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Date : 20221005


Dossier : T‑279‑22

Référence : 2022 CF 1375

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

INAMINKA MARINE SERVICES LIMITED, personne morale

demanderesse

et

CANADA FLUORSPAR (T.‑N.‑L.) INC., personne morale

défenderesse

(action personnelle)

et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LA BARGE

H‑404

défendeurs

(action réelle)

ORDONNANCE CORRIGÉE ET MOTIFS

(Corrigée le 7 octobre 2022, en vertu du paragraphe 397(2) des Règles des Cours fédérales, afin d’inclure la mainlevée de la saisie omise dans l’ordonnance.)

I. Aperçu

[1] La présente requête s’inscrit dans le cadre de l’action personnelle intentée par la demanderesse, Inaminka Marine Services Limited [IMS], contre Canada Fluorspar (T.‑N.‑L.) Inc. [CFI], et de l’action réelle contre la «barge H‑404» [la barge]. Dans le cadre de cette action, IMS réclame des montants dus pour des services qui auraient été fournis à ces défendeurs. La barge est sous saisie dans le cadre de cette action, et le directeur de la partie demanderesse, le capitaine Richard Spellacy, a déposé une mise en garde contre une mainlevée de saisie (caveat).

[2] Dans sa requête, CFI invoque le paragraphe 50(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [la Loi] pour demander une suspension de l’action d’IMS et, en vertu de l’article 488 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [les Règles], la mainlevée de la saisie de la barge. La requête s’inscrit dans le cadre d’une procédure engagée en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, LRC 1985, c C‑36 [la LACC] devant la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, division des faillites et de l’insolvabilité (Supreme Court of Newfoundland and Labrador in Bankruptcy and Insolvency) [la SCNFLBI] à la suite de l’insolvabilité de CFI, et dans laquelle la SCNFLBI a prononcé une suspension des procédures à l’encontre de CFI. À titre subsidiaire, CFI demande la radiation de l’action réelle de l’instance engagée par IMS en vertu de l’article 221 des Règles, au motif que les revendications d’IMS ne relèvent pas de l’alinéa 22(2)m) de la Loi. Elle demande aussi la mainlevée de la saisie de la barge en vertu de l’article 488 des Règles.

[3] Comme expliqué plus en détail ci‑dessous, la requête en suspension de procédures est accueillie et la mainlevée de la saisie de la barge est accordée, car CFI a convaincu la Cour que la SCNFLBI est un tribunal plus approprié pour statuer sur la requête de la demanderesse, compte tenu de la jurisprudence applicable et des circonstances particulières de l’espèce. Il n’est donc pas nécessaire que la Cour se prononce sur la requête subsidiaire de CMI.

II. Contexte

[4] La défenderesse de l’action personnelle, CFI, est une société constituée à Terre‑Neuve‑et‑Labrador [T.‑N.‑L.]. Elle exploite une mine de spath fluor (ou fluorine) à St. Lawrence, T.‑N.‑L.. CFI est propriétaire de la barge et l’utilise pour le chargement des navires de charge au terminal maritime qui est situé sur le site où se trouve sa mine. Bien qu’aucun élément de preuve n’ait été présenté à la Cour sur ce point, je crois comprendre que les parties sont d’accord pour dire que la barge est un bâtiment étranger, immatriculé au Panama.

[5] La demanderesse, IMS, est également une société constituée à T.‑N.‑L. En l’espèce, elle réclame le paiement des services de consultation et de conception relatifs à une méthode et à des installations permettant de déplacer la barge sur les quais de chargement du terminal maritime de CFI en cas de mauvais temps. Les coûts de ces services n’ont, selon elle, jamais été acquittés par CFI.

[6] IMS a intenté cette action en date du 16 février 2022 et a obtenu un mandat de saisie à l’égard de la barge, saisie qui a été exécutée le jour même. La barge a été saisie alors qu’elle était amarrée à Marbase (anciennement le chantier naval de Marystown), à Marystown, T.‑N.‑L., et est toujours actuellement sous saisie sur place.

[7] En vertu d’une ordonnance datée du 22 février 2022 [l’ordonnance de mise sous séquestre provisoire], la division générale de la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Supreme Court of Newfoundland and Labrador General Division) [SCTNL] a nommé Grant Thornton Limited [GT, ou le séquestre intérimaire, ou le contrôleur] comme séquestre intérimaire de tous les biens de CFI et d’une autre société, Canada Fluorspar Inc. L’ordonnance de mise sous séquestre provisoire identifie ces biens [les biens] comme incluant tous les actifs, entreprises et propriétés actuels et futurs de toute nature et de tout type, où qu’ils se trouvent, y compris tous les produits qui en découlent, à l’exception des biens exclus (tels que définis dans l’ordonnance de mise sous séquestre provisoire). La barge ne fait pas partie des biens exclus.

[8] L’ordonnance de mise sous séquestre provisoire prévoit qu’aucune procédure ne peut être engagée ou poursuivie à l’encontre de CFI, de Canada Fluorspar Inc. ou des biens sans le consentement de GT ou l’autorisation de la SCTNL. Elle suspend également toute procédure en cours contre CFI, Canada Fluorspar Inc. ou les biens à partir du moment où l’ordonnance de mise sous séquestre provisoire est en vigueur, et jusqu’à ce que la SCTNL rende une nouvelle ordonnance.

[9] L’ordonnance de mise sous séquestre provisoire précise que la SCTNL sollicite l’aide et la reconnaissance de tout tribunal ayant compétence au Canada ou à l’étranger pour donner effet à l’ordonnance et aider GT, en tant que séquestre intérimaire, à exécuter l’ordonnance. Elle demande en outre à tous les autres tribunaux de rendre des ordonnances et d’aider GT, dans la mesure ou cela est nécessaire ou souhaitable, à donner effet à l’ordonnance de mise sous séquestre provisoire.

[10] Par conséquent, en vertu d’une ordonnance initiale datée du 11 mars 2022 et ayant été modifiée et mise à jour le 18 mars 2022 [ordonnance en vertu de la LACC], la SCNFLBI a nommé GT contrôleur pour CFI, Canada Fluorspar Inc. et Newspar (une société en nom collectif), conformément aux dispositions de la LACC. Pour éviter toute confusion, je note que la SCNFLBI est la même cour supérieure provinciale qui a rendu l’ordonnance en vertu de la LACC et l’ordonnance de mise sous séquestre provisoire, bien qu’elle ait été désignée différemment aux fins de la procédure relative à la LACC.

[11] L’ordonnance en vertu de la LACC prévoit que CFI reste en possession et en contrôle de ses actifs, entreprises et propriétés actuels et futurs. Elle suspend également toute procédure à l’encontre de CFI ou de ses biens jusqu’au 10 juillet 2022 [période de suspension]. Par le biais d’une série d’extensions, la SCNFLBI a prolongé la période de suspension, qui est actuellement en vigueur jusqu’au 17 octobre 2022. L’ordonnance rendue en vertu de la LACC prévoit en outre que CFI ou GT peut demander à tout tribunal de reconnaître l’ordonnance en vertu de la LACC et de l’aider à exécuter les termes de l’ordonnance.

[12] Par une ordonnance datée du 18 mars 2022, révisée ultérieurement [ordonnance pour le PVSI], le SCNFLBI a approuvé un processus de vente et de sollicitation des investisseurs [PVSI] concernant les actifs de CFI. Dans l’ordonnance pour le PVSI, la SCNFLBI sollicite l’aide et la considération de tout corps judiciaire, administratif ou de réglementation ayant compétence au Canada, aux États‑Unis ou ailleurs, pour donner effet à l’ordonnance pour le PVSI et pour aider les demandeurs de l’ordonnance pour le PVSI (notamment CFI, agissant par l’intermédiaire de GT) et leurs agents respectifs à exécuter les conditions de celle‑ci.

[13] Le 3 août 2022, CFI a déposé son avis pour la requête dont la Cour est actuellement saisie, et par laquelle CFI demandait les mesures suivantes :

  1. la suspension de l’action d’IMS à son encontre et à l’encontre de la barge, conformément au paragraphe 50(1) de la Loi, et la mainlevée de la saisie de la barge conformément à l’article 488 des Règles;

  2. à titre subsidiaire, la radiation par la Cour de l’action réelle de l’instance engagée par IMS en vertu de l’article 221 des Règles, au motif que les revendications d’IMS ne relèvent pas de l’alinéa 22(2)m) de la Loi; de même que la mainlevée de la saisie de la barge en vertu de l’article 488 des Règles.

  3. à titre tout à fait subsidiaire, une prolongation du délai imparti à CFI pour déposer sa défense dans le cadre de l’action d’IMS.

[14] Le 2 septembre 2022, le capitaine Richard Spellacy, unique actionnaire, dirigeant et administrateur d’IMS, a déposé un caveat contre la mainlevée de la barge. D’après les observations des avocats, je comprends que le caveat a été déposé à l’appui d’une demande de salaire de capitaine.

[15] CFI a par la suite signifié et déposé le dossier complet de la requête le ou vers le 20 septembre 2022, et IMS a déposé ses documents en réponse le 26 septembre 2022. Les parties ont débattu de la requête le 28 septembre 2022. Les parties m’ont informé qu’une requête visant l’approbation d’une proposition de vente des actifs de CFI dans le cadre du PVSI devait être entendue par la SCNFLBI le 27 septembre 2022, soit la veille de l’audience tenue dans le cadre de la présente requête. Les avocats de CFI ont indiqué au début de l’audience en l’espèce que l’audience prévue pour la requête devant la SCNFLBI était reportée et que la nouvelle date n’avait pas encore été fixée. Cependant, ils ont confirmé que l’approbation demandée à la SCNFLBI dans le cadre de la présente requête était favorable à la clôture de la vente proposée pour le 7 octobre 2022, ou le 17 octobre 2022 au plus tard.

III. Questions en litige

[16] La présente requête soulève deux questions principales que la Cour doit trancher :

  1. La Cour doit‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi pour suspendre la procédure intentée par IMS et, par conséquent, accorder une mainlevée de la saisie de la barge?

  2. À titre subsidiaire, est‑ce que la procédure d’IMS doit être radiée en vertu de l’article 221 des Règles au motif que les services prétendument fournis à CFI par IMS ne relèvent pas de l’alinéa 22(2)m) de la Loi et ne relèvent donc pas de la compétence de la Cour fédérale en matière de droit réel?

IV. Analyse

A. La Cour doit‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi pour suspendre la procédure intentée par IMS et, par conséquent, accorder une mainlevée de la saisie de la barge?

(1) Principes généraux

[17] Pour trancher cette question, il est utile d’examiner d’abord les principes généraux et la jurisprudence régissant une requête de cette nature dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité engagée devant une cour supérieure provinciale. Pour formuler l’explication suivante, je m’inspire largement de la décision que j’ai rendue dans l’affaire RMI Marine Limited c Scotia Tide (Navire), 2019 CF 114 [RMI Marine], qui aborde plusieurs des mêmes principes.

[18] L’article 50 de la Loi confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal ou lorsque l’intérêt de la justice l’exige. La partie qui demande une suspension est tenue d’établir clairement qu’un autre tribunal est plus approprié (Holt Cargo Systems Inc c ABC Containerline NV (Syndic de), 2001 CSC 90 [Holt] au para 89).

[19] Comme indiqué dans l’affaire RMI Marine, le cadre jurisprudentiel applicable à une requête de ce type a été examiné dans l’arrêt Holt et dans l’arrêt connexe, Antwerp Bulkcarriers, N.V. (Re), 2001 CSC 91 [Antwerp]. Les arrêts Holt et Antwerp découlent de la faillite d’un transporteur par conteneur belge ayant mené à la saisie d’un de ses bâtiments, le «Brussel», dans le port d’Halifax, suite à une action réelle engagée devant la Cour fédérale.

[20] À la suite de la saisie du «Brussel», le tribunal de la faillite de la Belgique a prononcé la faillite du propriétaire du navire et les syndics de faillite ont obtenu de la Cour supérieure du Québec une ordonnance reconnaissant la décision rendue par le tribunal belge. Les syndics ont ensuite obtenu une ordonnance suivant laquelle le produit de la vente du navire ou le navire lui‑même devait être confié aux syndics à des fins de distribution dans le cadre de la procédure de faillite en Belgique [l’ordonnance de la Cour supérieure du Québec]. Cette ordonnance n’était pas conforme au cadre procédural établi par la Cour fédérale pour la vente du bâtiment et la distribution du produit de la vente. S’appuyant en partie sur l’ordonnance de la Cour supérieure du Québec, les syndics ont demandé à la Cour fédérale de suspendre les procédures et de lui verser le produit de la vente. Le juge MacKay de la Cour fédérale a rejeté la demande des syndics [l’ordonnance de la Cour fédérale].

[21] L’ordonnance de la Cour supérieure du Québec et l’ordonnance de la Cour fédérale ont toutes deux été portées en appel, et les décisions rendues en appel ont ensuite fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada.

[22] Dans l’arrêt Antwerp, qui portait sur l’appel d’une ordonnance de la Cour supérieure du Québec, la Cour suprême a conclu (aux para 37 et 40) que, une fois que son exercice a été régulièrement déclenché par l’introduction de l’action réelle et la saisie du navire, la compétence de la Cour fédérale en matière de droit maritime n’était pas perdue en raison de la faillite subséquente du propriétaire du navire. La Cour suprême a aussi expliqué (aux para 37 et 45 à 47) que le tribunal de faillite n’était pas habilité à s’occuper du navire, déjà visé par une ordonnance valide de la Cour fédérale, et a ajouté (aux para 48 à 53) que la délivrance de ce qui constituait une injonction anti‑poursuites visait à tort à restreindre la capacité de la Cour fédérale d’exercer sa compétence. En conclusion, la Cour suprême a déclaré (aux para 54 et 55) que le juge de la Cour fédérale pouvait ordonner une suspension s’il jugeait opportun de le faire, ou encore rejeter la demande des syndics, comme il l’a fait, et que, si la faillite était survenue au Canada plutôt qu’en Belgique, la situation aurait été la même.

[23] Dans l’arrêt Holt, la Cour suprême a examiné l’appel d’une ordonnance de la Cour fédérale. La Cour suprême a affirmé (aux para 41 à 44) que, en vertu des principes de conflit des lois applicables au Canada, la demanderesse, qui avait saisi le bâtiment par l’entremise de la Cour fédérale, avait droit à la reconnaissance par la Cour fédérale de son privilège maritime, conféré en vertu du droit en vigueur aux États‑Unis, où la demanderesse a fourni des services au navire.

[24] Tout comme dans l’arrêt Antwerp, la Cour suprême a souligné dans l’arrêt Holt (aux para 60 à 66) que la Cour fédérale n’avait pas perdu compétence à la suite des ordonnances délivrées par la Cour supérieure du Québec siégeant en matière de faillite. La Cour suprême a ensuite examiné la question de savoir si la Cour fédérale aurait dû néanmoins s’en remettre au tribunal belge de la faillite au nom de la courtoisie internationale. Elle a conclu (aux paras 85 à 87) que la coordination internationale est un facteur important, mais qu’elle ne constitue pas nécessairement un facteur déterminant. Elle a recommandé à la Cour fédérale d’être consciente des difficultés que présentent les faillites internationales, y compris de l’intérêt de réduire au minimum la multiplicité des procédures et les décisions incompatibles, ainsi que la nécessité de rendre justice aux parties qui se présentent devant elle. Aucune considération ne doit à elle seule être qualifiée de déterminante par la Cour fédérale lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de suspendre ses procédures.

[25] Enfin, à la question de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser la demande de suspension des procédures présentée par les syndics, la Cour suprême a souligné (aux para 80 à 98) que les principes qui doivent sous‑tendre l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans ce type d’affaires ont été établis péremptoirement dans l’arrêt Amchem Products Inc. c Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 RCS 897. Dans cet arrêt, le tribunal a expliqué que la question pertinente était de savoir si un autre tribunal serait plus approprié, compte tenu des facteurs pertinents, et qu’il faut établir clairement qu’un autre tribunal est plus approprié pour que soit écarté celui qu’a choisi le demandeur (aux p 920 à 921). Après avoir pris note des considérations de politique générale qui s’appliquent dans le contexte des faillites internationales, la Cour suprême a décrit (au para 91 de l’arrêt Holt) les facteurs dont il faut tenir compte pour rendre une décision discrétionnaire :

91. Le « ressort logique » est celui avec lequel l’action a le lien le plus réel et le plus important (Amchem, précité, p. 916 et 935). Les circonstances pertinentes comprennent non seulement les questions de politique générale (comme en l’espèce) mais également la possibilité que la suspension des procédures fasse perdre au demandeur un avantage juridique à tel point qu’il en résulterait une injustice, le ou les endroits où les parties exploitent leur entreprise, l’avantage de soumettre un litige dans un ressort ou un autre et les frais qui s’y rattachent, et la nécessité de dissuader les parties de rechercher un tribunal favorable. Bref, dans le contexte global d’une politique générale, toute injustice que subirait la demanderesse si son action était suspendue doit être appréciée en fonction de toute injustice qui serait causée au défendeur si l’action pouvait suivre son cours. Ces facteurs doivent soigneusement être soupesés.

[26] La Cour suprême a conclu que la Cour fédérale avait tenu compte des facteurs pertinents pour arriver à sa décision. Le juge MacKay a reconnu l’importance de la courtoisie et de la coordination internationale lorsqu’une affaire s’y prête, mais il a insisté principalement sur le fait qu’il était saisi d’une action réelle intentée par des créanciers garantis contre un navire dont la Cour fédérale avait déjà ordonné la saisie au moment de la faillite, et dont il avait déjà ordonné l’évaluation et la vente au moment de l’intervention du tribunal de faillite canadien. La Cour suprême a rejeté l’argument des syndics selon lequel la demanderesse était à la recherche d’un tribunal favorable en obtenant la saisie du navire au Canada et a reconnu que le juge MacKay avait accordé le degré d’importance approprié à l’avantage juridique accordé à la demanderesse au Canada en raison de la reconnaissance du caractère garanti de son privilège maritime.

[27] Bien qu’il existe des facteurs qui permettent de distinguer le litige visant le navire «Brussel» et l’espèce, les arrêts Holt et Antwerp fournissent néanmoins en grande partie le cadre qui régit l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour pour l’examen de la requête en suspension de CFI au titre de l’article 50 de la Loi.

[28] Une des différences factuelles évidentes tient au fait que la faillite en l’espèce survient dans un contexte canadien, et non international. Toutefois, comme indiqué dans la décision RMI Marine, la Cour doit examiner l’effet d’une ordonnance prononcée par une cour supérieure provinciale dans un contexte d’insolvabilité, ce qui constitue un facteur important, mais pas nécessairement déterminant. À cet égard, on peut également s’inspirer de la décision rendue dans l’affaire Always Travel Inc. c Air Canada, 2003 CFPI 707 [Always Travel], qui a aussi été rendue dans le cadre d’une procédure engagée en vertu de la LACC devant une cour supérieure provinciale.

[29] L’affaire Always Travel concernait une proposition de recours collectif devant la Cour fédérale à l’encontre d’un certain nombre de compagnies aériennes, dont Air Canada. À l’époque, Air Canada faisait l’objet d’une ordonnance de la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vertu de la LACC, qui la protégeait contre les poursuites judiciaires dans le cadre d’une restructuration envisagée. Pour cette raison, Air Canada a présenté une requête à la Cour fédérale visant à obtenir la suspension des procédures.

[30] À l’instar de la présente affaire, l’ordonnance rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Always Travel suspendait toute procédure à l’encontre d’Air Canada et demandait expressément l’aide et la reconnaissance de tout tribunal canadien pour l’exécution de l’ordonnance (au para 8). Le juge Hugessen de la Cour fédérale a accordé une suspension des procédures pour une période de trois mois, ou jusqu’à ce que la suspension ordonnée par la Cour supérieure de justice de l’Ontario soit levée, selon la première occurrence. Se penchant sur le rôle de la Cour fédérale au moment d’examiner une ordonnance en vertu de la LACC par une cour supérieure provinciale, le juge Hugessen s’est appuyé en partie sur les arrêts Holt et Antwerp et a offert, aux paragraphes 10 à 12, l’explication suivante :

10. Les cours supérieures ne se donnent pas mutuellement des ordres ni ne s’ingèrent, par ordonnances, dans leurs procédures respectives. Leur coopération est plutôt essentielle. Les conflits entre tribunaux ou avec d’autres organismes qui exercent un pouvoir judiciaire de dernier ressort, peuvent avoir de sérieuses répercussions allant peut‑être jusqu’à la privation de liberté. Au Canada, les cours supérieures ne se livrent pas concurrence, mais s’accordent l’une à l’autre une « reconnaissance totale » , comme on l’a dit dans Morguard Investments Ltd. c. De Savoye et répété dans les arrêts dits de Bruxelles. Le juge Farley a expressément demandé dans son ordonnance que, par courtoisie, et plus encore en reconnaissance du fait que les deux cours appliquent le même système d’administration de la justice au Canada, notre Cour prête son aide au regard de l’ordonnance de la Cour supérieure de l’Ontario concernant la suspension de procédure.

11. On m’a dit ce matin que je ne devrais pas rendre une ordonnance de suspension fondée sur celles du juge Farley, en premier lieu parce qu’aucune preuve ne m’a été présentée et, en second lieu, parce que personne n’a tenté de justifier une suspension en s’appuyant sur les trois critères types énoncés pour la première fois par la Cour suprême dans Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., et, ultérieurement repris dans RJR MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général). À cela, je réponds qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une suspension ordinaire et qu’il n’est pas nécessaire qu’une telle mesure, consentie par courtoisie, réponde aux exigences des trois critères en question, pas plus qu’elle n’a besoin d’être étayée par des preuves. Je suis d’avis que la coopération respectueuse que cette Cour devrait, à juste titre, accorder, et qu’elle accorde en fait, en ce qui a trait aux jugements de la Cour supérieure de l’Ontario, exigera tout naturellement de notre Cour, et sur demande conforme, qu’elle prête son concours dans pratiquement tous les cas où une cour provinciale rendra une ordonnance dans l’exercice de sa juridiction touchant la LACC et réclamera l’aide de notre Cour.

12. Ce n’est pas tout. Si une partie à une instance dont la Cour est saisie estime qu’une suspension ne devrait pas être accordée à titre de courtoisie pour venir en aide à une cour supérieure provinciale au regard d’une ordonnance, il lui est loisible de s’opposer à cette suspension ou, si elle est déjà accordée, de demander à la Cour de la lever. Il eut été loisible alors aux demanderesses de me présenter aujourd’hui des preuves et des observations disant que, pour certaines raisons ou autres considérations, il ne faudrait pas surseoir à la présente instance; mais les choses ne se sont pas passées ainsi. Que je le dise bien clairement. Le fardeau incombe à toute personne qui s’adresse à cette Cour en vue de se soustraire aux conséquences de l’aide prêtée à une cour supérieure provinciale qui exerce sa juridiction en vertu de la LACC, de dissuader la Cour de consentir cette aide. Rien de ce que je dis ou fais aujourd’hui n’interdit aux demanderesses de présenter une demande si elles le désirent. Je dis simplement que, de la façon dont l’actuelle procédure a évolué, les avocats et la Cour ont convenu qu’il faudrait strictement se limiter aujourd’hui aux questions de droit quitte à remettre à plus tard, au besoin, les questions de fait.

[31] Je m’arrête ici pour faire remarquer que l’ensemble de la jurisprudence exposée ci‑dessus a également été évoquée dans les observations écrites de CFI à l’appui de la présente requête, et qu’IMS a noté dans ses propres observations écrites qu’elle ne contestait pas l’explication de CFI à partir de laquelle la Cour fédérale a déterminé dans quelles circonstances il était approprié d’imposer une suspension. Toutefois, lors de l’audience relative à la présente requête, un désaccord est apparu entre les avocats quant à la signification du passage susmentionné de la décision Always Travel. Les avocats de CFI s’appuient sur ce passage pour soutenir qu’il incombe à IMS, en tant que partie s’opposant à la requête, de démontrer que la Cour fédérale ne devrait pas accorder la suspension des instances demandée pour venir en aide à la SCNFLBI. IMS conteste cette position, faisant valoir que CFI, en tant que partie requérante, doit assumer le fardeau de la preuve.

[32] Comme je l’ai souligné dans la décision RMI Marine (au para 42), j’estime que le principe de coopération respectueuse entre les tribunaux exposé dans la décision Always Travel est cohérent avec les directives données par la Cour suprême dans les arrêts Holt et Antwerp quant à l’importance de la courtoisie et de la coopération. Cependant, la décision Always Travel ne devrait pas être interprétée comme portant atteinte à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale dans le cadre de l’examen d’une requête en suspension des procédures ou à l’exigence de tenir compte des autres directives et facteurs énoncés dans l’arrêt Holt.

[33] Ainsi, je souscris à la position d’IMS selon laquelle il incombe à CMI, en tant que partie requérante demandant la suspension d’une procédure engagée devant la Cour fédérale, d’établir clairement qu’un autre tribunal est plus approprié (voir : RMI Marine, au para 86; Holt, au para 89). Toutefois, compte tenu de l’importance de la courtoisie et de la coopération entre les tribunaux, j’adhère également au raisonnement exposé dans la décision Always Travel, selon lequel il sera généralement difficile pour une partie défenderesse de s’opposer à une telle requête en l’absence d’arguments convaincants en rapport avec les facteurs identifiés dans l’arrêt Holt, en particulier lorsqu’une cour supérieure provinciale sollicite l’aide et la reconnaissance de tout tribunal au Canada pour mettre à exécution l’ordonnance.

(2) Application des principes

[34] À la lumière de ce contexte jurisprudentiel, j’examinerai les arguments des parties quant à la manière dont les principes pertinents devraient être appliqués en l’espèce.

[35] Tout d’abord, je note qu’il s’agit clairement d’un cas où une cour supérieure provinciale a émis des demandes d’aide et de reconnaissance de ses ordonnances, comme le montrent les ordonnances déjà mentionnées dans les présents motifs et, en particulier, l’ordonnance pour le PVSI qui régit la procédure de vente à l’appui de laquelle CFI demande la suspension des procédures. Il s’agit d’un facteur important, complété par des considérations de politique générale liées à l’objet de la LACC (voir RMI Marine, au para 86). Comme le soutient CFI, la LACC est une loi corrective générale conçue pour faciliter la restructuration des compagnies débitrices dans l’intérêt de la société, de ses créanciers et du public (voir, par exemple, Century Services Inc. c Canada (Procureur général), 2010 CSC 60 au para 18).

[36] CFI soutient que le PVSI, qui est supervisé par la SCNFLBI, représente un moyen de réaliser une vente ordonnée des actifs de CFI dans l’intérêt général des créanciers et des parties prenantes. CFI fait valoir qu’un pareil processus ne peut pas se dérouler de manière efficace dans des tribunaux distincts traitant de multiples actions engagées par différents créanciers et des requêtes redondantes. Je reconnais le bien‑fondé de ces arguments et leur accorde un certain poids en tant que considérations de politique générale pertinentes.

[37] D’autre part, IMS affirme qu’elle subira un préjudice si elle n’est pas autorisée à faire valoir sa requête en jugement et satisfaction par la vente du navire dans le cadre de l’action réelle engagée devant la Cour fédérale. À l’appui de cette position, IMS fait valoir qu’en plus d’avoir un droit réel en vertu de l’alinéa 22(2)m) de la Loi, elle bénéficie d’un privilège maritime en vertu du paragraphe 139(2) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6 [LRMM], qui confère ce statut aux créances résultant de la fourniture à un bâtiment étranger de marchandises, de matériaux ou de services (au sens de l’article 2 de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, LC 2001, c 26). Comme indiqué précédemment, je constate qu’il n’est pas contesté que la barge n’est pas immatriculée au Canada et qu’elle est donc un bâtiment étranger au sens du paragraphe 139(2).

[38] IMS estime qu’elle doit avoir la possibilité de recourir à la juridiction et aux procédures de la Cour fédérale pour obtenir le bénéfice accordé par le privilège maritime qu’elle revendique. Elle s’appuie également sur la compétence de la Cour fédérale d’utiliser les principes d’équité du droit maritime canadien afin de conférer le statut de privilège maritime à une créance qui n’en bénéficierait pas autrement. IMS se réfère à l’explication de ces principes d’équité dans la décision Nanaimo Harbour Link Corp v Abakhan & Associates Inc, 2007 BCSC 109 [Nanaimo], dans laquelle la Cour suprême de la Colombie‑Britannique [BCSC] a examiné une requête de créanciers maritimes qui visait à obtenir une ordonnance en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B‑3 [LFI], selon laquelle la suspension des procédures accordée ne s’appliquerait pas à la procédure qu’ils avaient engagée devant la Cour fédérale. Les créanciers ont affirmé que leurs créances bénéficiaient d’un statut garanti lié au privilège maritime ou qu’elles avaient droit à un statut équivalent en vertu des principes d’équité, et que la Cour fédérale avait compétence pour l’exécution de ces principes.

[39] Ces principes d’équité sont abordés aux paragraphes 21 et 22 de la décision Nanaimo, où il est expliqué que certains des créanciers maritimes avaient affirmé avoir droit à un statut spécial dans le cadre de la procédure devant la Cour fédérale, au motif qu’ils ont fourni de la main‑d’œuvre et des matériaux au navire. Les demandeurs ont fait valoir que la valeur du navire avait été augmentée de telle sorte qu’il serait inéquitable que le créancier hypothécaire s’enrichisse de cette valeur augmentée sans en faire bénéficier les fournisseurs. La Cour suprême de la Colombie‑Britannique a finalement accueilli la demande des créanciers, en concluant qu’ils devaient avoir la possibilité de réclamer un privilège maritime ou un statut équivalent, et que le classement des priorités et la preuve des créances maritimes étaient des questions qu’il appartenait à la Cour fédérale de trancher, conformément aux principes du droit maritime canadien (au para 53).

[40] En l’espèce, IMS fait également valoir que les services qu’elle a fournis à la barge ont permis d’accroître sa valeur et que cette valeur accrue sera obtenue advenant la vente de la barge. Ainsi, au cas où elle ne parviendrait pas à faire valoir son droit au privilège maritime en vertu du paragraphe 139(2) de la LRMM, elle cherchera à obtenir un statut équivalent par le truchement d’un ajustement équitable des priorités, conformément aux principes du droit maritime canadien.

[41] CFI conteste le droit d’IMS à bénéficier du privilège maritime. En effet, comme elle l’a fait valoir dans ses observations sur la question subsidiaire présentée avec sa requête, CFI estime qu’IMS ne peut pas être considérée comme un fournisseur d’approvisionnements nécessaires titulaire d’un droit réel au sens de l’alinéa 22(2)m) de la Loi. Toutefois, la Cour n’a pas à se prononcer sur ces différends aux fins de la présente question, qui est de savoir s’il y a lieu d’accorder la suspension des procédures demandée. Il est important de noter que CFI reconnaît qu’IMS a le droit de faire valoir sa demande (y compris sa demande de privilège maritime ou de statut prioritaire équivalent) dans le cadre de la procédure engagée en vertu de la LACC à l’égard du produit de la vente qui résultera du PVSI. CFI reconnaît également qu’en tant que cour supérieure dotée d’une compétence inhérente et d’une compétence concurrente en matière de droit maritime canadien, la SCNFLBI serait en mesure de statuer sur les créances d’IMS et ses arguments relatifs au statut prioritaire qui y sont associés.

[42] IMS fait valoir que, comme la Cour fédérale a l’expérience pour statuer des créances maritimes et de l’application des principes du droit maritime qu’elle souhaite invoquer, elle ne devrait pas être privée de la possibilité de faire valoir sa demande devant la Cour. Je comprends également qu’elle exprime des doutes quant à sa capacité à invoquer ces principes de droit maritime dans le cadre d’une procédure engagée en vertu de la LACC devant la SCNFLBI. Cependant, IMS n’a fourni aucune jurisprudence ni aucun argument convaincant pour appuyer cette position. Je ne relève aucun élément permettant de conclure que la SCNFLBI n’a pas compétence pour statuer sur les réclamations d’IMS, ou que les principes fondamentaux du droit maritime canadien ou leur application par la SCNFLBI seraient différents de ce à quoi IMS serait confrontée devant la Cour fédérale.

[43] Il ne fait aucun doute que si la suspension des procédures demandée devait priver IMS d’un avantage juridique dont elle disposerait devant la Cour fédérale mais pas devant la SCNFLBI, il s’agirait d’un facteur important défavorable à l’octroi du sursis. Cette considération constituait un facteur important sous‑tendant le raisonnement des juges dans l’arrêt Holt (aux para 46‑50). Comme expliqué plus haut dans les présents motifs, l’intimée dans l’affaire Holt jouissait d’un avantage juridique devant la Cour fédérale qui aurait été compromis si la procédure engagée devant la Cour fédérale devait être suspendue par déférence pour le tribunal belge de la faillite, car le droit belge n’aurait pas reconnu le privilège maritime des demandeurs, applicable en vertu du droit américain. En revanche, il n’y a en l’espèce aucun avantage juridique manifeste dont bénéficierait IMS devant la Cour fédérale qui ne lui serait pas également possible d’obtenir devant la SCNFLBI.

[44] Avant de conclure au sujet de ces arguments formulés par IMS, je dois également faire remarquer que l’issue de l’affaire Nanaimo dépendait en grande partie du fait que la procédure engagée devant la cour supérieure provinciale était, dans cette affaire, conduite en vertu de la LFI. Comme l’a fait remarquer la BCSC au paragraphe 10 de la décision, le paragraphe 136(1) de la LFI exclut les créanciers garantis du plan de répartition des actifs d’un failli prévu par la loi. S’appuyant sur cette disposition et sur son application dans l’affaire Holt, la BCSC a évalué les créances du demandeur au titre du privilège maritime ou d’un statut comparable comme des créances garanties pouvant être adjugées en dehors de la faillite (Nanaimo, aux para 10‑19, 53). Toutefois, comme le fait valoir CFI, l’affaire Nanaimo se distingue de l’espèce, qui implique une procédure engagée non pas en vertu de la LFI, mais en vertu de la LACC. Vraisemblablement parce que son objet est de faciliter la restructuration des entreprises insolvables plutôt que de distribuer leurs actifs, la LACC ne contient aucune disposition comparable à l’article 136 de la LFI.

[45] J’ai également examiné d’autres arguments avancés par IMS en opposition avec la suspension demandée. Elle soutient notamment que CFI se présente devant la Cour sans avoir [traduction] « les mains nettes » et qu’elle ne devrait donc pas se voir accorder la dispense qu’elle demande. Bien qu’IMS n’ait pas cité de jurisprudence pouvant étayer sa position, j’admets qu’il est possible que le fait de se présenter devant la Cour sans avoir les mains nettes est susceptible d’être déterminant quant à la volonté de celle‑ci à accorder le type de recours discrétionnaire que représente une suspension demandée en vertu du paragraphe 50(1) de la Loi.

[46] À l’appui de cet argument, IMS invoque le fait que CFI n’a déposé aucun mémoire en défense au cours des sept mois qui se sont écoulés depuis que l’action intentée par IMS devant la Cour fédérale a débuté, mais qu’elle a par la suite déposé ce qu’IMS qualifie de « requête en suspension de dernière minute » avec un court préavis à IMS, dans le but de préparer la vente imminente des actifs de CFI. IMS fait également valoir qu’avant la fin du mois d’août 2022, le contrôleur et CFI n’avaient pas inscrit l’avocate d’IMS sur la liste de signification des requêtes dans le cadre de la procédure engagée en vertu de la LACC. IMS soutient que ces circonstances lui ont causé préjudice, notamment en lien avec les frais de justice qu’elle a dû engager pour répondre à la présente requête et le préjudice irréparable qu’elle subira si la mainlevée de la saisie de la barge est accordée.

[47] En ce qui concerne l’état d’avancement de la procédure et le fait que CFI n’a pas déposé de mémoire de défense, CFI fait valoir la suspension de toutes les autres procédures imposée par les ordonnances de la cour supérieure provinciale. Bien entendu, conformément au raisonnement suivi dans la décision Always Travel, il est nécessaire à CFI de se voir accorder par la Cour fédérale l’ordonnance discrétionnaire demandée en l’espèce afin de mettre en œuvre cette suspension dans le cadre de la présente instance. Cependant, dans ce contexte, je ne vois aucune raison de conclure que son défaut de déposer un mémoire de défense dans le cadre de la présente instance constitue une faute quelconque.

[48] Ainsi, CFI affirme que le fait que l’avancement de la procédure n’en soit encore qu’à la signification de la demande introductive d’instance et à la saisie de la barge permet à la Cour d’accorder la suspension. Cette position est conforme au raisonnement suivi dans l’arrêt Holt, dans lequel la décision du juge MacKay de ne pas suspendre la procédure engagée devant la Cour fédérale reposait en partie sur le fait que celle‑ci avait déjà progressé jusqu’à la délivrance d’une ordonnance d’évaluation et de vente du «Brussel».

[49] En ce qui concerne le moment du dépôt de la présente requête, l’avis de CMI a été déposé le 2 août 2022. Bien qu’elle n’ait pas signifié et déposé le reste des documents du dossier de requête avant le mardi 20 septembre 2022, la date pour le dépôt par IMS des documents en réponse a été fixée au lundi 26 septembre 2022, et la date de l’audience de la requête a été fixée au mercredi 28 septembre 2022 par la Cour, lors d’une conférence de gestion de l’instance tenue le 22 septembre 2022, après une consultation des avocats des parties. IMS n’a pas avancé d’argument convaincant à propos du fait que le moment choisi pour déposer la présente requête était inopportun, ou qu’elle n’avait pas eu suffisamment de temps pour préparer sa réponse. À mon avis, IMS n’a pas établi que l’approche adoptée par CFI dans ce litige démontrait que cette dernière n’avait pas « les mains nettes ».

[50] Enfin, pour ce qui est des considérations de politique générale, IMS avance que si la suspension des procédures demandée est accordée, cela pourrait entraîner une perte de confiance de la part de l’industrie maritime, qui s’appuie sur la compétence et les processus de la Cour fédérale en matière de droit réel. À mon avis, cet argument doit être considéré à la lumière de l’analyse des arguments d’IMS exposée ci‑dessus et concernant la perte de l’avantage juridique qu’elle envisage de devoir subir à la suite d’une suspension. Puisque je n’ai relevé aucun élément permettant de conclure qu’IMS ne serait pas en mesure de faire valoir ses créances et ses arguments relatifs au statut prioritaire auquel elle prétend devant la SCNFLBI, dans le cadre de la procédure engagée en vertu de la LACC, je n’accorde que peu de poids à l’argument d’IMS relatif aux considérations de politique générale.

(3) Conclusion quant à la requête en sursis

[51] En me fondant sur l’analyse détaillée ci‑dessus, je suis convaincu que CFI a clairement établi que la SCNFLBI est un tribunal plus approprié pour la procédure engagée devant en vertu de la LACC, plutôt que la présente procédure pour le règlement des créances à l’encontre de la Barge. Je prononce donc la suspension de la présente procédure.

[52] Lors de l’audience tenue en l’espèce, les avocats de CMI ont expliqué qu’il était prévu que la suspension de la procédure engagée en vertu de la LACC, dont il est pour le moment admis qu’elle doit expirer le 17 octobre 2022, soit prolongée, et ce, potentiellement jusqu’au mois de février 2023, afin de donner le temps aux processus à suivre en vertu de la LACC d’être conclus. La Cour ne dispose d’aucune preuve concernant une prolongation de la suspension de la procédure engagée en vertu de la LACC, ni de sa durée probable. Toutefois, j’adhère à la logique soutenant les observations de CMI, selon lesquelles la durée de la suspension de la procédure engagée devant la Cour fédérale, à la lumière des circonstances actuelles, devrait être cohérente avec celle de la procédure engagée en vertu de la LACC. C’est ce que mon ordonnance prévoit. Toutefois, elle permettra également à la demanderesse de faire valoir son droit de demander la levée de la suspension de la procédure plus tôt que prévu, en cas de changement important de la situation.

(4) Mainlevée de la saisie de la barge

[53] Il découle de la décision de suspendre la procédure intentée par la demanderesse, et du raisonnement sous‑tendant cette décision, que la mainlevée de la saisie de la barge devrait être accordée pour faciliter sa vente avec d’autres actifs de CFI dans le cadre de la procédure engagée en vertu de la LACC. Je prends note de la position d’IMS, qui soutiens que si la Cour devait accéder à la requête de CFI, elle devrait alors ordonner que CFI verse une caution pour la mainlevée de la saisie de la barge. Toutefois, le raisonnement exposé ci‑dessus et sous‑tendant la décision de la Cour d’accorder la suspension repose essentiellement sur la capacité d’IMS à faire valoir sa créance à l’égard du produit de la vente de la barge, qui serait réalisée dans le cadre de la procédure engagée en vertu de la LACC. Étant donné que CFI a convaincu la Cour qu’une suspension des procédures était justifiée, je ne considère pas qu’il soit approprié de lui imposer aussi le paiement d’une caution pour obtenir la mainlevée de la saisie de la barge.

[54] Avant de clore le sujet de la mainlevée de la saisie de la barge, j’aborderai brièvement l’importance que revêt le caveat déposé par le capitaine Spellacy. Au cours de l’audience tenue dans le cadre de la présente requête, un différend est survenu entre les avocats au sujet de la portée de la requête par rapport au caveat. L’avocate d’IMS s’est opposée aux observations des avocats de CFI concernant le caveat, estimant que l’avis de requête de CFI était muet à ce sujet. CFI a répondu à l’objection en indiquant que le caveat n’avait été déposé que le 2 septembre 2022, soit un mois après le dépôt de l’avis de requête, mais que CFI abordait la question du caveat dans ses observations écrites ultérieures, déposées à l’appui de la requête, et qu’elle demandait un redressement à cet égard.

[55] Un examen plus approfondi des positions adoptées par les parties sur l’objection m’a permis de constater que la préoccupation d’IMS concernait la possibilité que CFI cherche à faire radier ou rejeter le caveat, par le biais d’arguments semblables à ceux avancés dans le cadre de l’action d’IMS relative à la deuxième question, subsidiaire, traitée en l’espèce. Bien que les preuves sur lesquelles IMS s’appuie en l’espèce aient été fournies dans une déclaration sous serment faite par son directeur, le capitaine Spellacy, l’avocate d’IMS a expliqué que ces preuves ne se rapportaient pas à la demande personnelle du capitaine Spellacy à l’appui de laquelle le caveat avait été déposé. En effet, la Cour ne dispose que de très peu d’informations sur cette demande, si ce n’est qu’elle a été décrite comme une demande de salaire de capitaine.

[56] Toutefois, l’avocate d’IMS a affirmé qu’elle concédait que, selon les principes du droit, si la Cour décidait de suspendre l’action engagée par IMS, cette suspension s’appliquerait à tout caveat déposé dans le cadre de cette action. L’un des avocats de CFI a précisé à son tour qu’il n’avait pas l’intention de présenter des arguments semblables à ceux avancés pour la question subsidiaire, dans le but d’obtenir la radiation du caveat. Au contraire, il a affirmé que les arguments de CFI relatifs au caveat avaient été avancés uniquement pour répondre à la première question. CFI défend la position selon laquelle les principes et les analyses à l’appui de sa requête en suspension de la demande de la demanderesse s’appliquent également au caveat.

[57] Ainsi, les parties semblent s’accorder sur le fait qu’une décision en faveur de la suspension de la procédure doit inclure l’application de cette suspension au caveat déposé dans le cadre de cette même procédure. Le caveat ne constitue donc pas un obstacle à ce que la Cour ordonne la mainlevée de la saisie de la barge. Indépendamment de cet accord entre les parties, je ne vois aucune raison de conclure que l’analyse de la Cour, laquelle sous‑tend sa conclusion selon laquelle la SCNFLBI est un tribunal plus approprié pour traiter des créances d’IMS, ne s’appliquerait pas également à la demande sous‑jacente au dépôt du caveat.

[58] Enfin, j’ajoute que lors de l’audience, j’ai considéré avec les avocats de CMI la question soulevée par l’avocate d’IMS, à savoir qu’une fois la mainlevée de la saisie de la barge accordée, il ne lui sera pas interdit de quitter le territoire. Alors que l’ordonnance pour le PVSI prévoit la clôture de la vente des actifs de CFI, y compris la barge, pour le début ou la mi‑octobre, la vente n’a quant à elle pas encore été approuvée. Cependant, je comprends les observations de CFI selon lesquelles GT continue de travailler à la vente de l’entreprise dans le cadre de son mandat et que, comme les parties en conviennent, la barge constitue un actif essentiel des activités de l’entreprise. Je suis convaincu qu’il ne s’agit pas d’un cas présentant un risque manifeste que la barge quitte le territoire de façon inopportune.

B. À titre subsidiaire, est‑ce que la procédure d’IMS doit être radiée en vertu de l’article 221 des Règles au motif que les services prétendument fournis à CFI par IMS ne relèvent pas de l’alinéa 22(2)m) de la Loi et ne relèvent donc pas de la compétence de la Cour fédérale en matière de droit réel?

[59] Étant donné que j’ai décidé d’accorder la suspension des procédures demandée en réponse à la première question à trancher en l’espèce, et que la deuxième question est soulevée à titre subsidiaire, je ne me prononcerai pas sur la deuxième question.

V. Dépens

[60] Les parties conviennent que les dépens devraient être octroyés à la partie obtenant gain de cause en l’espèce. Lors de l’audience, la Cour a donné aux avocats la possibilité de se mettre d’accord sur un montant forfaitaire pour les dépens. Bien qu’ils n’aient pas pu s’entendre, les avocats de CFI ont proposé un montant de 3 500 $, et l’avocate d’IMS n’a présenté aucun argument convaincant pour s’opposer à cette proposition. Comme l’ont relevé les avocats de CFI, j’ai accordé à la partie gagnante des dépens d’un montant forfaitaire de 3 500 $ pour une requête quelque peu similaire dans l’affaire RMI Marine. J’estime que ce montant est approprié en l’espèce, et ce que mon ordonnance prévoit.


ORDONNANCE CORRIGÉE DANS T‑279‑22

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La procédure engagée par la demanderesse est suspendue jusqu’au 17 octobre 2022, ou jusqu’à toute date ultérieure jusqu’à laquelle la suspension prononcée par la Cour suprême de Terre‑Neuve‑et‑Labrador pour motif de faillite et d’insolvabilité pourrait être prolongée.

  2. La demanderesse est autorisée à demander que la suspension de son action soit levée plus tôt en cas de changement important des circonstances.

  3. La mainlevée de la saisie du navire de la défenderesse est accordée.

  4. La demanderesse paiera à la défenderesse, Canada Fluorspar (T.‑N.‑L.) Inc., les dépens inhérents à la présente requête pour un montant total de 3 500 $.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑279‑22

INTITULÉ :

INAMINKA MARINE SERVICES LIMITED c CANADA FLUORSPAR (T.‑N.‑L.) INC., et LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LA BARGE H‑404

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 28 septembre 2022

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

Le 5 octobre 2022

COMPARUTIONS :

Deborah L. J. Hutchings

Pour la DEMANDERESSE

William T. Cahill et Allison Philpott

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MacNab Fagan & Murphy

St. John’s (Terre‑Neuve)

Pour la DEMANDERESSE

Cox & Palmer

St. John’s (Terre‑Neuve)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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