aux paragraphes 37 et 38, deux exceptions limitées ressortent de l’arrêt Dell, à savoir lorsque la contestation de la validité de la convention ou de la compétence de l’arbitre concerne une question de droit seulement, et lorsqu’une question mixte de droit et de fait concerne des faits nécessitant seulement un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier et que la Cour est convaincue que la contestation n’est pas une tactique pour retarder l’instance et qu’elle ne portera pas atteinte au recours à l’arbitrage :

[traduction]

[37] Lorsqu’une partie cherche à éviter une clause d’arbitrage en contestant la validité de la convention ou la compétence de l’arbitre, la Cour devrait généralement permettre que la question soit d’abord tranchée par un arbitre (Dell, au para 84). Dans l’arrêt Uber Technologies Inc c Heller, 2020 CSC 16 [Uber], la Cour suprême du Canada a résumé la doctrine établie dans l’arrêt Dell comme suit :

La doctrine établie dans l’arrêt Dell est bien résumée dans l’affaire connexe Rogers Sans‐fil Inc. c Muroff, 2007 CSC 35 (CanLII), [2007] 2 R.C.S. 921, par. 11 : Les juges majoritaires ont conclu qu’en présence d’une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être renvoyée à l’arbitre. Les tribunaux judiciaires ne devraient déroger à cette règle générale et se prononcer en premier sur cette question que dans le cas où la contestation de la compétence de l’arbitre ne comporte qu’une question de droit seulement. Lorsqu’une question soulevant la compétence de l’arbitre nécessite l’admission et l’examen des faits, les tribunaux sont normalement tenus de renvoyer ces questions à l’arbitrage. Quant aux questions mixtes de droit et de fait, les tribunaux doivent également privilégier le renvoi à l’arbitrage; n’y font exception que les situations où les questions de fait ne nécessitent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire versée au dossier et où le tribunal est convaincu que la contestation ne se veut pas une tactique dilatoire ou qu’elle ne met pas en péril le recours à l’arbitrage.

[38] En ce qui concerne ce qui constitue un examen superficiel, la question essentielle est celle de savoir si les conclusions juridiques nécessaires peuvent être tirées à partir de faits qui sont évidents au vu du dossier ou qui ne sont pas contestés par les parties (Uber, au para 36).

[97] Dans l’arrêt Uber, la Cour suprême a établi une troisième exception en plus des deux exceptions en matière de compétence énoncées dans l’arrêt Dell. Un tribunal ne devrait pas renvoyer à l’arbitre une contestation de bonne foi de la validité d’une convention d’arbitrage ou de la compétence d’un arbitre si cela rend impossible l’arbitrage ou la résolution de la contestation. Tel qu’il est énoncé aux paragraphes 38 à 46 de l’arrêt Uber :

[38] L’hypothèse sous‐jacente formulée dans Dell veut que si le tribunal ne tranche pas une question, l’arbitre le fasse. Comme l’énonce cet arrêt, la question « doit d’abord être tranchée par [l’arbitre] » (par. 84). Dell n’a toutefois pas envisagé un cas de figure où la question resterait en suspens advenant un sursis de l’instance. Cela soulève des problèmes pratiques évidents d’accès à la justice que la législature de l’Ontario n’a pas pu souhaiter en conférant aux tribunaux le pouvoir de refuser un sursis.

[39] Un cas de figure (parmi d’autres) qui pourrait laisser en suspens la question de la validité de la convention d’arbitrage est celui où l’arbitrage est fondamentalement trop onéreux ou autrement inaccessible. Cela peut survenir parce que les frais pour entamer une telle procédure sont importants par rapport à la réclamation du demandeur ou parce que ce dernier n’est pas raisonnablement en mesure de se rendre au lieu où doit se tenir l’arbitrage. Un autre cas de figure pourrait être celui où la clause relative au choix du droit étranger applicable contourne une politique locale impérative, comme une clause qui empêcherait l’arbitre de donner effet aux mesures de protection applicables en droit du travail en Ontario. Dans de telles situations, surseoir à l’instance au profit de l’arbitrage reviendrait à refuser d’accorder le redressement sollicité dans la demande. En fait, la convention d’arbitrage serait à l’abri de toute contestation significative (voir Jonnette Watson Hamilton, « Pre‐Dispute Consumer Arbitration Clauses: Denying Access to Justice? » (2006), 51 McGill L.J. 693; Catherine Walsh, « The Uses and Abuses of Party Autonomy in International Contracts » (2010), 60 U.N.B.L.J. 12; Cynthia Estlund, « The Black Hole of Mandatory Arbitration » (2018), 96 N.C. L. Rev. 679).

[40] Ces cas de figure n’ont pas été envisagés dans l’arrêt Dell. L’essence de cet arrêt repose sur l’hypothèse que si un tribunal ne tranche pas une question, l’arbitre le fera.

[41] À ces risques réels qu’il soit sursis à une instance au profit d’un arbitrage invalide, on pourrait opposer le risque qu’un demandeur cherche à entraver un arbitrage en faisant valoir des arguments fallacieux contre la validité de ce dernier. Cette préoccupation a animé l’arrêt Dell (voir par. 84 et 86).

[42] Selon nous, il existe des moyens d’atténuer cette préoccupation qui font que le calcul global favorise qu’on s’écarte de la règle générale voulant que l’affaire soit renvoyée à un arbitre. Les tribunaux disposent de plusieurs moyens d’éviter que les procédures judiciaires soient utilisées à des fins illégitimes. Les procédures qui semblent vexatoires peuvent faire l’objet d’un cautionnement pour frais et d’une adjudication adéquate des dépens. En Angleterre, les tribunaux ont adjugé une indemnisation complète des dépens lorsqu’une partie n’a pas tenu compte, et ce, indûment, de la compétence de l’arbitre (Hugh Beale, éd., Chitty on Contracts (33e éd. 2018), vol. II, Specific Contracts, par. 32‐065; A. c. B. (No.2), [2007] EWHC 54 (Comm.), [2007] 1 All E.R. (Comm.) 633, par. 15; Kyrgyz Mobil Tel Limited. c. Fellowes International Holdings Limited, [2005] EWHC 1329, 2005 WL 6514129 (B.R.), par. 43‐44). De plus, si la partie qui a imposé la convention d’arbitrage avec succès devait intenter un recours, en fonction des circonstances, elle pourrait obtenir des dommages‐intérêts pour rupture de contrat, le contrat étant la convention d’arbitrage (Beale, par. 32‐052; West Tankers Inc. c. Allianz SpA, [2012] EWHC 854 (Comm.), [2012] 2 All E.R. (Comm.) 395, par. 77).

[43] En outre, l’arrêt Dell lui‐même a exprimé clairement que les tribunaux peuvent renvoyer la contestation de la compétence de l’arbitre à ce dernier si elle constitue une « tactique dilatoire », ou si elle porte indûment préjudice au déroulement de l’arbitrage (par. 86). Cela constitue une garantie supplémentaire contre les contestations de la validité de l’arbitrage présentées de mauvaise foi.

[44] Comment un tribunal peut‐il déterminer s’il est en présence d’une contestation de bonne foi de la compétence de l’arbitre que seul un tribunal peut trancher? Tout d’abord, il doit déterminer si, à supposer que les faits invoqués soient avérés, il existe une véritable contestation de la compétence de l’arbitre. Deuxièmement, le tribunal doit déterminer à partir des preuves à l’appui s’il existe une réelle possibilité que, advenant le prononcé du sursis, la contestation ne soit jamais résolue par l’arbitre.

[45] Même si cette seconde question requiert un examen limité de la preuve, cet examen ne doit pas se transformer en mini‐procès. À cette étape, la seule question est celle de savoir s’il existe une réelle possibilité, dans les circonstances, que l’arbitre puisse ne jamais se prononcer sur le fond de la contestation de la compétence. En règle générale, un seul affidavit suffira. Tant les avocats que les juges sont responsables de veiller à ce que l’audience reste étroitement ciblée (Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 31‐32). Lorsqu’ils se penchent sur toute tentative d’ajouter au dossier, les juges doivent rester conscients du « risque de manipulation de la procédure en vue de créer de l’obstruction » et de la possibilité qu’une partie fasse usage de tactiques dilatoires (Dell, par. 84; voir aussi par. 86).

[46] En conséquence, le tribunal ne devrait pas renvoyer une contestation de bonne foi de la compétence de l’arbitre à ce dernier s’il existe une réelle possibilité que, s’il le faisait, il ne soit jamais statué sur la contestation. Dans ces circonstances, le tribunal peut décider si l’arbitre a compétence pour être saisi du différend et, ce faisant, il peut analyser en profondeur les questions en litige ainsi que le dossier.

[98] Mme Difederico soutient que les circonstances en l’espèce justifient une conclusion au titre de l’exception prévue dans l’arrêt Uber. À mon avis, ses arguments soulèvent une contestation de bonne foi de la compétence de l’arbitre et de la validité de la convention d’arbitrage. Premièrement, Mme Difederico soutient que l’arbitre ne peut pas appliquer la Loi sur la concurrence. La clause sur le choix de la loi exige plutôt que l’arbitre applique la loi américaine. Elle soutient que cela empêchera l’accès à des recours en cas de violations liées au commerce au Canada. Deuxièmement, elle affirme que le coût d’un litige dans le cadre d’un arbitrage américain en vertu d’une loi américaine sans recours collectif sera prohibitif. Elle soutient que la convention d’arbitrage interdira l’accès à la justice et qu’elle est donc contraire à l’intérêt public et inique. Je me pencherai sur chacun de ces arguments.

a) Mme Difederico sera‐t‐elle empêchée de se prévaloir d’un recours?

[99] J’estime qu’il est important à cette étape de faire référence à la décision de la Cour suprême de la Colombie‐Britannique [CSCB] dans l’affaire Williams v Amazon.com Inc., 2020 BCSC 300 [Williams], qui est la décision la plus proche, à mon avis, des faits dont la Cour est saisie. Dans l’affaire Williams, la CSCB a examiné la question de savoir si les réclamations en vertu de la Loi sur la concurrence pouvaient faire l’objet d’un arbitrage en vertu de la clause sur l’arbitrage de 2014. Dans cette affaire, comme dans la présente, chaque partie a présenté une preuve d’opinion d’expert sur la question de savoir si, à la lumière du libellé sur le choix de la loi, un arbitre aurait compétence pour accorder des recours en vertu de la Loi sur la concurrence, et l’expert de chaque partie a commenté l’affaire Mitsubishi v Soler Chrysler‐Plymouth, 473 US 614 (1985) [Mitsubishi]. Toutefois, la juge Horsman a conclu qu’à la lumière du principe de compétence‐compétence, il n’était pas approprié que la Cour détermine de façon définitive si un arbitre nommé en vertu de la clause d’arbitrage de 2014 aurait compétence pour accorder une réparation en vertu de la Loi sur la concurrence. Il revenait plutôt à l’arbitre de trancher cette question. Comme il est énoncé aux paragraphes 65 à 69 de l’arrêt Williams :

[traduction]

[65] L’affaire Mitsubishi portait sur un différend entre Mitsubishi Motors, un fabricant automobile japonais, et Soler Chrysler‐Plymouth, un distributeur automobile portoricain. Leur contrat contenait une disposition exigeant que les différends soient réglés de façon définitive par arbitrage au Japon. La clause sur le choix de la loi prévoyait que « [l]a présente entente est conclue dans la Confédération suisse et sera régie et interprétée à tous égards conformément aux lois de la Confédération suisse comme si elle y était entièrement exécutée ». Dans l’affaire Mitsubishi, la Cour a jugé qu’en appliquant la convention d’arbitrage, un arbitre, malgré la clause sur le choix de la loi, donnerait plein effet à la loi antitrust américaine. Comme il est indiqué aux pages 636 et 637 :

[...] Lorsque les parties ont convenu que l’organe d’arbitrage doit trancher un ensemble défini de réclamations qui comprend, comme dans les cas présents, celles découlant de l’application de la loi antitrust américaine, le tribunal devrait être tenu de trancher le différend conformément au droit national à l’origine de la réclamation [...]. Et tant que le plaideur éventuel pourra effectivement faire valoir sa cause d’action devant le tribunal arbitral, la loi continuera de servir à la fois sa fonction de réparation et sa fonction de dissuasion.

[66] Par analogie avec l’affaire Mitsubishi, le professeur Bermann est d’avis qu’un arbitre nommé en vertu des conditions d’utilisation de 2014 appliquerait de la même façon la Loi sur la concurrence pour statuer sur une réclamation présentée en vertu de cette loi. Le professeur Bermann ne juge pas important que la disposition en cause dans l’affaire Mitsubishi omettait les mots « sans égard aux principes de conflit de lois » parce que la décision de la Cour n’était pas fondée sur le renvoi, c’est‐à‐dire l’application des règles sur les conflits de lois de la Suisse qui a mené au droit américain comme source de compétence substantielle. La Cour a plutôt présumé que c’était le droit substantiel de la Suisse qui s’appliquerait. La Cour a néanmoins statué qu’un arbitre donnerait effet aux réclamations découlant des lois antitrust américaines.

[67] Enfin, le professeur Bermann est d’avis que, même si un arbitre conclut qu’il ne peut pas appliquer la Loi sur la concurrence en raison du libellé sur le choix de la loi, une possibilité qu’il juge peu probable, la loi antitrust des États‐Unis serait appliquée à la place. Les poursuites privées en dommages‐intérêts sont permises depuis longtemps en vertu de la loi antitrust des États‐Unis.

[68] Dans son rapport en réplique, M. Sampson réitère son point de vue selon lequel la disposition sur le choix de la loi dans la clause d’arbitrage rendrait obligatoire l’application de la loi américaine à l’exclusion des réclamations en vertu de la Loi sur la concurrence. M. Sampson interprète l’arrêt Mitsubishi comme s’il signifiait simplement que les réclamations en vertu de la loi antitrust des États‐Unis peuvent faire l’objet d’un arbitrage. Il souligne que, dans l’affaire Mitsubishi, il y a eu une admission selon laquelle la loi américaine s’appliquait aux réclamations antitrust. M. Sampson ne répond pas à la dernière observation du professeur Bermann selon laquelle le demandeur aurait un recours en vertu de la loi antitrust des États‐Unis, même si un arbitre ne donnait pas suite à une demande en vertu de la Loi sur la concurrence.

[69] À la lumière du principe de compétence‐compétence, je ne crois pas qu’il soit approprié que je détermine de façon définitive si un arbitre nommé en vertu des conditions d’utilisation de 2014 aurait le pouvoir d’accorder une réparation en vertu de la Loi sur la concurrence. C’est une question que l’arbitre doit trancher.

[100] La juge Horsman s’est ensuite demandé si la clause d’arbitrage de 2014 allait à l’encontre de l’intérêt public parce qu’elle imposait l’arbitrage aux États‐Unis, mettant en péril les recours du demandeur en vertu de la Loi sur la concurrence. Si la juge Horsman a estimé que la possibilité qu’un arbitre ne possède pas la compétence d’accorder des dommages‐intérêts au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence ne constituait pas un motif permettant de conclure que la clause d’arbitrage de 2014 était caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée, elle a néanmoins fondé son constat sur la croyance que le demandeur aurait accès à une forme quelconque de recours en vertu des lois antitrust des États‐Unis si l’octroi de dommages‐intérêts en vertu de la Loi sur la concurrence n’était pas possible. Comme l’a déclaré la juge Horsman, aux paragraphes 70‐71 et 79‐81 de sa décision :

[traduction]

[70] Aux fins de la présente demande, j’admets qu’il y a une véritable possibilité qu’un arbitre refuse d’entendre une demande en vertu de la Loi sur la concurrence à la lumière du libellé sur le choix de la loi contenu dans la convention entre les parties. Le fondement de la conclusion de la Cour dans l’arrêt Mitsubishi selon laquelle le droit antitrust américain s’appliquerait à un arbitrage régi par le droit suisse n’est pas tout à fait clair pour moi. Les experts conviennent que la Cour n’a pas appliqué le renvoi, ce qui soulève la question de savoir pourquoi la loi antitrust américaine a été jugée applicable. Il se peut, comme M. Sampson l’a souligné, que la Cour se soit simplement appuyée sur l’admission de Mitsubishi quant à l’application de la loi antitrust américaine.

[71] La question qui se pose alors est celle de savoir si la véritable possibilité que le demandeur ne puisse pas demander de réparation en vertu de la Loi sur la concurrence dans le cadre d’un arbitrage constitue un fondement permettant à la Cour de s’abstenir d’appliquer la clause d’arbitrage en refusant une suspension. Cela m’amène au troisième volet de l’argument du demandeur sur ce point.

[...]

[79] J’admets qu’une clause d’arbitrage pourrait être déclarée invalide dans la mesure où elle équivaut à une exclusion contractuelle des droits prévus par la loi lorsque cette exclusion est interdite par la loi. [...] Cependant, l’article 36 de la Loi sur la concurrence n’interdit pas l’exclusion par contrat du droit privé d’intenter une action.

[80] Il se peut qu’un arbitre interprète sa compétence en vertu de la clause d’arbitrage contenue dans les conditions d’utilisation de 2014 de manière à inclure la capacité d’accorder des dommages‐intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence. Si un tel recours n’est pas accessible, il existe un autre recours en dommages‐intérêts en vertu de la loi antitrust des États‐Unis. Rien dans le dossier dont je suis saisie ne laisse entendre que des dommages‐intérêts en vertu de la loi antitrust des États‐Unis seraient un recours inférieur aux dommages‐intérêts en vertu de la Loi sur la concurrence. Le demandeur n’a pas avancé un tel argument. Le demandeur dit simplement que la possibilité d’obtenir des dommages‐intérêts dans une cause d’action américaine en remplacement d’une cause d’action canadienne n’est pas pertinente pour des motifs d’intérêt public parce qu’il a droit à un recours en vertu de la loi canadienne. Je ne suis pas d’accord. Il me semble que la question de savoir si le demandeur peut être indemnisé au moyen de recours possibles dans le cadre d’un arbitrage est une considération pertinente lorsque le demandeur cherche à invalider une clause d’arbitrage au motif que certains recours ne sont pas accessibles.

[81] Pour ces motifs, je conclus que la perspective qu’un arbitre puisse ne pas avoir compétence pour accorder des dommages‐intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur la concurrence n’est pas un motif pour conclure que la clause d’arbitrage contenue dans les conditions d’utilisation de 2014 est caduque, inopérante ou non susceptible d’être appliquée. [Non souligné dans l’original.]

[101] Les arguments de la demanderesse en l’espèce au sujet de la clause sur le choix de la loi et de la Loi sur la concurrence sont les mêmes que ceux qui ont été abordés par la juge Horsman dans la décision Williams. L’experte de Mme Difederico, la professeure Brilmayer, est d’avis que la disposition sur le choix de la loi a pour effet d’exclure complètement le droit canadien. Une exception d’intérêt public permet seulement à l’arbitre de refuser d’appliquer le droit étranger en faveur du droit américain, et non l’inverse (affidavit de Mme Brilmayer, para 26 à 28).

[102] Toutefois, pour ce qui est de la question de l’accès aux recours, la demanderesse en l’espèce a présenté des éléments de preuve venant d’experts des États‐Unis qui précisent que, si l’octroi de dommages‐intérêts au titre de l’article 36 de la Loi sur la concurrence était jugé en dehors du champ de compétence de l’arbitre, en tant que question de droit, Mme Difederico ne serait pas en mesure d’obtenir des dommages‐intérêts au titre de la loi antitrust des États‐Unis – c’est‐à‐dire en vertu de la Foreign Trade Antitrust Improvements Act, 15 US Code §6a [FTAIA] – à l’égard d’une réclamation concernant une transaction commerciale au Canada.

[103] Amazon soutient que la possibilité d’obtenir une réparation en vertu de la FTAIA est hors de propos, car la disposition sur le choix de la loi n’aura pas pour effet d’exclure le droit canadien.

[104] Le professeur Bermann affirme que, selon l’arrêt Mitsubish, un tribunal siégeant aux États‐Unis entendra une plainte en vertu de la Loi sur la concurrence canadienne si elle est invoquée et si la clause d’arbitrage est rédigée de façon suffisamment large pour le permettre. Les réclamations visées par une clause d’arbitrage seront tranchées conformément à la loi à l’origine de la réclamation. À son avis, une clause sur le choix de la loi n’empêchera pas un tribunal d’entendre une réclamation non contractuelle (comme une réclamation en matière de droit antitrust ou de droit de la concurrence) et ne constituera pas un obstacle à l’application par le tribunal de la Loi sur la concurrence du Canada aux réclamations de Mme Difederico. Les avocats d’Amazon s’engagent également à ne pas faire valoir, dans le cadre d’un arbitrage, que la disposition sur le choix de la loi empêche l’application de la Loi sur la concurrence.

[105] En ce qui a trait à l’intérêt public, le professeur Bermann affirme également qu’il est loisible à un arbitre d’appliquer la politique publique d’une autre administration. À son avis, en l’absence de conflit entre la politique publique du Canada et celle des États‐Unis, l’arbitre n’hésiterait pas à appliquer la politique publique canadienne dans un arbitrage.

[106] Les défenderesses renvoient en outre à la récente décision de la CSCB dans l’affaire Petty v Niantic Inc, 2022 BCSC 1077 [Petty], qui a également tenu compte de l’application de l’exception énoncée dans l’arrêt Uber au principe de compétence‐compétence dans un recours collectif mettant en cause la Loi sur la concurrence et une clause sur le choix de la loi des États‐Unis. Dans la décision Petty, la Cour a conclu que la question de savoir si la Loi sur la concurrence serait appliquée en arbitrage soulevait une question mixte de fait et de droit nécessitant une analyse plus que superficielle des faits qui devrait être renvoyée à l’arbitre. Faisant référence à l’arrêt Uber, la Cour a déclaré ce qui suit aux paragraphes 108 à 112 :

[traduction]

[108] Au paragraphe 46 de l’arrêt Uber, la Cour suprême a déclaré que « le tribunal ne devrait pas renvoyer une contestation de bonne foi de la compétence de l’arbitre à ce dernier s’il existe une réelle possibilité que, s’il le faisait, il ne soit jamais statué sur la contestation ». La Cour suprême a déclaré que, dans ces circonstances, un tribunal canadien peut décider si l’arbitre a compétence pour être saisi du différend et, ce faisant, peut analyser en profondeur les questions en litige ainsi que le dossier : Uber, au para 46.

[109] En ce qui concerne ce qui constitue une « réelle possibilité », la Cour suprême a fait remarquer, dans l’arrêt Uber, que les frais d’arbitrage initiaux dans cette affaire « constituent un obstacle infranchissable entre [M. Heller] et la résolution de toutes les demandes qu’il a présentées contre Uber » et qu’un « arbitre ne peut pas décider du bien‐fondé des arguments de M. Heller sans que ces frais — possiblement iniques — soient d’abord payés » : au para 47. Pour cette raison, la Cour suprême a déterminé qu’il valait mieux que ce tribunal détermine la validité de la convention d’arbitrage en cause plutôt que de renvoyer la question à l’arbitrage aux Pays‐Bas : Uber, aux para 47 et 48.

[110] Dans la présente affaire, les deux parties ont déposé une preuve d’expert concernant la capacité d’un arbitre de décider de sa compétence pour traiter les réclamations des demandeurs en vertu de la Loi sur la concurrence. Dans l’arrêt Uber, la Cour suprême a confirmé que la présentation d’une preuve d’expert en droit étranger concernant la compétence d’un arbitre sur le différend en cause empêchait le tribunal canadien de trancher la question de la compétence, qui devrait être décidée par l’arbitre en première instance selon le principe de compétence‐compétence : Uber, aux para 49 et 50, faisant référence à Dell Computer Corp. c Union des consommateurs, 2007 CSC 34.

[111] Au paragraphe 84 de l’arrêt Dell, la Cour suprême a énoncé la règle générale selon laquelle « lorsqu’il existe une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être tranchée par ce dernier », sauf lorsque la contestation était fondée uniquement sur une question de droit. La Cour suprême a déclaré que lorsque la contestation exigeait la production et l’examen de preuves factuelles, les tribunaux devraient normalement renvoyer l’affaire à l’arbitrage, car les arbitres ont les mêmes ressources et la même expertise que les tribunaux. Enfin, la Cour suprême a déclaré qu’en ce qui concerne les questions mixtes de fait et de droit, à moins que les questions de fait n’exigent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier, l’affaire devrait être renvoyée à l’arbitrage : Dell, aux para 84 et 85.

[112] Il ne fait aucun doute que la détermination de la compétence d’un arbitre pour trancher des réclamations en vertu de la Loi sur la concurrence comporte des questions mixtes de fait et de droit. À mon avis, la détermination des questions de fait concernant les activités de commercialisation contestées des défenderesses concernant la vente de boîtes à butin nécessitera plus qu’une analyse superficielle de l’affaire et repose donc sur le principe de compétence‐compétence. Dans ces circonstances, je conclus que la détermination de la question de la compétence devrait relever de l’arbitre en première instance.

[107] Mme Difederico soutient que l’affaire Petty se distingue des faits en l’espèce pour deux raisons. D’abord, dans l’affaire Petty, la Cour a conclu que la disposition relative à l’arbitrage était juste et qu’elle n’allait pas à l’encontre de l’intérêt public, parce qu’elle contenait notamment une disposition de retrait, alors qu’aucune disposition de ce genre ne figure dans les dispositions en cause en l’espèce. Comme il a été déclaré au paragraphe 89 de la décision Petty :

[traduction]

[89] Comme je l’ai indiqué plus haut dans mes motifs concernant la question de l’iniquité, la convention d’arbitrage ne constitue pas un obstacle économique ou procédural insurmontable pour les demandeurs. En résumé, les demandeurs ont le choix de se retirer de la convention d’arbitrage dans un délai de 30 jours et, après cette période, ils ont le choix de s’adresser à la Cour des petites créances ou à l’arbitrage, et ce, dans leur province d’origine. Les frais d’un arbitrage, y compris les frais de dépôt et les honoraires de l’arbitre, doivent être assumés par les défenderesses. De plus, les demandeurs ont le droit d’être remboursés par les défenderesses de leurs frais juridiques s’ils ont gain de cause et ne sont pas assujettis à l’obligation de payer les frais juridiques des défenderesses s’ils n’obtiennent pas gain de cause. En outre, une décision est rendue en temps opportun, car les décisions d’arbitrage en vertu des règles de l’American Arbitration Association (AAA) doivent être rendues dans un délai de 14 ou 30 jours civils, selon le type d’audience. À mon avis, un arbitrage conforme à la convention d’arbitrage est suffisamment adapté pour éviter une contrainte excessive et n’est donc pas inapplicable pour des raisons d’intérêt public.

[108] Ensuite, elle affirme que la Cour s’est également abstenue de conclure à l’iniquité dans l’affaire Petty parce que l’objet en cause était l’achat en ligne de jeux informatiques qui étaient considérés comme frivoles et distincts de l’objet sérieux en cause dans l’affaire Uber (relation d’emploi).

[109] À mon avis, ces distinctions factuelles alléguées n’enlèvent rien au principe appliqué dans la décision Petty, selon lequel la présentation d’une preuve d’expert en droit étranger concernant la compétence d’un arbitre sur le différend en cause devrait faire en sorte que la question de la compétence soit définitivement tranchée par l’arbitre selon le principe de compétence‐compétence, en l’absence de circonstances exceptionnelles.

[110] Comme il a été établi dans l’arrêt Uber, il doit y avoir une « réelle possibilité » que le renvoi d’une question de compétence ou de validité à un arbitre fasse en sorte que la contestation ne soit pas réglée.

[111] Amazon affirme que le droit à des recours ne devrait pas être déterminé par la Cour dans le cadre de la présente requête (premier affidavit de M. Walker, para 14 à 16). Elle soutient que cette question nécessite une décision sur le bien‐fondé et ne porte pas sur la question de la tribune.

[112] Je conviens que, pour respecter l’exception énoncée dans l’arrêt Uber, il ne devrait pas être nécessaire d’effectuer l’analyse complexe présentée à la Cour en l’espèce. Il doit plutôt être clair, selon le dossier, que le renvoi à l’arbitrage soulève une possibilité réelle qu’il y ait un déni d’accès à la justice. À mon avis, une simple possibilité ne suffit pas à surmonter le principe de compétence‐compétence.

[113] En l’espèce, même si la Cour devait accepter que la loi antitrust américaine puisse s’appliquer, une décision qui semble peu probable, à mon avis, à la lumière de la preuve d’expert fournie, de l’engagement d’Amazon et des modifications à la clause sur le choix de la loi, qui appuient la position d’Amazon, il subsiste un différend quant à savoir si Mme Difederico serait inadmissible à un recours.

[114] Bien que les experts conviennent qu’il n’y a pas de recouvrement en vertu de la FTAIA pour les violations des lois antitrust ou sur la concurrence mettant en cause le commerce au Canada, ils ne s’entendent pas sur la question de savoir si [traduction] « l’exception relative aux effets intérieurs » pourrait s’appliquer pour permettre à Mme Difederico d’obtenir une réparation au titre d’une réclamation modifiée. L’exception exige qu’un demandeur démontre que le comportement anticoncurrentiel a un effet direct, substantiel et raisonnablement prévisible sur le commerce américain et que l’effet américain [traduction] « donne lieu » à une réclamation antitrust aux États‐Unis.

[115] Comme l’a reconnu le professeur Posner, la réclamation de Mme Difederico pourrait être modifiée pour tenir compte des réclamations faites dans une poursuite semblable intentée aux États‐Unis. Il y a des témoignages d’experts contradictoires quant à l’effet que cela aurait et à la question de savoir si cela répondrait à [traduction] « l’exception relative aux effets intérieurs ». Ces questions complexes de fait et de droit échappent au contrôle que la Cour est autorisée à mener.

[116] D’après le dossier dont je suis saisie, il n’est pas clair qu’aucune réparation ne serait accessible à Mme Difederico si l’affaire devait être soumise à l’arbitrage ou que la clause sur le choix de la loi priverait Mme Difederico de l’accès à la justice.

b) Les frais d’arbitrage sont‐ils prohibitifs?

[117] Je ne peux pas non plus être d’accord avec l’autre argument de Mme Difederico selon lequel elle se verrait refuser l’accès à la justice en raison du coût de l’avancement de sa demande d’arbitrage en dehors du contexte d’un recours collectif.

[118] Les clauses d’arbitrage stipulent que Mme Difederico n’est tenue de payer que des frais administratifs initiaux relativement modestes de 200 $ pour amorcer l’arbitrage. Amazon est tenue, en vertu des clauses d’arbitrage, de rembourser ces frais pour les réclamations de moins de 10 000 $, à moins que l’arbitre ne détermine que la réclamation est frivole. L’arbitrage peut se faire par téléphone, par écrit ou à un endroit convenu d’un commun accord. Un demandeur a la possibilité de s’adresser à la Cour des petites créances lorsque les réclamations relèvent de sa compétence.

[119] Ainsi, Mme Difederico ne se voit pas empêchée de présenter une réclamation contre Amazon en vertu des dispositions de la clause elle‐même. Tout obstacle auquel Mme Difederico se heurte est attribuable à la nature des réclamations qu’elle soulève.

[120] Mme Difederico soutient que le faible coût de l’arbitrage est sans importance par rapport aux autres dépenses importantes liées à l’arbitrage de sa demande. Elle fait référence à l’accord de financement de litige et à la décision connexe, en soulignant les millions de dollars que la réclamation coûtera en frais de litige. De même, elle fait référence à la preuve du professeur Posner, qui s’est prononcé sur les coûts importants associés aux litiges antitrust aux États‐Unis.

[121] Étant donné que la Loi sur la concurrence ne prévoit aucune intervention législative pour empêcher les renonciations aux recours collectifs ou les clauses d’arbitrage, et qu’aucune intervention législative de ce genre n’a été proposée en vertu du droit américain, je suis d’avis que le régime législatif ne favorise pas une conclusion selon laquelle les clauses d’arbitrage vont autrement à l’encontre de l’intérêt public.

c) Les clauses d’arbitrage sont‐elles iniques?

[122] Pour faire annuler un contrat en raison de son caractère inique en vertu du droit canadien, une partie doit établir : (i) l’inégalité du pouvoir de négociation, et (ii) l’existence d’un marché imprudent : Uber, aux para 64 à 66.

[123] Mme Difederico soutient qu’il y a une inégalité extrême du pouvoir de négociation en l’espèce, car Amazon a rédigé les clauses de règlement des différends et qu’elle n’avait pas la possibilité de négocier leurs conditions. Elle soutient qu’elle n’a pas été en mesure de déterminer ou d’apprécier à elle seule la signification des clauses sur le règlement des différends.

[124] Pour les motifs exposés plus tôt, je suis d’avis que Mme Difederico devrait être tenue de respecter les clauses d’arbitrage. Je ne suis pas d’accord pour dire que la nature des biens offerts par Amazon placerait les faits de la présente affaire au même niveau que le contrat d’emploi en cause dans l’affaire Uber. Comme il a également été constaté dans la décision Petty, je ne suis pas convaincue que la nature des biens offerts sur le site d’Amazon pourrait être classée dans la catégorie des éléments importants de la vie quotidienne qui rendraient Mme Difederico particulièrement dépendante ou vulnérable (Petty, aux para 59 et 60) :

[traduction]

[59] Je ne suis pas convaincu qu’une inégalité du pouvoir de négociation justifiant une conclusion selon laquelle la clause d’arbitrage est inique soit démontrée selon les faits de la présente affaire. Comme l’ont indiqué la Cour suprême dans l’arrêt Uber et la Cour d’appel de la Colombie‐Britannique dans l’arrêt Pearce, une analyse de l’iniquité met l’accent sur la vulnérabilité de la partie la plus faible et l’injustice d’un contrat ou de l’une de ses modalités.

[60] Contrairement à la nature du service en cause dans l’affaire Douez (communication et réseautage social) et dans l’affaire Uber (relation d’emploi), rien ne prouve que l’utilisation des jeux Pokémon Go et Harry Potter: Wizards Unite, ou la capacité d’acheter des boîtes à butin dans ces jeux, sont des éléments importants de la vie quotidienne qui rendent les demandeurs particulièrement dépendants ou vulnérables quant à leur besoin d’accéder aux plateformes de jeu. Les jeux eux‐mêmes sont gratuits et l’utilisateur a le choix d’acheter ou non des boîtes à butin.

[125] De plus, dans l’affaire Uber, la clause d’arbitrage elle‐même interdisait à M. Heller d’avoir accès à l’arbitrage pour tout type de réclamation qu’il souhaitait présenter.

[126] En l’espèce, l’argument de Mme Difederico ne découle pas des clauses d’arbitrage, mais du type de réclamation qu’elle cherche maintenant à soulever. Cela signifie qu’au lieu que le marché soit imprudent au moment où il a été conclu, comme c’était le cas dans l’affaire Uber (au para 74), la demanderesse soutient que les clauses d’arbitrage sont maintenant iniques à la lumière de ses réclamations particulières. À mon avis, cet argument n’est pas appuyé par le droit de l’iniquité.

V. Conclusion

[127] Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que la réclamation de Mme Difederico concernant ses achats sur Amazon.ca devrait être suspendue en faveur de l’arbitrage.

[128] Comme je l’ai indiqué ci‐dessus, je suis d’avis qu’une convention d’arbitrage est en place et que les réclamations de Mme Difederico contre Amazon.ca relèvent sans doute de cette convention en vertu des conditions d’utilisation de 2014 ou de 2022. La LCNUSAE s’applique, tout comme le principe de compétence‐compétence, et il n’y a pas de pouvoir discrétionnaire résiduel permettant de ne pas renvoyer la question à l’arbitrage.

[129] Toute contestation de bonne foi de la compétence de l’arbitre en ce qui a trait au traitement des réclamations en vertu de la Loi sur la concurrence et à la validité des clauses d’arbitrage devrait être tranchée par l’arbitre, et il n’y a pas d’argument prépondérant fondé sur l’intérêt public ou sur l’iniquité qui permet d’éviter l’arbitrage dans la présente affaire.

VI. Dépens

[130] Les parties ont soulevé la question des dépens, particulièrement en ce qui a trait à l’audience et aux observations ultérieures qui ont été nécessaires en raison des modifications. Compte tenu de l’issue de la requête, j’estime qu’il convient de permettre la présentation de brèves observations sur les dépens à la suite de la présente ordonnance. Mon ordonnance contiendra donc une disposition à ce sujet.

 


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‐445‐20

LA COUR ORDONNE :

  1. Les réclamations de Mme Difederico concernant ses achats dans le magasin Amazon.ca sont suspendues pour donner préséance à une procédure d’arbitrage.

  2. Les parties disposent de trente (30) jours à compter de la date de la présente ordonnance pour présenter des observations sur les dépens, lesquelles ne doivent pas dépasser six (6) pages dans chaque cas.

« Angela Furlanetto »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐445‐20

 

INTITULÉ :

STEPHANIE DIFEDERICO ET JAMESON EDMOND CASEY c AMAZON.COM, INC., AMAZON.COM.CA, INC., AMAZON.COM SERVICES LLC, AMAZON SERVICES INTERNATIONAL, INC., ET AMAZON SERVICES CONTRACTS, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

les 3 FÉVRIER 2022 ET 29 JUILLET 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 SEPTEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

James C. Orr

Kyle R. Taylor

Krupa Shah

 

poUR LES DEMANDEURS

David R. Wingfield

 

poUR LES DEMANDEURS

Caitlin R. Sainsbury

Pierre N. Gemson

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Orr Taylor LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

poUR LES DEMANDEURS

 

Strosberg Sasso Sutts LLP

Avocats

Windsor (Ontario)

 

poUR LES DEMANDEURS

 

Borden Ladner Gervais, S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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