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Date : 20221003


Dossier : IMM-4226-20

Référence : 2022 CF 1368

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 octobre 2022

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

HAIMINDRA HARRIPERSAUD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Haimindra Harripersaud, sollicite le contrôle judiciaire de la décision, datée du 12 juin 2020, par laquelle un agent principal [l’agent] a refusé sa demande de résidence permanente, présentée sur le fondement de considérations d’ordre humanitaire au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2] M. Harripersaud est un citoyen du Guyana qui est arrivé au Canada à titre de visiteur en août 2017. Il a présenté sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en décembre 2018, invoquant son établissement, ses liens familiaux au Canada, l’intérêt supérieur des enfants, les difficultés liées au manque de soutien et de services en santé mentale ainsi que les conditions défavorables dans son pays d’origine. L’agent a conclu qu’il n’était pas justifié de lui accorder une dispense pour considérations d’ordre humanitaire.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée. La Cour ne relève, dans l’évaluation de la preuve faite par l’agent ou dans la façon dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire, aucun manquement à l’équité procédurale ni aucune erreur qui rendrait la décision déraisonnable.

[4] M. Harripersaud examine minutieusement la décision et soutient que l’agent a commis de nombreuses erreurs, mais, en réalité, les considérations d’ordre humanitaire invoquées et la preuve fournie à l’appui n’étaient tout simplement pas suffisantes pour justifier la dispense demandée. Dans Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], la Cour suprême du Canada a souligné que l’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés, mais cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense, ajoutant que la procédure fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’est pas censée constituer un régime d’immigration parallèle. Le désir de M. Harripersaud de demeurer avec certains des membres de sa famille au Canada est compréhensible, mais ses observations semblent indiquer qu’il s’appuie sur cette procédure comme solution de rechange à d’autres moyens possibles pour immigrer au Canada auxquels il a choisi de ne plus recourir.

I. Contexte

[5] M. Harripersaud raconte que son épouse et son fils en bas âge l’ont quitté en janvier 2016, qu’il a ensuite commencé à boire excessivement et qu’il croyait qu’il était [traduction] « au bord de la dépression ».

[6] En août 2017, M. Harripersaud est entré au Canada muni d’un visa de résident temporaire pour rendre visite à sa sœur, qui est citoyenne canadienne. Son visa a été prolongé à plusieurs reprises. Il vit toujours avec sa sœur et sa famille. Depuis son arrivée au Canada, une autre sœur est devenue résidente permanente du Canada (en 2019), et sa mère est entrée au Canada à titre de visiteuse.

[7] M. Harripersaud raconte que sa santé mentale s’est améliorée depuis qu’il est arrivé au Canada et qu’il vit avec sa famille.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[8] L’agent a souligné que, pour étayer sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, M. Harripersaud a souligné les éléments suivants : son établissement au Canada, notamment le fait qu’il vit avec sa sœur et sa famille, qui sont des citoyens; l’intérêt supérieur de son neveu âgé de 10 ans; les difficultés auxquelles il ferait face en raison des conditions défavorables au Guyana, dont les niveaux élevés de criminalité et de violence, la pauvreté et le chômage et le manque de services en santé mentale; le manque de liens avec le Guyana; sa dépendance à l’alcool causée par les difficultés qu’il doit surmonter lorsqu’il vit au Guyana.

[9] L’agent a fait remarquer que M. Harripersaud n’a pas travaillé au Canada, qu’il bénéficie du soutien financier de sa sœur et qu’il a présenté peu d’éléments de preuve d’engagement communautaire, de formation continue ou d’intégration importante à la société canadienne.

[10] L’agent a reconnu que le retour de M. Harripersaud au Guyana pour présenter une demande de résidence permanente serait émotionnellement difficile, mais il a conclu que cela n’occasionnerait pas une rupture de ses liens avec les membres de sa famille immédiate au Canada. Il a pris acte de la relation étroite entre M. Harripersaud et ses sœurs ainsi qu’avec sa mère, qui pourrait avoir l’intention de demander le statut de résident permanent au Canada. L’agent a conclu que la communication par divers moyens et les visites pouvaient compenser en partie les conséquences de la séparation physique d’avec sa famille.

[11] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants touchés par la décision, l’agent a reconnu que M. Harripersaud entretenait une relation étroite avec son neveu et que la séparation pourrait être difficile pour les deux, mais qu’ils pourraient continuer à communiquer grâce à la technologie et à l’occasion de visites. L’agent a également souligné que M. Harripersaud n’est pas le principal aidant naturel de son neveu, qui vit avec ses deux parents.

[12] L’agent a également tenu compte de l’intérêt supérieur du propre fils de M. Harripersaud au Guyana, soulignant l’absence de preuve indiquant qu’il ne pouvait pas faire partie de la vie de son fils et le fait qu’il est habituellement dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’avoir deux parents dans sa vie.

[13] En ce qui concerne les risques et les conditions défavorables au Guyana, l’agent a pris acte du taux de criminalité élevé au Guyana, mais il a également souligné qu’il s’agissait d’un pays démocratique, pourvu de lois bien établies et d’une magistrature fonctionnelle. L’agent a fait remarquer que M. Harripersaud n’a pas mentionné s’être heurté à des problèmes de criminalité ou de violence au Guyana.

[14] En ce qui concerne la prétention de M. Harripersaud selon laquelle il subirait les contrecoups de la pauvreté et du chômage, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas de preuve suffisante de son incapacité à se réinstaller au Guyana, soulignant qu’il avait vécu dans le plus grand centre urbain du Guyana pendant 35 ans, qu’il y avait fréquenté l’école, qu’il y avait occupé un emploi et qu’il parlait anglais. L’agent a également fait remarquer que M. Harripersaud n’avait pas démontré avoir déjà été au chômage ou sans revenu et a ajouté que sa famille au Canada avait offert de le soutenir financièrement.

[15] L’agent a examiné la prétention de M. Harripersaud selon laquelle il éprouverait des difficultés advenant son retour en raison du manque de soutien et de traitements pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. L’agent a reconnu que M. Harripersaud a raconté qu’il s’était tourné vers l’alcool après que son épouse et son fils l’eurent quitté. Toutefois, l’agent a conclu que [traduction] « sans diagnostic clinique ou avis d’expert d’un professionnel qualifié […] [il n’était] pas en mesure de conclure que le demandeur souffrait de dépression clinique, de toxicomanie ou de tout autre trouble de santé mentale pouvant être diagnostiqué ». L’agent n’a pas non plus été en mesure de conclure que M. Harripersaud [traduction] « devait ou doit actuellement recevoir un traitement (pharmacologique ou psychothérapeutique) pour un trouble de santé mentale ».

[16] L’agent a ensuite pris acte de la preuve documentaire et a conclu que des services et des traitements en santé mentale sont accessibles au Guyana, reconnaissant par ailleurs qu’ils ne sont peut-être pas « équivalents » à ceux offerts au Canada.

[17] Globalement, l’agent n’était pas convaincu, après avoir examiné toutes les observations et tous les documents, qu’une dispense pour considérations d’ordre humanitaire était justifiée. Il a reconnu que M. Harripersaud a deux sœurs et une famille élargie au Canada et que son départ pourrait être difficile sur le plan émotionnel. Il a soupesé ces liens familiaux par rapport à la faible intégration de M. Harripersaud, au manque de stabilité financière et au fait qu’il n’était au Canada que depuis 2017. L’agent n’était pas convaincu que M. Harripersaud éprouverait de grandes difficultés à s’établir de nouveau au Guyana.

III. Les observations du demandeur

[18] M. Harripersaud soutient que l’agent a manqué à l’équité procédurale en s’appuyant sur des éléments de preuve extrinsèques qui n’avaient pas été divulgués.

[19] M. Harripersaud prétend en outre que la décision est déraisonnable.

[20] Premièrement, M. Harripersaud affirme que l’agent a commis une erreur dans l’évaluation des difficultés découlant de sa santé mentale et de l’absence de services en santé mentale parce qu’il n’avait pas reçu de diagnostic professionnel.

[21] Deuxièmement, M. Harripersaud prétend que l’agent a commis une erreur en supposant qu’il a probablement un réseau de soutien social au Guyana, bien qu’il ait affirmé que peu de membres de sa famille y habitent et qu’il a une vie de reclus.

[22] Troisièmement, M. Harripersaud déclare que l’agent a commis une erreur en se concentrant sur les difficultés qu’il éprouverait à son retour au Guyana plutôt que sur d’autres considérations d’ordre humanitaire pertinentes, en particulier ses liens familiaux au Canada. Il ajoute que l’agent n’a pas tenu compte de la nature de sa relation (unique) avec sa sœur, qui surveille son alcoolisme et lui fournit un soutien en santé mentale.

[23] Quatrièmement, M. Harripersaud soutient que l’agent a commis une erreur en n’évaluant pas la mesure dans laquelle le risque généralisé de criminalité et de violence au Guyana constituerait une difficulté. Il fait en outre valoir que l’agent a commis une erreur en effectuant une analyse de la protection de l’État.

IV. Observations du défendeur

[24] Le défendeur soutient que l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale qui lui incombait en citant un article de presse sur l’existence de services en santé mentale. Selon le défendeur, l’article n’est pas une preuve extrinsèque, car il s’agit d’un article du domaine public, facilement accessible, et l’information qui y figure n’est ni inédite ni importante. Le défendeur ajoute que M. Harripersaud n’a pas expliqué en quoi l’examen de cette information par l’agent lui a causé préjudice.

[25] Le défendeur affirme en outre que la conclusion de l’agent selon laquelle la preuve était insuffisante pour conclure que M. Harripersaud souffrait de toxicomanie ou de tout autre problème de santé mentale est déterminante. La mention par l’agent de l’existence de services en santé mentale, et de traitements au besoin, constitue une conclusion secondaire et n’est pas déterminante.

[26] Selon le défendeur, M. Harripersaud conteste l’évaluation de la preuve faite par l’agent et demande que la preuve soit soupesée de nouveau, ce qui n’est pas le rôle de la Cour. Le défendeur soutient que la décision est raisonnable, car la décision de l’agent est transparente, intelligible et justifiée au regard des faits et du droit.

V. Questions en litige et norme de contrôle

A. Questions en litige

[27] Voici les questions en litige que la Cour doit trancher :

  • L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale qui lui incombait en l’espèce en se reportant à des articles de presse publiés en ligne?
  • La décision est-elle raisonnable? Cela suppose un examen des arguments de M. Harripersaud.

B. Norme de contrôle

[28] Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, la Cour doit se demander si la procédure suivie par le décideur était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54]. Lorsqu’un juge estime qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, il n’a pas à faire preuve de déférence envers le décideur.

[29] Les décisions relatives à des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, qui sont des décisions discrétionnaires, doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable [Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 57‑62, 174 DLR (4th) 193 [Baker]; Kanthasamy, au para 44].

[30] Dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑23 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a confirmé que le caractère raisonnable demeure la norme de contrôle applicable aux décisions discrétionnaires, et a fourni des directives détaillées aux tribunaux pour effectuer le contrôle.

[31] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux para 85, 102, 105‑107). La cour ne juge pas les motifs au regard d’une norme de perfection (Vavilov, au para 91).

[32] Au paragraphe 100 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a souligné qu’une décision devrait uniquement être infirmée lorsqu’elle « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que « [l]a cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable ».

C. Dispense pour considérations d’ordre humanitaire

[33] Il est utile de rappeler l’objet et la portée de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire ainsi que la jurisprudence qui guide la Cour dans l’évaluation du caractère raisonnable des décisions relatives à de telles demandes de dispense.

[34] Le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit que les critères et obligations de la Loi peuvent être levés si des considérations d’ordre humanitaire le justifient, « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». Comme on le verra, la jurisprudence confirme que la dispense est « exceptionnelle » [voir, par exemple, Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 265 au para 17 [Huang]].

[35] En l’espèce, la dispense, si elle est octroyée, permettrait à M. Harripersaud d’obtenir sa résidence permanente tout en restant au Canada plutôt que d’avoir à retourner au Guyana et de chercher à immigrer au Canada selon les critères d’admissibilité applicables.

[36] Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême du Canada a fourni des directives détaillées sur la façon dont le paragraphe 25(1) devrait être interprété et appliqué.

[37] La Cour suprême a souscrit à l’approche précédemment exposée dans Chirwa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970), 4 AIA 338 [Chirwa], selon laquelle les considérations d’ordre humanitaire s’entendent « des faits établis par la preuve, de nature à inciter [une personne] raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi ». Dans la décision Chirwa, la Commission d’appel de l’immigration a reconnu que cette définition « implique un certain élément de subjectivité », mais aussi qu’il doit aussi y avoir « des éléments de preuve objectifs pour que la mesure spéciale soit accordée » (Kanthasamy, au para 13, citant Chirwa à la p 363).

[38] La Cour suprême a expliqué, au paragraphe 23, que « [l]’obligation de quitter le Canada comporte inévitablement son lot de difficultés », mais que cette seule réalité ne saurait généralement justifier une dispense, et a ajouté que la procédure fondée sur des considérations d’ordre humanitaire n’est pas censée constituer un régime d’immigration parallèle.

[39] La Cour suprême a également expliqué que ce qui peut justifier l’octroi d’une dispense varie en fonction des faits et du contexte propres à chaque affaire. Les enseignements importants de la Cour dans l’arrêt Kanthasamy sont clairs : il faut éviter d’imposer un seuil de difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées et il faut « soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes » (au para 33; voir aussi le para 25) [souligné dans l’original].

[40] Dans la décision Huang, le juge en chef s’est penché sur ce qui est requis pour satisfaire au « critère » énoncé dans la décision Chirwa s’appliquant aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire, faisant observer ce qui suit au paragraphe 19 :

[19] L’article 25 a été adopté pour répondre aux situations dans lesquelles les conséquences d’une expulsion « affecterai[ent] plus certaines personnes que d’autres […], à cause de certaines circonstances » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 15 [non souligné dans l’original], citant les Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Politique de l’immigration, fascicule no 49, 1re sess., 30e lég., 23 septembre 1975, à la page 12. C’est donc dire que la personne qui demande la dispense exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’offre la LIPR doit faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada [souligné dans l’original].

[41] En ce qui concerne les circonstances qui peuvent justifier une dispense, le juge Roy a fait observer, au paragraphe 15 de Shackleford c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1313 [Shackleford], que la description faite dans la décision Chirwa, qui a été avalisée dans l’arrêt Kanthasamy, indique qu’il demeure pertinent d’examiner les difficultés et que le degré de gravité des malheurs du demandeur devrait être démontré.

[42] Dans la décision Shackleford, le juge Roy a expliqué en détail le principe selon lequel les dispenses pour considérations d’ordre humanitaire sont exceptionnelles, écrivant ceci au paragraphe 16 :

[16] […] Rien dans l’arrêt Kanthasamy ne laisse entendre que les demandes CH sont autre chose qu’exceptionnelles : la description contenue dans la décision Chirwa elle‑même, le fait que ces demandes ne se veulent pas un régime d’immigration de remplacement et que les difficultés associées au fait de quitter le Canada ne suffisent pas, tout cela indique clairement que les considérations CH doivent être suffisamment importantes pour se prévaloir du paragraphe 25(1). Il faut davantage qu’une affaire qui attire la sympathie.

[43] Au paragraphe 26 de Turovsci c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1369, le juge Roy s’est penché sur l’argument selon lequel le décideur qui réalise une analyse « sous l’angle des difficultés » pour trancher une question fondée sur des motifs d’ordre humanitaire commet une erreur :

[26] Certains semblent laisser entendre que le décideur qui réalise une analyse « sous l’angle des difficultés » ou « centrée sur les difficultés » commet une erreur susceptible de contrôle. En fait, la Cour désapprouve le fait que les agents d’immigration examinent uniquement les motifs d’ordre humanitaire sous l’angle des trois adjectifs à chacun desquels s’applique un seuil élevé, et appliquent la notion de « difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées » d’une manière qui restreint leur faculté d’examiner et de soupeser toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes dans une affaire en particulier.

[44] Les principes clés de la jurisprudence qui a suivi la publication de l’arrêt Kanthasamy peuvent être résumés comme suit :

  • La dispense pour considérations d’ordre humanitaire est une mesure discrétionnaire et exceptionnelle;

  • Les cours de révision ne doivent pas substituer leur pouvoir discrétionnaire à celui de l’agent;

  • Bien que les difficultés excessives, injustifiées et démesurées ne soient pas le critère auquel il faut satisfaire, les difficultés demeurent un facteur pertinent;

  • Un certain degré de difficultés est une conséquence normale du renvoi, et le type de difficultés ne justifie pas, en soi, l’octroi d’une dispense;

  • Les demandeurs doivent démontrer, à l’aide d’éléments de preuve suffisants, que les malheurs ou les difficultés auxquels ils seront exposés sont relativement plus importants que ceux auxquels font habituellement face les autres personnes qui présentent une demande de résidence permanente au Canada;

  • Tous les autres facteurs d’ordre humanitaire pertinents – pas seulement les difficultés – doivent être pris en considération et soupesés;

  • L’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur important, mais il n’est pas déterminant quant à l’issue d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.

VI. L’agent n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale

[45] M. Harripersaud soutient que l’article de 2019 du Kaieteur News, cité par l’agent, est une preuve extrinsèque qui aurait dû être divulguée. Il ajoute que cet article présente des éléments de preuve nouveaux et importants et qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il en ait eu connaissance, étant donné que l’article a été publié après la présentation de sa demande. Selon lui, cet article ne devrait pas l’emporter sur la preuve objective qu’il a présentée au sujet de l’état des services en santé mentale.

[46] M. Harripersaud qualifie également de preuve extrinsèque l’extrait d’une publication de l’American Psychiatric Association [APA], où l’on souligne la distinction entre la dépression et la tristesse, auquel l’agent a renvoyé. De plus, il soutient que l’agent a commis une erreur en ne reconnaissant pas que ses symptômes correspondent à la description de la dépression faite par l’APA.

[47] L’argument de M. Harripersaud selon lequel l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques pour conclure que des services en santé mentale existent au Guyana ne tient pas compte de plusieurs facteurs. Premièrement, la conclusion de l’agent n’est pas déterminante. Deuxièmement, l’article du Kaieteur News indique seulement que des services en santé mentale sont disponibles au Guyana, y compris à Georgetown, et que les personnes qui se sentent déprimées peuvent demander de l’aide aux centres de santé. Troisièmement, ces renseignements concordent avec ceux qui figurent dans les articles présentés par M. Harripersaud et qui font également état d’initiatives récentes en matière de santé mentale.

[48] La principale conclusion de l’agent à l’égard de la prétention de M. Harripersaud selon laquelle il éprouverait des difficultés en raison du manque de services en santé mentale au Guyana est que M. Harripersaud n’a pas reçu de diagnostic de dépression ou de toxicomanie. L’agent a expliqué qu’en l’absence d’un diagnostic, aucune conclusion ne pouvait être tirée quant à la nécessité de traiter un problème de santé mentale. Par conséquent, la question de savoir si des services en santé mentale offerts au Guyana sont limités ou abondants est une question secondaire.

[49] Quoi qu’il en soit, l’agent a clairement déclaré que la preuve documentaire présentée par M. Harripersaud ainsi que l’article du Kaieteur News ont été examinés. La conclusion de l’agent selon laquelle des services en santé mentale seraient accessibles au besoin est étayée par la preuve documentaire de M. Harripersaud et l’article du Kaieteur News.

[50] Il existe une jurisprudence abondante sur la question de savoir si le fait qu’un décideur invoque ou fasse référence à des éléments de preuve non fournis par le demandeur – et qui n’ont pas été expressément communiqués à ce dernier – constitue un manquement à l’équité procédurale. La jurisprudence a évolué dans une certaine mesure au fil des ans, particulièrement en raison de la disponibilité accrue de l’information en ligne.

[51] Dans Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 CF 461, 1998 CanLII 9066 [Mancia], la Cour d’appel fédérale a expliqué au paragraphe 22 ce qui suit :

[…] [L]orsque l’agent d’immigration entend se fonder sur une preuve qui ne se trouve normalement pas dans les centres de documentation, ou qui ne pouvait pas y être consultée au moment du dépôt des observations du demandeur, l’équité exige que le demandeur soit informé de toute information inédite et importante faisant état d’un changement survenu dans la situation générale d’un pays si ce changement risque d’avoir une incidence sur l’issue du dossier.

[52] Dans De Vazquez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 530 [De Vazquez], le juge de Montigny a précisé, au paragraphe 28, l’arrêt Mancia en soulignant que l’accent devrait être mis sur l’information contenue dans le document plutôt que sur le document lui-même.

[53] Dans Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 904 [Joseph], le juge Brown a expliqué, aux paragraphes 38 et 39, que l’on pouvait dégager de la jurisprudence deux « critères » ou approches pour déterminer ce qui constitue une preuve extrinsèque. L’un des critères consiste à se demander si la preuve était suffisamment connue des demandeurs ou si ceux‑ci pouvaient y avoir « raisonnablement accès ». L’autre critère porte sur la question de savoir si l’information est inédite et importante et si le demandeur ne pouvait pas « raisonnablement s’attendre » à cette information; dans l’affirmative, elle doit faire l’objet d’une divulgation.

[54] Au paragraphe 64 de Bradshaw c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 632 [Bradshaw], j’ai fait remarquer que, bien que l’approche fondée sur l’information « inédite et importante » continue d’être suivie, la jurisprudence concernant le traitement de la preuve extrinsèque a évolué pour favoriser une approche plus contextuelle qui tient notamment compte de la nature de la décision et des répercussions possibles de la preuve sur la décision.

[55] Dans Sylvain-Pierre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 404 , le juge Mosley a également noté, au paragraphe 24, que l’approche avait été nuancée, mais que le critère relatif à l’information inédite et importante continuait d’être appliqué :

[24] Le critère de toute information « inédite » et « importante » dans la décision Mancia continue d’être appliqué. Voir, par exemple : Adefule c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1227 au para 19 et Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 471 au para 27. Dans la décision Ashiru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1313 aux para 47‑48, la juge Kane a souligné que, dans l’application récente du critère, les tribunaux ont adopté une approche plus contextuelle qui tient compte, notamment, de la nature de la décision et des répercussions possibles de la preuve sur la décision.

[56] M. Harripersaud invoque Vieira Sebastiao Melo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 544 [Sebastio Melo], pour faire valoir qu’aucun des critères établis dans la jurisprudence ne permettrait à un agent de se fonder sans aucune limite sur des renseignements non divulgués. Je suis d’accord, mais en l’espèce, l’agent ne s’est pas fondé uniquement sur les renseignements non divulgués.

[57] À mon avis, la décision Sebastio Melo n’établit pas de principes nouveaux ou des principes plus restrictifs pour déterminer ce qui constitue une preuve extrinsèque qui doit être divulguée. Dans cette décision, le juge Zinn a fait référence à bon nombre des mêmes affaires mentionnées ci-dessus, notamment Joseph, Bradshaw et De Vazquez.

[58] Au paragraphe 30 de la décision Sebastio Melo, le juge Zinn a déclaré, en ce qui concerne les renseignements en cause dans cette affaire, que « la question principale est de savoir [si les demandeurs] auraient pu raisonnablement s’attendre aux renseignements contenus dans les documents. Ce qui est pertinent à cet égard, c’est la nature des renseignements, leur source et les observations auxquelles ils répondent ».

[59] En ce qui concerne le renvoi à la publication de l’APA, l’extrait indique seulement qu’il y a une distinction entre la tristesse et la dépression. Il ne s’agit pas de renseignements inédits ou importants, et il s’agit probablement de connaissances courantes. De plus, contrairement à la prétention de M. Harripersaud, l’agent n’a pas commis d’erreur en n’examinant pas le récit qu’a fait M. Harripersaud de ses symptômes afin de déterminer s’il s’agissait d’une dépression, conformément à la description de l’APA. L’agent n’est pas un professionnel de la santé et l’essentiel que l’on peut tirer de l’information de l’APA est que la dépression nécessite un diagnostic clinique professionnel.

[60] L’article du Kaieteur News sur l’accessibilité des services en santé mentale n’est pas non plus une information inédite ou importante. L’article souligne que la dépression non traitée peut avoir de graves conséquences et qu’une fois qu’une maladie mentale est diagnostiquée, un traitement d’au moins six mois est requis. On y mentionne également que les personnes déprimées peuvent demander de l’aide aux centres de santé, notamment au centre de santé mentale de Georgetown et au service de psychiatrie de l’Hôpital public de Georgetown, où on peut trouver des travailleurs sociaux, des psychologues et des psychiatres.

[61] De plus, l’information contenue dans l’article du Kaieteur News ne contredit pas l’information présentée par M. Harripersaud. L’article que M. Harripersaud invoque, tiré du magazine Borgen publié en 2017, précise ceci : le Guyana a un taux de suicide élevé; la maladie mentale touche 25 % de la population; en 2008, il y avait un hôpital psychiatrique où travaillaient trois psychiatres à temps plein, ainsi que deux établissements de santé mentale externes; on accorde plus d’attention depuis quelque temps aux services en santé mentale et en prévention du suicide; de nouvelles initiatives ont été mises en place pour accroître la sensibilisation et combler les lacunes du système de soins en santé mentale.

[62] L’article cité par M. Harripersaud et publié en 2017 dans le Global Health Now fait état d’une entrevue avec un psychologue du service psychiatrique de l’hôpital public de Georgetown (le même établissement que celui qui est décrit dans le Kaieteur News). Tout en notant que l’hôpital est achalandé, le psychologue a mentionné que des ONG et des bénévoles travaillent à améliorer la santé mentale et que des services de counseling ont été mis en place pour combler les lacunes. De plus, l’article souligne que le plan d’action pour la santé mentale de 2015 et le plan national de prévention du suicide ont accordé la priorité aux ressources nécessaires à la formation des professionnels de la santé mentale. Les étudiants de la première cohorte d’un programme de quatre ans en psychologie devaient obtenir leurs diplômes en 2019.

[63] En l’espèce, ma conclusion – à savoir que l’article du Kaieteur News et l’extrait de la publication de l’APA ne constituent pas une preuve extrinsèque qui aurait dû être divulguée – serait la même peu importe que je suive la jurisprudence qui établit que la preuve extrinsèque devrait être divulguée si elle est « inédite et importante faisant état d’un changement survenu dans la situation générale d’un pays si ce changement risque d’avoir une incidence sur l’issue du dossier » ou la jurisprudence qui préconise une approche contextuelle plus large, qui comprend la prise en compte de la nature de la preuve et des répercussions possibles, ou que j’examine la question posée au paragraphe 30 de la décision Sebastio Melo. En l’espèce, l’information n’était pas inédite et importante et ne faisait pas état de changements survenus dans la situation générale du pays qui pourraient avoir une incidence sur la décision. Comme je l’ai déjà mentionné, la conclusion de l’agent concernant l’accès possible à des traitements en santé mentale, au besoin, était fondée sur tous les renseignements mentionnés et n’était pas déterminante pour la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. L’information contenue dans le Kaieteur News, qui faisait état de la disponibilité de psychologues et de psychiatres à l’hôpital de Georgetown et dans des centres de santé mentale, est conforme à l’information présentée par M. Harripersaud. Dans ces circonstances, l’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne divulguant pas l’article du Kaieteur News à M. Harripersaud.

VII. La décision de l’agent est raisonnable

[64] J’ai suivi les enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov et les principes de la jurisprudence relative aux demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire mentionnés ci-dessus pour déterminer si la décision de l’agent est raisonnable.

[65] La décision de l’agent portait sur les observations de M. Harripersaud, la preuve et toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes. L’agent n’a pas omis de prendre en considération ni mal interprété les éléments de preuve, et il ne s’est pas non plus concentré sur les difficultés au détriment d’une appréciation de tous les autres facteurs d’ordre humanitaire pertinents. Par ses arguments, M. Harripersaud semble demander à la Cour de soupeser de nouveau la preuve et, en particulier, d’accorder plus de poids à ses liens familiaux au Canada et aux difficultés qu’il éprouverait advenant son retour au Guyana qu’à d’autres considérations pertinentes, notamment son faible degré d’établissement, son manque de stabilité financière ou l’absence d’initiative de sa part pour s’intégrer à la société canadienne.

[66] L’agent n’a pas commis d’erreur dans l’évaluation de la santé mentale de M. Harripersaud. Ce dernier a allégué qu’il éprouverait des difficultés en raison du manque de services en santé mentale au Guyana. Comme il a été mentionné précédemment, M. Harripersaud n’a reçu aucun diagnostic de trouble de toxicomanie et, bien qu’il puisse effectivement se sentir déprimé, il n’a pas reçu de diagnostic de dépression clinique. Rien n’indique non plus qu’il ait même cherché à obtenir un diagnostic ou un traitement pendant qu’il se trouvait au Canada. Contrairement à la prétention de M. Harripersaud, l’agent n’a pas omis de tenir compte de ses observations concernant sa consommation d’alcool ou son état dépressif. L’agent a accepté les observations sur ces deux points, mais a raisonnablement conclu que l’autodiagnostic de M. Harripersaud n’était pas une preuve suffisante pour étayer ses allégations quant à la nécessité d’un traitement qui ne serait pas disponible.

[67] En faisant valoir que l’agent a commis une erreur en exigeant un diagnostic afin d’évaluer les difficultés, M. Harripersaud oublie qu’il a allégué que les difficultés découleraient de l’absence de services en santé mentale au Guyana. Il lui incombait d’établir qu’il aurait besoin de tels services et qu’il n’aurait pas accès aux services et aux traitements requis. Les motifs de l’agent sont intelligibles et justifiés. L’agent a d’abord déterminé que la preuve était insuffisante pour conclure que M. Harripersaud souffrait d’un trouble de santé mentale ou de toxicomanie, puis il a déterminé qu’il ne pouvait donc pas conclure que M. Harripersaud avait besoin d’un traitement.

[68] L’agent a néanmoins examiné tous les éléments de preuve documentaire présentés par M. Harripersaud de même que l’article du Kaieteur News, selon lesquels des services en santé mentale seraient offerts à M. Harripersaud, au besoin, reconnaissant par ailleurs que ces services pourraient ne pas « équivaloir à » ceux offerts au Canada.

[69] M. Harripersaud invoque Kim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 581 aux para 66‑67 [Kim], où le juge Ahmed a conclu, à la lumière des faits de cette affaire, que l’agent avait commis une erreur en omettant de tenir compte des difficultés que le demandeur éprouverait en lien avec sa santé mentale. Dans la décision Kim, la Cour a conclu que les idées suicidaires du demandeur avaient été présentées pour décrire les difficultés extrêmes et la vie difficile qu’il a eues en tant que transfuge nord-coréen et que ces difficultés auraient dû être prises en compte. La conclusion de la Cour découle de faits très différents. Les difficultés alléguées ne découlaient pas, comme dans le cas de M. Harripersaud, d’un manque de services en santé mentale. De plus, à mon avis, la décision Kim n’établit aucun nouveau principe qui l’emporte sur le fardeau qui incombe au demandeur d’étayer sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en présentant des éléments de preuve suffisants.

[70] Contrairement aux prétentions de M. Harripersaud, l’agent n’a pas non plus commis d’erreur en supposant qu’il pourrait se tourner vers un réseau de soutien social au Guyana. M. Harripersaud soutient que cette conclusion est incompatible avec sa propre déclaration selon laquelle il n’a plus de famille au Guyana et qu’il a une vie de reclus. Toutefois, le commentaire de l’agent a été formulé dans le contexte de la prétention de M. Harripersaud selon laquelle il éprouverait des difficultés en raison de la pauvreté et du chômage. L’agent a relevé plusieurs facteurs susceptibles de faciliter, pour M. Harripersaud, l’obtention d’un emploi, notamment le fait qu’il a déjà vécu au Guyana, qu’il y a fréquenté l’école et y a occupé un emploi régulier, qu’il parle anglais, et a ajouté : [traduction] « ainsi que son réseau de soutien social (p. ex., ami, anciens collègues, etc.) ». Le renvoi de l’agent à un « réseau de soutien social » dans ce contexte est une déduction logique et raisonnable fondée sur la description que M. Harripersaud a faite de son emploi et de sa vie au Guyana, où il a habité 35 ans. De plus, il ne s’agissait pas d’un facteur principal ou déterminant en ce qui concerne ses allégations concernant les difficultés attribuables à la pauvreté et au chômage.

[71] En ce qui concerne l’argument actuel de M. Harripersaud selon lequel sa santé mentale fragile nuirait à sa capacité d’être employé, comme on l’a vu, la preuve d’un problème de santé mentale est insuffisante et rien n’indique qu’il a cherché à obtenir un traitement pendant qu’il se trouvait au Canada. De plus, il a continué de travailler au Guyana pendant plus de 18 mois après que son épouse l’a quitté, ce qui, selon lui, a précipité son état dépressif et sa dépendance à l’alcool, et ce, avant son arrivée au Canada.

[72] M. Harripersaud a fait valoir que la conclusion de l’agent selon laquelle son retour au Guyana lui permettrait d’établir un lien avec son fils relève de la pure conjecture, mais il faut faire abstraction du contexte qui sous-tend cette conclusion pour souscrire à la prétention de M. Harripersaud. Dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’intérêt supérieur des enfants touchés par la décision est pris en compte. Il faut compter le fils de M. Harripersaud parmi les enfants touchés. Dans ce contexte, le fait que l’agent note que la présence d’un père dans la vie de son propre enfant est habituellement bénéfique ne constitue pas une conjecture. L’agent a également souligné l’absence de preuve que M. Harripersaud ne serait pas en mesure de renouer avec son fils.

[73] L’agent n’a pas omis de prendre en considération ni mal interprété les éléments de preuve concernant les liens familiaux ou les répercussions de la séparation de la famille. Il ne s’est pas non plus uniquement concentré sur les difficultés ni a appliqué le seuil des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées ». Comme l’indique la jurisprudence, les difficultés sont un facteur pertinent (Kanthasamy, au para 23, Huang, au para 53, Shackleford, au para 16, Turovski, au para 26). La jurisprudence établit également qu’il faut démontrer l’existence de difficultés supérieures aux difficultés typiques découlant des conséquences inhérentes au renvoi. L’agent a examiné les observations concernant les difficultés et les autres considérations d’ordre humanitaire pertinentes, y compris les liens familiaux étroits de M. Harripersaud avec ses sœurs et son neveu au Canada, et il a accordé un poids positif à cette considération. M. Harripersaud veut maintenant que la Cour accorde plus de poids à ce facteur, ce qui n’est pas son rôle.

[74] M. Harripersaud soutient également que l’agent n’a pas apprécié le rôle de sa sœur dans la surveillance de son abus d’alcool et le soutien affectif dont il a besoin pour l’aider à surmonter ses sentiments de dépression. Toutefois, comme il a été mentionné à maintes reprises, M. Harripersaud n’a pas fourni de preuve suffisante – voire n’a fourni aucune preuve – de ses problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, mis à part son propre récit. En outre, il n’a présenté que sa propre déclaration et celle de sa sœur selon laquelle elle le maintenait dans le droit chemin. Comme on l’a déjà vu, l’agent a accordé du poids aux liens familiaux, mais il a raisonnablement conclu, en se fondant sur l’évaluation globale de tous les facteurs pertinents, que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée.

[75] Contrairement à l’argument de M. Harripersaud, l’agent n’a pas fondé l’évaluation des difficultés alléguées découlant du taux élevé de criminalité et de violence, dont font état les documents sur la situation du pays, sur les améliorations possibles des conditions dans le pays.

[76] Ramesh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 778 aux para 19‑21 [Ramesh], ne corrobore pas l’argument de M. Harripersaud selon lequel l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des difficultés découlant du taux de criminalité élevé et en se fondant sur les efforts de l’État pour s’attaquer au taux de criminalité et de violence.

[77] Les conclusions tirées dans la décision Ramesh découlent de faits très différents. Dans cette affaire, les demandeurs avaient relaté la discrimination dont ils avaient été victimes au Swaziland et les efforts infructueux qu’ils avaient déployés pour résoudre les violations des droits de la personne qu’ils avaient décrites. Dans ce contexte, le juge Russel a déclaré ce qui suit au paragraphe 19 :

L’agent doit tenir compte de la question des difficultés et des conditions défavorables dans le pays au moment d’évaluer une demande au regard du paragraphe 25(1) de la LIPR (voir l’arrêt Kanthasamy, aux paragraphes 50 à 56, et la décision Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73, au paragraphe 19)).

[78] Le juge Russel a également conclu, à la lumière des faits dans l’affaire Ramesh, que l’agent avait commis une erreur en ne se fondant que sur les efforts futurs du gouvernement, plutôt que sur les conditions sociales réelles et en omettant d’évaluer l’« existence probable de difficultés qui étaient susceptibles de se présenter » (aux para 19‑21).

[79] La décision Ramesh ne change rien au principe de base selon lequel les demandeurs doivent étayer leur demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire par des éléments de preuve suffisants. Contrairement à la situation dans l’affaire Ramesh, M. Harripersaud n’a fourni aucun élément de preuve indiquant qu’il avait subi des difficultés liées à la criminalité ou à la violence au Guyana. Quoi qu’il en soit, l’agent a évalué la probabilité de difficultés découlant de la criminalité et de la violence « susceptibles de se présenter ».

[80] M. Harripersaud soutient également que la protection de l’État n’est pas un facteur déterminant dans une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire [Walcott c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 415 au para 64], et que l’agent a commis une erreur en effectuant une analyse de la protection de l’État plutôt qu’en évaluant les difficultés. Je ne suis pas d’accord. L’agent n’a pas mentionné la protection de l’État comme facteur déterminant. Comme on l’a vu, l’agent a raisonnablement conclu que la preuve n’étayait pas l’affirmation de M. Harripersaud selon laquelle il subirait des difficultés en raison de la criminalité et de la violence au Guyana. L’agent n’était pas tenu d’accepter simplement que M. Harripersaud éprouverait des difficultés uniquement sur la foi de la preuve de la situation dans le pays, sans preuve de la propre expérience de M. Harripersaud ou de la probabilité qu’il subisse de telles difficultés.

[81] En conclusion, M. Harripersaud n’a soulevé aucune lacune suffisamment cruciale ou importante susceptible de rendre la décision déraisonnable. La décision de l’agent montre une chaîne rationnelle d’analyse; l’agent a examiné toutes les observations de M. Harripersaud relatives aux considérations d’ordre humanitaire et les éléments de preuve fournis à l’appui, a soupesé la preuve, a mené une évaluation globale et a raisonnablement conclu que la dispense pour considérations d’ordre humanitaire n’était pas justifiée. L’agent n’a pas manqué à l’obligation d’équité procédurale en renvoyant à des renseignements qui n’avaient aucune incidence sur la décision, qui n’étaient pas inédits ou importants et qui, de plus, concordaient généralement avec les renseignements sur lesquels M. Harripersaud s’est fondé.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4226-20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4226-20

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

HAIMINDRA HARRIPERSAUD c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LEU DE L’AUDIENCE :

audience TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 septembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Naseem Mithoowani

 

Pour le demandeur

 

Brad Gotkin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman et associés

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défenseur

 

 

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