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                                               Date : 19980902

                                         Dossier : IMM-5116-97

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 2 SEPTEMBRE 1998

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER    

E N T R E :

                         GURPAL SINGH,

                                                    demandeur,

                            - et -

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                    défendeur.

                      O R D O N N A N C E

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie, l'ordonnance de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (section du statut de réfugié) rendue le 4 novembre 1997 est annulée, et l'affaire est renvoyée à un tribunal constitué différemment afin qu'il rende une nouvelle décision.

Original signé par

B.L. Strayer

                                                                                   

                                                Juge


Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.L.


                                                             

Date : 19980902

                                         Dossier : IMM-5116-97

E N T R E :

                         GURPAL SINGH,

                                                    demandeur,

                            - et -

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                    défendeur.

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE STRAYER :

Mesure de redressement demandée

[1]            Il s'agit de la demande de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la « Commission » ) rendue le 4 novembre 1997. Au cours de l'audition de la revendication, la Commission a décidé que le demandeur ne pouvait revendiquer le statut de réfugié parce qu'il faisait l'objet d'une exclusion en vertu du paragraphe F a) de l'article premier de la Convention. Les personnes tombant sous le coup de cette disposition ne peuvent revendiquer le statut de réfugié, en vertu de l'article 2 de la Loi sur l'immigration. La partie pertinente de l'article premier de la Convention se lit comme suit :



F.     Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ...

La Commission a conclu qu'il existe des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis des crimes contre l'humanité lorsqu'il était au service de la police militaire du Panjab.

Faits

     D'après son formulaire de renseignements personnels (ci-après « FRP » ), le demandeur est entré volontairement dans la police militaire du Panjab en novembre 1992, peu après avoir terminé sa 10e année d'études, alors qu'il était âgé de 19 ans. En février 1995, il a démissionné de la police. Tel qu'il ressort de son FRP, il a été témoin de nombreux cas de brutalité policière à l'endroit de militants Sikh ou de présumés militants aux mains des policiers. Il a également ajouté, dans son FRP, avoir refusé de tuer ou de torturer les militants mais avoir vu d'autres agents commettre de tels actes. Une fois, a-t-il poursuivi, [TRADUCTION] « un inspecteur du nom de Mangatram a fait usage de violence physique et verbale » à son endroit parce qu'il avait refusé d'exécuter les ordres.


     Bien que l'heure du début de l'audience de la Commission ne soit pas précisée, celle-ci s'est tenue dans l'après-midi.    Au début des procédures, le président de la Commission a annoncé que son collègue devait quitter avant 16 h 00.[1] Dès le début, la Commission a identifié les questions litigieuses qu'elle estimait pertinentes, à savoir la crédibilité, l'identification des agents de persécution, la possibilité de refuge intérieur, le délai éventuel associé une revendication du statut de réfugié et « la question de l'exclusion » . L'agent d'audience a demandé que le bien-fondé de la crainte de persécution alléguée constitue une autre de ces questions litigieuses.[2] À ce moment, le président a affirmé : [TRADUCTION] « Il n'est pas nécessaire que le demandeur répète tout ce qu'il a déclaré dans son formulaire de renseignements personnels » . En fait, le président a interrompu de façon fréquente l'avocat du demandeur pendant l'interrogatoire de son client, toujours, semble-t-il, dans le but d'accélérer les procédures. Le demandeur a témoigné sur le premier événement survenu après son entrée dans la police, au cours duquel des militants Sikh ont été amenés dans le poste de police à Jalandhar. Il a affirmé que ces personnes ont été durement battues et qu'elles ont, par la suite, été abattues. Il a déclaré avoir refusé de participer à leur torture et à leur interrogatoire et avoir plutôt monté la garde à l' « entrée principale » du quartier général de la police. Son avocat a tenté de lui faire clarifier la nature des fonctions de garde qu'il exécutait, apparemment dans le but de prouver qu'il n'exécutait qu'une fonction générale de garde pour le quartier général et non celle de favoriser directement la poursuite de l'interrogatoire et de la torture en empêchant les interruptions. Le président de la Commission a interrompu cet interrogatoire et il n'a pas autorisé l'avocat à le terminer.[3]    Le demandeur a ensuite témoigné avoir eu connaissance de trois autres événements à Jalandhar. Après avoir témoigné sur un de ces événements et qu'il s'apprêtait à rendre témoignage sur un deuxième, le président a décidé que la preuve relative à ce dernier événement était complète. Par la suite, soit à 14 h 35, le président a ajourné l'audience pendant une période de 20 minutes.[4] Au retour du tribunal, le président a annoncé que son collègue et lui-même souhaitaient que le demandeur soit maintenant interrogé sur les raisons pour lesquelles il n'a pas quitté la police à la suite de ces trois événements. L'avocat du demandeur s'est objecté en expliquant qu'il désirait poursuivre son interrogatoire, notamment en ce qui concerne la nature de la participation du demandeur à ces événements. Le président ne lui a pas accordé cette autorisation et il a insisté pour que le demandeur soit interrogé sur les raisons pour lesquelles il n'a pas quitté la police.[5] Après ces questions et réponses, l'avocat a tenté de poser des questions relativement au quatrième événement qui aurait impliqué l'inspecteur Mangatram. À ce moment, la Commission a interrompu l'audience et, à son retour, elle a dit à l'avocat qu'elle souhaiterait entendre des observations et arguments sur la question de l'exclusion; autrement dit, elle a refusé d'entendre d'autres témoignages sur l'allégation de participation du demandeur à la perpétration de crimes contre l'humanité.[6]    Une fois ces arguments présentés, la Commission a pris la question de l'exclusion en délibéré et, dans sa décision ultérieure, elle s'en est tenue à l'examen de cette question.

Analyse

     Sans me prononcer sur l'ensemble des questions soulevées par le demandeur, je considère que la Commission a commis un déni de justice naturelle ou d'équité en empêchant le demandeur et son avocat de présenter la cause.

     En ne permettant pas à l'avocat d'interroger plus longuement le demandeur sur la nature de sa participation aux premier et troisième événements, la Commission peut fort bien avoir refusé d'entendre une preuve fort pertinente. Il est reconnu dans la jurisprudence que la nature de la participation d'un revendicateur du statut de réfugié à la perpétration de crimes contre l'humanité constitue un élément essentiel pour déterminer s'il a participé à la commission de tels crimes.[7]    Au surplus, il est permis de se demander ce que le demandeur aurait pu ajouter à la preuve relative au troisième événement, mais il ne fait aucun doute que la Commission a unilatéralement décidé que sa preuve était complète à cet égard.

     La Commission a refusé d'entendre tout témoignage relatif au quatrième événement. Il appert que cette preuve aurait permis de préciser ce que le demandeur avait mentionné dans son FRP, notamment les traitements que lui a infligés l'inspecteur Mangatram lorsqu'il a refusé d'exécuter les ordres donnés.[8] Bien que je ne puisse dire exactement quel aurait été son témoignage à cet égard, ni dire si ce dernier aurait eu quelque influence sur l'issue de l'instance, le fait d'empêcher l'avocat d'interroger son client sur ce point constitue une atteinte au droit à une audition équitable. Le témoignage aurait pu porter sur la nature générale du rapport entre le demandeur et ses supérieurs et sur ce à quoi il aurait pu raisonnablement s'attendre s'il avait persisté à refuser de participer directement aux coups et aux tueries ou s'il avait décidé de quitter la police. Bien que le président ait annoncé au début de l'audience qu'il n'était pas nécessaire que le demandeur répète tout ce qu'il avait déclaré dans son FRP et que ce document ait fait état des traitements qu'un officier supérieur avait infligés au demandeur, la Commission, de façon étonnante, a conclu ceci :

[TRADUCTION]

le demandeur n'était pas sous contrainte au moment des événements décrits dans le témoignage.[9]

Cette affirmation a une certaine valeur pour la seule raison que la Commission n'a pas autorisé le demandeur à témoigner au-delà du troisième événement. Dans de telles circonstances, la Commission n'était pas autorisée à ne pas tenir compte du FRP et à se limiter à la preuve testimoniale. D'ailleurs, elle a assuré le demandeur qu'il n'était pas nécessaire qu'il répète tout ce qu'il avait déclaré dans son FRP.

     Parce que la Commission s'est ingérée dans la présentation de la cause du demandeur et qu'elle n'a pas pris en considération les éléments de preuve contenus dans le FRP alors qu'elle a affirmé qu'elle le ferait, la décision ne peut être maintenue.


Dispositif

     En conséquence, la décision de la Commission rendue le 4 novembre 1997 est annulée parce qu'il y a eu déni de justice naturelle et d'équité et l'affaire est renvoyée à un tribunal constitué différemment afin qu'il rende une nouvelle décision.

Original signé par

B.L. Strayer

                                                                          

                                                Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.L.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE GREFFE :IMM-5116-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :Gurpal Singh c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :le 20 août 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :Monsieur le juge Strayer

EN DATE DU :2 septembre 1998

ONT COMPARU:

M. Mangesh Duggalpour le demandeur

M. Toby J. Hoffmanpour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

M. Mangesh Duggal

Toronto (Ontario)pour le demandeur

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canadapour le défendeur



     [1]Dossier, p. 416.

     [2]Ibid, p. 415 à 416.

     [3]Ibid, p. 426 à 427.

     [4]Ibid, p. 434.

     [5]Ibid, p. 434 à 436, 439.

     [6]Ibid, p. 440.

     [7]Voir Ramirez c. M.E.I. [1992] 2 C.F. 306; Moreno c. M.E.I. (1993) 21 IMM. L.R.(2d) 221; Randhawa c. M.E.I. (1994) 93 F.T.R. 151.

     [8]Dossier de demande, p. 37, lignes 38 à 43.

     [9]      Dossier, p. 13.

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