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Dossier : T-1462-20

Référence : 2022 CF 1501

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 3 novembre 2022

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

BANDE DE MIAWPUKEK

(AUSSI CONNUE SOUS LE NOM DE PREMIÈRE NATION DE MIAWPUKEK)

demanderesse

et

TRACY HOWSE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse, la bande Miawpukek (également connue sous le nom de Première Nation de Miawpukek) [la PNM], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 3 novembre 2020 [la décision] par un arbitre nommé dans le cadre du programme d’Emploi et Développement social Canada [l’arbitre]. La décision a accueilli la plainte de la défenderesse pour congédiement injuste déposée en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC [1985], c L-2 [le Code] et a ordonné la réintégration conditionnelle de la défenderesse dans un autre poste au sein de la PNM.

[2] Pour les motifs qui suivent, je ferai droit en partie à la demande. Bien que je considère comme raisonnable la conclusion de l’arbitre selon laquelle Mme Howse a été injustement congédiée, je renverrai l’affaire à l’arbitre pour qu’il réexamine la question de la mesure à imposer, car je suis d’avis que l’arbitre a outrepassé ses pouvoirs en réintégrant la demanderesse dans un poste différent au sein de la PNM.

I. Contexte

[3] La PNM est une communauté autochtone de Conne River, à Terre-Neuve, qui compte 1 000 membres dans la réserve et 2 000 membres vivant hors réserve. La PNM est gouvernée par un chef et un conseil élus. Son organe administratif comprend huit services qui relèvent de son administratrice générale [l’AG]. Le service compétent pour la présente demande est celui de la formation et du développement économique [FDE].

[4] La défenderesse, Tracy Howse, est membre de la PNM et est devenue directrice du service FDE en 2011 après avoir été employée par la PNM pendant plus d’une décennie. Entre 2011 et 2017, Mme Howse a maintenu un environnement de travail harmonieux et productif au sein du service FDE.

[5] À la fin de l’année 2017, Mme Howse a commencé à passer beaucoup de temps à travailler avec David McDonald, le directeur de Conne River Outfitting [CRO], et a noué une relation personnelle avec ce dernier. Mme Howse a également commencé à faire intervenir M. McDonald dans des affaires du service FDE sans rapport avec ses responsabilités au sein de CRO.

[6] À la même époque, Mme Howse a commencé à éprouver des problèmes de santé mentale, ainsi que d’autres problèmes personnels et familiaux. Elle a eu recours au programme d’aide aux employés de la PNM et a finalement pris un congé de maladie à compter du 16 mai 2018. Le congé de maladie a été prolongé jusqu’en 2019.

[7] Mme Howse a continué à travailler pendant son congé, soumettant des demandes d’heures supplémentaires pendant les périodes pour lesquelles elle avait demandé des prestations de congé de maladie. La plupart de ses travaux étaient liés au CRO. Au cours de cette période, Mme Howse a eu un certain nombre d’interactions négatives avec l’AG et d’autres employés de la PNM. En mai 2018, elle a été suspendue pendant trois jours pour avoir utilisé un langage vulgaire dans un courriel adressé à l’AG.

[8] En décembre 2018, la PNM a ouvert une enquête sur le harcèlement au travail survenu dans l’administration de la PNM [l’enquête]. L’enquête a été ouverte à la suite de plaintes déposées par Mme Howse auprès d’Emploi et Développement social Canada, mais ne s’est pas limitée à ces plaintes et a porté sur un certain nombre de griefs supplémentaires déposés par des employés de la PNM, qui existaient auparavant, mais n’ont été officialisés qu’après le dépôt des plaintes de Mme Howse, notamment :

[9] Il a également été demandé à l’enquêtrice de déterminer s’il existait un environnement de travail toxique au sein du service FDE.

[10] En février 2019, l’enquêtrice a remis à la PNM un rapport sur ses conclusions [le rapport]. Le rapport concluait que Mme Howse s’était livrée à du harcèlement au travail à l’encontre de Mme Hinks, M. Joe, Mme Joe et Mme Lambert, mais qu’elle ne s’était pas livrée à du harcèlement au travail à l’encontre de Mme Jeddore, M. Lambert ou Mme Keeping. Le rapport concluait également que le directeur de la justice et conseiller juridique de la PNM et l’AG ne se sont pas livrés à du harcèlement sur le lieu de travail à l’encontre de Mme Howse. Il a également conclu que Mme Howse avait grandement contribué à un environnement de travail toxique au sein du service FDE entre novembre 2017 et mai 2018, et dans une moindre mesure par la suite.

[11] Après avoir reçu le rapport, le chef a mis fin à l’emploi de Mme Howse pour un motif valable dans une lettre datée du 4 avril 2019 [la lettre de congédiement]. Outre les conclusions du rapport, la lettre de congédiement mentionne également d’autres problèmes liés au rendement au travail de Mme Howse, notamment :

[12] Le 25 avril 2019, Mme Howse a déposé une plainte pour congédiement injuste contre la PNM conformément au Code [la plainte] et l’arbitre a été nommé en mars 2020.

II. La décision faisant l’objet du contrôle

[13] Une audience concernant la plainte a eu lieu en septembre 2020, au cours de laquelle l’arbitre a entendu les témoignages de Mme Howse, de l’AG, du directeur de la justice et conseiller juridique de la PNM, de trois des plaignants du service FDE et du chef de la bande. L’arbitre a accueilli la plainte, annulé le congédiement de Mme Howse et rendu une ordonnance conditionnelle de réintégration.

[14] L’arbitre a conclu que Mme Howse devrait être réintégrée sous condition dans un poste au sein de la PNM autre que celui de directrice du service FDE. Il a imposé les conditions suivantes dans le cadre de son ordonnance, sur la base des recommandations formulées dans le rapport :

a) Mme Howse reconnaît expressément et par écrit qu’elle comprend et accepte ces conditions de réintégration. Sans cet accord, il n’y aura pas de réintégration dans l’emploi au sein de la bande;

b) Mme Howse peut retourner au travail auprès de la bande défenderesse après avoir présenté des avis médicaux et psychologiques écrits des professionnels certifiés appropriés, attestant de son aptitude physique et mentale à retourner au travail;

c) Mme Howse doit reconnaître que sa réintégration est assortie d’une période probatoire d’un an, sous réserve d’une évaluation juste et raisonnable de son rendement au travail;

d) Que tout emploi au sein de la bande qu’elle reprend est un emploi distinct de celui de M. David McDonald;

e) Que son salaire soit ce que l’on appelle parfois « bloqué », c’est-à-dire que son salaire et ses avantages sociaux resteront au même niveau qu’à la date de son congédiement jusqu’à ce que Mme Howse occupe un poste mieux rémunéré au sein de la bande;

f) Dans l’éventualité où son retour au sein de la bande se ferait dans le cadre d’un rôle au sein du service FDE, ce rôle ne devrait pas avoir pour conséquence que les plaignants qui ont déposé des plaintes contre elle soient obligés de lui rendre des comptes, à moins que l’AG n’en décide autrement de manière expresse;

g) Qu’elle n’exerce aucune fonction de supervision tant qu’elle n’a pas suivi la formation appropriée déterminée par l’AG;

h) Mme Howse devra reconnaître et accepter que son retour est assujetti à une période de probation et qu’elle fera l’objet d’évaluations régulières;

i) Qu’il n’y aura aucune ordonnance quant aux dépens adjugés à l’une ou l’autre des parties.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[15] Les questions suivantes sont soulevées dans la présente demande :

[16] La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 25.

[17] En appliquant la norme, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » : Vavilov, aux para 83, 85 et 86, 99; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] aux para 2, 31. Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité : Vavilov, aux para 91-95, 99-100.

[18] Alors que le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte, le rôle de la Cour ne consiste pas à apprécier ou évaluer à nouveau la preuve en l’absence de circonstances exceptionnelles : Vavilov, aux para 125-126; Société canadienne des postes, au para 61. La Cour ne devrait pas non plus se livrer à une analyse de novo, ni se demander quelle décision elle aurait rendue, ni prendre en compte l’éventail des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur : Vavilov, au para 83.

[19] Comme l’indique l’arrêt Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33 [Payne] au paragraphe 33, le législateur souhaite que les cours chargées du contrôle judiciaire des décisions d’arbitres fassent preuve de retenue. Il faut examiner avec soin tout le contexte pour décider du caractère injuste ou non d’un congédiement, ce qui met inévitablement à contribution l’expérience de l’arbitre et son appréciation des réalités pratiques de la relation de travail.

IV. Analyse

A. Était-il raisonnable pour l’arbitre de conclure à un congédiement injuste?

[20] L’article 240 du Code prévoit qu’une personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte si elle a travaillé sans interruption pendant douze mois et qu’elle n’est pas régie par une convention collective.

[21] Il n’y a pas de définition du « congédiement injuste » dans le Code. La signification de l’expression « motif valable » en ce qui concerne le « congédiement injuste » en vertu de l’article 240 du Code a été examinée dans l’affaire Esquimalt Nation et Thomas, Re, 1997 CarswellNat 5031 Arbitrage du Canada (partie III du Code canadien du travail) au paragraphe 21 comme suit :

[traduction]

[...] Je définis l’expression « congédiement injuste » au sens large. Il ne s’agit pas seulement d’un congédiement sans « motif valable » au sens des paragraphes 230(1) et 235(1) du Code. Le « motif valable » inclut généralement la conduite d’un employé qui est préjudiciable à l’entreprise de l’employeur, constitue une faute grave, reflète une incompétence, etc. Son existence peut entraîner le rejet d’une plainte de congédiement injuste, mais pas nécessairement. En fonction des circonstances (par exemple, la manière dont le congédiement a été géré, les avertissements, la formation, la publicité), un congédiement peut être considéré comme injuste même avec motif valable.

[22] Comme il est indiqué dans Banque Canadienne Impériale de Commerce c Boisvert, [1986] 2 CF 431, 1986 CarswellNat 206 (CAF) [BCIC] au paragraphe 39, autorisation d’interjeter appel refusée (1986), 72 NR 367 (CSC), un employé a droit à un congédiement « juste » qui se rattache à une cause objective, réelle et sérieuse, indépendamment [traduction] « des incompatibilités d’humeur, des convenances ou des mésintelligences purement personnelles, se présentant comme une mesure prise exclusivement pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise ».

[23] L’arbitre dans Iron and Kanaweyimik Child and Family Services Inc (Re), 2002 CarswellNat 6676, Arbitrage du Canada (partie III du Code canadien du travail) [Iron] au paragraphe 12 a qualifié un congédiement « juste » comme ayant quatre caractéristiques :

[24] Un motif valable de congédiement a été décrit comme une inconduite qui donne lieu à une rupture de la relation de travail, viole les conditions essentielles du contrat de travail, constitue un abus de la confiance inhérente à l’emploi ou est fondamentalement ou directement incompatible avec les obligations de l’employé envers son employeur : Payne, au para 47, citant McKinley c BC Tel, 2001 CSC 38, au para 48.

[25] La PNM soutient que la décision n’est pas justifiée au regard des faits et du droit. Elle affirme que l’arbitre n’a pas reconnu qu’il y avait eu une rupture complète de la confiance, de sorte que le congédiement de Mme Howse de son poste de directrice du service FDE était fondé sur un motif « valable ».

[26] Mme Howse soutient que l’arbitre a soigneusement examiné les circonstances et le contexte applicables à sa situation et a conclu que le congédiement était trop sévère; choisissant plutôt d’appliquer le principe des mesures disciplinaires progressives, tout en mettant en œuvre les recommandations de l’enquêtrice contenues dans le rapport.

[27] Comme le reconnaît la demanderesse, la mesure disciplinaire progressive est la norme. Le congédiement pour motif valable est rarement jugé être juste en l’absence d’avertissements préalables et de sanctions moins lourdes infligées pour des écarts de conduite semblables : Payne, au para 48.

[28] La demanderesse note que l’arbitre a conclu que Mme Howse ne pouvait pas continuer à occuper son poste actuel de directrice du service FDE. Elle soutient que la rétrogradation expresse de Mme Howse à un poste subalterne constitue en fait un congédiement pour un motif valable. Cependant, l’arbitre s’est « égaré » en se sentant lié à un modèle de mesures disciplinaires progressives qui n’était pas obligatoire. La demanderesse affirme que, dans certaines circonstances, un seul geste d’inconduite peut suffire à justifier un congédiement pour motif valable : Currie and Travelers Transportation Services Inc, Re, 2013 CarswellNat 2989, Arbitrage du Canada (partie III du Code canadien du travail) au para 25.

[29] En l’espèce, la demanderesse soutient que les faits admis établissent une rupture complète de la relation de travail entre Mme Howse et ses subordonnés et superviseurs au sein du service FDE, ce qui justifie un congédiement pour un motif valable. Il affirme que le comportement de Mme Howse était si grave qu’il a eu une incidence négative réelle et importante sur le fonctionnement du service FDE, de sorte que la destitution de la fonction était nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du service FDE à l’avenir. La demanderesse fait référence au comportement mentionné par l’enquêtrice dans son rapport et à la conduite mentionnée par la PNM dans la lettre de congédiement, y compris ce qui a été souligné par l’arbitre :

[30] La demanderesse affirme que la rupture de la relation de travail a été reconnue par l’arbitre, comme en témoignent les paragraphes suivants de la décision :

[traduction]

Le gouffre grandissant et les bouleversements au sein du service FDE étaient évidents pour la superviseure de Mme Howse qui lui a demandé spécifiquement et sans équivoque de retourner dans son propre bureau et également de travailler avec plus de considération et de manière plus collaborative avec ses autres gestionnaires. Malgré des instructions claires, elle ne s’est pas conformée aux exigences de sa superviseure. Même si elle était censée être si infirme qu’elle était complètement invalide, la plaignante a néanmoins continué à travailler et à contribuer au travail de l’unité CRO. Cette unité était gérée par M. David McDonald, un individu avec lequel elle entretenait une relation personnelle. Cette relation semble être devenue l’axe autour duquel tournaient la plupart de ses problèmes. Que cela soit dû à la jalousie du personnel ou à son impact perçu sur le fonctionnement normal de l’entreprise est quelque peu sans importance pour son congédiement puisque c’est son refus de changer ses habitudes, son mépris délibéré et son insubordination qui ont finalement causé sa perte.

[...]

La plaignante avait été invitée à plusieurs reprises par sa superviseure à modifier son comportement au bureau, mais elle n’a pas changé, préférant ne pas tenir compte de ces instructions. Quelle que soit la raison pour laquelle elle n’a pas suivi immédiatement les instructions de sa superviseure, la plaignante a eu tort d’ignorer ces instructions. Le grand nombre de problèmes dans sa vie personnelle pourrait expliquer pourquoi la plaignante a passé plus de temps avec M. David McDonald, néanmoins, du point de vue de la direction, un tel traitement préférentiel à son égard était inapproprié et injustifié.

[31] La demanderesse soutient que les circonstances du congédiement satisfont aux critères d’un congédiement juste énoncés dans Iron, à savoir : 1) le congédiement était rationnel et conforme à l’objectif opérationnel légitime de rétablir l’efficacité des activités commerciales du service FDE et de répondre aux allégations d’intimidation et de harcèlement au sein du service; 2) le préjudice causé par le comportement de Mme Howse était important et a eu un impact dramatique sur le fonctionnement du service FDE, entraînant une rupture de sa relation avec les cadres de l’AG et de la PNM; 3) la décision de congédier Mme Howse a été prise de bonne foi et repose sur les conclusions objectives de l’enquêtrice après une enquête approfondie sur les plaintes et une analyse des conclusions sur l’enquête; 4) la décision de congédier a été prise d’une manière équitable sur le plan de la procédure.

[32] La demanderesse se réfère à Morris c la Première Nation des Wet'suwet'en, 2008 CarswellNat 6586, Arbitrage du Canada (partie III du Code canadien du travail) [Morris] pour étayer son argument selon lequel les mesures disciplinaires progressives ne sont pas nécessaires lorsque le niveau d’inconduite est si extrême qu’il compromet la relation de travail (Morris, au para 75). Cependant, j’estime que Morris est d’une aide limitée.

[33] Dans l’affaire Morris, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si un congédiement effectué en dehors du cadre disciplinaire défini dans le manuel des procédures administratives (le MPA) de la Première Nation des Wet'suwet'en [la PNW] était juste. Aux paragraphes 65 et 66, l’arbitre a noté les mesures disciplinaires progressives, autres que la suspension, qui avaient été prises par la PNW pour remédier au comportement de Mme Morris :

[traduction]

[...] La PNW a cherché à remédier aux comportements inappropriés de Mme Morris au moyen de réprimandes verbales, puis d’avertissements écrits. Toutefois, aucune suspension n’a été infligée pour les fautes commises par la suite par Mme Morris, et cette dernière ne s’est jamais vu proposer de suivre des séances de conseil en gestion de la colère. Dès lors que Mme Morris s’est montrée disposée à ignorer le message contenu dans les lettres du 15 février 2007, la PNW a conclu que la sanction disciplinaire appropriée devait être le congédiement.

 

66. La décision de passer directement au congédiement est troublante. Elle l’est encore plus en raison de ce que je considère comme une ambiguïté dans le langage des lettres du 15 février 2007. S’il est vrai que ces lettres font une référence générale au droit incontestable de la PNW, en plus de ses pouvoirs disciplinaires en vertu du MPA, de congédier pour un motif valable, elles indiquent aussi très clairement que tout nouvel incident entraînerait « la poursuite du processus de mesures disciplinaires » mentionné à l’alinéa 2.17.03b) et c) du MPA. Une personne raisonnable se trouvant dans la position de Mme Morris aurait probablement supposé, sur la base de cette déclaration, qu’une nouvelle inconduite du type de celle décrite dans ces lettres aurait entraîné une sanction disciplinaire sous la forme d’une suspension, et non d’un congédiement. [...]

67. Malgré cette mise en garde, j’ai décidé que la PNW était en droit, dans les circonstances particulières de la présente affaire, de congédier Mme Morris pour sa conduite dans les semaines qui ont suivi la réception des lettres du 15 février 2007. Pour arriver à cette conclusion, j’ai conclu que je devais être d’accord avec ce que je perçois comme le raisonnement de la direction de la PNW pour congédier Mme Morris, à savoir que son avant-dernier comportement était si destructeur de la relation de travail et de l’environnement de travail dans le bureau de la PNW, que toute autre mesure disciplinaire intermédiaire autre que le congédiement aurait été au mieux inutile, et au pire un message à Mme Morris que sa conduite était dans une certaine mesure tolérée. Même dans l’affaire Roberts, précitée, au paragraphe 21, l’arbitre Adams a admis qu’un congédiement qui n’est pas précédé d’une suspension peut néanmoins être confirmé dans des circonstances appropriées, et en particulier lorsqu’il y a eu une érosion importante des fondements nécessaires pour soutenir une relation d’emploi significative.

[34] En l’espèce, aucun protocole disciplinaire similaire n’est en jeu. Bien que Mme Howse ait été suspendue pendant trois jours en mai 2018 pour avoir utilisé un langage vulgaire à l’égard de son AG, hormis cette courte suspension, qui a donné lieu à des excuses à l’AG pour le langage utilisé, aucune autre mesure disciplinaire progressive n’a été prise par la PNM pour tenter de remédier à la conduite de Mme Howse.

[35] Comme l’a noté l’arbitre, toutes les évaluations de rendement ont cessé en 2016 et il n’y avait pas de protocole formel pour émettre des avertissements, faire un rappel des attentes ou avertir Mme Howse des conséquences potentielles si elle ne modifiait pas son mauvais comportement :

[traduction]

Après que Mme O’Keefe est devenue l’administratrice générale en 2016, la pratique des évaluations périodiques de rendement a cessé. Les évaluations annuelles de rendement sont l’occasion de rappeler formellement à un subordonné les attentes et de le mettre en garde contre les conséquences qui pourraient résulter de l’incapacité de modifier son comportement. La plupart des écarts de conduite sur le lieu de travail ne sont pas suffisamment graves pour justifier un congédiement. Un employé qui se comporte mal devrait être soumis à un système de mesures disciplinaires correctives progressives, lui offrant la possibilité de modifier son comportement tout en étant au courant des conséquences graves qui pourraient résulter de l’incapacité de modifier son comportement.

L’insubordination et le manque de respect dont Mme Howse aurait fait preuve à l’égard de sa superviseure, l’AG, sont des problèmes graves qui devaient être résolus, mais ils ne sont pas de nature à justifier un traitement sous la forme d’une mesure disciplinaire progressive et pas nécessairement un congédiement. Les documents dont je dispose ne font pas état d’une série d’avertissements documentés traitant des lacunes de Mme Howse et indiquant clairement que si ces manières inappropriées ne cessent pas, cela pourrait entraîner son congédiement.

[36] À mon avis, l’arbitre s’est raisonnablement demandé si Mme Howse avait été suffisamment avertie des conséquences potentielles de son comportement et si elle avait eu l’occasion de corriger son comportement et d’améliorer son rendement. Bien que le congédiement ait suivi l’enquête sur le lieu de travail et le rapport, comme l’a raisonnablement conclu l’arbitre, ces mesures n’ont pas dispensé la PNM de son obligation d’envisager une approche disciplinaire progressive, en particulier lorsqu’il s’agit d’une employée ayant vingt-trois années d’expérience de travail auprès de la PNM.

[37] Comme l’a noté l’arbitre [traduction] « [le] congédiement est la dernière et la plus grave des mesures qu’un employeur peut prendre dans le cadre d’une procédure disciplinaire. [...] Pour déterminer si un employé doit faire l’objet de la mesure disciplinaire la plus grave, il convient de se demander si l’employée s’est acquittée de sa tâche de manière satisfaisante dans le passé et si des problèmes personnels ont pu être à l’origine des comportements inappropriés ».

[38] Mme Howse était une personne membre de la PNM hautement qualifiée et formée, qui avait une solide expérience professionnelle au sein du service FDE de 2011 à 2017 et vingt-trois années d’expérience professionnelle au sein de la PNM. Ses problèmes découlaient de ses défis et difficultés personnels plus récents. La PNM, en tant qu’employeur le plus important de sa communauté, avait pour rôle sous-jacent d’offrir soutien et assistance à ses membres et d’adopter, comme elle l’avait fait par le passé, une approche disciplinaire plus douce. Même si la conduite de Mme Howse justifiait des mesures disciplinaires, il n’était pas déraisonnable de la part de l’arbitre de considérer que les années d’emploi positif de Mme Howse au sein de la PNM et la faible perspective d’emploi similaire à Conne River rendaient le congédiement trop sévère et les mesures disciplinaires progressives plus appropriées.

[39] Comme l’a souligné la défenderesse, le plan de retour au travail de la PNM prévoyait que Mme Howse reprenne ses fonctions au sein du service FDE après son congé d’invalidité. En conséquence, la PNM n’était pas d’avis que sa relation avec Mme Howse était irrémédiablement rompue.

[40] En outre, comme il a été noté, même après l’examen approfondi des éléments de preuve par l’enquêtrice, le rapport lui-même ne recommandait pas le congédiement. Il proposait plutôt qu’une telle mesure s’inscrive dans un éventail de mesures disciplinaires potentielles, la majeure partie des recommandations se concentrant sur les méthodes permettant de maintenir Mme Howse dans son poste au sein du service FDE. Étant donné le nombre peu élevé de fois où la PNM a eu recours au congédiement comme mesure disciplinaire, l’arbitre a raisonnablement trouvé étonnant que la PNM ait choisi une telle mesure, compte tenu de l’enquête approfondie et détaillée qui avait été menée et des autres résultats et recommandations qui avaient été formulés.

[41] Le raisonnement de l’arbitre tient compte de la loi, de la preuve et des circonstances de l’espèce, et d’une chaîne d’analyse rationnelle pour arriver à une conclusion claire qu’il y a eu congédiement injuste. À mon avis, il n’y a pas d’erreur susceptible de révision dans cette conclusion.

[42] Bien que l’arbitre ait conclu que Mme Howse ne devrait pas être réintégrée dans son ancien poste au service FDE ou dans un rôle de supervision, et qu’elle devrait plutôt assumer un rôle à l’écart des plaignants du service FDE et de M. McDonald, je ne suis pas d’avis que ces conclusions supplantent la décision selon laquelle il y a eu un congédiement injuste.

[43] La compétence de l’arbitre pour prononcer cette décision est une question distincte qui sera examinée plus loin.

B. L’arbitre avait-il compétence pour réintégrer Mme Howse dans un poste autre que celui de directrice du service FDE?

[44] Le paragraphe 242(4) du Code énonce les mesures dont dispose un arbitre qui conclut qu’un employé a été injustement congédié :

Cas de congédiement injuste

Unjust dismissal

(4) S’il décide que le congédiement était injuste, le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre à l’employeur

(4) If the Board decides under subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the Board may, by order, require the employer who dismissed the person to

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

(b) reinstate the person in his employ; and

c) de prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal

[45] Bien qu’elle soit la mesure accordée de préférence en vertu du paragraphe 242(4) (Payne, au para 86; Roy and Northern New Brunswick Airport Inc, Re, 2018 CarswellNat 1404, Arbitrage du Canada (partie III du Code canadien du travail) [Roy] au para 103), la réintégration n’est pas un droit découlant d’une conclusion de congédiement injuste, mais simplement une des mesures dont dispose un arbitre (Kouridakis c Banque Canadienne Impériale de Commerce, 2019 CF 1226 [Kouridakis] au para 39).

[46] Dans l’affaire Banque Royale du Canada c Cliché, [1985] FCJ no 424, 1985 CarswellNat 1716 (CAF) [Cliché], la Cour d’appel fédérale a conclu que l’ordonnance de réintégration de l’employée congédiée dans un poste différent dépassait la compétence de l’arbitre en vertu des dispositions du Code. Elle a interprété l’alinéa 242(4)c) (alinéa 61.5(9)c) à l’époque) du Code comme ne s’appliquant qu’aux conséquences accessoires du congédiement autres que la perte pécuniaire et la perte d’emploi (au para 4) :

[traduction]

On peut écarter tout de suite non seulement l’alinéa a), mais également l’alinéa b). Les expressions utilisées, en effet, aussi bien celle de la version française : « réintégrer dans son emploi », que celle de la version anglaise : « reinstate in his employ », ne permettent pas de douter que la mesure autorisée est la remise de la personne dans la situation ou elle se trouvait avant le congédiement, le retour au status quo ante. Seul l’alinéa c) peut donner lieu à hésitation à cause de l’imprécision de ses termes. Mais si on analyse le texte dans ses deux versions, on se rend compte qu’il faut donner à la disposition une portée autrement plus limitée que celle qu’on peut être enclin à lui attribuer au départ. On peut noter d’abord qu’il est question de « contrebalancer [les effets du congédiement, la rupture du contrat de travail] ou d’[y] remédier », non de mettre fin purement et simplement à ce congédiement, à cette rupture. Mais on doit noter, avant tout, que les trois genres de mesures que visent les trois alinéas, mises sur le même pied et jointes par une locution conjonctive, visent manifestement un aspect différent des conséquences préjudiciables résultant d’un congédiement : la perte de salaire à l’alinéa a), la perte d’emploi à l’alinéa b), et les autres effets incidents à l’alinéa c). On ne saurait interpréter l’alinéa c) sans tenir compte du contexte et lui donner une portée telle que les autres alinéas deviendraient parfaitement inutiles. L’alinéa c) vise donc à remédier aux conséquences incidentes du congédiement autre que la perte pécuniaire et la perte d’emploi et, par conséquent, ne couvre pas plus que les alinéas a) et b) la mesure qui consisterait à ordonner la réintégration de l’employé dans un poste autre que celui qu’il occupait.

[47] Comme l’indique l’arrêt Cliché au paragraphe 5, les limites des pouvoirs d’un arbitre sont dictées par des considérations de bon sens selon lesquelles pour [TRADUCTION] « exécuter [une telle ordonnance], l’employeur doit, soit créer un poste nouveau, soit libérer un poste existant en congédiant ou déplaçant l’employé qui l’occupe déjà. Et le caractère abusif de la mesure saute alors aux yeux : ou bien on impose à l’employeur l’obligation d’augmenter ou de réorganiser son personnel ou bien on le force à transgresser les droits d’un tiers innocent ».

[48] Bien que la Cour se soit demandée si l’arrêt Cliché est appliqué de façon uniforme (Banque de Nouvelle-Écosse c Randhawa, 2018 CF 487), comme l’a fait remarquer mon collègue le juge Pamel dans la décision Kouridakis, le principe énoncé par la CAF dans l’arrêt Cliché fait toujours autorité (Kouridakis, au para 72).

[49] Dans la présente affaire, l’arbitre n’a pas indiqué quel autre poste Mme Howse pourrait occuper et si un tel poste nécessiterait une augmentation ou une réorganisation du personnel, ou le déplacement d’un employé tiers innocent. Les préoccupations soulevées dans l’arrêt Cliché continuent de s’appliquer.

[50] Dans le cadre du contrôle selon la norme de la décision raisonnable « le décideur administratif qui interprète la portée de son pouvoir de réglementation dans le but de l’exercer ne peut retenir une interprétation incompatible avec les principes de common law applicables en ce qui concerne la nature des pouvoirs législatifs » : Vavilov, aux para 111-112; Service d’administration PCR Ltee c Reyes, 2020 CF 659 [Reyes] au para 19.

[51] Dans la décision, l’arbitre n’a pas expliqué pourquoi cette limite à sa compétence ne devrait pas s’appliquer : Reyes, au para 20. En revanche, il a supposé que la réintégration dans un autre poste était une mesure dont il pouvait se prévaloir en vertu du Code. À mon avis, il s’agit là d’une lacune fondamentale de la décision.

[52] La défenderesse soutient que, si la Cour conclut que l’arbitre n’avait pas compétence pour ordonner la réintégration conditionnelle, elle pourrait néanmoins, en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, RSC 1985, c F-7, ordonner qu’une réintégration conditionnelle soit faite dans le poste initial de Mme Howse, conformément aux conditions imposées par le rapport. Toutefois, je ne suis pas d’avis que cette conclusion découle des motifs invoqués.

[53] La réintégration nécessite de déterminer si la relation de travail reste viable. Cela dépend du contexte et des circonstances et de l’évaluation de la possibilité de réintégrer l’employé dans son poste avec l’assurance et l’espoir raisonnables que les objectifs organisationnels et opérationnels raisonnables pourront être atteints et que les obligations légales pourront être respectées : Roy, au para 104. L’analyse est de nature prospective et doit répondre à la question de savoir si l’employeur pourra faire un jour de nouveau confiance au jugement de l’employé, de telle sorte qu’il soit disposé à courir le risque de nouveaux écarts de conduite : Payne, au para 88.

[54] La Cour a reconnu des circonstances dans lesquelles la réintégration peut ne pas être appropriée (Banque de Montréal c Sherman, 2012 CF 1513 [Sherman] au para 11), notamment quand : 1) il y a une détérioration des relations personnelles entre le plaignant et la direction ou d’autres employés; 2) il y a une disparition de la relation de confiance qui doit exister, en particulier lorsque le plaignant occupe un poste élevé dans la hiérarchie de son entreprise; 3) il y a une contribution du plaignant à la faute justifiant que son congédiement donne lieu à une moindre sanction; 4) il y a une attitude de la part du plaignant menant à croire que la réintégration n’améliorerait pas la situation; 5) il y a une incapacité physique du plaignant de commencer à travailler immédiatement; 6) le poste occupé par le plaignant au moment de son congédiement est aboli; 7) il y a d’autres événements subséquents au congédiement qui rendent la réintégration impossible.

[55] En l’espèce, plusieurs des facteurs de la décision Sherman ont été mentionnés dans les motifs de l’arbitre, justifiant la conclusion de ce dernier selon laquelle, bien qu’elle soit qualifiée et expérimentée, Mme Howse ne devrait pas être réintégrée dans son rôle de directrice du service FDE, notamment : 1) la détérioration de la relation entre Mme Howse, son AG et les plaignants du service FDE; 2) la perte de confiance en Mme Howse compte tenu de ses actions antérieures; 3) les actions contributives de Mme Howse; et 4) son incapacité à commencer à travailler immédiatement en raison de ses problèmes de santé mentale.

[56] En outre, l’arbitre note :

[traduction]

La plaignante a expressément déclaré qu’elle ne demandait pas la réintégration et qu’elle ne voulait pas être réintégrée. Une partie de la raison qu’elle a donnée pour cette approche est qu’elle ne voulait pas retourner au service FDE et y ajouter de la confusion et des perturbations si elle était réintégrée dans son ancien poste. À ce stade, le service FDE est passé à autre chose et a choisi un nouveau directeur, qui est actuellement en formation. [...]

[57] Je ne peux pas conclure, sur la base de ces conclusions, que l’arbitre réintégrerait inévitablement Mme Howse, même avec les conditions mentionnées dans le rapport. Ainsi, il n’y a pas de circonstances exceptionnelles qui justifieraient une dérogation au principe selon lequel l’affaire devrait être renvoyée à l’arbitre pour un nouvel examen de la question de la mesure à imposer : Vavilov. au para 141-142.

V. Conclusion

[58] La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à l’arbitre pour trancher la question de la mesure à imposer, en tenant compte des limites énoncées dans l’arrêt Cliché et des présents motifs.

[59] Puisque je suis d’avis que, dans la présente affaire, les parties ont partiellement obtenu gain de cause, il n’y a aucune ordonnance quant aux dépens.

 




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