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Date : 20221020


Dossier : IMM-5025-21

Référence : 2022 CF 1436

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

FANTAHUN AYALEW MULUGETA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] L’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, dispose qu’une personne « visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger ».

[2] Dans sa décision du 29 mars 2021, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu que le demandeur n’avait pas le droit d’asile au titre de la section E de l’article premier, car il est un résident permanent de l’Italie.

[3] En appel à la Section d’appel des réfugiés [SAR], le demandeur a produit une lettre d’un avocat italien et d’un expert en droit de l’immigration, datée du 5 mai 2021, dans laquelle il donne son avis sur le statut du demandeur en Italie [le nouvel élément de preuve].

[4] La SAR a refusé d’admettre le nouvel élément de preuve, estimant que « l’appelant avait normalement accès aux éléments de preuve susmentionnés et qu’il pouvait les demander et les présenter à la SPR en vue de son audience ». La SAR a rejeté l’appel et a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas le droit d’asile au titre de la Loi.

[5] Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur dans la manière dont elle a traité le nouvel élément de preuve ou dans la conclusion qu’elle a tirée sur le bien-fondé de l’appel, la présente demande doit donc être rejetée.

Le contexte

[6] Le demandeur est citoyen de l’Éthiopie. À son arrivée au Canada en juillet 2018, il était en possession d’une carte de résident permanent italienne qui, selon le demandeur, lui a d’abord été délivrée en 2000, puis a été renouvelée plusieurs fois. Il a vécu en Italie et y a travaillé pendant 20 ans, de 1994 à 2014. Il est retourné en Éthiopie pour obtenir du travail.

[7] La Cour ne sait pas si le demandeur a tenté de retourner en Italie en 2018 avant de venir au Canada. Quoi qu'il en soit, son épouse et ses enfants sont retournés en Italie à partir de l’Éthiopie en 2018 et ils ont été autorisés à y entrer.

[8] Depuis le 30 mars 2021, son épouse et ses enfants vivent en Italie et ont tous obtenu un permis de résident permanent après leur retour de l’Éthiopie en 2018.

Les questions en litige

[9] La Cour doit trancher deux questions :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en refusant d’admettre le nouvel élément de preuve?

  2. La décision de la SAR selon laquelle le demandeur n’a pas le droit d’asile au titre de la section E de l’article premier est-elle raisonnable?

1. L’admissibilité du nouvel élément de preuve

[10] L’admissibilité du nouvel élément de preuve est régie par le paragraphe 110(4) de la Loi :

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[11] En l’espèce, il s’agit de déterminer si le nouvel élément de preuve était normalement accessible pour être présenté à la SPR.

[12] Pour appuyer l’admission de ce nouvel élément de preuve, le demandeur a signé un affidavit expliquant pourquoi il estimait que celui-ci n’était pas normalement accessible plus tôt :

[traduction]

4. J’ai tenté d’obtenir cet élément de preuve lorsque mon affaire a été mise au rôle en vue d’une audience. Toutefois, je n’ai pu retenir les services d’un conseil en Italie à ce moment-là.

5. Mon épouse a tenté de retenir les services de ce cabinet et d’autres cabinets pour obtenir un avis d’expert sur mon affaire, mais elle n’a pu le faire parce que les cabinets d’avocats étaient fermés à l’époque en raison de l’urgence liée à la COVID-19.

6. J’ai également tenté de retenir les services d’un cabinet d’avocats en ligne, toutefois plusieurs cabinets m’ont dit que moi-même ou mon représentant en Italie devions communiquer avec eux. Mon épouse n’est pas instruite et ne peut utiliser Internet pour retenir les services de cabinets d’avocats en mon nom.

7. Après l’assouplissement des restrictions relatives à la COVID-19, mon épouse a pu se rendre dans le cabinet d’avocats mentionné précédemment et retenir ses services.

8. Je soutiens respectueusement que je n’ai pu présenter cet élément de preuve devant la SPR et que je le présenterai dès que je pourrai le faire.

[13] La SAR a jugé que le nouvel élément de preuve était normalement accessible et qu’il aurait pu être présenté à la SPR :

[10] J’estime que l’appelant avait normalement accès aux éléments de preuve susmentionnés et qu’il pouvait les demander et les présenter à la SPR en vue de son audience. Si l’appelant avait fait des efforts pour obtenir de tels éléments de preuve avant son audience, mais qu’il avait fait face à des obstacles, comme il l’a expliqué dans son affidavit en appel, il lui était loisible, à lui ou à son conseil, de l’expliquer à la SPR et de demander plus de temps pour les présenter. J’ai examiné la transcription et je ne vois aucune mention du fait que l’appelant ou son conseil a cherché à obtenir de tels éléments de preuve aux fins de l’audience de l’appelant devant la SPR. De plus, je remarque que l’appelant a présenté sa demande d’asile en août 2018, qu’il a reçu l’aide d’un consultant en immigration à ce moment‑là et qu’il a eu amplement l’occasion de recueillir tous les documents à l’appui de sa demande d’asile avant que les restrictions relatives à la COVID‑19 entrent en vigueur. L’appelant était représenté par le même consultant en immigration dans le cadre de son audience devant la SPR. De plus, j’estime qu’il n’est pas crédible que les restrictions liées à la COVID‑19 aient été si restrictives que l’appelant aurait été incapable de communiquer avec un cabinet d’avocats italien par téléphone ou par d’autres moyens avant son audience devant la SPR afin de fournir l’avis qui est maintenant transmis à mon attention à titre de nouvel élément de preuve.

[14] Avec le plus grand respect, je n’accepte pas la qualification que le demandeur a attribuée au raisonnement de la SAR.

[15] Premièrement, le demandeur soutient que les motifs étaient de nature hypothétique et qu’ils ont dénaturé les éléments de preuve parce qu’il n’a pas déclaré qu’il était incapable de communiquer avec le cabinet d’avocats en Italie. Respectueusement, la SAR ne fait aucune déclaration de ce genre. Elle déclare plutôt qu’elle n’a pas retenu l’argument selon lequel les restrictions liées à la COVID-19 étaient si sévères que le demandeur « aurait été incapable de communiquer avec un cabinet d’avocats italien par téléphone ou par d’autres moyens avant son audience devant la SPR afin de fournir l’avis ». Étant donné qu’une partie de cette période était antérieure à la pandémie de COVID-19, l’observation est valable.

[16] Deuxièmement, le demandeur soutient que la SAR [traduction] « a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable sur la crédibilité fondée sur des éléments de preuve qu’elle a dénaturés ». Avec respect, la SAR ne tire aucune conclusion défavorable sur la crédibilité, ni directement ni par implication.

[17] Troisièmement, le demandeur a soutenu que la SAR a tiré une conclusion d’invraisemblance selon laquelle s’il était vrai qu’il tentait d’obtenir l’avis d’expert mentionné précédemment, il aurait pu présenter une demande de prorogation du délai; comme il ne l’a pas fait, sa déclaration n’est pas véridique. Encore une fois, avec respect, aucune conclusion semblable n’a été tirée.

[18] Toutes ces observations sont fondées sur la conclusion de fait raisonnable tirée par la SAR selon laquelle rien n’empêchait le demandeur de demander un nouvel élément de preuve avant l’imposition des restrictions liées à la COVID-19 et s’il était incapable d’obtenir le document avant l’audience devant la SPR, rien ne l’empêchait de demander un ajournement.

[19] Je conviens avec le défendeur que la SAR a raisonnablement conclu que le nouvel élément de preuve de mai 2021 aurait pu être accessible pour l’audience de la SPR de février 2021 ou, à tout le moins, qu’une explication aurait pu être donnée sur les obstacles à l’obtention de cet élément de preuve.

[20] À mon avis, un demandeur qui souhaite obtenir des éléments de preuve pour étayer sa demande d’asile devant la SPR doit, au minimum, démontrer qu’il a fait tout ce qu’il pouvait pour les obtenir avant que la SPR rende une décision, notamment présenter une demande d’ajournement lorsque les circonstances justifient un délai.

2. La décision d’exclusion

[21] Le critère pour établir s’il y a lieu à l’exclusion a été énoncé dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 au para 28 :

Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

[22] Le fardeau d’établir l’exclusion incombe au ministre, mais selon une norme de preuve moindre que la prépondérance des probabilités. Une fois que le ministre a établi prima facie qu’il s’agit d’un cas d’exclusion, il incombe alors au demandeur d’établir qu’il a perdu ce statut : voir la décision Wasel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1409 aux para 15, 16.

[23] En l’espèce, le défendeur s’est acquitté de son fardeau initial en se fondant sur les éléments de preuve indiquant que le demandeur est arrivé au Canada avec une carte de résident permanent italienne.

[24] La SPR et la SAR ont conclu que la résidence permanente du demandeur n’avait pas expiré, qu’il n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait perdu son statut de résident permanent en Italie et qu’il ne pouvait pas y retourner. Il a été constaté que le permis de résident permanent du demandeur était un document permanent sans expiration et valide pour une période indéterminée. De plus, il a été souligné que le demandeur n’avait eu aucune difficulté à renouveler son statut en Italie pendant 20 ans, que son épouse et ses enfants vivaient en Italie avec un statut à la date de l’audience de la SPR et que leur statut était fondé sur le statut de résident permanent de l’appelant en Italie.

[25] La SAR a fondé sa décision sur le point 3.8 du Cartable national de documentation pour l’Italie qui indique que le permis de résident peut être révoqué. L’emploi du mot « peut » suppose que le statut de résident permanent du demandeur n’avait peut-être pas été révoqué. En se fondant sur cet élément, il était raisonnable que la SAR conclue que le statut de résident permanent du demandeur n’avait pas été révoqué. Il incombe au demandeur de démontrer que son statut de résident permanent a été révoqué. Il ne l’a pas fait.

[26] Le demandeur soutient que la SAR a tiré une conclusion de faits déraisonnable en accordant du poids à la capacité théorique du demandeur de retourner en Italie et en faisant fi de l’expérience personnelle du demandeur, la qualifiant de non authentique. La SAR n’a pas fait fi de l’expérience personnelle du demandeur; elle lui a accordé peu de poids en raison de doutes suscités quant à la crédibilité au cours de l’audience de la SPR. De plus, la décision de la SAR n’était pas fondée sur la capacité théorique du demandeur de retourner en Italie, elle était fondée sur l’insuffisance d’élément de preuve pour conclure qu’il avait perdu sa résidence permanente et, par conséquent, qu’il pouvait retourner en Italie. Je rappelle qu’il incombe au demandeur de démontrer que sa résidence permanente avait expiré. Une simple déclaration de sa part à cet effet a été raisonnablement jugée insuffisante pour l’établir comme un fait.

[27] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5025-21

LA COUR STATUE QUE la présente demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Lyne Paquette


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5025-21

 

INTITULÉ :

FANTAHUN AYALEW MULUGETA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 20 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Daniel Tilahun Kebede

 

POUR LE DEMANDEUR

 

James Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

The Law Office of Daniel Kebede

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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