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Date: 20221101


Dossier: T‐876‐20

Référence : 2022 FC 1487

[TRADUCTION FRANÇAISE, RÉVISÉE PAR L’AUTEUR]

Ottawa, Ontario, le 1er novembre 2022

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE:

COB ROLLER FARMS LTD.

demanderesse

et

9072‐3636 QUÉBEC INC., EXERÇANT SES ACTIVITÉS SOUS LE NOM D’ÉCOCERT CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Écocert Canada a suspendu puis révoqué la certification biologique de Cob Roller Farms Ltd. en vertu du Règlement sur la salubrité des aliments au Canada, DORS/2018‐108 [le Règlement sur la salubrité des aliments]. La révocation était fondée sur des « déclarations fausses ou trompeuses » qui auraient été faites par Cob Roller dans le cadre de sa demande de certification, en contravention de l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada, LC 2012, c 24 [la Loi sur la salubrité des aliments]. Cob Roller soutient que la suspension et la révocation ont été effectuées de façon inéquitable et déraisonnable, et demande à la Cour de les annuler.

[2] Pour les raisons que j’énonce ci‐dessous, je conclus qu’Écocert Canada n’a pas suivi les procédures exigées par le Règlement sur la salubrité des aliments avant de suspendre et de révoquer la certification de Cob Roller. En particulier, il n’a pas donné à Cob Roller un préavis des motifs de la suspension et un délai pour prendre des mesures correctives, et il n’a pas donné à Cob Roller un préavis des problèmes ayant mené à la révocation et la possibilité de présenter des observations à leur sujet. Ayant omis d’effectuer de telles mesures, Écocert Canada n’a pas respecté le niveau d’équité procédurale établi par règlement. Il faut donc annuler les décisions et renvoyer l’affaire à Écocert Canada.

[3] Je conclus en outre que la décision d’Écocert Canada sur la révocation ne répond pas aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification requises pour une décision raisonnable. Même si Écocert Canada a précisé les déclarations qu’il a trouvées fausses ou trompeuses, il n’a pas expliqué pourquoi l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments s’applique à ces déclarations, ni pourquoi il a rejeté l’argument de Cob Roller selon lequel il s’agissait de simples oublis ou erreurs. Étant donné qu’Écocert Canada reconnaît que ce ne sont pas toutes les erreurs dans une demande qui rendent nécessaire la révocation d’une certification en vertu du régime réglementaire pertinent, Écocert Canada avait le devoir d’expliquer les raisons de sa décision de révocation, ce qu’elle n’a pas fait. Les justifications fournies par Écocert Canada dans le cadre de cette demande ne peuvent être prises en considération et ne peuvent remédier à une décision inexpliquée.

[4] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. Les décisions de suspension et de révocation sont annulées, et l’affaire est renvoyée à Écocert Canada pour un nouvel examen.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[5] Les principales questions en litige dans cette demande sont de savoir si la suspension et la révocation subséquente de la certification biologique de Cob Roller par Écocert Canada étaient a) équitables sur le plan de la procédure et b) raisonnables quant au fond.

[6] Les parties conviennent, et je suis en accord, que l’équité du processus menant aux décisions doit être examinée selon une norme qui est semblable à celle de la décision correcte, mais n’implique à proprement parler aucune norme de contrôle : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54–55; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14. Pour évaluer l’équité procédurale, la Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances : Canadien Pacifique au para 54. Pour les raisons que j’ai déjà mentionnées, cette norme ne change pas simplement parce que certains aspects du processus sont définis par des dispositions législatives : Iwekaeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 814 aux para 9‐14; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 aux para 5, 79–90.

[7] Les parties conviennent également que le bien‐fondé des décisions d’Écocert Canada peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25. Lorsqu’elle applique la norme de la décision raisonnable, la Cour doit se demander si la décision présente les caractéristiques requises de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci : Vavilov au para 99. Je suis d’accord avec les parties, sous réserve d’une mise en garde concernant l’interprétation législative de l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments.

[8] La mise en garde a trait aux observations des parties au sujet de l’interprétation de l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments, dont il est question ci‐dessous aux paragraphes [72] à [76] . À la suite de l’audience de cette affaire, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans Société canadienne des compositeurs, auteurs et éditeurs de musique c Entertainment Software Association, 2022 CSC 30 [SOCAN c ESA]. La Cour suprême a conclu que, à titre d’exception à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, la norme de la décision correcte devrait s’appliquer lorsque les tribunaux et les organismes administratifs ont compétence concurrente en première instance sur une question de droit dans une loi : SOCAN c ESA aux para 26–42, citant Rogers Communications Inc c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35.

[9] Dans le cas présent, les organismes administratifs comme Écocert Canada ont compétence en première instance pour interpréter et appliquer l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments dans les circonstances relatives à la révocation d’une certification biologique. Toutefois, les tribunaux peuvent également avoir compétence en première instance pour interpréter et appliquer l’article 15 lorsque, par exemple, une personne est accusée d’une infraction pour une contravention à l’article 15, ou lorsque le ministre demande une injonction ou une confiscation pour ce motif : Loi sur la salubrité des aliments, art 15, 33, 37, 39. Il est donc possible de soutenir que l’arrêt SOCAN c ESA dicte que la norme appropriée à cet égard est celle de la décision correcte. Je n’ai pas à trancher cette question, puisque j’ai conclu que la décision d’Écocert Canada ne peut être maintenue, même sur la base de la norme déférente du caractère raisonnable, et même en acceptant son interprétation de l’article 15. Je n’ai donc pas cherché à obtenir d’autres observations de la part des parties sur ce point, et j’ai simplement soulevé cette question à titre de mise en garde à la lumière de la jurisprudence de la Cour suprême.

III. Analyse

[10] Avant d’aborder les deux questions principales soulevées par Cob Roller, c’est-à-dire l’équité procédurale et le caractère raisonnable, j’aborderai (A) trois questions préliminaires qui découlent de la façon dont les parties ont présenté la présente demande, (B) le cadre de réglementation applicable et (C) le contexte des décisions de suspension et de révocation en cause dans la présente demande.

A. Questions préliminaires

(1) Écocert Canada à titre de défendeur dans la demande

[11] La présente demande de contrôle judiciaire est présentée conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‐7. Les parties conviennent qu’Écocert Canada est un « office fédéral » puisqu’il s’agit d’un organisme exerçant sa compétence ou ses pouvoirs en vertu d’une loi fédérale, à savoir la Loi sur la salubrité des aliments et le Règlement sur la salubrité des aliments : Loi sur les Cours fédérales, art. 2 (« office fédéral »).

[12] Toutefois, la Règle 303(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‐106, prévoit que, dans le cas d’une demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit désigner à titre de défenderesse toute personne directement touchée par l’ordonnance recherchée, à l’exception du tribunal visé par la demande, sauf si le tribunal est tenu par la loi d’être désigné comme partie. En l’absence d’une telle partie, le demandeur doit désigner comme défendeur le procureur général du Canada : Règles des Cours fédérales, Règle 303(2). Le procureur général a un mandat de protection de l’intérêt public axé sur la primauté du droit, et sa position ne correspond pas toujours à celle du tribunal : Kinghorne c Canada (Procureure générale), 2017 CF 1012 au para 8. Bien que le tribunal puisse, dans certains cas, remplacer le procureur général à titre de défendeur, cela ne devrait se produire que sur requête du procureur général, lorsque la Cour est convaincue que le procureur général est incapable d’agir ou n’est pas disposé à le faire : Règles des Cours fédérales, Règle 303(3).

[13] Comme j’en ai informé les parties à l’audience sur la demande, ces règles signifient que Cob Roller aurait dû désigner le procureur général du Canada comme défendeur, plutôt qu’Écocert Canada. Toutefois, Écocert Canada ne s’est pas opposé à ce qu’on le désigne comme défendeur. Le procureur général ne s’est pas non plus opposé à ne pas être nommé, même s’il a reçu une copie de l’avis de demande de la Cour le jour où il a été déposé, conformément à la Règle 133(2) des Règles des Cours fédérales. La demande de contrôle judiciaire a donc été instruite avec Écocert Canada à titre de défendeur au cours des deux dernières années, notamment dans le cadre d’une requête contestée visant une prorogation du délai et la préparation subséquente d’affidavits, de la tenue de contre‐interrogatoires et du dépôt de dossiers : voir Cob Roller Farms Ltd c 9072‐3636 Québec Inc (Écocert Canada), 2020 CF 806. Bien que cela ne soit pas conforme aux Règles des Cours fédérales, j’ai conclu à l’audience que les intérêts de la justice et de l’efficacité étaient mieux servis dans les circonstances, en poursuivant avec Écocert Canada à titre de défendeur : Règles des Cours fédérales, Règles 3, 55.

[14] Je note également qu’Écocert Canada, à juste titre, ne s’est pas opposé à ce que Cob Roller demande un examen à la fois de la suspension et de la révocation dans la même demande de contrôle judiciaire. Une demande de contrôle judiciaire doit se limiter à une seule décision ou ordonnance, sauf ordonnance contraire de la Cour : Règles des Cours fédérales, Règle 302. La Cour a reconnu que les décisions étroitement liées ou une démarche continue peuvent être traitées comme une seule décision : Burlacu c Canada (Procureur général), 2019 CF 1215 au para 21, citant Conseil des Innus de Ekuanitshit c Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 1298 au para 49 et Whitehead c Première Nation de Pelican Lake, 2009 CF 1270 aux para 51–52. Dans son avis de demande, Cob Roller a demandé l’autorisation de présenter la demande pour plus d’une ordonnance, au besoin. Dans le cas présent, la suspension et la révocation de la certification biologique de Cob Roller sont étroitement liées et font partie d’une démarche continue. Dans la mesure où elles sont considérées comme des décisions distinctes plutôt que comme des parties d’une même décision, je suis convaincu que les contestations de Cob Roller à l’égard de chacune d’elles peuvent et devraient être considérées ensemble dans le cadre de la présente demande : Règles des Cours fédérales, Règles 3, 302.

(2) Preuve par affidavit des parties

[15] Cob Roller et Écocert Canada ont tous les deux déposé des affidavits qui vont au‐delà de la preuve admissible pouvant être déposée dans une demande de contrôle judiciaire.

[16] En général, la preuve relative à une demande de contrôle judiciaire se limite aux renseignements dont disposait le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 [Access Copyright]. À titre d’exceptions à cette règle générale, un affidavit fournissant des antécédents généraux peut être admissible s’il aide la Cour à comprendre les questions en litige, et des éléments de preuve concernant les défauts de procédure ou le contenu du dossier dont est saisi le décideur peuvent également être admissibles : Access Copyright au para 20. Toutefois, les affidavits qui visent à compléter le dossier ou à étayer les motifs du décideur ne sont généralement pas admissibles : Access Copyright aux para 19–20; Tsleil‐Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 116 au para 33; Sellathurai c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CAF 255 aux para 45–47; Sapru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 35 aux para 52–53.

[17] Cob Roller a déposé l’affidavit de Brooke Leystra, l’unique dirigeante et administratrice de Cob Roller. Cet affidavit présente du contexte admissible de la décision, des éléments de preuve concernant des renseignements qui ont été présentés à Écocert Canada, y compris par le biais de déclarations verbales, et des preuves de la procédure ayant mené à la décision de révocation. Toutefois, il contient également des déclarations inadmissibles concernant la position de Cob Roller sur la demande de contrôle judiciaire et des arguments détaillés concernant l’équité et le caractère raisonnable de la décision d’Écocert Canada. Bien qu’il s’agisse en grande partie d’un dédoublement des observations écrites de Cob Roller, elles ne sont pas appropriées dans un affidavit et ne seront pas prises en considération. L’affidavit de Mme Leystra comprend également des déclarations concernant les dommages qu’aurait subis Cob Roller à cause de la décision, ainsi que ses efforts d’atténuation. Ces déclarations, en plus d’être inadmissibles, ne sont pas pertinentes aux questions dont la Cour est saisie dans la demande. Elles seront également écartées.

[18] Écocert Canada a déposé des affidavits de son directeur général, Sébastien Houle, et de l’un de ses inspecteurs, Simon Jacques. L’affidavit de M. Jacques fournit le contexte factuel des inspections ayant mené à la suspension et à la révocation. Il s’agit de renseignements dont le décideur avait été saisi et qui sont admissibles.

[19] Semblablement, l’affidavit de M. Houle présente des renseignements procéduraux admissibles. Cependant, il met aussi de l’avant des éléments de preuve concernant les motifs de la décision d’Écocert Canada qui vont bien au‐delà des motifs fournis à Cob Roller. Cette tentative d’apporter un complément d’information sur la décision n’est pas permise : Sellathurai aux para 45–47. Comme le soutient Cob Roller, la décision faisant l’objet du contrôle est la décision prise par le décideur administratif au moment où elle a été prise, et le contrôle judiciaire n’est pas une occasion pour le décideur de corriger ou de justifier sa décision par la présentation de nouveaux motifs. L’affidavit de M. Houle contient également de nombreux arguments qui décriraient pourquoi les explications de Cob Roller sont insuffisantes et pourquoi la décision d’Écocert Canada était justifiée. Comme pour l’affidavit de Mme Leystra, ces arguments n’ont pas leur place dans un affidavit et ne seront pas pris en considération.

(3) Nouveau document présenté par Écocert Canada

[20] À l’audience, Écocert Canada a demandé l’autorisation de déposer un document considéré comme une version correcte de la pièce Q accompagnant l’affidavit de Mme Leystra. Le document est un [traduction] Avis de confirmation de rendement pour l’année 2018, émis par Agricorp, l’organisme d’assurance‐récolte du gouvernement de l’Ontario. Comme il est indiqué ci‐dessous, Écocert Canada s’est appuyé sur l’Avis de confirmation de rendement comme l’un des motifs de la révocation de la certification de Cob Roller. M. Houle a soulevé des craintes au sujet de l’authenticité de la copie du document joint à la pièce Q de l’affidavit de Mme Leystra lors de son contre‐interrogatoire en janvier 2021. L’avocat d’Écocert Canada a déclaré à l’audience que cette nouvelle version avait été reçue directement d’Agricorp après le contre‐interrogatoire et qu’elle était différente de la pièce Q de Mme Leystra.

[21] À l’audience, j’ai décidé que le nouveau document ne serait pas admis. Il n’était pas dans l’intérêt de la justice de permettre le dépôt du document puisque a) Écocert Canada l’a reçu en mars 2021, mais n’a pas demandé l’autorisation de déposer le document avant l’audience elle‐même, au-delà d’un an plus tard, b) le document n’était pas devant le décideur au moment de la décision et est donc généralement irrecevable dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, et c) dans la mesure où le document pourrait être pertinent eu égard à la crédibilité de Mme Leystra, permettre à Écocert Canada de le soumettre le jour de l’audience serait préjudiciable à Cob Roller.

B. Cadre de réglementation de la certification biologique fédérale

[22] L’étiquetage des aliments biologiques destinés au commerce interprovincial est régi par les dispositions de la partie 13 du Règlement sur la salubrité des aliments, promulgué en vertu de l’article 51 de la Loi sur la salubrité des aliments. Ces dispositions sont administrées et appliquées par le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, par l’entremise de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), dans le cadre d’un programme appelé Régime Bio‐Canada.

[23] En vertu du Règlement sur la salubrité des aliments, seule une personne titulaire d’un certificat peut emballer et étiqueter des aliments comme étant « biologiques » ou utiliser le logo « Biologique Canada » : Règlement sur la salubrité des aliments, arts 1 (« produit biologique »), 342, 353, 356, 358, 359, annexe 9. Ces certificats sont délivrés non pas par l’ACIA elle‐même, mais par des « organismes de certification » accrédités par l’ACIA : Règlement sur la salubrité des aliments, arts 340 (« organisme de certification »), 344, 347, 360–363. Pour être accréditée comme organisme de certification, une personne doit démontrer, entre autres, sa conformité à une norme publiée par l’Organisation internationale de normalisation, ISO/IEC 17065, nommée Évaluation de la conformité – Exigences pour les organismes certifiant les produits, les procédés et les services : Règlement sur la salubrité des aliments, arts 340 (« ISO/IEC 17065 »), 360, 364. Écocert Canada est un organisme de certification accrédité.

[24] Le Règlement sur la salubrité des aliments prévoit la suspension ou la révocation possible d’une certification biologique délivrée par un organisme de certification. L’article 349 régit la suspension. Il exige qu’un organisme de certification suspende une certification si le titulaire du certificat ne se conforme pas à la Loi sur la salubrité des aliments, à la partie 13 du Règlement sur la salubrité des aliments, ou aux normes biologiques applicables : Règlement sur la salubrité des aliments, art 349(1). Cet article énonce également les procédures à suivre en cas de suspension potentielle, y compris la présentation d’un rapport écrit et la possibilité de prendre des mesures correctives :

Conditions

Conditions

349 (2) L’organisme de certification ne peut suspendre la certification que si, à la fois :

349 (2) The certification body must not suspend a certification unless the holder of the certificate

a) un rapport écrit précisant les motifs de suspension et le délai dans lequel des mesures correctives doivent être prises afin d’éviter la suspension a été fourni au titulaire du certificat;

(a) was provided with a written report that sets out the grounds for the suspension and the period within which corrective action must be taken in order to avoid the suspension; and

b) le titulaire a omis de prendre des mesures correctives dans le délai imparti ou, si l’organisme de certification a accordé une prolongation, à la demande écrite du titulaire, dans le délai précisé par l’organisme de certification.

(b) failed to take corrective action within that period or, if the certification body granted an extension at the written request of the holder, within any later period specified by the certification body.

Prolongation du délai

Extension of period

349 (3) L’organisme de certification ne peut prolonger le délai dans lequel des mesures correctives doivent être prises qu’une seule fois.

(3) The certification body may grant an extension of the period in which corrective action must be taken only once.

Avis écrit

Written notice

(4) L’organisme de certification est tenu d’aviser par écrit le titulaire de la suspension et de la date de sa prise d’effet.

(4) The certification body must notify the holder of the certificate in writing of the suspension and the date on which it takes effect.

Durée de la suspension

Duration of suspension

(5) La suspension de la certification est levée lorsque l’organisme de certification établit que des mesures correctives ont été prises.

(5) The suspension of a certification must be lifted if the certification body determines that corrective action has been taken.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[25] L’article 350 du Règlement sur la salubrité des aliments régit la révocation d’une certification biologique. Il prévoit qu’un organisme de certification « est tenu de révoquer une certification » dans certaines circonstances. Les deux premières circonstances sont particulièrement pertinentes dans le contexte de la présente demande :

Révocation

Cancellation

350 (1) L’organisme de certification est tenu de révoquer la certification dans les cas suivants :

350 (1) The certification body must cancel a certification if

a) le titulaire du certificat omet de prendre des mesures correctives dans les trente jours suivant la date de suspension de la certification;

(a) the holder of the certificate fails to take corrective action within 30 days after the day on which the certification was suspended;

b) le titulaire ne s’est pas conformé à l’article 15 de la Loi dans le cadre de la demande visée aux articles 344 ou 347 ou à tout moment pendant la période de validité de la certification;

(b) the holder of the certificate was not in compliance with section 15 of the Act in respect of the application made under section 344 or 347 or at any time during the period of validity of the certification;

[...]

[...]

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[26] L’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments, dont il est question à l’alinéa 350(1)b), est une disposition générale qui interdit de faire une « déclaration fausse ou trompeuse » ou de fournir des « renseignements faux ou trompeurs » aux personnes exerçant des attributions sous le régime de la loi :

Renseignements faux ou trompeurs

False or misleading information

15 Il est interdit à toute personne de faire une déclaration fausse ou trompeuse à une personne qui exerce des attributions sous le régime de la présente loi, ou de lui fournir des renseignements faux ou trompeurs, relativement à toute question visée par toute disposition de la présente loi ou des règlements, notamment dans le cadre d’une demande de licence, d’enregistrement ou d’agrément.

15 It is prohibited for a person to make a false or misleading statement to any person who is exercising powers or performing duties or functions under this Act — or to provide him or her with false or misleading information — in connection with any matter under any provision of this Act or the regulations, including in respect of an application for a licence or registration.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[27] L’application combinée de l’alinéa 350(1)b) du Règlement sur la salubrité des aliments et de l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments signifie qu’un organisme de certification doit révoquer une certification si le titulaire a fait ou fourni une « déclaration fausse ou trompeuse » ou fourni des « renseignements faux ou trompeurs » à une personne exerçant des attributions sous le régime de la Loi sur la salubrité des aliments à l’égard de sa demande ou à tout moment pendant la période de validité de la certification.

[28] Comme il est possible de constater, l’alinéa 350(1)a) du Règlement sur la salubrité des aliments exige la révocation lorsque des mesures correctives ne sont pas prises dans les 30 jours suivant la suspension de la certification. La révocation en vertu de cet alinéa exige donc qu’il y ait eu une suspension antérieure en vertu de l’article 349. Toutefois, aucune suspension préalable n’est mentionnée à l’alinéa 350(1)b).

[29] À l’instar de l’article 349, l’article 350 du Règlement sur la salubrité des aliments énonce les procédures à suivre avant une révocation, notamment la présentation d’un avis et la possibilité de se faire entendre, qui sont énoncées au paragraphe 350(2) :

Conditions

Conditions

350 (2) L’organisme de certification ne peut révoquer la certification à moins que le titulaire du certificat n’ait été avisé par écrit des motifs de révocation et que celui‐ci n’ait eu la possibilité de se faire entendre à l’égard de la révocation.

350 (2) The certification body must not cancel a certification unless the holder of the certificate was notified in writing of the grounds for the cancellation and was provided with an opportunity to be heard in respect of the cancellation.

Avis écrit

Written notice

(3) L’organisme de certification est tenu d’aviser par écrit le titulaire du certificat de la révocation et de la date de sa prise d’effet.

(3) The certification body must notify the holder of the certificate in writing of the cancellation and the date on which it takes effect.

[Je souligne.]

[Emphasis added.]

[30] En plus de ces dispositions législatives et réglementaires, l’ACIA a publié un Manuel de fonctionnement du Régime Bio‐Canada. Ce manuel contient des politiques et des procédures relatives aux activités menées dans le cadre du Régime Bio‐Canada, et fait fréquemment référence à la partie 13 du Règlement sur la salubrité des aliments. Le Manuel de fonctionnement indique qu’en cas de divergence, le Règlement sur la salubrité des aliments prévaut.

C. Les décisions de suspension et de révocation en cause

(1) Demande de certification de Cob Roller

[31] Cob Roller produit des cultures biologiques depuis un certain nombre d’années. L’entreprise exploite quatre champs en Ontario, produisant du maïs, du soja et d’autres cultures. Avant 2019, Cob Roller détenait une certification biologique auprès d’un autre organisme de certification, soit la Global Organic Alliance [la GOA]. Après que la GOA a cessé ses activités au Canada, Cob Roller a présenté une demande à Écocert Canada, le 1er juin 2019, pour que sa certification soit transférée. Le formulaire de demande d’Écocert Canada comprenait une [traduction] « Fiche d’historique » exigeant que le demandeur indique la [traduction] « Superficie du champ » pour chaque champ et donne des renseignements sur la culture et les engrais, les amendements des sols et les produits phytosanitaires appliqués au champ pendant l’année en cours et les trois années précédentes. Cob Roller a déclaré que deux de ses champs avaient une superficie de 50 acres, et que deux champs avaient une superficie de 100 acres, et elle a décrit les cultures produites et les engrais utilisés dans les champs depuis 2016. Elle a laissé en blanc tous les espaces pour la divulgation des produits phytosanitaires, y compris l’herbicide Roundup.

[32] Écocert Canada a envoyé à Cob Roller les résultats de son examen documentaire préalable à l’inspection le 17 juin 2019. Il a noté que l’historique d’un des champs de Cob Roller (champ 4) était absent du formulaire et a exigé une déclaration selon laquelle le champ n’avait pas été traité avec des substances non biologiques depuis au moins 36 mois. Cette période de 36 mois reflète les Normes biologiques canadiennes incorporées par renvoi au Règlement sur la salubrité des aliments, qui exigent qu’aucune substance interdite ne soit utilisée pendant au moins 36 mois avant la récolte d’une culture biologique : Règlement sur la salubrité des aliments, arts 340 (« CAN/CGSB‐32.310 », « CAN/CGSB‐32.311 »), 344, 345. L’examen d’Écocert Canada a également constaté qu’il manquait un plan de production et a exigé que les plans de production soient disponibles au moment de l’inspection.

[33] À l’aide d’un formulaire d’Écocert Canada, Cob Roller a envoyé la [traduction] « Déclaration sur les 36 mois » demandée au début de juillet. Écocert Canada a inspecté l’exploitation agricole de Cob Roller en août 2019 et a relevé deux autres éléments de non‐conformité concernant des dossiers manquants. Cob Roller a réglé ces problèmes et Écocert Canada a émis un certificat de producteur biologique le 7 octobre 2019.

(2) Plainte et inspection approfondie

[34] Le 26 novembre 2019, Écocert Canada a reçu une plainte au sujet de Cob Roller. Écocert Canada n’a pas informé Cob Roller de l’existence ni du contenu de la plainte. Cependant, à la suite de la plainte, M. Jacques, d’Écocert Canada, a effectué une inspection non annoncée du site de Cob Roller le 9 décembre 2019. Au cours de l’inspection, il a parlé avec Mme Leystra et son mari, l’autre propriétaire de Cob Roller, Scott Leystra. À la fin de l’inspection, M. Jacques a préparé un formulaire d’entrevue de départ, dont il a remis une copie à Cob Roller.

[35] Le formulaire d’entrevue de départ indique que l’inspection était une [traduction] « inspection aléatoire », ce qui concorde avec la déclaration de Mme Leystra selon laquelle M. Jacques lui a dit que l’inspection était aléatoire. Le formulaire d’entrevue de départ comprend la rubrique [traduction] « Écart observé ». Sous cette rubrique, M. Jacques a relevé trois problèmes : (a) une annexe sur les cultures pour le certificat biologique de 2018 de la GOA était manquante, (b) la disponibilité de certains dossiers de récolte des années précédentes pour inspection, et (c) une [traduction] « clarification » selon laquelle la taille du champ déclarée dans la demande était la superficie totale de la ferme, plutôt que la superficie cultivée, qui était plus petite. En ce qui concerne le troisième problème, il a été demandé à Cob Roller [traduction] : « Veuillez confirmer la taille exacte du champ. »

(3) « Avis de motif de révocation » et réponse de Cob Roller

[36] Dix jours plus tard, le 19 décembre 2019, Écocert Canada a envoyé à Cob Roller un [traduction] « Avis de motif de révocation ». L’avis citait l’alinéa 350(1)b) et le paragraphe 350(2) du Règlement sur la salubrité des aliments et indiquait que la certification de Cob Roller avait été suspendue. L’avis alléguait neuf points de non‐conformité. Il s’agissait notamment de deux des écarts relevés dans le formulaire d’entrevue de départ (les registres de récolte manquants et le problème de la taille du champ), ainsi que de sept nouveaux problèmes. Sur les neuf problèmes, deux concernaient des « renseignements faux ou trompeurs », c’est-à-dire les déclarations de la taille des champs pour trois des champs, et le fait que, dans sa demande initiale, Cob Roller n’avait pas identifié l’utilisation de Roundup en 2016 dans l’un de ses champs (champ 3). Écocert Canada semble avoir pris connaissance de l’utilisation du Roundup sur le champ 3 en 2016 parce que Cob Roller avait déjà déclaré son utilisation à la GOA, et le dossier de la GOA a été fourni à Écocert Canada.

[37] Les autres éléments de non‐conformité comprenaient des préoccupations selon lesquelles les conteneurs à grains n’étaient pas numérotés et leur contenance n’était pas mentionnée sur les cartes du plan biologique de Cob Roller, et Cob Roller ne gérait pas adéquatement sa zone tampon. Pour ce qui est de la dernière de ces préoccupations, Écocert Canada a fait remarquer que les rendements de Cob Roller semblaient élevés et a demandé une explication et une copie des déclarations de rendement d’Agricorp.

[38] L’avis informait Cob Roller qu’elle avait la possibilité d’être entendue au sujet de la révocation, ce qu’elle pouvait faire en [traduction] « tirant parti du processus d’appel dans les trente (30) jours suivant la date de l’avis [lui] informant de la décision ».

[39] Le 19 janvier 2020, Cob Roller a envoyé à Écocert Canada une réponse de 23 pages abordant les neuf points soulevés dans l’avis. La réponse comprenait une déclaration selon laquelle la superficie des champs était une erreur attribuable au fait que Mme Leystra avait écrit la superficie totale pour chaque ferme et non les acres exploitables. Mme Leystra a fourni des cartes GPS et des superficies corrigées pour permettre la vérification des superficies. La réponse indiquait également que la dernière application de Roundup avait eu lieu en mai 2016 et qu’elle avait été signalée dans les fiches d’historique de la GOA. Encore une fois, des documents sur l’historique des champs corrigés ont été fournis. Dans le cadre de la réponse à la préoccupation au sujet des renseignements sur les conteneurs, Cob Roller a fourni un croquis de ses conteneurs avec leur contenance. Elle a également répondu à la préoccupation au sujet des rendements en fournissant de l’information sur le rendement des cultures et une copie de l’Avis de confirmation de rendement d’Agricorp pour 2018.

(4) Le Résultat de la demande d’appel et la révocation

[40] Le 6 février 2020, Écocert Canada a envoyé à Cob Roller un document de [traduction] « Résultat de la demande d’appel », daté du 5 février. Ce document d’une page informait Cob Roller [traduction] « du résultat de votre demande d’appel de la décision concernant la certification » dans les termes suivants :

[traduction]

Votre appel est rejeté : la décision initiale d’ÉCOCERT CANADA concernant la certification est maintenue. Le rejet est fondé sur les motifs suivants :

DÉCLARATION FAUSSE OU TROMPEUSE :

Fausse déclaration au sujet de la taille du champ, plus grande que la superficie réelle (ferme familiale (champ no 1); ferme Churchil [sic] (champ no 2); ferme Hodgson (champ no 4);

Déclaration trompeuse dans l’historique des champs fournie à ÉCOCERT (Champ n° 3);

Déclaration manquante dans le plan du système biologique d’un site de stockage de matières organiques : Site de stockage Inwood ‐ 1712, chemin McAustan [sic];

Déclaration erronée / sans correction, dans l’Avis de confirmation de rendement d’Agricorp : seul le maïs jaune figurait sur votre certificat biologique de 2018 de la Global Organic Alliance, tandis que l’Avis de confirmation de rendement d’Agricorp de 2018 indiquait 3 000 boisseaux de soya biologique.

[En gras dans l’original.]

[41] Le document cite l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments. Il fait ensuite référence à l’alinéa 350(1)b) du Règlement sur la salubrité des aliments, disant qu’Écocert Canada devait révoquer la certification de Cob Roller parce qu’elle ne conformait pas à l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments. Écocert Canada y a joint un avis de révocation indiquant que l’accord de certification conclu avec Écocert Canada était révoqué et que Cob Roller devait cesser de mentionner le terme biologique ou Écocert Canada.

[42] Le 7 février 2020, le lendemain de la réception du « Résultat de la demande d’appel », Mme Leystra a envoyé à Écocert Canada un courriel répétant les explications de Cob Roller concernant les deux premières déclarations énumérées (la taille du champ et l’historique du champ) et fournissant des explications concernant les deux autres déclarations (le site de stockage et l’Avis de confirmation de rendement). Ce courriel a été envoyé de nouveau le 11 février. Écocert Canada a répondu par courriel le 12 février en remerciant Mme Leystra de l’information, mais en disant que [traduction] « la certification est close puisque l’appel a été rejeté ».

D. Équité procédurale

[43] Les parties ont présenté des observations concernant la nature appropriée de l’obligation d’équité dans les circonstances, se reportant aux facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 21–28. En appliquant ces facteurs, Cob Roller soutient qu’un degré élevé d’équité procédurale s’imposait, tandis qu’Écocert Canada soutient que l’obligation d’équité est minime.

[44] À mon avis, ces arguments sont en grande partie hors de propos, car le Règlement sur la salubrité des aliments énonce des exigences procédurales qui doivent être respectées, indépendamment de ce que l’obligation d’équité en common law pourrait dicter : Ocean Port Hotel Ltd c Colombie‐Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52 aux para 20–22. Conformément à l’alinéa 18.1(4)b) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour peut accorder une réparation si le décideur n’a pas observé un principe d’équité procédurale ou « toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter ». Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’Écocert Canada n’a pas suivi les procédures prescrites par le Règlement sur la salubrité des aliments et que cela a rendu la suspension et la révocation inéquitables sur le plan de la procédure.

(1) La suspension

[45] Comme il est indiqué ci‐dessus, le paragraphe 349(2) du Règlement sur la salubrité des aliments prévoit qu’un organisme de certification ne peut suspendre une certification que si le titulaire a) a reçu un rapport écrit précisant les motifs de la suspension et le délai dans lequel des mesures correctives doivent être prises afin d’éviter la suspension, et b) a omis de prendre des mesures correctives dans ce délai. Écocert Canada n’a pas fait ceci. Dans son avis de révocation, il prétendait plutôt suspendre immédiatement la certification de Cob Roller, sans aucun rapport préalable précisant les motifs de la suspension ni délai pour la prise de mesures correctives. De façon incohérente, bien que l’Avis de motif de révocation suspendait la certification de Cob Roller, il prévoyait également un délai pour que Cob Roller puisse prendre des mesures à l’égard des problèmes de non‐conformité relevés.

[46] Il convient de noter que le formulaire d’entrevue de départ remis à la fin de l’inspection du 9 décembre 2019 ne peut pas être considéré comme un rapport écrit préalable conformément à l’alinéa 349(2)a). Bien que ce formulaire énumérait certains [traduction] « Écarts observés », il ne les identifiait pas comme des motifs possibles de suspension, ne donnait pas de délai pour prendre des mesures correctives et ne mentionnait que deux des neuf motifs énoncés dans l’Avis de motif de révocation.

[47] Écocert Canada ne prétend pas que Cob Roller a reçu un rapport écrit préalable. Il soutient plutôt, sur la base des déclarations de M. Houle dans son affidavit et lors de son contre‐interrogatoire, que la décision de suspendre immédiatement la certification de Cob Roller a été prise pour protéger l’intérêt public compte tenu des risques importants pour l’intégrité biologique des produits de Cob Roller. Je ne peux pas accepter ceci pour deux raisons. Premièrement, comme il est indiqué ci‐dessus, M. Houle ne peut pas étayer la décision d’Écocert Canada au moyen de déclarations subséquentes déposées dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire : Sellathurai aux para 45–47. Deuxièmement, l’intérêt public à l’égard de l’exactitude de l’étiquetage des produits biologiques est à la base de l’ensemble de la partie 13 du Règlement sur la salubrité des aliments, qui interdit néanmoins à un organisme de certification de suspendre une certification jusqu’à ce qu’un rapport écrit ait été fourni et qu’un délai pour la prise de mesures correctives ait été accordé. Écocert Canada n’a pas le droit de déroger aux procédures réglementaires qui régissent ses certifications en se fondant sur son propre sens de l’intérêt public.

[48] Il s’agit de savoir si l’Avis de motif de révocation était fondé sur des préoccupations concernant le non‐respect des normes biologiques, des renseignements faux ou trompeurs au sens de l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments, ou une combinaison des deux. Écocert Canada fait remarquer qu’il est indiqué dans l’Avis de motif de révocation qu’il a été délivré en vertu de l’alinéa 350(1)b), qui concerne les renseignements faux ou trompeurs, et non en raison du défaut de prendre des mesures correctives. Il ressort clairement du contenu de l’Avis de motif de révocation que des préoccupations concernant les fausses déclarations et d’autres préoccupations au sujet de la non‐conformité ont été soulevées. Quoi qu’il en soit, le Règlement sur la salubrité des aliments ne prévoit pas de suspension immédiate de la certification, même lorsqu’il existe une crainte qu’une déclaration fausse ou trompeuse ait été faite. L’article 350 du Règlement sur la salubrité des aliments établit une procédure claire pour la révocation, y compris la révocation en vertu de l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments. Le paragraphe 349(2) énonce clairement qu’un organisme de certification ne peut suspendre une accréditation que si un rapport écrit a été fourni et qu’un délai pour la prise de mesures correctives a été accordé. Je ne peux pas accepter la prétention d’Écocert Canada selon laquelle il existe une certaine forme de pouvoir discrétionnaire résiduel de suspendre immédiatement une certification dans de telles circonstances.

[49] Je conclus donc qu’Écocert Canada n’a pas suivi les procédures réglementaires requises avant de suspendre la certification biologique de Cob Roller.

(2) La révocation

[50] Écocert Canada n’a pas non plus suivi les procédures établies dans le Règlement sur la salubrité des aliments en ce qui concerne la révocation d’une certification.

[51] Le paragraphe 350(2) stipule qu’un organisme de certification ne peut révoquer une certification à moins que le titulaire du certificat n’ait été avisé par écrit des motifs de la révocation et n’ait eu la possibilité de se faire entendre. Écocert Canada ne s’est pas conformé à cette procédure de deux façons.

[52] Premièrement, l’Avis de motif de révocation n’informait pas Cob Roller des motifs de la révocation et ne lui offrait pas l’occasion de se faire entendre avant qu’une décision soit prise sur la révocation. Au contraire, l’avis indiquait en fait qu’une décision avait été prise et que Cob Roller pourrait se prévaloir d’un [traduction] « processus d’appel » dans les 30 jours suivant la date de l’avis [traduction] « vous informant de la décision ». Le paragraphe 350(2) du Règlement sur la salubrité des aliments prévoit un processus d’avis et une possibilité d’être entendu avant qu’une décision ne soit prise. Ce paragraphe ne peut être interprété comme créant ou autorisant un processus par lequel une décision est prise immédiatement et sans préavis, après quoi il est possible de faire appel.

[53] Ce n’est pas non plus une simple question de terminologie. La différence entre un appel après qu’une décision est prise et la possibilité d’être entendu avant qu’une décision ne soit prise est soulignée dans l’Avis même, qui informait Cob Roller que ses observations devraient être accompagnées de documents prouvant le bien‐fondé, [traduction] « y compris les nouveaux éléments justifiant la révision de la décision » [je souligne]. La décision finale de révocation est présentée sous la forme d’un « Résultat de la demande d’appel » affirmant que [traduction] « la décision initiale d’Écocert Canada concernant la certification est maintenue ». Toutes ces indications laissent croire qu’Écocert Canada avait déjà pris une décision avant que Cob Roller ait eu l’occasion d’être entendue, ce qui est contraire au paragraphe 350(2).

[54] Écocert Canada soutient que son processus d’appel est conforme à l’article 7.13 de la norme ISO/IEC 17065, à laquelle il doit se conformer. L’article 7.13 de la norme ISO/IEC 17065 traite des « Plaintes et appels » et exige que les organismes de certification aient des processus pour recevoir et évaluer les plaintes et les appels et rendre des décisions à leur égard.

[55] À mon avis, rien dans l’article 7.13 de la norme ISO/IEC 17065 ne peut être considéré comme ayant préséance sur le paragraphe 350(2) du Règlement sur la salubrité des aliments. Il n’est pas clair que l’article 7.13 de la norme vise à traiter de la suspension ou de la révocation d’une certification, étant donné que l’article 7.11 traite séparément de [traduction] « la résiliation, la réduction, la suspension ou le retrait d’une certification ». Quoi qu’il en soit, l’article 7.13 ne peut avoir pour effet de réécrire l’exigence réglementaire expresse concernant l’avis et la possibilité d’être entendu avant la révocation en la transformant en un processus de décision suivi d’observations en appel. Il convient de noter que les sections C.2.4.2 et C.4 du Manuel de fonctionnement du Régime Bio‐Canada traitent également des appels liés aux décisions de certification, mais le Manuel ne laisse pas entendre que le processus d’appel d’un organisme de certification peut remplacer l’avis exigé par le paragraphe 350(2) du Règlement sur la salubrité des aliments. Au contraire, une section distincte du Manuel de fonctionnement, soit la section C.2.8, traite de la suspension et de la révocation et stipule qu’un organisme de certification doit suspendre et révoquer une certification « en application de la partie 13 du [Règlement sur la salubrité des aliments] ».

[56] Je ne peux pas non plus accepter l’argument d’Écocert Canada selon lequel le droit d’être entendu a été respecté parce que les parties ont eu des discussions et des échanges au cours de l’inspection du 9 décembre 2019. Le paragraphe 350(2) du Règlement sur la salubrité des aliments prévoit que la possibilité de se faire entendre doit être offerte après qu’un avis écrit des motifs de la révocation a été donné. Rien n’indique qu’un avis écrit des motifs ait été donné avant l’inspection, de sorte que les discussions lors de l’inspection ne peuvent satisfaire à l’exigence liée à la « possibilité de se faire entendre » énoncée au paragraphe 350(2). Rien n’indique non plus qu’il y ait eu des discussions au cours de l’inspection sur l’un ou l’autre des problèmes ayant mené à la révocation, sauf celui de la taille du champ.

[57] Deuxièmement, Écocert Canada a révoqué la certification de Cob Roller pour quatre motifs, dont deux n’étaient pas mentionnés du tout dans l’Avis. Les motifs donnés concernant (a) une déclaration manquante sur le site de stockage et (b) la préoccupation au sujet de l’Avis de confirmation de rendement d’Agricorp ont été soulevés pour la première fois dans le document « Résultat de la demande d’appel » révoquant la certification. En ce qui concerne ces motifs, Cob Roller n’a pas été avisée par écrit des motifs de la révocation et n’a pas eu l’occasion de se faire entendre, encore une fois en contravention du paragraphe 350(2) du Règlement sur la salubrité des aliments.

[58] Écocert Canada s’appuie sur la décision de la Cour dans l’affaire Foster Farms pour faire valoir que l’obligation d’équité procédurale n’impose généralement pas l’obligation d’aviser le demandeur des lacunes de sa demande : Foster Farms LLC c Canada (Diversification du commerce international), 2020 CF 656 au para 65. C’est peut‐être vrai, mais à mon avis, il y a une différence importante entre une préoccupation au sujet d’un défaut ou d’une lacune dans une demande et une affirmation selon laquelle un demandeur a fait une déclaration fausse ou trompeuse. Quoi qu’il en soit, comme il a été mentionné ci‐dessus, la question de savoir si l’obligation d’équité en common law imposerait ou non l’obligation de donner un avis est sans importance lorsque le régime réglementaire impose expressément une telle obligation.

[59] Je conclus donc qu’Écocert Canada n’a pas non plus suivi les procédures réglementaires requises avant de révoquer la certification biologique de Cob Roller.

(3) L’effet du non‐respect du Règlement sur la salubrité des aliments

[60] La Cour suprême a souligné que ce ne sont pas tous les manquements à une exigence législative ou réglementaire en matière de procédure qui rendent une décision inéquitable : Khela au para 90. Un « manquement à une simple formalité », par exemple, peut ne pas rendre la décision inéquitable, et il incombe au juge chargé de la révision de décider si un manquement donné a rendu une décision inéquitable sur le plan procédural : Khela au para 90. À mon avis, cependant, cette évaluation doit respecter le choix du législateur quant au processus nécessaire et approprié à suivre. Dans le cas où le législateur a défini la procédure qu’il juge équitable, il est possible de présumer qu’un manquement à cette procédure serait considéré comme inéquitable.

[61] Dans le cas présent, je ne peux considérer que le manquement, par Écocert Canada, aux procédures prévues aux articles 349 et 350 du Règlement sur la salubrité des aliments relève d’une simple formalité. Les manquements sont plutôt directement liés aux questions d’avis et de possibilité de se faire entendre qui sont au cœur des concepts d’équité dans la prise de décisions administratives et au cœur des protections procédurales prévues dans le Règlement sur la salubrité des aliments. Je conclus que ces manquements aux procédures prescrites ont rendu le processus inéquitable.

[62] Un manquement à l’équité procédurale entraîne habituellement une décision invalide, ce qui signifie que l’affaire doit être renvoyée pour nouvel examen : Canada (Procureur général) c McBain, 2017 CAF 204 au para 9, citant Cardinal c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643. Cependant, il y a une exception quand le résultat est « inéluctable sur le plan juridique » : McBain au para 10, citant Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada‐Terre‐Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202 aux p 227–228. Écocert Canada soutient, encore une fois en référence aux déclarations faites par M. Houle au sujet de la présente demande de contrôle judiciaire, que chacun des quatre motifs était suffisant pour révoquer la certification. Il soutient que Cob Roller avait été avisée au préalable de deux des déclarations présumées fausses ou trompeuses, et que la révocation devrait donc être maintenue même si l’avis n’a pas été donné à l’égard des deux autres motifs.

[63] Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, Écocert Canada ne peut pas maintenant présenter en contrôle judiciaire des motifs ou justifications supplémentaires qui ne figuraient pas dans sa décision. La Cour ne peut tout simplement pas accepter l’affirmation d’un décideur, présentée pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire, selon laquelle il serait parvenu à la même conclusion, quelles que soient les préoccupations en matière d’équité.

[64] Rien dans les motifs de la décision n’indique que chacune des déclarations fausses ou trompeuses a été jugée suffisante de façon indépendante pour justifier la révocation. Le rejet de l’appel était plutôt fondé sur les quatre déclarations fausses ou trompeuses, présentées ensemble. Malgré le renvoi d’Écocert Canada à l’exigence du paragraphe 350(1) du Règlement sur la salubrité des aliments selon laquelle un organisme de certification est tenu de révoquer une certification si le titulaire n’est pas en conformité avec l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments, je ne peux conclure que le résultat est « inéluctable sur le plan juridique » ou qu’il est certain qu’Écocert Canada serait arrivé au même résultat si le manquement à l’équité n’avait pas eu lieu : McBain aux para 10, 12. Cela est d’autant plus vrai puisqu’Écocert Canada reconnaît, comme nous le verrons plus loin, que ce ne sont pas toutes les fausses déclarations dans une demande qui entraîneront nécessairement la révocation d’une certification.

[65] Je conclus donc qu’Écocert Canada n’a pas respecté les procédures de suspension et de révocation énoncées dans le Règlement sur la salubrité des aliments et, par conséquent, n’a pas observé une procédure que la loi l’obligeait à observer : Loi sur les Cours fédérales, art 18.1(4)b). Je conclus en outre que ce défaut a entraîné un manquement à l’équité procédurale qui exige que les décisions soient annulées et renvoyées pour un nouvel examen.

(4) Non‐divulgation de la plainte

[66] Bien que ce qui précède soit suffisant pour conclure qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale, je vais également aborder l’argument de Cob Roller selon lequel il était inéquitable pour Écocert Canada de ne pas divulguer la plainte déposée contre Cob Roller, et d’affirmer faussement que l’inspection découlant de la plainte était « aléatoire ». Pour les raisons suivantes, je conclus que ce n’était pas le cas.

[67] Encore une fois, le point de départ est la procédure établie dans le Règlement sur la salubrité des aliments. Les paragraphes 349(2) et 350(2) exigent qu’un organisme d’accréditation donne un avis des motifs de la suspension et de la révocation, respectivement. Cependant, le Règlement sur la salubrité des aliments ne traite pas de la divulgation de toute plainte reçue à l’égard d’un titulaire de certificat qui aurait pu mener à une inspection ou, ultimement, à une suspension ou à une révocation. Au contraire, ces paragraphes exigent qu’un organisme de certification se conforme à la norme ISO/IEC 17065 précitée, et ils prévoient que la certification délivrée par l’organisme de certification peut être suspendue ou révoquée en cas de non‐conformité : Règlement sur la salubrité des aliments, arts 360a), 364(1), 365(1). Comme le souligne Écocert Canada, l’article 4.5.3 de la norme ISO/IEC 17065 exige que l’organisme de certification conserve la confidentialité de [traduction] « l’information au sujet d’un client obtenue de sources autres que le client (p. ex. du plaignant ou des organismes de réglementation) ». Par conséquent, le Règlement sur la salubrité des aliments exige implicitement qu’un organisme de certification, conformément à la norme ISO/IEC 17065, préserve la confidentialité des renseignements confidentiels sur le détenteur de la certification obtenus d’un plaignant.

[68] Cela ne veut pas dire que l’exigence de confidentialité peut être utilisée pour faire fi de l’obligation de donner avis des motifs d’une possible suspension ou une révocation. Comme il est indiqué ci‐dessus, la norme ne peut pas l’emporter sur les exigences claires du Règlement sur la salubrité des aliments. Cependant, il faut établir une distinction entre la divulgation des motifs de suspension ou de révocation et la divulgation d’une plainte sous‐jacente qui pourrait être à l’origine de la préoccupation ou qui aurait pu, comme en l’espèce, mener à une inspection qui, à son tour, aurait mené à une suspension ou à une révocation.

[69] De plus, cette distinction apporte une réponse au fait que Cob Roller se fonde sur l’arrêt O’Connell, en sa qualité de registraire des véhicules à moteur de la province du Nouveau‐Brunswick c Maxwell, 2016 NBCA 37 [Maxwell]. Dans cette affaire, la Cour d’appel du Nouveau‐Brunswick a confirmé une décision selon laquelle le registraire des véhicules à moteur avait privé M. Maxwell de l’équité procédurale en révoquant ses plaques d’immatriculation personnalisées sans lui offrir une réelle possibilité de se faire entendre. La Cour d’appel a souligné que M. Maxwell [traduction] « n’avait pas reçu une copie de la plainte et qu’il n’était donc pas au courant de ce qui lui était reproché » : Maxwell au para 47. Elle a conclu qu’en ne lui permettant pas de savoir ce qui lui était reproché et de présenter des observations, le registraire n’avait pas respecté l’exigence minimale d’équité procédurale : Maxwell au para 47.

[70] Cob Roller soutient que, comme dans Maxwell, le défaut d’Écocert Canada de divulguer la plainte l’a privée de l’équité procédurale. Je ne suis pas d’accord. D’après ce que j’ai lu dans Maxwell, la préoccupation principale en matière d’équité était que le registraire avait omis de donner à M. Maxwell un avis sur la substance de ce qui lui était reproché, plutôt que d’omettre de divulguer précisément la plainte à l’origine de la préoccupation. De toute façon, le contexte administratif est différent. Certaines circonstances administratives peuvent nécessiter la divulgation de la plainte réelle sous‐jacente à l’origine d’un processus administratif et d’une décision. D’autres peuvent simplement exiger la divulgation du fond de l’affaire, sans la divulgation de la plainte elle‐même. Le Règlement sur la salubrité des aliments impose que soit fourni un avis écrit des motifs de la révocation et la possibilité d’être entendu, tout en exigeant implicitement que l’organisme de certification préserve la confidentialité de la plainte. Dans de telles circonstances, je ne peux conclure que les obligations d’équité procédurale d’Écocert Canada le contraignaient à divulguer la plainte qui a mené à l’inspection de Cob Roller, que ce soit en totalité ou en substance. Il était plutôt tenu de divulguer les motifs sur lesquels la révocation pourrait être ou serait fondée.

E. Caractère raisonnable

[71] En plus du manquement à l’équité procédurale, je suis d’accord avec Cob Roller que la décision de révocation d’Écocert Canada ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable, comme l’a décrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Écocert Canada reconnaît que les erreurs ou les inexactitudes ne sont pas toutes nécessairement des « déclarations fausses ou trompeuses » qui nécessitent la révocation. Pourtant, sa décision de révoquer le certificat de Cob Roller ne donne aucune explication ni indication quant à la raison pour laquelle il a conclu que les déclarations mentionnées étaient « fausses ou trompeuses », ni pourquoi il n’a pas accepté les observations de Cob Roller concernant les deux déclarations pour lesquelles un avis avait été donné.

(1) Article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments

[72] Comme il est indiqué ci‐dessus, l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments interdit à une personne de faire une déclaration fausse ou trompeuse ou de fournir des renseignements faux ou trompeurs à une personne exerçant des attributions ou des fonctions en vertu de la loi. L’alinéa 350(1)b) du Règlement sur la salubrité des aliments exige que l’organisme de certification révoque une certification si le titulaire n’était pas en conformité avec l’article 15.

[73] Cob Roller soutient qu’un simple oubli ou malentendu administratif ne peut pas être une « déclaration fausse ou trompeuse » exigeant la révocation d’une certification biologique. Elle soutient que l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments ne crée pas un régime de responsabilité stricte, mais exige une certaine intention de tromper, ce que Cob Roller n’avait pas.

[74] Lors de l’audience, Écocert Canada a reconnu que ce ne sont pas toutes les erreurs d’écriture ou les fausses déclarations qui doivent entraîner la révocation. Il a donné comme exemple d’erreur qui ne justifierait pas la révocation une erreur dans une demande concernant la date de constitution en société d’une entreprise. Il soutient que l’intention du législateur devrait être prise en compte dans l’évaluation de la question et qu’Écocert Canada est en mesure, et avait la responsabilité, de faire la distinction entre de telles erreurs et celles qui relèvent de déclarations fausses ou trompeuses. Écocert Canada rejette toutefois l’argument selon lequel l’article 15 comprend ou exige un élément d’intention. Pour clarifier, je note qu’Écocert Canada a présenté ces arguments d’interprétation en lien avec l’article 15 dans le cadre de ce contrôle judiciaire et non dans ses motifs de décision.

[75] À l’appui de son argument selon lequel l’article 15 exige une intention, Cob Roller renvoie à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Mootoo, qui a annulé une sanction en raison d’une déclaration « fausse ou trompeuse » en vertu de la Loi sur l’assurance‐emploi, LC 1996, c 23, au motif qu’il n’y avait pas d’intention de tromper : Mootoo c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2003 CAF 206 aux para 5–6. À mon avis, l’arrêt Mootoo n’est pas utile, car la disposition législative en cause dans cette affaire renvoie expressément à une situation où « le prestataire ou une personne agissant pour son compte [...] [a fait] une déclaration ou [fourni] un renseignement qu’on sait être faux ou trompeurs » [je souligne] : Loi sur l’assurance‐emploi, art 38(1)a); Mootoo aux para 1, 5. La question de savoir si l’intention est requise en vertu de l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments doit être évaluée en fonction du libellé et du contexte de cette disposition, et non pas en fonction d’une analogie avec un autre régime législatif dont le libellé est différent.

[76] Plus précisément, Cob Roller fait référence au Manuel de fonctionnement du Régime Bio‐Canada, publié par l’ACIA. La section C.2.4 du Manuel de fonctionnement traite de la décision initiale de certification prise par un organisme de certification. Écocert Canada a cité cette section dans sa certification de Cob Roller. Dans cette section du Manuel de fonctionnement, la section C.2.4.1 prévoit qu’un organisme de certification peut refuser la certification s’il : « a des raisons de croire qu’un demandeur de certification initiale a fait délibérément une fausse déclaration au sujet de son système de production et des activités liées aux produits visés par la demande » [je souligne]. Le Manuel de fonctionnement n’est ni une loi ni un règlement et ne peut pas l’emporter sur les dispositions législatives et réglementaires pertinentes : Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2021 CAF 157 au para 38. Toutefois, comme dans le cas d’une ligne directrice, il peut offrir un contexte pertinent pour l’interprétation et l’administration de la partie 13 du Règlement sur la salubrité des aliments : Vavilov au para 94; Alexion au para 39. Il peut y avoir des arguments, comme le suggère Cob Roller, en faveur d’une approche uniforme de la question de l’intention dans le processus de demande et le processus de révocation.

[77] Je conclus que je n’ai pas à me prononcer sur ces questions, car même en ce qui a trait à l’approche d’Écocert Canada à l’égard de l’article 15, la décision n’est pas transparente, intelligible et justifiée.

(2) La décision d’Écocert Canada n’est pas transparente, intelligible et justifiée

[78] Lorsqu’un tribunal administratif est tenu de fournir des motifs à l’appui d’une décision et qu’il le fait, la substance et la qualité de ces motifs doivent être examinées conformément au cadre du droit administratif dans le contrôle sur le fond : Vavilov aux para 76–81. Dans le cas présent, Écocert Canada a bien donné les motifs de sa décision. À mon avis, et comme Écocert Canada l’a reconnu à l’audience, il était tenu de le faire. Le contexte du Règlement sur la salubrité des aliments, dans lequel « le processus décisionnel accorde aux parties le droit de participer » et exige un avis écrit de la décision, la nature de la décision, son incidence sur la capacité de Cob Roller d’offrir des produits biologiques, et le choix d’Écocert Canada lui‐même de donner des motifs, sont tous des facteurs qui indiquent la nécessité de donner des motifs : Vavilov au para 77, citant Baker aux para 23–27, 43.

[79] Cette conclusion est renforcée par la norme ISO/IEC 17065, à laquelle Écocert Canada doit se conformer pour être accrédité. Comme il a été mentionné précédemment, l’article 7.11 de la norme traite de la résiliation, la réduction, la suspension et le retrait de la certification. Cet article, notamment aux articles 7.11.2 et 7.11.6, incorpore les exigences de l’article 7.6 lorsqu’il s’agit d’une décision d’accréditation. L’article 7.6.6 exige qu’un organisme de certification qui décide de ne pas accorder l’accréditation en avise le demandeur et [traduction] « indique les motifs de la décision ». Par conséquent, la norme ISO/IEC 17065 semble également exiger qu’un organisme de certification prenant une décision défavorable en ce qui a trait à la résiliation ou la suspension indique les motifs de la décision.

[80] La décision d’Écocert Canada, qui était tenu de fournir et a fourni des motifs écrits, doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et elle doit être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci : Vavilov aux para 76–81, 99.

[81] Les motifs de la décision rendue par Écocert Canada dans son « Résultat de la demande d’appel » sont énoncés aux paragraphes [40] et [41] ci‐dessus. Essentiellement, ils précisent simplement quelles « déclarations fausses ou trompeuses » sont le fondement du rejet de l’appel, sans plus. Ils n’indiquent pas pourquoi ces déclarations sont considérées comme « fausses ou trompeuses » au sens de l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments, ni pourquoi les observations de Cob Roller concernant les deux déclarations pour lesquelles Cob Roller avait reçu un avis n’ont pas été acceptées. Les motifs ne peuvent non plus être établis à la lecture du dossier. Bien que le dossier explique pourquoi les déclarations concernant la taille du champ et l’historique du champ (Roundup) ont été considérées comme inexactes, il n’indique pas pourquoi ni si Écocert Canada a considéré ces déclarations comme « fausses et trompeuses » au sens de l’article 15.

[82] Il s’agit d’une omission importante, même en tenant compte de l’interprétation qu’Écocert Canada donne de l’article 15. Écocert Canada reconnaît que les erreurs dans un formulaire de demande ne constituent pas toutes des déclarations « fausses ou trompeuses » qui exigent la révocation d’une certification. Il affirme qu’il est chargé de faire la distinction entre les erreurs qui nécessitent la révocation et celles qui ne la nécessitent pas. Cependant, il n’a fourni à Cob Roller aucune justification pour sa conclusion apparente selon laquelle ces déclarations devaient mener à la révocation, et il n’a donné aucune indication qu’il avait réellement tenu compte de l’observation centrale de Cob Roller selon laquelle il s’agissait d’un simple oubli : Vavilov aux para 86, 127–128.

[83] Écocert Canada plaide que, puisque le paragraphe 350(1) du Règlement sur la salubrité des aliments indique qu’il doit annuler une certification lorsqu’il y a une non-conformité, il n’y a aucun besoin d’offrir des motifs au-delà de l’identification de la déclaration fausse ou trompeuse pertinente. Je suis en désaccord. Bien que l’effet de la non-conformité à l’article 15 de la Loi sur la salubrité des aliments est expliqué au paragraphe 350(1), cela ne veut pas dire que la conclusion qu’il y a eu une non-conformité à l’article 15 n’a pas à être expliquée. Encore, même si j’acceptais l’interprétation de l’article 15 qu’a avancée Écocert Canada dans le cadre de cette application, la simple identification d’une ou plusieurs déclarations n’explique pas en soi pourquoi il a considéré que Cob Roller ne se conformait pas à l’article 15.

[84] Le dossier fournit encore moins d’explications concernant les deux déclarations au sujet de la taille des conteneurs et l’Avis de confirmation de rendement. En ce qui concerne ce dernier point en particulier, il n’y a pas d’explication quant à la façon dont Écocert Canada a conclu que les interactions de Cob Roller avec Agricorp en 2018 pourraient constituer une [traduction] « déclaration fausse et trompeuse » à une personne exerçant des attributions ou exerçant des fonctions en vertu de la Loi sur la salubrité des aliments.

[85] À cet égard, je répète que l’affidavit de M. Houle et les arguments d’Écocert Canada concernant la présente demande, qui prétendent fournir des justifications qui n’ont pas été fournies dans la décision écrite d’Écocert Canada, ne peuvent être acceptés ou pris en considération : Sellathurai aux para 45–47. Je souscris à l’argument de Cob Roller selon lequel un décideur ne peut remédier à une décision déraisonnable à l’étape du contrôle judiciaire en présentant une nouvelle et meilleure justification qui n’est pas donnée dans ses motifs de décision.

[86] Je conclus donc que la décision d’Écocert Canada ne présente pas les caractéristiques de transparence, d’intelligibilité et de justification requises pour qu’une décision soit raisonnable. Par conséquent, je n’ai pas besoin d’aborder les autres arguments de Cob Roller concernant, par exemple, la dernière application de Roundup en dehors de la période de 36 mois requise pour la certification biologique, et le caractère vague de la mention concernant la « Superficie du champ » dans le formulaire d’Écocert Canada, si ce n’est pour signaler qu’il ne semble pas que ces arguments ont été présentés à Écocert Canada au moment de sa décision.

F. Réparation

[87] Dans ses observations écrites, Cob Roller a demandé que la Cour émette un bref de mandamus exigeant qu’Écocert Canada rétablisse son accréditation, rétroactivement au 19 décembre 2019, mais elle n’a présenté aucun argument sur le critère applicable à une ordonnance de mandamus. À l’audience sur la demande, elle s’est concentrée sur sa demande subsidiaire d’ordonnances renvoyant l’affaire à Écocert Canada et lui enjoignant de réexaminer les décisions de suspension et de révocation conformément aux directives de la Cour.

[88] L’avis de demande de Cob Roller demandait également des dommages‐intérêts importants. Cependant, encore une fois, elle n’a présenté aucune observation écrite à l’appui de cette demande. Cob Roller semble reconnaître qu’il est impossible d’obtenir des dommages‐intérêts dans le cadre d’un contrôle judiciaire, puisqu’elle a elle‐même entamé une action en dommages‐intérêts, qui a été mise en suspens en attendant la décision sur la présente demande (dossier de la Cour no T-1305-20).

[89] À mon avis, la réparation appropriée dans les circonstances est celle qui est normalement accordée à l’issue d’un contrôle judiciaire réussi, c’est-à-dire d’annuler la décision de suspension et la décision de révocation et de renvoyer l’affaire à Écocert Canada pour un nouvel examen. Rien n’indique que toutes les décisions de certification ou de révocation sont prises par la même personne chez Écocert Canada. Au contraire, l’affidavit de M. Houle indique qu’Écocert Canada reçoit des milliers de demandes de certification et prend des milliers de décisions de certification par année, et que l’appel dans l’affaire Cob Roller a été examiné par une personne qui ne participait pas aux activités de certification. Mon ordonnance comprendra donc l’exigence habituelle que le nouvel examen soit fait par une ou des personnes qui n’ont pas participé à l’évaluation de la demande de Cob Roller.

IV. Conclusion

[90] La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie, la suspension et la révocation de la certification biologique de Cob Roller seront annulées, et l’affaire sera renvoyée à Écocert Canada pour un nouvel examen par une autre personne.

[91] Conformément à l’entente des parties, chaque partie assumera ses propres frais et débours.


JUGEMENT dans le dossier no T‐876‐20

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

  2. La suspension de la certification biologique délivrée par 9072‐3636 Québec Inc., exploitée sous la raison sociale Écocert Canada, à Cob Roller Farms Ltd., datée du 19 décembre 2019, est annulée;

  3. La révocation de la certification biologique délivrée par 9072‐3636 Québec Inc., exploitée sous la raison sociale Écocert Canada, à Cob Roller Farms Ltd., datée du 5 février 2020, est annulée;

  4. Les questions qui précèdent sont renvoyées à 9072‐3636 Québec Inc., exploitée sous la raison sociale Écocert Canada, pour un nouvel examen, celui‐ci devant être entrepris par une ou des personnes qui n’ont pas participé à la délivrance, à la suspension ou à la révocation de la certification biologique de Cob Roller Farms Ltd.;

  5. Aucune ordonnance n’est rendue concernant les dépens.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

T‐876‐20

 

INTITULÉ :

COB ROLLER FARMS LTD c 9072‐3636 QUÉBEC INC., EXERÇANT SES ACTIVITÉS SOUS LE NOM ÉCOCERT CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

tenue par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :

5 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS

J. MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Dennis G. Crawford

Michelle Jowett

 

POUR LA DeMANDERESSE

 

Alexandre Manègre

Marianne Lamontagne

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Monteith Ritsma Phillips PC

Stratford (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

STEIN MONAST s.e.n.c.r.l.

Québec (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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