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Date : 20221024


Dossier : IMM-4390-22

Référence : 2022 CF 1452

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 octobre 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ZAID OMOGIATE EZIMOKHAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Zaid Omogiate Ezimokhai [le demandeur] a déposé la présente requête en vue d’obtenir une ordonnance interlocutoire en vertu du paragraphe 8(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles des CF]. Il cherche à accélérer l’instruction de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire [DACJ] qu’il a présentée pour contester le rejet de sa demande de permis d’études.

[2] Bien que l’autorisation n’ait pas encore été accordée, le demandeur demande à la Cour d’ordonner que toutes les étapes restantes de la DACJ – de la décision concernant la demande d’autorisation à la décision sur le fond, en passant par l’audience – soient terminées d’ici le 10 novembre 2022, soit dans un délai de trois semaines à partir de l’audience relative à la présente requête.

[3] J’ai rejeté la requête à l’audience, avec motifs à suivre. Avant de fournir mes motifs, je résumerai brièvement le contexte factuel et procédural de la requête.

I. Le contexte

[4] Le ou vers le 23 février 2022, le demandeur a présenté, depuis l’extérieur du Canada, une demande de permis d’études pour suivre, à partir de décembre 2022, un programme d’un an menant à l’obtention d’une licence de pilote professionnel, au Canadian Aviation College à Pitt Meadows, en Colombie-Britannique. La demande de permis d’études a été rejetée le 9 mars 2022.

[5] En termes généraux, le demandeur voulait suivre ce programme pour améliorer ses compétences dans l’industrie de l’aviation et devenir pilote. Il a tout récemment étudié aux États‑Unis. Le bien-fondé de la demande de permis d’études et les motifs du rejet de celle-ci ne sont pas soumis à l’examen de la Cour aujourd’hui.

[6] Pour ce qui est de l’historique procédural devant la Cour jusqu’à présent, le demandeur a déposé sa DACJ le 10 mai 2022 en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Le 5 juillet 2022, le demandeur a signifié et déposé son dossier. Le 3 août 2022, le défendeur a déposé son dossier en vue de s’opposer à la demande du demandeur, y compris à la demande d’autorisation. Le demandeur n’a pas déposé de réponse.

[7] À cette étape-ci de la procédure, comme je l’ai déjà mentionné, la DACJ a été mise en état, c’est-à-dire que tous les documents requis à l’étape de l’autorisation ont été déposés, et la décision fondée sur l’article 72 de la Loi est toujours en instance (voir l’article 9 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés (DORS 93/22) [les Règles en matière d’immigration] pour plus de détails sur la mise en état d’une demande).

II. Analyse

[8] Comme je l’ai expliqué aux parties à l’audience, la requête ne peut être accueillie parce que la Cour ne peut pas accorder la réparation demandée en vertu du paragraphe 8(1) des Règles des CF étant donné que la demande d’autorisation est toujours en instance. Même si l’autorisation avait déjà été accordée, la requête comporte plusieurs lacunes fondamentales, et la preuve n’établit pas l’existence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient que la Cour abrège les délais en vertu du paragraphe 8(1) des Règles des CF (voir Commission canadienne du blé c Canada (Procureur général), 2007 CF 39 au para 13).

[9] Le paragraphe 8(1) des Règles des CF dispose : « La Cour peut, sur requête, proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance. » Cette disposition ne peut pas être invoquée pour obliger la Cour à trancher la demande d’autorisation dans un délai déterminé puisqu’aucun délai n’est prévu à cet égard par les Règles des CF ou les Règles en matière d’immigration.

[10] Les Règles en matière d’immigration prévoient un échéancier précis une fois que l’autorisation est accordée afin de s’assurer que la Cour et les parties respectent le délai de 90 jours prévu à l’article 72 de la Loi. En effet, les ordonnances d’autorisation de la Cour indiquent généralement que les parties peuvent convenir de délais différents pour chaque étape de l’instance, auquel cas un échéancier conjoint modifié doit être déposé au greffe (voir aussi la discussion portant sur l’alinéa 74b) de la Loi ci-après).

[11] Cependant, étant donné que la demande d’autorisation n’a pas encore été tranchée par la Cour et que le délai pour rendre une décision à cet égard n’est pas prévu par les Règles des CF ou fixé par ordonnance, comme l’exige le paragraphe 8(1) des Règles des CF, le délai pour rendre une décision relative à une demande d’autorisation demeure la prérogative de la Cour et relève de sa compétence exclusive.

[12] En conséquence, la réparation demandée au titre du paragraphe 8(1) des Règles des CF, soit l’abrègement des délais, ne peut tout simplement pas être accordée en l’espèce, puisque cette disposition ne peut être invoquée pour obliger la Cour à rendre une ordonnance accordant ou refusant une autorisation. Bien qu’il ait eu plusieurs occasions de présenter ses arguments à l’égard de cet obstacle fondamental, l’avocat du demandeur n’a pas été en mesure de convaincre la Cour, ni dans ses observations écrites ni dans sa plaidoirie à l’audience, que cet obstacle pouvait être contourné.

[13] Bien que cet obstacle fondamental à la réparation demandée justifie à lui seul le rejet de la requête, je fournirai tout de même de brefs motifs pour expliquer pourquoi, même si la réparation avait pu être accordée, la situation du demandeur ne respecte pas le critère du caractère exceptionnel requis pour que la Cour accueille une requête fondée sur le paragraphe 8(1) des Règles des CF et pour qu’elle déroge aux délais prescrits par la Loi, les Règles des CF et les Règles en matière d’immigration. Le critère du caractère exceptionnel a été appliqué récemment par la juge Sylvie Roussel (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) dans l’affaire St-Cyr c Canada (Procureur général), 2021 CF 107 aux para 16-18 [St-Cyr] :

[16] Aux termes de l’article 8 des Règles, la Cour peut « proroger ou abréger tout délai prévu par les présentes règles ou fixé par ordonnance ». Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire à cet égard, la Cour tiendra compte de plusieurs facteurs qui ont été ainsi résumés :

a) L’instance est‑elle vraiment urgente ou la partie requérante souhaite‑t‑elle simplement que la question soit réglée rapidement?

b) La partie défenderesse subira‑t‑elle un préjudice si l’instance est accélérée?

c) L’affaire deviendra‑t‑elle théorique si elle n’est pas accélérée?

d) L’accélération de l’affaire causera-t-elle un préjudice à d’autres plaideurs en raison du resquillage?

(Voir May c CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130, aux para 12‑13; Alani c Canada (Premier ministre), 2015 CF 859, au para 14 [Alani]; Conacher c Canada (Premier Ministre), 2008 CF 1119, au para 16 [Conacher]; Commission canadienne du blé c Canada (Procureur général), 2007 CF 39, au para 13 [CCB]).

[17] Dans la décision McCulloch c Canada (Procureur général), 2020 CF 565 [McCulloch], après avoir analysé les décisions motivées sur des requêtes visant à accélérer l’instance, le juge Sébastien Grammond a conclu que le pouvoir discrétionnaire d’accélérer l’instance était exercé en fonction de deux (2) grands ensembles de facteurs : (1) la nécessité d’accélérer l’instance afin d’assurer l’efficacité de la réparation demandée; (2) le caractère équitable du processus accéléré (McCulloch, au para 12).

[18] Peu importe la formulation des facteurs applicables, le fardeau de la preuve incombe à la partie qui demande la modification des délais prévus par les Règles (Alani, au para 15; CCB, au para 14; Conacher, au para 18).

[14] La Loi en soi prévoit un processus expéditif pour ce type de demande. L’alinéa 74b) de la Loi prévoit que « l’audition ne peut être tenue à moins de trente jours — sauf consentement des parties — ni à plus de quatre-vingt-dix jours de la date à laquelle la demande d’autorisation est accueillie ».

[15] Je souligne que le processus suivi par la Cour fédérale dans les dossiers d’immigration, enchâssé dans la loi, est de nature sommaire; les Règles en matière d’immigration et les ordonnances d’autorisation (y compris les ordonnances de production du dossier certifié du tribunal, qui précèdent habituellement les ordonnances d’autorisation) prévoient le déroulement expéditif des diverses étapes du processus. Le délai prévu entre le prononcé de la décision relative à la demande d’autorisation et la tenue de l’audience est court. L’alinéa 74c) de la Loi dispose que « le juge statue à bref délai et selon la procédure sommaire ».

[16] J’expliquerai maintenant pourquoi le demandeur ne respecte pas le critère pertinent, énoncé dans la décision St-Cyr, précitée.

a) L’affaire n’est pas urgente

[17] Premièrement, le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve clair ou convaincant qui démontre la nécessité d’accélérer le traitement de l’affaire. Son argument est purement spéculatif. Mis à part les déclarations de son avocat, aucun élément de preuve objectif ou corroborant provenant du Canadian Aviation College n’a été présenté. Le demandeur n’a pas produit de lettre, de facture ou d’éléments de preuve indiquant qu’il risque de perdre des fonds, d’être exclu du programme ou de ne pas pouvoir reporter la date du début de ses études, pour justifier son affirmation selon laquelle la Cour doit rendre une décision définitive relativement à sa DACJ d’ici le 10 novembre 2022.

[18] En d’autres termes, rien ne permet à la Cour de conclure que la demande est véritablement urgente. Le demandeur préfère simplement que l’affaire soit accélérée afin de pouvoir poursuivre ses études. Pour preuve, lorsqu’il a été confronté à cette réalité à l’audience, l’avocat du demandeur a répondu que cette décision appartenait bel et bien à la Cour et que toute date ultérieure au 10 novembre 2022 qui accélérerait tout de même le processus suffirait. Il est évident que le demandeur préfère simplement passer devant d’autres plaideurs.

b) Le défendeur subirait un préjudice

[19] Deuxièmement, à ce stade de l’instance, il ne fait aucun doute que le traitement accéléré de l’affaire nuirait à la capacité du défendeur de préparer sa réponse, qu’il s’agisse d’obtenir le dossier certifié du tribunal, de mener des contre-interrogatoires ou de présenter d’autres observations découlant des éléments qui précèdent.

c) L’affaire ne deviendrait pas théorique

[20] Troisièmement, le demandeur n’a présenté aucun argument ou élément de preuve pour démontrer que l’affaire sous-jacente (l’admission au Canadian Aviation College) deviendrait théorique si la DACJ n’était pas accélérée.

d) D’autres plaideurs subiraient un préjudice

[21] Quatrièmement (pour ce qui est du dernier volet du critère énoncé dans la décision St-Cyr), chaque année, des milliers d’autres parties qui se présentent devant notre Cour aimeraient que leur cause soit accélérée. La Cour a reçu un nombre record de DACJ cette année, et la tendance continue de s’amplifier. L’accélération de la présente affaire, ou de tout autre contrôle judiciaire dans une affaire d’immigration différente, peu importe la catégorie (qu’il s’agisse de la catégorie des étudiants ou d’une autre catégorie), causera inévitablement un préjudice aux autres plaideurs, qui attendent patiemment leur tour pour être entendus par notre Cour.

[22] En somme, le demandeur n’a pas présenté les éléments de preuve nécessaires pour établir que la présente affaire est un dossier véritablement exceptionnel qui justifie l’ordonnance extraordinaire demandée.

III. Conclusion

[23] La requête sera donc rejetée.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-4390-22

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4390-22

 

INTITULÉ :

ZAID OMOGIATE EZIMOKHAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2022

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 OCTOBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Abayomi Ogayemi

 

POUR LE DEMANDEUR

Shauna Hall-Coates

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Abayomi Ogayemi

Ogayemi Law Firm

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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