Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221007


Dossier : IMM-695-21

Référence : 2022 CF 1385

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

MUHAMMAD KHALEEL

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 décembre 2020 par un agent de l’ambassade du Canada à Riyad, en Arabie saoudite (la décision).

[2] L’agent a refusé la demande de visa de résident temporaire (VRT) présentée par le demandeur, car il n’était pas convaincu que celui-ci quitterait le Canada à la fin de son séjour temporaire compte tenu 1) du but de sa visite; 2) de son statut d’immigrant; et 3) de l’emploi qu’il occupait.

[3] Le demandeur sollicite l’annulation de la décision et demande à la Cour de renvoyer l’affaire à un autre agent des visas pour nouvelle décision.

[4] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II. Contexte factuel

[5] Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui réside et travaille au Royaume d’Arabie saoudite (l’Arabie saoudite) sous un statut temporaire.

[6] Le 16 septembre 2019, le demandeur a présenté une demande auprès du Programme des candidats des provinces (le PCP) dans le cadre du Programme pilote régional pour l’immigration des entrepreneurs de la Colombie-Britannique (le PCP de la Colombie-Britannique) en vue d’ouvrir une boulangerie à Quesnel. Il a joint à sa demande un plan d’affaires indiquant qu’il occupait, depuis novembre 2016, un emploi de boulanger auprès de Nawami Bakeries en Arabie saoudite.

[7] Les documents joints à la demande de VRT indiquent que la candidature du demandeur à titre d’immigrant économique avait été approuvée dans le cadre de la première phase du PCP de la Colombie-Britannique. Il avait été invité par la Ville de Quesnel, en Colombie-Britannique, à effectuer une visite exploratoire. La visite de la collectivité est une obligation dans le cadre du PCP de la Colombie-Britannique.

[8] Le 6 février 2020, après avoir reçu la correspondance transmise par la Ville de Quesnel, le demandeur a présenté une demande de VRT. Selon le formulaire d’examen initial relatif au VRT, le demandeur avait à sa disposition des fonds de 266 673 $ CA et touchait un revenu mensuel de 5 000 rials saoudiens (environ 1 686 $ CA). Le demandeur souhaitait séjourner au Canada du 16 mars 2020 au 5 avril 2020.

[9] Le VRT avait pour but de permettre au demandeur d’effectuer la visite exploratoire exigée par le PCP de la Colombie-Britannique Le demandeur devait également être interviewé à Quesnel par le directeur du développement économique et du tourisme de la Ville de Quesnel.

III. Les questions en litige

[10] Le demandeur soulève deux questions.

  1. La décision de l’agent est-elle déraisonnable du fait que ce dernier n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants?

  2. La décision de l’agent est-elle entachée d’un manquement à l’équité procédurale?

[11] La première question comporte plusieurs sous-questions, lesquelles sont examinées ci‐dessous.

[12] La question relative à l’équité procédurale repose sur l’affirmation du demandeur selon laquelle l’agent a consulté des documents extrinsèques sans lui donner la possibilité de présenter des observations à l’égard de ces documents.

IV. La norme de contrôle

A. Contrôle selon la norme de la décision raisonnable

[13] La Cour suprême du Canada a établi que, lorsqu’une cour procède au contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond, et que le contrôle n’est pas lié à un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, la norme de contrôle présumée s’appliquer est celle de décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions à cette présomption n’est présente en l’espèce.

[14] Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‐mêmes la question en litige : Vavilov, au para 83.

[15] Avant de pouvoir infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision : Vavilov, au para 100.

[16] Le décideur peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait du décideur. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

B. L’équité procédurale

[17] On présume généralement que la norme de contrôle qui s’applique aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Or, il est maintenant admis qu’une norme de contrôle ne peut être appliquée à l’équité procédurale. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la cour est de déterminer si la procédure était équitable pour le demandeur eu égard à l’ensemble des circonstances. Cela nécessite de déterminer si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre et d’être entendu : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 56.

[18] Il a été établi que le niveau d’équité procédurale requis lors de l’examen d’une demande de visa de résident temporaire se situe à l’extrémité inférieure du spectre. Un demandeur de visa doit présenter ses meilleurs arguments; un agent des visas n’est pas tenu de demander des renseignements supplémentaires si le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver qu’il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée : Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 969 au para 23.

V. Analyse de la décision

[19] Les motifs de la décision sont énoncés dans les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC).

[20] D’après les notes du SMGC et les observations du demandeur, il y a cinq questions distinctes. Quatre d’entre elles remettent en question le caractère raisonnable de la décision et la cinquième, qui repose sur l’allégation selon laquelle l’agent a consulté des éléments de preuve extrinsèques, se rapporte à l’équité procédurale.

[21] J’examinerai successivement chacune de ces questions dans les paragraphes qui suivent.

A. La Covid-19 et la saoudisation

[22] Les notes consignées dans le SMGC le 9 décembre 2020 indiquent ce qui suit :

[traduction]
L’emploi du demandeur principal (DP) – il est directeur des ventes – risque d’être visé par les réformes économiques qui ont présentement cours en Arabie saoudite (la saoudisation). Je ne crois pas que les perspectives d’emploi du DP en Arabie saoudite soient très prometteuses. Vu les réformes liées à la saoudisation et la pandémie de COVID-19, la réduction de la main-d’œuvre étrangère et les licenciements s’intensifient.

[23] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve, dont la lettre de l’employeur du demandeur en Arabie saoudite qui indique ce qui suit : [traduction] « [l]a pandémie de COVID n’a pas eu d’incidence sur l’emploi de M. Khaleel. Étant donné que notre entreprise fait partie de l’industrie alimentaire et qu’elle est considérée comme un service essentiel, elle est demeurée ouverte pendant le confinement et nous avons continué de servir nos clients. Pendant le confinement lié à la COVID, nous avons dû accroître notre production afin de suivre l’augmentation de la demande, et nos employés, dont M. Khaleel, ont dû faire des heures supplémentaires. »

[24] Le demandeur affirme que cette lettre contredit les conclusions de l’agent selon lesquelles son emploi subira les contrecoups de la COVID-19 et de la saoudisation. La lettre indique que, parce que la COVID-19 a engendré une demande accrue en produits de boulangerie, le demandeur faisait des heures supplémentaires.

[25] Le défendeur soutient que le demandeur a interprété les considérations de l’agent hors contexte. L’agent a indiqué que [traduction] « vu les réformes liées à la saoudisation et la pandémie de COVID-19, la réduction de la main-d’œuvre étrangère et les licenciements s’intensifient ».

[26] Je conviens que le demandeur interprète mal les réserves de l’agent.

[27] Bien que l’employeur affirme que l’entreprise a connu une augmentation de son volume d’affaires, l’agent a des réserves en raison de la campagne nationale visant à réduire le nombre de travailleurs étrangers en Arabie saoudite.

[28] Le demandeur est lui-même un travailleur étranger en Arabie saoudite. Les notes de l’agent indiquent que l’emploi du demandeur ne constitue pas une attache solide compte tenu de l’instabilité qui touche les travailleurs étrangers et de la campagne visant à les remplacer par des citoyens de l’Arabie saoudite, laquelle prend de l’essor en raison de la COVID-19.

[29] Indépendamment de son succès et du fait qu’elle compte sur le demandeur, la boulangerie est, comme toutes les autres entreprises en Arabie saoudite, assujettie aux politiques du gouvernement qui visent à donner la priorité d’emploi à des ressortissants saoudiens. Bien que le demandeur ait raison d’affirmer que les notes du SMGC ne font pas explicitement mention de la lettre de l’employeur, j’estime qu’il était raisonnable de la part de l’agent de ne pas mentionner la lettre puisque celle-ci n’aborde pas les réserves de l’agent concernant les politiques nationales de saoudisation qui visent les travailleurs étrangers ayant un statut temporaire en Arabie saoudite.

[30] Le demandeur soutient en outre que l’agent a mal interprété la preuve qui lui a été soumise (en concluant que le demandeur était directeur des ventes à la boulangerie), car il était également responsable des opérations de l’entreprise. Le demandeur affirme que l’agent n’a pas tenu compte de cet élément de preuve dans sa conclusion quant à l’avenir de son emploi en Arabie saoudite.

[31] L’agent n’a pas fait abstraction de la preuve indiquant que le demandeur était également responsable des opérations de la boulangerie. Celle-ci est mentionnée dans les notes qui ont été consignées dans le SMGC les 9 et 12 décembre 2020 et le 20 novembre 2020. Ces notes indiquent que le demandeur était [traduction] « directeur principal des ventes et des opérations à la boulangerie Nawami depuis 2016 ».

[32] Comme je l’ai mentionné, l’agent avait des réserves en raison des politiques de saoudisation visant les travailleurs étrangers ayant un statut temporaire en Arabie saoudite. Il n’était pas nécessaire que l’agent s’attarde, dans ses motifs, au fait que le demandeur était responsable à la fois des opérations et des ventes, car cette responsabilité ne changeait rien au fait que le demandeur était vulnérable à titre de travailleur étranger en Arabie saoudite.

[33] Les motifs de l’agent à l’égard de ces deux sous-questions sont justifiés, intelligibles et transparents et ne comportent ni erreurs importantes ni lacunes graves.

[34] Compte tenu de ce qui précède, je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau d’établir que l’agent a commis une erreur dans son analyse relative à la COVID-19 et à la saoudisation.

B. Le but de la visite

[35] Selon les notes consignées dans le SMGC le 23 février 2020, [traduction] « le but de la visite du demandeur semble vague et est mal documenté ». Les notes consignées dans le SMGC le 16 décembre 2020 précisent ce qui suit : [traduction] « But de la visite : visite exploratoire et entrevue dans le cadre du PCP de la Colombie-Britannique (lettre d’intention au dossier, datée du 12 mars 2020) ».

[36] Le demandeur soutient que l’absence de motifs et d’analyse à l’appui de la conclusion selon laquelle il ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour, compte tenu du but de sa visite, va à l’encontre du principe portant qu’il ne suffit pas qu’une décision soit justifiable; le décideur doit également justifier sa décision, comme il est précisé au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov.

[37] Plus précisément, le demandeur souligne que l’agent n’a mentionné ni la déclaration écrite du demandeur, ni les observations formulées par son consultant en immigration, ni le courriel du coordonnateur du développement économique de la Ville de Quesnel.

[38] En ce qui concerne le dernier point, le juge Mosley a fait observer, comme bien d’autres également, qu’il est bien établi en droit que les décideurs sont présumés avoir examiné l’ensemble de la preuve qui leur a été présentée. Ils ne sont pas tenus de renvoyer à chacun des éléments et d’expliquer comment ils les ont traités. Le défaut de mentionner un élément de preuve particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte : Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 66 au para 31 [Su], références internes omises.

[39] Dans ses notes, l’agent a clairement pris acte du but de la visite du demandeur. Il a ensuite procédé à l’examen de la preuve présentée à l’appui de la demande. L’agent a tenu compte du caractère temporaire de l’emploi du demandeur, de la nature de son établissement et de ses attaches en Arabie saoudite et de ses antécédents de non-respect du système d’immigration canadien, et a évalué ces éléments au regard de l’emploi du demandeur en Arabie saoudite et de la raison de sa visite. Il a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour le convaincre que le demandeur était [traduction] « un visiteur de bonne foi qui respecterait les conditions ».

[40] J’estime que l’argument avancé par le demandeur équivaut à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait l’agent. Or, ce n’est pas là le rôle qui incombe à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire, comme il a été établi dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125.

C. Les attaches solides du demandeur et ses antécédents en matière d’immigration

[41] Comme je l’ai mentionné précédemment, l’agent a jugé que l’établissement et les attaches familiales du demandeur en Arabie saoudite n’étaient que temporaires, compte tenu des politiques de saoudisation.

[42] L’agent a passé en revue les antécédents du demandeur en matière d’immigration, qui comprennent ce qui suit : 1) refus en 2012 d’une demande de permis présentée au titre de la catégorie des travailleurs étrangers qualifiés; 2) octroi en 2014 d’un VRT valide jusqu’au 28 février 2018; 3) rejet le 14 mai 2015 de sa demande d’asile présentée en août 2014; 4) rejet d’un appel devant la Section d’appel des réfugiés le 14 mai 2015; et 5) renvoi du demandeur au Pakistan le 22 septembre 2015.

[43] Le 2 juin 2016, le demandeur a tenté de revenir au Canada au moyen de son premier VRT, mais celui-ci avait été annulé, si bien qu’une mesure d’exclusion a été prise et que le demandeur a de nouveau été renvoyé.

[44] En décembre 2019 et en février 2020, deux autres demandes de VRT présentées par le demandeur ont été refusées.

[45] La demande de VRT refusée en février 2020 a fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire qui s’est soldée par le renvoi de l’affaire pour nouvelle décision. C’est cette nouvelle décision quant à la demande de VRT qui est visée par le présent contrôle judiciaire.

[46] Le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte du fait que son épouse et ses enfants vivent au Pakistan et qu’il n’a pas évalué cet élément. L’agent a également restreint son analyse à l’Arabie saoudite et a fait abstraction des solides attaches du demandeur au Pakistan.

[47] Le défendeur fait observer que, bien que le demandeur laisse entendre que ses solides attaches au Pakistan l’inciteraient à quitter le Canada pour retrouver son épouse et ses enfants, ces attaches n’ont pas suffi à le faire rester au Pakistan par le passé. L’agent a souligné que l’épouse et les enfants du demandeur demeurent au Pakistan.

[48] Le défendeur affirme qu’on ne sait pas très bien si, depuis 2016, le demandeur a vécu seul en Arabie saoudite, c’est-à-dire si les membres de sa famille sont demeurés au Pakistan. En effet, la demande d’asile présentée en 2014 n’incluait pas les membres de la famille du demandeur et il semble que celle de 2016 non plus.

[49] Le défendeur laisse entendre qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure que, si l’épouse et les enfants du demandeur sont demeurés au Pakistan, on ne pouvait pas considérer qu’ils représentaient une attache solide susceptible d’inciter le demandeur, qui était en Arabie saoudite depuis 2016, à retourner au Pakistan.

[50] À mon avis, l’agent a clairement pris acte du fait que l’épouse et les trois enfants du demandeur résident au Pakistan. Rien dans la décision ou dans les notes du SMGC n’indique que l’agent aurait omis de tenir compte de cet élément de preuve. La question de savoir si la relation représente ou non des [traduction] « attaches solides avec le Pakistan » est une conclusion de fait tirée par l’agent à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de retenue : Vavilov, au para 125.

[51] L’agent a souligné que les antécédents du demandeur en matière d’immigration révélaient des non-conformités de la part de ce dernier. Dans ce contexte, je conclus qu’il était raisonnable pour l’agent de conclure, au vu des autres questions également, que le demandeur n’était pas un visiteur de bonne foi qui se conformerait aux conditions de son VRT.

D. L’équité procédurale

[52] Le demandeur affirme que l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en s’appuyant sur des éléments de preuve concernant les réformes économiques en cours en Arabie saoudite et les répercussions de ces dernières sur son emploi.

[53] Le défendeur rétorque que les demandes de visa ne font pas intervenir de droits substantiels. Les ressortissants étrangers n’ont pas un droit absolu d’entrer au Canada, de sorte que le degré d’équité procédurale qui leur est dû est faible et n’exige généralement pas que l’on accorde aux demandeurs la possibilité de répondre aux réserves de l’agent. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’un demandeur, comme en l’espèce, peut présenter une nouvelle demande et que rien n’indique que cela lui causerait un préjudice.

[54] Le demandeur interprète mal les réserves de l’agent. Alors que l’employeur affirme que l’entreprise a connu une augmentation de son volume d’affaires, les réserves de l’agent sont liées à la campagne nationale visant à réduire le nombre de travailleurs étrangers en Arabie saoudite. Indépendamment de son succès et du fait qu’elle compte sur le demandeur, la boulangerie est, comme toutes les autres entreprises en Arabie saoudite, assujettie aux politiques du gouvernement qui visent à donner la priorité d’emploi à des ressortissants saoudiens. Le demandeur a raison d’affirmer que les notes du SMGC ne font pas explicitement mention de la lettre de l’employeur, mais le contenu de cette lettre n’aborde pas les réserves de l’agent concernant les politiques nationales de saoudisation qui visent les travailleurs étrangers ayant un statut temporaire en Arabie saoudite.

[55] Le demandeur invoque la décision Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824 [Begum] à l’appui de sa position. Or, la décision rendue dans Begum concernait une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, qui exigeait de procéder à une analyse approfondie de divers facteurs.

[56] Je préfère m’appuyer sur la jurisprudence relative aux demandes de VRT.

[57] Dans la décision Mohammed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 992, le juge Pentney a eu l’occasion de résumer les principes qui s’appliquent aux éléments de preuve extrinsèques dans le cadre d’un contrôle judiciaire portant sur le rejet d’une demande de VRT :

[7] Il est bien établi en droit que les agents des visas ont le droit de se fier à leurs connaissances personnelles des conditions locales pour évaluer les éléments de preuve et les documents fournis à l’appui des demandes de visas. Dans la décision Bahr, le juge James Russel affirme ce qui suit :

[42] Il me paraît donc que le demandeur doit se rappeler que la charge pèse sur lui de constituer un dossier convaincant, et qu’il lui faut s’attendre à ce que l’agent des visas examine la demande en s’appuyant sur son expérience générale et sa connaissance des conditions locales pour faire des déductions et tirer des conclusions à partir des renseignements et documents produits par ledit demandeur, sans nécessairement lui faire part, le cas échéant, des doutes que le dossier suscite. Il incombe au demandeur de faire en sorte que sa demande soit complète et comprenne tous les éléments nécessaires pour convaincre l’agent.

[...]

[10] Rien n’indique que l’agent s’est appuyé sur des éléments de preuve extrinsèques autres que des renseignements généralement disponibles sur la situation en Iraq au moment de la demande, une question qui relève de l’expertise de base d’un agent des visas. Dans la présente affaire, à la lumière de la situation récente en Iraq, il était entièrement raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur de visa de résident temporaire anticipe ce genre de préoccupation. Le demandeur ne peut ici prétendre avoir été étonné que l’agent tienne compte de la situation économique et sécuritaire en Iraq.

[58] Le défendeur souligne en outre que, puisque les demandes de visa ne font pas intervenir de droits substantiels – les ressortissants étrangers n’ayant pas un droit absolu d’entrer au Canada – le degré d’équité procédurale dû aux demandeurs est faible. Il n’exige généralement pas que l’on accorde aux demandeurs la possibilité de répondre aux réserves de l’agent. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’un demandeur, comme en l’espèce, peut présenter une nouvelle demande et que rien n’indique que cela lui causerait un préjudice : Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669 au para 17.

[59] L’agent a jugé que le demandeur n’avait qu’un statut temporaire en Arabie saoudite. Il est tout à fait raisonnable de s’attendre à ce qu’un demandeur de VRT anticipe des réserves de ce genre quant à la probabilité qu’il quitte le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[60] L’agent n’était pas tenu d’informer le demandeur qu’il se fonderait sur des sources publiques en ce qui concerne la situation générale en Arabie saoudite et qu’il effectuerait ses propres recherches : Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 257 aux para 25, 29-30.

[61] À mon avis, le fait que l’agent se soit appuyé sur son expérience générale et sa connaissance des conditions locales en Arabie saoudite ne fait pas naître une obligation d’équité procédurale.

VI. Conclusion

[62] Selon le paragraphe 125 de l’arrêt Vavilov, les motifs de l’agent, lorsqu’ils sont interprétés à la lumière du dossier sous-jacent, témoignent d’une évaluation justifiable, intelligible et transparente des divers facteurs à prendre en considération pour décider s’il y a lieu ou non de délivrer un visa conformément à l’article 179 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227.

[63] Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[64] Compte tenu de ce qui précède et de l’ensemble des conclusions énoncées ci-dessus, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable.

[65] Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-695-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-695-21

 

INTITULÉ :

MUHAMMAD KHALEEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 novembre 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Jeremiah Eastman

 

Pour le demandeur

 

Prathima Prashad

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eastman Law Office Professional Corporation

Avocats

Oakville (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.