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Date : 20221027


Dossier : IMM-7115-21

Référence : 2022 CF 1472

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2022

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

OSMAN AKAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Osman Akar, un citoyen turc, dépose la présente demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir l’annulation d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La SPR a conclu que M. Akar avait perdu l’asile et que sa demande de protection avait été réputée rejetée, car il s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de la Turquie, aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] M. Akar a été reconnu comme réfugié au sens de la Convention en juillet 2001 et est devenu résident permanent du Canada en mai 2002. Entre 2006 et 2012, il est retourné en Turquie six fois en utilisant son passeport turc. Alors qu’il était en Turquie en 2012, M. Akar a demandé et obtenu une carte d’identité nationale turque et un nouveau passeport turc. Il a utilisé ce nouveau passeport pour se rendre en Turquie trois fois entre 2016 et 2018.

[3] En septembre 2020, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) a présenté une demande de constat de perte de l’asile visant M. Akar au motif qu’il s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de la Turquie. La décision rendue le 9 septembre 2021 (la décision) par laquelle la SPR a accueilli la demande du ministre fait l’objet de la présente demande.

[4] M. Akar conteste la décision au motif que la SPR n’a pas dûment tenu compte de la raison pour laquelle il était retourné en Turquie ni de la question de savoir s’il était retourné pour des raisons qui étaient indépendantes de sa volonté. Il affirme qu’il a été contraint de rentrer en Turquie pour assister à des funérailles, prendre soin de ses proches malades et recevoir des soins dentaires urgents, et que voyager en Turquie pour rendre visite à sa famille malade n’équivalait pas au fait de se réclamer de nouveau et volontairement de la protection de la Turquie, car les visites étaient temporaires et visées par une exception prévue au paragraphe 125 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [le Guide du HCR]. De plus, M. Akar soutient que la SPR n’a pas tenu compte de son état de santé ni d’un rapport d’un psychiatre. Il affirme qu’il souffrait de graves problèmes psychologiques qui avaient une incidence sur ses actions. Compte tenu de ces erreurs alléguées, M. Akar soutient que la décision est déraisonnable.

[5] Le défendeur fait valoir que M. Akar s’oppose à la décision, mais qu’il n’a pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle. La SPR a apprécié chacune des trois exigences permettant de déterminer si le demandeur s’était réclamé de nouveau de la protection du pays d’origine, à savoir : i) le réfugié a agi volontairement, ii) le réfugié a eu l’intention de se réclamer de nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité, et iii) le réfugié a effectivement obtenu cette protection : Cerna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074 [Cerna] au para 12. Le défendeur soutient que la SPR a conclu raisonnablement que les trois exigences avaient été satisfaites. Il fait remarquer, par exemple, que M. Akar a présenté son passeport aux autorités turques à l’entrée et à la sortie du pays, qu’il a eu des relations personnelles avec les autorités turques lorsqu’il a renouvelé son passeport, et qu’il s’est rendu en Turquie deux fois pour obtenir des soins dentaires et y est resté pendant de longues périodes.

[6] La question de savoir si la décision est déraisonnable doit être tranchée conformément au cadre établi aux paragraphes 10, 16 et 17 de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse : Vavilov, aux para 12, 13, 75, 85. La cour de révision doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur administratif, et se demander si la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci : Vavilov aux para 15, 83, 99. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’établir l’existence de lacunes suffisamment capitales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov, au para 100.

[7] M. Akar conteste les conclusions de la SPR en ce qui concerne chacune des trois exigences servant à déterminer s’il s’était réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine. Il affirme que ses voyages en Turquie n’étaient pas volontaires, qu’il n’avait pas l’intention de retourner en Turquie de manière permanente ou de se réclamer de nouveau de la protection de la Turquie, et qu’il ne s’était pas effectivement réclamé d’une telle protection.

[8] Je ne suis pas convaincue par les arguments de M. Akar selon lesquels la SPR a commis une erreur.

[9] Lorsqu’un réfugié demande et obtient un passeport national du pays dont il a la nationalité, il existe une présomption réfutable selon laquelle le réfugié a l’intention de se réclamer la protection de ce pays : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Galindo Camayo] au para 63; Cerna, au para 13. La présomption est plus forte lorsqu’un réfugié utilise un passeport national pour se rendre dans le pays dont il a la nationalité, car non seulement il se place sous la protection diplomatique pendant son voyage, mais il confie également sa sécurité aux autorités gouvernementales à son arrivée : Galindo Camayo, au para 63.

[10] La Cour a reconnu qu’une personne qui est contrainte de retourner dans le pays dont elle a la nationalité pour des raisons indépendantes de sa volonté ne peut pas avoir agi volontairement : El Kaissi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1234 au para 29.

[11] Contrairement aux observations de M. Akar, la SPR a bien tenu compte des motifs de son retour en Turquie. Le SPR a fait remarquer que M. Akar croyait qu’il était justifié pour lui d’obtenir un passeport et de voyager en Turquie pour rendre visite à ses proches malades, assister à des funérailles et obtenir des soins dentaires. La SPR a toutefois conclu que M. Akar avait agi volontairement pour obtenir une nouvelle carte d’identité turque et un nouveau passeport turc afin de remplacer sa carte d’identité expirée alors qu’il était en Turquie en 2012. La SPR n’a pas accepté la position de M. Akar selon laquelle il avait été contraint d’effectuer neuf voyages de retour en Turquie à des fins de regroupement familial ou de soins familiaux, et a conclu, compte tenu du nombre de voyages et de la durée de ceux-ci depuis qu’il avait obtenu l’asile au Canada, qu’il avait agi volontairement pour la plupart de ses voyages de retour. En particulier, la SPR a accordé [traduction] « un poids considérable » au fait que deux des voyages, d’une durée de 2 mois en 2010 et de 35 jours en 2016, avaient été effectués pour l’unique raison d’obtenir des soins dentaires et des implants dentaires. Le SPR n’a pas accepté l’affirmation de M. Akar selon laquelle ces voyages étaient nécessaires en raison du coût élevé des mêmes traitements au Canada. M. Akar n’a pas établi l’existence d’erreurs susceptibles de contrôle dans ces conclusions.

[12] M. Akar affirme que la SPR n’a pas tenu compte de son état de santé, mais il n’explique pas comment la preuve médicale qu’il a présentée aurait dû modifier l’analyse de la SPR concernant la question de savoir s’il avait agi volontairement et s’était intentionnellement réclamé de nouveau de la protection de la Turquie compte tenu de ses voyages répétés en Turquie depuis qu’il avait obtenu l’asile au Canada. La SPR a déclaré avoir examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait, et elle a accordé un poids important au nombre de voyages de retour, au temps total passé en Turquie (environ 300 jours) et à l’absence de justification concernant les voyages au cours desquels M. Akar a obtenu des soins dentaires. Il incombe au réfugié de produire une preuve suffisante pour réfuter la présomption selon laquelle il s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine : Galindo Camayo, au para 65, citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154 au para 26 et Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459 au para 42. À la lumière de l’ensemble de la preuve, la SPR a conclu, raisonnablement à mon avis, que M. Akar n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle il s’était réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine.

[13] M. Akar fait valoir que la SPR a commis une erreur en ne prenant pas acte du fait que ses voyages en Turquie étaient visés par [traduction] « l’exception prévue au paragraphe 125 » du Guide du HCR, qui mentionne que « le fait de rendre visite à un parent âgé ou souffrant n’a pas la même portée du point de vue des rapports du réfugié avec son pays d’origine que le fait de se rendre régulièrement dans ce pays pour y passer des vacances ou pour y établir des relations d’affaires ». De plus, il affirme que ses visites étaient temporaires et qu’il n’avait pas l’intention de résider en Turquie de façon permanente. À cet égard, il s’appuie sur une déclaration dans la décision Abawaji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 FC 1065 [Abawaji], selon laquelle « [u]n séjour temporaire par le réfugié dans le pays où il craint la persécution, alors qu’il n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente, ne devrait pas impliquer la perte du statut de réfugié » : Abawaji, au para 15, citant Camargo c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CF 1434 [Camargo] au para 35. Essentiellement, M. Akar soutient qu’il n’était pas loisible à la SPR de conclure qu’il s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de la Turquie compte tenu du libellé du paragraphe 125 du Guide du HCR, ainsi que de la nature temporaire des voyages. Je ne suis pas de cet avis.

[14] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le paragraphe 125 du Guide du HCR fournit des lignes directrices instructives. Il ne s’agit pas de droit interne. En l’espèce, les conclusions de la SPR ont été orientées par le Guide du HCR, y compris le paragraphe 125, et M. Akar n’a pas démontré d’erreur susceptible de contrôle à cet égard. En fait, le libellé du paragraphe 125 ne s’applique pas directement au cas de M. Akar parce qu’il traite d’une situation où un réfugié voyage à l’aide d’un titre de voyage délivré par son pays de résidence :

125. Lorsqu’un réfugié se rend dans son pays d’origine, sans passeport national mais, par exemple, avec un titre de voyage qui lui a été délivré par son pays de résidence, il a été considéré par certains États comme s’étant réclamé de la protection de son pays d’origine et comme ayant perdu son statut de réfugié en vertu de la clause de cessation à l’examen. Il apparaît néanmoins que des cas de ce genre doivent être appréciés individuellement.. Ainsi, le fait de rendre visite à un parent âgé ou souffrant n’a pas la même portée du point de vue des rapports du réfugié avec son pays d’origine que le fait de se rendre régulièrement dans ce pays pour y passer des vacances ou pour y établir des relations d’affaires.

[15] De plus, M. Akar n’a pas présenté d’observations convaincantes sur la façon dont les deux longs voyages servant à obtenir des soins dentaires en 2010 et 2016 seraient analogues au type de visite qui ne devrait pas avoir la même portée du point de vue des rapports du réfugié avec son pays d’origine, selon le paragraphe 125 du Guide du HCR.

[16] En ce qui concerne la nature temporaire des voyages, à mon avis, la décision Abawaji de notre Cour ne milite pas en faveur du principe selon lequel seule une intention de la part d’un réfugié de résider de façon permanente dans son pays d’origine entraînerait la perte de l’asile. Je conviens avec le défendeur que, dans la décision Abawaji, la Cour faisait référence à deux concepts, à savoir le fait de se rétablir dans le pays d’origine et le fait de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays, et le renvoi à une intention de résider de façon permanente dans le pays où il existe une crainte de persécution se rapportait au critère permettant d’établir le rétablissement volontaire. La Cour s’appuie sur le paragraphe 35 de la décision Camargo, qui fait référence aux principes directeurs applicables au rétablissement au titre du paragraphe 134 du Guide du HCR. Sous le régime de la LIPR, la perte de l’asile en cas de rétablissement fait l’objet d’une disposition différente, à savoir l’alinéa 108(1)d). La SPR a conclu que la protection de M. Akar avait cessé en application de l’alinéa 108(1)a) de la LIPR.

[17] Pour terminer, je conclus que la SPR a raisonnablement jugé que M. Akar s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de la Turquie.

[18] Aucune partie n’a proposé de question à certifier et, à mon avis, l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7115-21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christopher Cyr


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7115-21

 

INTITULÉ :

OSMAN AKAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

Aparna Das

 

Pour le demandeur

 

Nadine Silverman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brian I. Cintosun

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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