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Date : 20221020


Dossier : T-1210-21

Référence : 2022 CF 1434

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 octobre 2022

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

PREMIÈRES NATIONS DE RAINY RIVER

demanderesse

et

KATHLEEN BOMBAY

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre de l’alinéa 18.1(3)a) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, à l’encontre d’une décision rendue par une arbitre nommée sous le régime de la partie III du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2.

[2] La défenderesse en l’espèce, Mme Kathleen Bombay, a déposé une plainte de congédiement injuste le 17 juillet 2019 contre son employeur, les Premières Nations de Rainy River (la demanderesse). La demanderesse est une bande autochtone située dans le Sud‐Ouest de l’Ontario et dirigée par un chef et cinq conseillers. Des élections sont tenues tous les deux ans pour élire le chef et les conseillers. La défenderesse a occupé un poste de conseillère de 2017 à 2019. Elle était conseillère au moment de son congédiement.

[3] L’audience d’arbitrage a eu lieu par vidéoconférence du 26 au 29 octobre 2020, du 23 au 25 février 2021, les 16 et 17 mars 2021 et le 29 avril 2021. L’audience n’a pas été enregistrée.

[4] Le 5 juillet 2021, l’arbitre a donné gain de cause à la défenderesse (la décision relative à la responsabilité). Dans une deuxième décision, datée du 19 octobre 2021, l’arbitre a ordonné à la demanderesse de verser à la défenderesse des dommages-intérêts de 67 620,23 $ pour la perte de salaire et de cotisations de retraite, ainsi que des frais de justice de 17 987,82 $ (la décision relative à la réparation).

[5] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision relative à la responsabilité et de la décision relative à la réparation (collectivement, les décisions contestées). Elle allègue une crainte raisonnable de partialité, ou une partialité réelle, de la part de l’arbitre. Elle fait aussi valoir que l’arbitre a enfreint les règles d’équité et de justice naturelle en omettant de tenir compte de tous les éléments de preuve.

[6] Aucun dossier certifié du tribunal (DCT) n’a été déposé. Les deux parties ont présenté des affidavits au moyen desquels ils ont fourni le dossier dont disposait l’arbitre.

[7] En plus des documents dont disposait l’arbitre, la demanderesse a présenté une abondante preuve par affidavit, qui démontre selon elle la partialité de l’arbitre et les manquements à l’équité procédurale.

A. L’historique des procédures

[8] Sous le régime du paragraphe 318(4) et de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], la demanderesse a demandé la transmission des documents en la possession de l’arbitre qui se rapportent à la présente demande. Plus précisément, la demanderesse a demandé la transmission des notes de service, de la correspondance, des notes de l’arbitre et de l’ébauche de sa décision.

[9] La défenderesse et l’arbitre se sont toutes deux opposées à la transmission des documents. L’arbitre s’est opposée au motif que les documents demandés constituaient le produit de son travail et n’étaient pas pertinents quant aux questions soulevées dans la présente demande.

[10] Une juge adjointe a rejeté la requête de la demanderesse dans son intégralité et a adjugé les dépens de la requête à la défenderesse.

[11] La demanderesse a interjeté appel de la décision de la juge adjointe sous le régime des articles 51 et 369 des Règles. Elle a demandé à la Cour d’ordonner la transmission des documents. La juge Aylen a rejeté l’appel. Elle a souscrit à l’opinion de la défenderesse selon laquelle la requête équivalait à une [traduction] « recherche à l’aveuglette », et elle a adjugé les dépens à la défenderesse.

[12] À l’audience, l’avocat de la demanderesse a continué d’affirmer que l’arbitre avait omis de lui communiquer des renseignements et qu’elle avait dans les faits soustrait sa décision à tout examen. Étant donné que cet argument a été rejeté en première instance et en appel, il ne sera pas examiné dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[13] Le 21 janvier 2022, la juge chargée de la gestion de l’instance a ordonné que les deux demandes de contrôle judiciaire (celle portant sur la décision relative à la responsabilité et celle portant sur la décision relative à la réparation) soient réunies en une demande unique, dont la Cour est maintenant saisie.

[14] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

II. Les questions en litige

[15] Les questions en litige soulevées par la demanderesse sont les suivantes :

    1. La demanderesse a-t-elle renoncé à son droit de faire valoir un manquement à l’équité procédurale devant la Cour?
    2. Existe-t-il une crainte raisonnable de partialité, ou une partialité réelle, de la part de l’arbitre qui a rendu les décisions contestées?

[16] Je dois d’abord déterminer quelles parties des affidavits sont admissibles. Ce n’est qu’alors que je pourrai passer aux autres questions, qui sont étroitement liées à l’admissibilité de la preuve par affidavit.

III. La norme de contrôle

A. La partialité et la crainte raisonnable de partialité

[17] Aucune des parties n’a explicitement caractérisé la question de la partialité soulevée en l’espèce comme une question d’équité procédurale. Les deux parties ont appliqué le droit substantiel. La demanderesse soutient qu’un manquement à l’équité constitue une « question de droit [...] d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble », selon le cadre énoncé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 60 [Vavilov].

[18] Or, la demanderesse semble reconnaître que l’équité procédurale commande l’application de la norme de la décision correcte, ce qui prête à confusion. La demanderesse reprend l’affirmation de la Cour d’appel fédérale selon laquelle « les allégations de partialité ne se prêtent pas du tout à une analyse en fonction d’une norme de contrôle » (Ahamed c Canada, 2020 CAF 213 au para 5). Au cours de l’audience, la demanderesse a également reconnu que les questions d’équité procédurale n’appellent aucune déférence à l’égard du décideur, en s’appuyant sur la décision Da Costa Serrano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 174.

[19] La demanderesse semble avoir confondu la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et le droit substantiel énoncé au paragraphe 77 de l’arrêt Vavilov.

[20] La défenderesse fait valoir que la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique n’a pas été réfutée en l’espèce. Elle affirme que c’est particulièrement vrai à la lumière de la clause privative énoncée à l’article 243 du Code canadien du travail qui existait avant que ce dernier ne soit modifié en 2019.

[21] Bien que la distinction entre les questions procédurales et les questions substantielles en droit administratif légitime le fondement du contrôle judiciaire, elle peut s’avérer être une source de difficultés pour les parties, comme en témoignent les observations des parties en l’espèce. La question de la partialité fait partie de l’enquête sur l’équité procédurale.

[22] Bien que le débat continue quant à savoir si les questions d’équité procédurale sont assujetties à une norme de contrôle et, si oui, à laquelle, les Cours fédérales ont majoritairement adopté la norme de la décision correcte : voir Lawlor c Canada (Procureur général), 2022 CF 821 au para 46; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43. L’objectif de la cour de révision est de déterminer si la procédure était équitable, en gardant à l’esprit que l’obligation d’équité procédurale est variable, souple et tributaire du contexte : Vavilov, au para 77.

B. Le défaut de tenir compte de tous les éléments de preuve

[23] La question de savoir si l’arbitre a enfreint les règles d’équité et de justice naturelle en omettent de tenir compte de tous les éléments de preuve est une question de fond. Bien que l’obligation de motiver une décision soit un élément de l’obligation d’équité procédurale, l’analyse de la façon dont l’arbitre a traité les éléments de preuve est une question qui doit faire l’objet d’un examen sur le fond. La vraie question est de savoir si l’arbitre a omis de répondre adéquatement aux éléments de preuve dans ses motifs.

[24] À cet égard, rien n’indique qu’il faille déroger à la norme de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Vavilov. Les exceptions restreintes énoncées dans l’arrêt Vavilov ne s’appliquent pas en l’espèce. La demanderesse a confondu l’examen de l’équité procédurale et l’examen de fond. Il ne s’agit pas d’une question de droit d’une importance capitale pour le système juridique canadien dans son ensemble. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

IV. Analyse

[25] Il faut dire d’emblée que, bien que la demanderesse ait qualifié les deux questions de manquements à l’équité et à la justice naturelle, il s’agit là d’arguments voilés. La demanderesse semble avoir soulevé la question de la partialité comme moyen de contourner la règle interdisant l’introduction de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Cela revient, en fait, à demander une nouvelle audience. Elle demande à la Cour de réexaminer chaque élément de preuve qui a été présenté à l’arbitre et d’examiner de nouveaux éléments de preuve.

[26] Dans ses observations, la demanderesse fait essentiellement valoir qu’aucune personne raisonnable n’aurait évalué la preuve comme l’arbitre l’a fait ou tiré les mêmes conclusions qu’elle à moins d’être partiale ou d’avoir mal interprété les éléments de preuve. Bien que les questions soient qualifiées de questions d’équité procédurale et de partialité, les arguments portent en réalité sur les conclusions de l’arbitre.

[27] Comme il sera démontré dans l’analyse qui suit, la seule question que la Cour peut évaluer est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

A. Les affidavits et les considérations en matière de preuve

(1) Les observations de la demanderesse

[28] Il convient de répéter que bon nombre des questions liées aux affidavits et des questions d’équité procédurale soulevées en l’espèce auraient pu être évitées si les parties avaient disposé d’une transcription ou d’un enregistrement de l’audience, ce qui, selon la défenderesse, était une option dont les parties ont décidé de ne pas se prévaloir. Les affidavits déposés en l’espèce proviennent plutôt de participants intéressés et reposent sur des notes d’avocats, des souvenirs et des conclusions sur ce qui a été dit. Ces participants intéressés présentent leur interprétation des éléments de preuve qui ont été présentés à l’arbitre. Cette situation est loin d’être idéale dans le cadre d’un contrôle judiciaire et bon nombre des éléments de preuve sont irrecevables.

[29] La demanderesse invoque l’arrêt de la Cour suprême du Canada Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25 [Commission scolaire francophone du Yukon], pour justifier le dépôt des affidavits. Elle s’est appuyée sur cet arrêt pour faire valoir que la cour doit tenir compte du contexte de la décision et soutient que, bien que le fardeau d’établir la partialité est élevé, la cour doit examiner l’instance dans son ensemble (aux paragraphes 26 et 27).

[30] À la lumière des commentaires formulés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Commission scolaire francophone du Yukon, la demanderesse affirme que la preuve par affidavit en l’espèce est présentée non pas à titre de nouveaux éléments de preuve, mais plutôt pour illustrer le contexte de l’affaire, tel que la Cour suprême du Canada l’a recommandé dans cet arrêt. Par conséquent, la demanderesse allègue que les règles normales interdisant les nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ne s’appliquent pas en l’espèce.

(2) Les règles de droit applicables aux affidavits

[31] Le paragraphe 81(1) et l’article 82 des Règles sont ainsi libellés :

Contenu

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

Poids de l’affidavit

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

Utilisation de l’affidavit d’un avocat

82 Sauf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit.

[Non souligné dans l’original.]

Content of affidavits

81(1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

Affidavits on belief

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.\

Use of solicitor’s affidavit

82 Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit.

[Emphasis added]

[32] Lorsqu’un déposant s’appuie sur sa connaissance personnelle des faits attestés, les pièces doivent correspondre à cette connaissance. L’exigence selon laquelle les affidavits doivent être fondés sur des connaissances personnelles incorpore la règle de common law interdisant le ouï-dire (Bressette c Conseil de la bande de Kettle and Stony Point, [1997] ACF no 1130 [QL]; Levett c Canada (Procureur général), 2021 CF 295 au para 30).

[33] Il est également bien établi que, suivant l’article 82 des Règles, les membres ou les employés d’un cabinet d’avocats ne devraient pas fournir de témoignage d’opinion sur les aspects les plus cruciaux d’une affaire : Toys “R” Us (Canada) Ltd c Herbs “R” Us Wellness Society, 2020 CF 682 au para 10; Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd c Hyundai Auto Canada, 2006 CAF 133 [Cross-Canada Auto Body].

[34] Le fait pour un avocat de présenter des éléments de preuve factuels, qui ne prennent pas la forme d’un témoignage d’opinion, sur des questions de fond soulève aussi des doutes. La Cour d’appel fédérale a affirmé que « [f]aire en sorte que des employés d’un cabinet d’avocats fournissent un témoignage d’opinion ne permet pas d’atteindre l’objectivité recherchée » (Cross-Canada Auto Body, au para 4).

[35] La Cour fédérale a déjà « rejeté des tentatives de déposer des affidavits auxquels est jointe comme pièce la preuve de fond d’une autre personne » (ME2 Productions, Inc c M. Untel no 1, 2019 CF 214 au para 97 [ME2 Productions]), parce qu’il est alors impossible de soumettre cette preuve à un contre-interrogatoire en bonne et due forme : ME2 Productions, au para 97.

[36] Dans le cas d’un affidavit qui renferme des opinions ou des arguments, la réparation habituelle est la radiation des passages où on les retrouve : voir Abi-Mansour c Canada (Procureur général), 2015 CF 882 au para 30. Bien que la Cour ait le pouvoir de radier les affidavits non conformes, le critère est rigoureux, surtout dans le cas des demandes de contrôle judiciaire (Gravel c Telus Communications Inc, 2011 CAF 14 au para 5). Ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec modération et seulement dans les cas où il est dans l’intérêt de la justice de le faire (Canada (Bureau de régie interne) c Canada (Procureur général), 2017 CAF 43 au para 29; Bande indienne Coldwater c Canada (Procureur général), 2019 CAF 292 au para 22 [Bande indienne Coldwater]). Au lieu procéder à une radiation, le juge de première instance peut choisir de tirer une conclusion défavorable ou d’accorder peu ou pas de poids à l’affidavit : voir O’Grady c Canada (Procureur général), 2016 CAF 221 au para 11.

[37] Dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 [Access Copyright], le juge Stratas s’est penché sur les divers rôles joués par les tribunaux administratifs et par la Cour qui procède au contrôle de leurs décisions. Il a confirmé que le but du contrôle judiciaire est d’examiner le dossier certifié du tribunal et non de trancher des questions sur la base d’éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur. Au paragraphe 19, il a affirmé : « [p]ar conséquent, en principe, le dossier de la preuve qui est soumis à notre Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission ».

[38] Au paragraphe 20 de l’arrêt Access Copyright, le juge Stratas a dressé une liste non exhaustive d’exceptions au principe général interdisant à la Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire. Voici trois de ces exceptions :

a) Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire [...]

b) Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale [...]

c) Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée [...]

[Non souligné dans l’original.]

[39] S’il est vrai que la preuve par affidavit peut être autorisée pour aider la Cour à déterminer s’il y a eu un manquement procédural, ce n’est pas le cas en l’espèce. La preuve par affidavit en l’espèce soulève également de nombreuses préoccupations.

[40] Les renseignements censés être des vérités factuelles, comme des notes sur les faits, sont des éléments de preuve par ouï-dire, voire des éléments de preuve par ouï-dire double lorsque le déposant n’est pas la personne qui a pris les notes : voir Abdel Kadder c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 914 au para 29. Bien que le recours aux affidavits qui présentent des éléments de preuve de mise en contexte soit un recours permis à la preuve par ouï-dire, il ne permet pas à une partie de faire admettre, « en douce », des éléments de preuve indirects pour la véracité de leur contenu (Bande indienne Coldwater, au para 39).

[41] La décision Gravel c Telus Communications, Inc, 2010 CF 151, donne également des indications sur l’utilisation des notes des avocats et les principes du ouï-dire. Il s’agissait dans cette affaire d’une requête en radiation présentée par la défenderesse à l’égard de certaines parties d’affidavits présentés à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire. La juge Tremblay-Lamer a rejeté au complet certains affidavits, estimant qu’ils « constitu[ai]ent en bonne partie du ouï-dire, en ce qu’ils rapport[ai]ent les témoignages faits à l’audience devant l’arbitre selon leur propre compréhension, et de l’argumentation [...] » (au paragraphe 25).

[42] Dans la décision 142445 Ontario Ltd (Utilities Kingston) v International Brotherhood of Electrical Workers, Local 636, 2009 CanLII 24643, [2009] OJ No 2011 (QL) [142445 Ontario Limited avec renvoi à CanLII], la Cour divisionnaire de l’Ontario s’est penchée sur la portée de l’admissibilité d’affidavits dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire d’une sentence rendue par un arbitre du travail. L’énoncé du droit relatif à l’admissibilité de la preuve par affidavit fait par la Cour divisionnaire de l’Ontario s’applique directement aux faits de l’espèce :


 

[traduction]

[31] L’un des objectifs des tribunaux administratifs est de fournir une façon rapide et peu coûteuse de régler les différends. Leurs procédures sont souvent beaucoup moins formelles que celles des tribunaux judiciaires. Conformément à cet objectif, un certain nombre de tribunaux administratifs ne procèdent pas à la transcription de leurs procédures – c’est le cas par exemple de la Commission des relations de travail de l’Ontario, du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario et des arbitres du travail régis par la Loi sur les relations de travail.

[32] Si les parties pouvaient déposer des affidavits détaillés dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire dans le but de contester les conclusions de fait tirées par les tribunaux administratifs, elles seront fortement incitées à demander un contrôle judiciaire puisqu’elles pourraient alors tenter de reformuler les éléments de preuve présentés à l’arbitre. Par conséquent, la procédure de contrôle judiciaire risque d’être plus longue et plus coûteuse.

[33] En outre, il peut être très difficile de recréer la preuve dont disposait le tribunal administratif lorsque les parties ne s’entendent pas sur ce qui a été dit. En cas de différend au sujet de la preuve, la cour de révision se trouvera dans la fâcheuse position d’essayer de déterminer quels éléments de preuve ont été présentés au tribunal administratif afin de pouvoir ensuite décider si sa décision était déraisonnable. Une telle procédure est injuste pour le tribunal administratif et mine son rôle d’enquêteur dans un domaine d’expertise spécialisé.

[Non souligné dans l’original.]

[43] Les préoccupations exprimées dans la décision 142445 Ontario Limited s’appliquent ici aussi : les parties ne s’entendent pas sur ce qui a été dit et ce qui s’est passé à l’audience. Le rôle de notre Cour n’est pas de soupeser à nouveau la preuve présentée à l’audience sur le fondement d’affidavits subjectifs que la Cour n’a aucun moyen de vérifier.

[44] Comme il est indiqué au paragraphe 20 de la décision Access Copyright, pour que la Cour accepte de nouveaux éléments de preuve, l’une des exceptions à la règle doit s’appliquer. En l’espèce, certains des affidavits contiennent de nouveaux éléments de preuve, mais, plus important encore, ils sont inadmissibles pour de nombreux autres motifs. Même si les parties s’appuient sur ces affidavits pour montrer la partialité, ils doivent tout de même être admissibles et respecter les autres règles de preuve. J’appliquerai mon pouvoir discrétionnaire à chaque affidavit.

(3) Application

a) L’affidavit de Stefanie Baker

[45] L’affidavit le plus problématique est l’affidavit du 1er septembre 2021 souscrit par Stefanie Baker, une assistante juridique qui n’était pas présente à l’audience. Comme le fait remarquer la défenderesse, Mme Baker ne peut pas attester la véracité ou l’exhaustivité des pièces, en particulier des notes qui sont censées avoir été prises pendant l’audience. L’avocat de la demanderesse semble avoir eu recours à Mme Baker pour contourner l’article 82 des Règles et présenter son point de vue sur l’audience. La Cour ne voit pas d’un bon œil les affidavits des avocats ou des membres de leur personnel qui sont directement liés aux « questions de fond en litige » (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2013 CAF 261 au para 19).

[46] Le code de déontologie de la plupart des barreaux canadiens entre également en ligne de compte si l’avocat ou un membre de son personnel descend dans l’arène. Dans ce cas, l’avocat s’expose à un contre-interrogatoire, puis présente des arguments à l’audience. Cette situation constitue une violation de l’article 82 des Règles : « Nul ne peut agir en même temps à titre de témoin et à titre d’avocat » (Twinn c Poitras, 2011 CAF 310 au para 8). En général, si une telle situation survient, l’avocat ou son cabinet se retire du dossier.

[47] Les pièces annexées à l’affidavit de Mme Baker qui portent sur les notes prises à l’audience sont du ouï-dire double, ce qui constitue une violation de l’article 81 des Règles.

[48] Certaines parties des notes comportent des questions sans réponse, tandis que d’autres parties sont remplies. Le contre-interrogatoire de la défenderesse mené le 10 mars 2022 montre que l’avocat de la demanderesse lui-même a des doutes quant à la forme de certaines des notes fournies. Lorsque l’avocat de la demanderesse a demandé à la défenderesse d’examiner l’affidavit de Mme Baker, l’échange suivant a eu lieu :

[traduction]

[Défenderesse] : Excusez-moi. Je lis ce document, et certaines de ces

questions ne sont pas accompagnées d’une réponse.

Me Rolf [avocat de la demanderesse] : Je suppose qu’il n’y avait pas de question -- peut-être que la question n’était pas -- je ne sais pas. Il n’y a probablement pas eu de réponse à la question, et aucune réponse n’a été donnée -- elle n’a pas été posée, aucune réponse n’a été donnée.

[49] On ne sait pas très bien si les questions ont été posées et sont restées sans réponse, si les questions n’ont jamais été posées ou si les questions ont été posées et que l’avocat n’a pas inscrit la réponse. Il n’y a aucun moyen de le savoir. Si l’avocat de la demanderesse lui-même a des doutes, je ne vois pas en quoi les notes peuvent avoir une valeur probante pour la Cour.

[50] Les notes elles-mêmes manquent d’objectivité. Un exemple montre bien pourquoi les notes des avocats ne sont pas objectives. La pièce D de l’affidavit de Stefanie Baker comprend des notes de Benjamin R. Young, co-avocat de la demanderesse. En réponse au témoignage de la défenderesse, M. Young a écrit ce qui suit :


 

[traduction]

ELLE EST TELLEMENT VENIMEUSE ENVERS LE CHEF QU’ELLE NE PEUT MÊME PAS L’APPELER « CHEF » LORS D’UNE AUDIENCE!

IL EST IMPOSSIBLE QUE JW IMPRIME ET PRENNE DES CAPTURES D’ÉCRAN TARD DANS LA NUIT ET QU’IL SE LES ENVOIE À 7 h 57 SANS LES METTRE EN PIÈCE JOINTE!

[51] Les notes relatives à l’audience fournies par affidavit ont donc, à mon avis, très peu de valeur probante (voire aucune) et ne constituent pas une preuve digne de foi. Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que les [traduction] « opinions précises exprimées équivalent à une tautologie » et que la preuve est une interprétation subjective de l’audience.

[52] En demandant à son personnel de déposer l’affidavit, la demanderesse a soustrait les notes des avocats à tout contre-interrogatoire. Le contre-interrogatoire de Mme Baker n’aiderait en rien la défenderesse à faire valoir ses arguments, et Mme Baker ne pourrait pas non plus s’exprimer sur le contenu des notes, puisqu’elle n’était pas présente à l’audience. Bien que certaines pièces contiennent les dates auxquelles elles auraient été rédigées, il est impossible de les vérifier.

[53] Pour ces motifs, les pièces suivantes de l’affidavit de Stefanie Baker sont radiées en totalité :

Document

Pièce

Affidavit de Stefanie Baker souscrit le 1er septembre 2021

Pièce A

Notes relatives au témoignage du chef Robin McGinnis (26 et 27 octobre 2020) prises par Sanjana Ahmed, co-avocate des Premières Nations de Rainy River

Pièce B

Notes relatives au témoignage de l’ancien conseiller Shawn Brown (28 octobre 2020) prises par Sanjana Ahmed, co-avocate des Premières Nations de Rainy River

Pièce C

Notes relatives au témoignage de Lauren Hyatt (28 et 29 octobre 2020) prises par Sanjana Ahmed, co-avocate des Premières Nations de Rainy River

Pièce D

Notes relatives au témoignage de Mme Bombay en interrogatoire principal (24 février 2020 et 16 mars 2021) prises par Benjamin R. Young, co-avocat des Premières Nations de Rainy River

Pièce E

Notes relatives au témoignage de Mme Bombay en contre-interrogatoire (16 et 17 mars 2021) prises par Benjamin R. Young, co-avocat des Premières Nations de Rainy River

Pièce F

Notes relatives au témoignage de Verna DeBungie (17 mars 2021) prises par Benjamin R. Young, co-avocat des Premières Nations de Rainy River

Pièce G

Notes relatives au témoignage de Jeremiah Windego (23 et 24 février 2021) prises par Benjamin R. Young, co-avocat des Premières Nations de Rainy River

Pièce H

Notes relatives au témoignage supplémentaire du chef Robin McGinnis (23 et 24 février 2021), prises par Benjamin R. Young, co-avocat des Premières Nations de Rainy River

b) L’affidavit du chef Robin McGinnis souscrit le 2 septembre 2021

[54] Certaines parties de l’affidavit du chef McGinnis contiennent des arguments et des opinions. Aux paragraphes 18 à 23, le chef McGinnis reprend les questions soulevées dans la décision relative à la responsabilité et tente d’expliquer en quoi l’arbitre était partiale. Il ne s’agit pas d’affirmations factuelles, mais d’une tentative de faire valoir une crainte raisonnable de partialité dans l’affidavit.

[55] Je n’accorderai aucun poids ni aucune valeur probante aux paragraphes 18 à 23 de l’affidavit du chef McGinnis.

c) L’affidavit de Lauren Hyatt souscrit le 2 septembre 2021

[56] L’affidavit de Mme Hyatt présente des problèmes semblables à ceux de l’affidavit du chef McGinnis. Certaines parties de l’affidavit contiennent des arguments et des opinions. Par exemple, les paragraphes 7, 9 et 10 sont argumentatifs et contestent les conclusions de l’arbitre.

[57] Je le répète, la demanderesse ne peut établir une crainte raisonnable de partialité au moyen d’un témoignage d’opinion livré par la partie qui n’a pas obtenu gain de cause à l’audience. Cette allégation doit être étayée par d’autres éléments.

[58] Pour les motifs qui précèdent, je n’accorderai aucun poids à l’affidavit de Mme Hyatt. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale au paragraphe 22 de l’arrêt Bande indienne Coldwater, on peut compter sur la Cour pour faire fi de toute argumentation inappropriée.

d) L’affidavit de Stacey Bigelow souscrit le 18 février 2022, contenant les pièces A à G

[59] Stacey Bigelow est une assistante juridique à l’emploi de l’avocat de la demanderesse. Les deux premières pièces jointes à son affidavit, soit les pièces A et B, sont les décisions contestées. Les pièces C à F contiennent des documents provenant des dossiers du cabinet et produits par la défenderesse aux fins de l’audience devant l’arbitre. La pièce G contient des documents supplémentaires, mais il n’est pas clair si ces documents étaient à la disposition de l’arbitre.

[60] Ces pièces n’auraient pas été nécessaires s’il y avait eu un DCT. Comme il n’y en a pas, j’accepterai les pièces A à F, qui contiennent les documents dont disposait l’arbitre et les décisions qu’elle a rendues, mais je radierai la pièce G.

e) L’affidavit de Kathleen Bombay souscrit le 20 septembre 2021, contenant les pièces A à N

[61] L’affidavit de la défenderesse contient pour l’essentiel des affirmations et des déclarations factuelles. Cependant, des questions se posent en ce qui concerne les pièces.

[62] Tout comme les documents provenant des dossiers de l’avocat de la demanderesse, il est évident que les documents annexés à l’affidavit de la défenderesse en tant que pièces ne sont admissibles que dans la mesure où ils recréent le DCT (pièces A à M). Je n’accorderai aucun poids au témoignage d’opinion ou aux arguments contenus dans l’affidavit de la défenderesse ou dans les pièces. Je radierai la pièce N, car elle n’a pas été présentée à l’arbitre.

B. Les allégations de partialité

(1) Les règles de droit relatives à la partialité

[63] Les membres des tribunaux administratifs, comme les arbitres, sont présumés avoir agi de façon juste et impartiale (Deliva c Canada (Procureur général), 2022 CF 693 au para 60). Il incombe à la partie qui allègue la partialité de la prouver au moyen d’éléments de preuve substantiels (Rafizadeh c Banque Toronto Dominion, 2013 CF 781 au para 16). Le critère de preuve est élevé, et les motifs concernant la crainte de partialité doivent être sérieux. L’arrêt Committee for Justice and Liberty c Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 RCS 369, 1976 CanLII 2 (CSC), est l’arrêt de principe en ce qui concerne la crainte raisonnable de partialité. À la page 372, la Cour suprême du Canada s’est exprimée ainsi :

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question, de façon réaliste et pratique[?] »

[64] Ce qui est le plus pertinent en l’espèce, c’est qu’une partie ne peut pas se fonder sur des insinuations ou sur ses impressions. La Cour d’appel fédérale a souligné l’importance d’une preuve concrète au paragraphe 8 de l’arrêt Arthur c Canada (Procureur général), 2001 CAF 223 [Arthur] : les allégations de partialité « ne peu[vent] reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur ou de son procureur » [non souligné dans l’original].

(2) La renonciation

[65] « [L]a personne qui a renoncé au droit à l’équité procédurale ne peut par la suite contester une décision administrative au motif que cette dernière a été prise en violation de l’équité » (Irving Shipbuilding Inc c Canada (Procureur général), 2009 CAF 116 au para 48, citant Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, Toronto, Canvasback Publishing, 1998 (feuilles mobiles), au paragraphe 11:5500).

[66] Les parties n’ont pas traité directement de la question de la renonciation, mais la défenderesse l’a soulevée de façon indirecte. La défenderesse soutient que [traduction] « la question de la partialité n’a jamais été soulevée ou mentionnée à l’audience » et qu’elle a été évoquée pour la première fois après que la décision relative à la responsabilité a été rendue et que la demanderesse a appris qu’elle n’avait pas obtenu gain de cause.

[67] Bien qu’une objection ait été formulée à l’audience, elle ne portait pas sur la partialité. Les observations écrites de la demanderesse et l’affidavit du chef McGinnis indiquent que l’objection se rapportait à [traduction] « une série de questions conjecturales, redondantes et sans fondement ». L’arbitre a convenu avec la demanderesse que la défenderesse avait posé assez de questions de ce genre. L’objection se rapportait au caractère inéquitable du contre-interrogatoire de M. Windego, et l’arbitre l’a tranchée en faveur de la demanderesse.

[68] Au cours de l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire, l’avocat de la demanderesse a reconnu que la question de la partialité n’a jamais été abordée devant l’arbitre. En fait, il semblerait que la question de la partialité ne lui a jamais été soumise. Un examen des décisions contestées, qui sont longues, ne révèle aucune réserve quant à la question de la partialité. J’estime que la question de la partialité n’a pas été portée à l’attention de l’arbitre dès que possible pendant l’audience, comme l’exige la jurisprudence.

[69] Par conséquent, la demanderesse a renoncé à son droit de soulever la question de la partialité devant la Cour. Ce point est déterminant en ce qui concerne les arguments relatifs à la partialité et à la crainte raisonnable de partialité soulevés dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Au cas où j’aurais tort, j’examinerai maintenant l’ensemble des arguments.

(3) Les observations relatives à la crainte raisonnable de partialité

a) Les observations de la demanderesse

[70] La demanderesse a soutenu qu’une personne raisonnable conclurait à la partialité de l’arbitre compte tenu des conclusions que celle-ci a tirées. Elle a donné plusieurs exemples qui, selon elle, démontrent une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité.

[71] La demanderesse a allégué que le contre-interrogatoire de M. Windego sur la question de son paiement, qui touchait à sa crédibilité, démontre la partialité de l’arbitre. La demanderesse a fait valoir que l’arbitre n’a mis fin au contre-interrogatoire en disant [traduction] « ça suffit » que lorsqu’elle a produit les documents concernant la source du paiement. L’arbitre n’a accueilli l’objection de l’avocat de la demanderesse que lorsque les questions sont devenues irrationnelles et que le temps consacré au paiement de M. Windego est devenu excessif.

[72] La demanderesse a également fait valoir que l’arbitre avait fait une entorse à la justice naturelle en ne tenant pas compte de l’ensemble des éléments de preuve. En réponse à la conclusion de l’arbitre sur l’importance des propos du chef, la demanderesse a expliqué que le chef McGinnis avait indiqué que, même si la publication du 10 juillet 2019 sur Facebook était importante, il avait également dit que le refus de la défenderesse d’effectuer les paiements liés à l’énergie solaire pour le 10 juillet avait mené à son congédiement. De plus, la demanderesse a déclaré que le chef avait indiqué que le commentaire du 13 juillet 2019 sur Facebook avait été un facteur dans le congédiement de la défenderesse. En s’appuyant sur l’arrêt Puxley v Canada (Treasury Board – Transport), 1994 CarswellNat 844, 24 Admin LR (2e) 43, la demanderesse affirme que l’arbitre a mal interprété les éléments de preuve, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale.

[73] La demanderesse a soulevé la lettre du 13 septembre 2019 que son avocat avait envoyée à l’inspecteur chargé d’enquêter sur la plainte. La demanderesse a soutenu qu’il était injuste d’interroger M. Windego au sujet de cette lettre, parce qu’il n’en était pas l’auteur. En outre, la demanderesse a expliqué qu’aucun autre témoin n’avait été interrogé à ce sujet. Par conséquent, la demanderesse allègue que le fait que l’arbitre se soit appuyée sur cette lettre est injuste.

[74] La demanderesse a également fait remarquer que, même si l’arbitre a rejeté les tentatives de la défenderesse d’attaquer la crédibilité de M. Windego, son témoignage a tout de même été rejeté lorsqu’il a été contredit. Il s’agit là, selon la demanderesse, d’un autre cas où une « personne raisonnable et bien renseignée » conclurait à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

[75] La demanderesse a soutenu que le refus de l’arbitre d’accepter le témoignage de Mme Hyatt démontre encore une fois une crainte raisonnable de partialité. La demanderesse a expliqué que Mme Hyatt n’avait pas simplement déclaré que la défenderesse ne lui avait pas fourni la liste des membres; elle avait déclaré qu’elle avait dû demander les renseignements à plusieurs reprises et qu’ils n’étaient pas à jour.

[76] En ce qui concerne la question de la partialité, la demanderesse estime que le traitement par l’arbitre de ses arguments sur le fait que la défenderesse n’a pas cherché d’emploi entre le moment où elle a été congédiée et celui où elle est retournée aux études est une preuve de partialité. La demanderesse affirme que la partialité est évidente, car l’arbitre s’est donné [traduction] « beaucoup de mal pour rejeter » les arguments sur cette question.

[77] À l’audience devant moi, la demanderesse a de nouveau demandé pourquoi l’arbitre avait refusé de produire ses notes relatives à l’audience d’arbitrage. La demanderesse s’est interrogée sur les intentions de l’arbitre, demandant [traduction] « qu’est-ce qu’elle essayait de cacher? » Cet argument a été présenté de nouveau malgré le rejet de la demande de transmission de documents par une juge adjointe et le rejet de l’appel de cette décision par une autre juge. Comme je l’ai indiqué au début de la présente décision, je n’examinerai pas plus à fond cet argument.

[78] La demanderesse a conclu ses arguments sur la partialité en faisant valoir que, puisque la décision relative à la réparation est fondée sur les conclusions tirées dans la décision relative à la responsabilité, elle est elle aussi viciée et doit être annulée en raison d’une crainte raisonnable de partialité.

b) Les observations de la défenderesse

[79] La défenderesse a déclaré qu’il est très grave de faire une allégation de partialité alors qu’il n’y a aucune preuve substantielle à l’appui. La défenderesse souligne qu’il n’y a aucun élément de preuve au dossier qui corrobore l’existence d’une crainte raisonnable de partialité ou même qui donne à penser à l’existence d’une telle crainte.

[80] La défenderesse met en avant le fait que l’arbitre a statué à plusieurs reprises en faveur de la demanderesse tout au long de la procédure d’arbitrage. La défenderesse affirme que plusieurs décisions en faveur de la demanderesse prouvent qu’il n’y a pas eu de partialité. Premièrement, l’arbitre a donné raison à la demanderesse lorsque celle-ci a contesté le contre-interrogatoire de M. Windego mené par la défenderesse.

[81] Deuxièmement, l’arbitre a donné à la demanderesse une deuxième occasion de présenter des éléments de preuve sur la question des mesures d’atténuation, en réponse à la preuve de la défenderesse. Lorsqu’elle a autorisé la demanderesse à déposer des exemples d’emplois, l’arbitre n’a pas permis à la défenderesse de contre-interroger la demanderesse sur ce point. Encore une fois, il s’agit d’une décision en faveur de la demanderesse qui ne peut être considérée comme partiale.

[82] La défenderesse a soutenu que la méthode utilisée par l’arbitre pour traiter l’objection (lorsqu’elle a dit [traduction] « ça suffit ») lors de l’audience d’arbitrage était simplement une question de maintien de l’ordre par un arbitre dans le cadre d’une audience devant un tribunal chargé d’examiner des questions litigieuses. Le critère de preuve applicable à la partialité, qui est élevé, n’est pas rempli en l’espèce.

(4) Analyse de la crainte raisonnable de partialité

[83] Les arguments de la demanderesse concernant la partialité et la crainte raisonnable de partialité sont rejetés.

[84] Les allégations de partialité ne peuvent reposer sur les impressions d’un demandeur ou de son avocat (Arthur, au para 8). L’affidavit du chef McGinnis contient un témoignage d’opinion d’une partie intéressée qui n’a pas obtenu gain de cause lors de l’arbitrage. Cette preuve ne peut être utilisée en l’espèce pour établir une crainte raisonnable de partialité ou un manquement à l’équité procédurale. Il semblerait que la conclusion de l’arbitre ait été fondée sur les éléments de preuve et que l’arbitre ait accordé davantage de poids à sa déclaration sur ce qui constituait un facteur important qu’aux déclarations subséquentes. Cela relève de la compétence de l’arbitre; ce n’est pas un indice de partialité.

[85] Le contexte n’est pas celui évoqué par l’affaire Commission scolaire francophone du Yukon et il n’aide pas non plus la Cour à déterminer si l’arbitre a fait preuve de partialité. Pour étayer une allégation de partialité ou de crainte raisonnable de partialité, il faut disposer d’éléments de preuve substantiels plus étoffés que les impressions d’un demandeur débouté.

[86] Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que la réponse de l’arbitre à l’objection soulevée lors du contre-interrogatoire de M. Windego visait le maintien de l’ordre au cours de l’audience. Ainsi, il ne s’agit pas d’une preuve de partialité. Je suis d’accord avec la défenderesse et je conclus que l’arbitre a été impartiale et qu’elle n’a pas fait preuve d’iniquité dans la façon dont elle a mené l’audience.

[87] Ces arguments relatifs à la partialité doivent être rejetés, étant donné qu’il n’existe aucune preuve substantielle de partialité ou de crainte raisonnable de partialité. Lorsque ces arguments sont décortiqués, il s’agit en fait d’un désaccord quant aux conclusions de l’arbitre, au poids qu’elle a accordé à certains éléments de preuve et à ses conclusions relatives à la crédibilité. Le critère de preuve pour conclure à la partialité est élevé, et la demanderesse ne l’a pas rempli.

C. L’allégation de défaut de tenir compte de tous les éléments de preuve

[88] Comme je l’ai indiqué ci-dessus, les arguments invoqués par la demanderesse visent en réalité à déterminer si les décisions contestées sont raisonnables. Chaque décision est longue et détaillée. L’arbitre a exposé avec précision les raisons pour lesquelles elle a formulé certaines constatations de fait et a bien expliqué ses conclusions dans ses motifs. La question de savoir si j’aurais rendu la même décision n’a pas d’importance.

[89] La demanderesse a qualifié de problème d’équité procédurale le fait que l’arbitre n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve. Je ne suis pas de cet avis. Si je comprends bien, il s’agit d’une question de preuve présentée à un décideur et, par conséquent, d’une question de fond. Bien que l’obligation de fournir des motifs écrits fasse partie de l’obligation d’équité procédurale, sur le plan analytique, l’analyse de la façon dont l’arbitre a traité les éléments de preuve est une question qui doit faire l’objet d’un examen sur le fond. La « preuve portée à la connaissance du décideur et [l]es faits dont le décideur peut prendre connaissance d’office » constituent des éléments explicitement énumérés de l’analyse visant à déterminer si une décision est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur elle : Vavilov, au para 106.

[90] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » : Vavilov, au para 102, citant Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54. La demanderesse a commis cette erreur en soulevant de nouveau les différends factuels portés devant l’arbitre.

[91] Les décisions de l’arbitre tiennent suffisamment compte des éléments de preuve et des observations des parties : « Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‐il, qui a mené à sa conclusion finale » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16, citant Union internationale des employés des services, Local no 333 c Nipawin District Staff Nurses Association, [1975] 1 RCS 382 à la p 391, 1973 CanLII 191 (CSC)). Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que l’arbitre [traduction] « a expliqué clairement et en détail pourquoi elle a accepté les éléments de preuve pertinents et rejeté les autres éléments de preuve ». Même la demanderesse reconnaît que l’arbitre s’est donné [traduction] « beaucoup de mal pour rejeter » ses arguments en matière de mesures d’atténuation.

[92] L’examen des décisions contestées révèle des motifs convaincants qui s’attaquent aux questions centrales de la plainte de la défenderesse. Ce que la demanderesse conteste, ce sont les conclusions auxquelles l’arbitre est parvenue compte tenu des éléments de preuve, et non le fait qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve. Ce n’est pas le rôle de la Cour.

[93] D’après les éléments de preuve dont disposait l’arbitre, les décisions contestées sont raisonnables et justifiées, transparentes et intelligibles pour les personnes qui y sont assujetties et reflètent « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » (Vavilov, au para 85).

[94] Je rejetterai la demande.

V. Les dépens

[95] Après l’audience, les parties ont convenu de fixer les dépens de la présente demande à 12 000 $, débours et taxes compris.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-1210-21

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Les dépens de la demande, d’un montant de 12 000 $, débours et taxes compris, seront versés à la défenderesse par la demanderesse.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1210-21

 

INTITULÉ :

PREMIÈRES NATIONS DE RAINY RIVER c KATHLEEN BOMBAY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 août 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 octobre 2022

 

COMPARUTIONS :

David C. Rolf

Colleen Verville

Pour la demanderesse

Robert Sinding

 

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MLT AIKINS LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

Pour la demanderesse

ROBERT SINDING

Emo (Ontario)

Pour la défenderesse

 

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