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Date : 20230313


Dossier : T‐148‐22

Référence : 2022 CF 1459

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2023

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ JOHN HOWARD DU CANADA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de révision, présentée au titre du paragraphe 41(1) de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‐1 [la LAI]. Pour trancher cette demande, la Cour doit mettre en balance les droits que la LAI et la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‐21 [la LPRP], cherchent à promouvoir et à protéger.

[2] La Société John Howard du Canada (la SJHC) a demandé l’accès à des griefs anonymisés qui avaient été déposés par des détenus de l’Établissement de Bath à l’encontre d’agents de correction qui ne portaient pas de masque. Le Service correctionnel du Canada (le SCC) a recensé 12 griefs. En plus des caviardages visant à anonymiser ces griefs, le SCC a également caviardé toutes les parties manuscrites de ces griefs. Il faut souligner que peu de détenus ont accès à un ordinateur, de sorte que les griefs sont souvent rédigés à la main.

[3] En l’espèce, la Cour doit déterminer si toutes les parties manuscrites des griefs des détenus constituent des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la LPRP.

[4] Le dossier de requête de la demanderesse comprend l’onglet suivant : [traduction] « Onglet C – Décision devant faire l’objet d’une révision (A‐2020‐00215) ». Cet onglet comprend la décision qu’a initialement rendue le SCC à l’égard de la demande d’accès à l’information et de protection de renseignements personnels (AIPRP) qu’avait présentée le demandeur initial, M. Murray Fallis, un employé de la SJHC, ainsi que les documents qui lui ont été communiqués. Cependant, le paragraphe 41(1) de la LAI est ainsi libellé :

Révision par la Cour fédérale : plaignant

41 (1) Le plaignant dont la plainte est visée à l’un des alinéas 30(1)a) à e) et qui reçoit le compte rendu en application du paragraphe 37(2) peut, dans les trente jours ouvrables suivant la réception par le responsable de l’institution fédérale du compte rendu, exercer devant la Cour un recours en révision des questions qui font l’objet de sa plainte.

Review by Federal Court — complainant

41 (1) A person who makes a complaint described in any of paragraphs 30(1)(a) to (e) and who receives a report under subsection 37(2) in respect of the complaint may, within 30 business days after the day on which the head of the government institution receives the report, apply to the Court for a review of the matter that is the subject of the complaint.

[5] Le compte rendu du Commissaire à l’information fait jouer le droit d’une partie de demander auprès de notre Cour une révision du refus d’une institution de fournir des documents, ou des parties de documents, demandés en vertu de la LAI : Lambert c Canada (Patrimoine), 2022 CF 553 au paragraphe 22. Le paragraphe 37(2) de la LAI porte sur le compte rendu du Commissaire à l’information au plaignant. Par conséquent,La décision qui fait l’objet du recours en révision est la décision du SCC à l’égard de la demande d’AIPRP. le compte rendu de la Commissaire faisant état de la décision initiale. En l’espèce, la Cour doit examiner le compte rendu de la Commissaire à la lumière de la décision initiale du SCC à l’égard de la demande d’AIPRP.Pour reprendre les termes de la décision Imai c Canada (Affaires étrangères), 2021 CF 1479, au paragraphe 21, la Cour a « l’avantage de disposer du compte rendu du [Commissaire à l’information] », qui a de la valeur, mais qui ne lie pas la Cour.

[6] Je conviens avec la demanderesse que le SCC ne peut pas considérer que toutes les notes rédigées à la main par les détenus sont des renseignements personnels dont la communication est protégée par le paragraphe 19(1) de la LAI. Les griefs rédigés à la main doivent être traités de la même manière que ceux préparés à l’aide d’un ordinateur, et les mêmes principes doivent leur être appliqués. Compte tenu de mes conclusions, le SCC doit examiner les griefs manuscrits et y caviarder d’autres passages au besoin avant de les communiquer. Les éléments de preuve présentés en l’espèce n’établissent pas l’existence de fortes possibilités que la communication des griefs manuscrits permette d’identifier les détenus qui les ont rédigés. Par conséquent, rien ne justifie que les griefs manuscrits soient soustraits à la communication par application du paragraphe 19(1) de la LAI.

II. Le contexte

A. Le contexte et la demande d’AIPRP

[7] Le 21 octobre 2020, le SCC a reçu une demande d’accès à l’information d’un employé de la SJHC concernant :

[traduction]

tous les griefs à l’échelle locale (anonymisés) qui ont été déposés par des détenus de l’Établissement de Bath à l’encontre d’agents de correction qui ne portaient pas de masque entre le 1er avril et le 15 octobre 2020.

[8] Dans un affidavit daté du 4 mars 2022, la directrice générale de la SJHC a expliqué que des détenus sous responsabilité fédérale de l’Établissement de Bath avaient fait part à la SJHC de leurs préoccupations concernant des agents de correction qui ne respectaient pas les mesures obligatoires de santé publique. Compte tenu du mandat de la SJHC et des préoccupations liées à la COVID‐19 dans les prisons, l’organisme de bienfaisance a demandé l’accès aux griefs des détenus au sujet du port du masque.

[9] L’Établissement de Bath est un pénitencier fédéral administré par le SCC conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20.

[10] En mars et en avril 2020, en raison de la pandémie de COVID‐19, le défendeur a mis en place des mesures de santé publique dans tous ses pénitenciers fédéraux au Canada. Les mesures prises par le gouvernement du Canada pour lutter contre la COVID‐19 comprenaient la distanciation physique, le resserrement des pratiques d’hygiène et le port obligatoire du masque ou d’un autre équipement de protection individuelle par les agents de correction, les autres agents du SCC, les employés et les détenus.

[11] Comme l’a souligné la demanderesse, il était difficile pour les personnes incarcérées dans les pénitenciers fédéraux canadiens de respecter les directives de distanciation physique, d’avoir librement accès à des soins de santé et d’avoir accès aux équipements de protection individuelle et aux produits de nettoyage nécessaires pour réduire le risque de contracter et de propager la COVID‐19.

[12] Les griefs faits par les détenus sont conformes à la Directive du commissaire 081 – Plaintes et griefs des délinquants (la Directive 081), qui prévoit que, selon le palier de grief, les détenus peuvent présenter une plainte écrite au destinataire concerné. Les détenus peuvent rédiger leurs griefs à la main ou les taper à l’ordinateur, car certains d’entre eux ont accès à un ordinateur.

[13] La directive applicable aux griefs des détenus vise à « [f]avoriser le règlement rapide et équitable des plaintes et griefs des délinquants au plus bas palier possible et d’une manière conforme à la loi » (Directive 081). Son but est de veiller à ce que l’obligation légale de procéder au règlement rapide et impartial des griefs des délinquants soit respectée.

[14] La procédure de règlement des griefs des détenus est énoncée aux articles 90 et 91 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, aux articles 74 à 82 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‐620, et dans la Directive 081.

[15] Le 3 décembre 2020, le SCC a fourni sa réponse à la demande d’AIPRP, qui comprenait une trousse documentaire de 65 pages et une lettre d’accompagnement où il expliquait qu’il refusait de communiquer certains des documents demandés, ou des parties de ceux‐ci, en application du paragraphe 19(1) de la LAI.

[16] À la suite de la demande d’accès aux griefs de détenus concernant le port du masque pendant la pandémie de COVID‐19 formulée par la SJHC, le SCC a recensé une douzaine de griefs qui avaient été déposés par six détenus, ainsi que les réponses du SCC à ces griefs. Deux de ces griefs avaient été produits à l’aide d’un ordinateur et les autres avaient été rédigés à la main. Les parties manuscrites des huit autres griefs avaient été caviardées, car le SCC jugeait qu’elles contenaient des renseignements personnels qui devaient être protégés en vertu du paragraphe 19(1) de la LAI.

B. L’enquête de la Commissaire à l’information et le rejet de la plainte

[17] Le 15 décembre 2020, la demanderesse a déposé une plainte auprès du Commissariat à l’information du Canada (le CIC) au sujet des exceptions appliquées à la demande d’AIPRP (la plainte). Dans sa plainte, la demanderesse alléguait que le paragraphe 19(1) de la LAI avait été [traduction] « appliqué de manière excessive ».

[18] Une enquêtrice du CIC a communiqué avec l’analyste de l’AIPRP au SCC qui avait examiné et caviardé les documents et lui a demandé de remplir une « grille d’analyse des exceptions », dans laquelle elle expliquerait pourquoi elle avait refusé de communiquer certains renseignements.

[19] L’analyste de l’AIPRP a accédé à la demande de l’enquêtrice du CIC et lui a transmis la grille d’analyse des exceptions dûment remplie. Selon les courriels que se sont échangés l’enquêtrice du CIC et l’analyste de l’AIPRP au SCC, l’enquêtrice a également téléphoné à l’analyste pour obtenir des précisions au sujet des raisons justifiant son refus de communiquer des renseignements.

[20] Avant de rendre sa décision, l’enquêtrice du CIC a échangé des courriels avec l’auteur de la demande présentée par la SJHC, dans lesquels elle affirmait que les caviardages en cause avaient été effectués sur le fondement des alinéas 3c) et 3f) de la LPRP.

[21] Le 21 octobre 2021, l’enquêtrice du CIC a envoyé un courriel à la demanderesse pour lui faire part de la [traduction] « conclusion préliminaire » du CIC. Dans ce courriel, elle indiquait que le CIC avait conclu que le défendeur avait correctement appliqué le paragraphe 19(1) de la LAI, car les renseignements qui avaient été soustraits à la communication étaient des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la LPRP. L’enquêtrice du CIC jugeait donc que la plainte n’était pas fondée.

[22] Après que l’enquêtrice lui eut communiqué la conclusion préliminaire du CIC, le demandeur initial a demandé des précisions et a présenté des observations concernant cette conclusion.

[23] Le 25 octobre 2021, l’enquêtrice du CIC a fait d’autres observations à la demanderesse en précisant que le CIC avait examiné les griefs manuscrits :

  • a)qui contiennent des renseignements visés par l’alinéa 3c) de la LPRP;

  • b)qui, au sens de l’alinéa 3f) de la LPRP, sont de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle, ainsi que les réponses à ces griefs, et avait par conséquent refusé de les communiquer en application du paragraphe 19(1) de la LAI.

[24] Cette communication du 25 octobre 2021 était la première fois où un représentant du gouvernement, qu’il s’agisse du SCC ou du CIC, renvoyait aux alinéas 3c) et 3f) de la LPRP pour justifier les caviardages.

[25] Le 4 novembre 2021, l’enquêtrice du CIC a répondu au courriel du 2 novembre 2021 de la demanderesse en précisant la position du CIC quant à savoir si le SCC a appliqué correctement le paragraphe 19(1) de la LAI. L’enquêtrice a expliqué que sa conclusion restait la même et que les renseignements qui avaient été soustraits à la communication répondent au critère objectif énoncé au paragraphe 19(1), car il s’agit de renseignements personnels au sens de l’article 3 de la LPRP.

[26] Le 23 novembre 2021, l’enquêtrice du CIC a transmis à la demanderesse un compte rendu daté du 23 novembre 2021. La Commissaire avait conclu que la plainte de la demanderesse concernant la communication de documents par le SCC n’était pas fondée.

[27] Dans sa décision, la Commissaire a conclu que les parties manuscrites contenaient des renseignements concernant un individu identifiable et que ces renseignements n’étaient pas visés par l’une ou l’autre des exceptions à la définition de « renseignements personnels » énoncée dans la LPRP. Elle a également conclu que le SCC avait expliqué de façon détaillée pourquoi les exceptions permettant la communication de documents prévues au paragraphe 19(2) de la LAI ne s’appliquaient pas aux documents demandés.

III. Les questions en litige

[28] En l’espèce, les questions en litige sont les suivantes :

  1. Les styles d’écriture des détenus constituent‐ils des « renseignements personnels » visés par l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la LAI?

  2. Le SCC a‐t‐il refusé à juste titre de communiquer les renseignements visés par les exceptions prévues au paragraphe 19(2) de la LAI en les caviardant?

  3. Le défendeur est‐il tenu, aux termes de l’article 25 de la LAI, de prélever certaines parties des renseignements dans les documents demandés avant de les communiquer à la demanderesse?

[29] Comme la première question en litige est déterminante en l’espèce, il est inutile que la Cour se penche sur les deuxième et troisième questions.

IV. La norme de contrôle applicable

[30] Selon l’article 44.1 de la LAI, la révision d’une décision de la Commissaire à l’information doit être effectuée de novo. Cet article est ainsi libellé :

Révision de novo

44.1 Il est entendu que les recours prévus aux articles 41 et 44 sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire.

De novo review

44.1 For greater certainty, an application under section 41 or 44 is to be heard and determined as a new proceeding.

[31] Lorsqu’elle est appelée à effectuer une révision de novo, la Cour se met à la place du décideur initial et tranche l’affaire par elle‐même (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 aux para 45‐47). Il ne s’agit pas nécessairement de déterminer si le décideur initial avait raison ou pas : voir Suncor Énergie Inc c Office Canada‐Terre‐Neuve‐et‐Labrador des hydrocarbures extracôtiers, 2021 CF 138 au paragraphe 64 [Suncor Énergie Inc].

[32] Dans l’arrêt Canada (Santé) c Elanco Canada Ltd, 2021 CAF 191, la Cour d’appel fédérale a expliqué comme suit le libellé de l’article 44.1 de la LAI et les pouvoirs qu’il confère à la Cour :

[23] Le libellé de l’article 44.1 établit clairement que lorsqu’une partie, telle Elanco, en application de l’article 44 de la Loi, présente un recours en révision d’une décision par laquelle certains renseignements devraient être communiqués, ce recours doit être entendu et jugé comme une nouvelle affaire. Cela signifierait que la juge de la Cour fédérale, qui entend la demande en question, n’examine pas une décision du ministre en soi, mais qu’elle rend plutôt sa propre décision quant à la question de savoir si les exceptions à la communication énoncées à l’article 20 de la Loi s’appliquent. Toutes les conclusions de fait ou les conclusions mixtes de fait et de droit qui seraient nécessaires pour rendre cette décision seraient celles auxquelles en est arrivée la juge de la Cour fédérale.

[Non souligné dans l’original.]

[33] La demanderesse s’appuie sur le paragraphe 48(1) de la LAI pour faire valoir que la charge d’établir le bien‐fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document incombe au SCCà la Commissaire à l’information. Le paragraphe 48(1) prévoit ce qui suit :

Charge de la preuve : paragraphes 41(1) et (2)

48 (1) Dans les procédures découlant des recours prévus aux paragraphes 41(1) et (2), la charge d’établir le bien‐fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document ou des actions posées ou des décisions prises qui font l’objet du recours incombe à l’institution fédérale concernée.

Burden of proof — subsection 41(1) or (2)

48 (1) In any proceedings before the Court arising from an application under subsection 41(1) or (2), the burden of establishing that the head of a government institution is authorized to refuse to disclose a record requested under this Part or a part of such a record or to make the decision or take the action that is the subject of the proceedings is on the government institution concerned.

[34] Je souscris à l’avis de la demanderesse selon lequel la charge d’établir le bien‐fondé du refus de communication incombe au défendeur, ce qui, en l’espèce, signifie qu’il doit établir qu’il avait l’autorisation de caviarder les documents demandés en application du paragraphe 19(1) de la LAI.

A. Le paragraphe 19(1)

[35] Le paragraphe 19(1) de la LAI est ainsi libellé :

Renseignements personnels

19 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements personnels.

Personal information

19 (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Part that contains personal information.

[36] Il a été établi dans la jurisprudence (Suncor Énergie Inc, aux para 66‐68) que la norme de la décision correcte ou la norme de révision de novo s’applique à la révision des décisions impliquant le paragraphe 19(1). Bien qu’il existe des différences subtiles entre la révision de novo et la révision selon la norme de la décision correcte, je dois, en l’espèce, déterminer si les parties manuscrites constituent des « renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la LPRP. Il s’agit d’une révision de novo. Cependant, en l’espèce, certains éléments de l’analyse sont reflétés dans la norme de la décision correcte.

[37] Par conséquent, la norme de contrôle applicable à la révision de la décision fondée sur le paragraphe 19(1) est celle de la révision de novo.

B. Le paragraphe 19(2)

[38] Le paragraphe 19(2) de la LAI est ainsi libellé :

Cas où la divulgation est autorisée

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

b) le public y a accès;

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Where disclosure authorized

(2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Part that contains personal information if

(a) the individual to whom it relates consents to the disclosure;

(b) the information is publicly available; or

(c) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

[39] Je suis consciente que l’article 44.1 de la LAI prévoit l’application de la norme de révision de novo. Toutefois, comme l’indique l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au paragraphe 24, je dois tenir compte de l’intention du législateur.

[40] Le paragraphe 19(2) confère au SCC le pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a lieu d’appliquer une exception.

[41] Il ressort également de la jurisprudence que la norme de la décision raisonnable devrait être appliquée à la révision des décisions impliquant le paragraphe 19(2). Récemment, dans Suncor Énergie Inc, la juge Heneghan a appliqué la norme de la décision raisonnable à la révision d’une décision fondée sur le paragraphe 19(2), en s’appuyant sur la décision Commissaire à l’information du Canada c Canada (Ressources naturelles), 2014 CF 917. De plus, la Cour a conclu que « [l]orsque l’exception prévoit le pouvoir discrétionnaire de refuser la communication, c’est la norme de contrôle de la décision raisonnable qui s’applique » (3412229 Canada Inc c Canada (Agence du revenu), 2020 CF 1156 au para 94).

[42] Il est par ailleurs illogique d’appliquer la norme de révision de novo à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Je conviens donc avec le défendeur que la norme de la décision raisonnable s’applique à la révision de la décision fondée sur le paragraphe 19(2).

V. Analyse

[43] La demanderesse souligne que l’article 49 de la LAI confère de vastes pouvoirs à la Cour, ce qui comprend le pouvoir d’« ordonne[r], aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relève le document en litige d’en donner à cette personne communication totale ou partielle » ou de « rend[re] une autre ordonnance si elle l’estime indiqué » : article 49 de la LAI.

[44] En l’espèce, je suis disposée à conclure que l’affaire doit être renvoyée pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Une nouvelle décision est nécessaire, car, même si les parties manuscrites ne peuvent pas toutes être caviardées, certains renseignements qu’elles contiennent peuvent constituer des renseignements personnels au sens de l’article 3 de la LPRP.

A. Le cadre législatif applicable

[45] Avant de procéder à l’analyse, il est nécessaire de décrire le cadre législatif qui s’applique en l’espèce, en particulier compte tenu de l’interaction entre la LAI et la LPRP.

[46] L’objet de la LAI est de conférer au public un droit d’accès à l’information contenue dans les documents de l’administration fédérale. Ce droit est subordonné aux exceptions énoncées dans la LAI, dont l’exception obligatoire s’appliquant aux « renseignements personnels » prévue par l’article 19.

[47] L’article 3 de la LAI indique que le terme « renseignements personnels » s’entend au sens de l’article 3 de la LPRP. L’article 3 de la LPRP est reproduit à l’annexe A.

[48] La Cour suprême du Canada a affirmé que la définition de « renseignements personnels » est « indéniablement large » : Dagg c Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 RCS 403 au paragraphe 68. La Cour suprême du Canada a ultérieurement confirmé que cette méthode d’interprétation large s’applique à la définition de « renseignements personnels » dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), 2003 CSC 8, aux paragraphes 19 à 22.

[49] La demanderesse et le défendeur ne s’entendent pas sur l’équilibre qu’il faut établir entre le droit à la vie privée et le droit à l’accès à l’information. La demanderesse s’appuie sur la décision qu’a rendue notre Cour dans Blank c Canada (Environnement), 2006 CF 1253, pour faire valoir que « [t]out doute doit être résolu en faveur de la communication, à charge pour la partie qui préconise la non‐communication d’en prouver la nécessité » (au para 31, citant Maislin Industries Limited c Ministre de l’Industrie et du Commerce, [1984] 1 CF 939, 1984 CanLII 5386 (CF)). Cependant, le défendeur soutient que le droit à la vie privée l’emporte souvent sur le droit du public d’avoir accès à l’information, particulièrement lorsqu’un conflit survient.

[50] Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel le droit à la vie privée peut l’emporter et l’emporte souvent sur le droit du public d’avoir accès à l’information. Le rôle que joue la protection de la vie privée est crucial dans le maintien d’une société libre et démocratique : Cie HJ Heinz du Canada Ltée c Canada (Procureur général), 2006 CSC 13 au paragraphe 31 [Heinz].

[51] La charge d’établir le bien‐fondé du refus de communication des documents incombe au défendeur. Le paragraphe 48(1) dispose :

Charge de la preuve : paragraphes 41(1) et (2)

48 (1) Dans les procédures découlant des recours prévus aux paragraphes 41(1) et (2), la charge d’établir le bien‐fondé du refus de communication totale ou partielle d’un document ou des actions posées ou des décisions prises qui font l’objet du recours incombe à l’institution fédérale concernée.

Burden of proof — subsection 41(1) or (2)

48 (1) In any proceedings before the Court arising from an application under subsection 41(1) or (2), the burden of establishing that the head of a government institution is authorized to refuse to disclose a record requested under this Part or a part of such a record or to make the decision or take the action that is the subject of the proceedings is on the government institution concerned.

[52] Il ressort du libellé de cette disposition que la LPRP et la LAI s’appliquent de façon cohésive. La Cour suprême du Canada a indiqué clairement que la LAI et la LPRP doivent être lues ensemble comme s’il s’agissait d’un « code homogène », suivant un « modèle d’interprétation “parallèle” » (Commissaire à l’information du Canada c Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, 2006 CAF 157 au para 35 [Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports]).

[53] Les deux lois ont pour objet d’établir un juste équilibre entre le droit à la vie privée et le droit d’accès à l’information (Heinz, au para 31), et, bien que le législateur accorde une plus grande protection aux renseignements personnels, le défendeur doit tout de même avoir des raisons d’exercer le pouvoir de refuser la communication de documents que lui confère la LAI.

[54] Compte tenu de mes observations sur la norme de contrôle applicable, j’aimerais m’exprimer au sujet des arguments de la demanderesse concernant les incohérences relevées dans les pratiques de communication et de caviardage de documents du SCC. Même si je conviens que les pratiques de caviardage du SCC étaient incohérentes, le rôle de notre Cour en l’espèce est de déterminer si les parties manuscrites constituent des « renseignements personnels » qui sont soustraits à la communication au titre de l’article 19 de la LAI, et non pas de critiquer les méthodes employées par le SCC ni de comparer la demande d’AIPRP en cause à d’autres cas où des documents ont été communiqués à la suite d’une demande d’AIPRP.

[55] C’est dans ce contexte que se pose la question de savoir si les parties manuscrites constituent, dans ces circonstances, des « renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la LPRP.

[56] Le critère à appliquer pour déterminer si des renseignements concernent un individu identifiable est énoncé dans la décision Gordon c Canada (Santé), 2008 CF 258, au paragraphe 34 [Gordon] :

Les renseignements seront des renseignements concernant un individu identifiable lorsqu’il y a de fortes possibilités que l’individu puisse être identifié par l’utilisation de ces renseignements, seuls ou en combinaison avec des renseignements d’autres sources.

B. Les parties manuscrites constituent‐elles des renseignements « concernant » un individu identifiable?

[57] Dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1279, au paragraphe 67 [SPPC], la Cour a expliqué que l’évaluation à savoir s’il existe de fortes possibilités qu’un individu puisse être identifié « devra, par nécessité, être fondée sur des faits particuliers, y compris le type de renseignements en question, le contexte dans lequel ces renseignements sont consignés dans le dossier en question et la nature des autres renseignements qui sont disponibles ».

(1) L’existence de fortes possibilités

[58] Dans la décision SPPC, la Cour a conclu que de « fortes possibilités » désignent « une possibilité qui dépasse une spéculation ou une “simple possibilité”, sans être “plus susceptible de se produire que l’inverse” » (au para 53).

[59] La demanderesse soutient que le défendeur a agi de façon inappropriée en soustrayant à la communication toutes les notes rédigées à la main par les détenus en se fondant sur une « simple possibilité ». Pour illustrer sa position, la SJHC s’est appuyée sur le contre‐interrogatoire de l’analyste de l’AIPRP, au cours duquel cette dernière a donné l’exemple d’un détenu qui écrit une lettre à ses proches ou à ses avocats :

[traduction]

Eh bien, l’écriture est un moyen d’identifier une personne. Si un délinquant écrit à la main une lettre à un proche, à ses avocats ou autre, il sera facile de comparer par la suite le grief qui a été déposé à cette lettre et d’identifier le délinquant.

[60] La demanderesse fait valoir que ce raisonnement tient de la conjecture et repose, au mieux, sur une simple possibilité.

[61] Le désaccord des parties ne concerne pas le critère juridique à appliquer, mais plutôt l’application des faits au regard du droit en l’espèce. Dans aucune décision publiée un tribunal n’a‐t‐il examiné la question de savoir si l’écriture constitue un renseignement personnel qui est soustrait à la communication aux termes des lois sur la protection de la vie privée. Les commissaires à la protection de la vie privée de l’Alberta, de la Saskatchewan et de l’Ontario ont jugé que l’écriture peut être considérée comme un renseignement personnel selon le contexte : Ancaster (Town) (Re), 1999 CanLII 14429 (CIPVP ON) [Ancaster]; Ontario Parks Board of Directors (Re), 2013 CanLII 75976 [Ontario Parks Board]; Lethbridge (City) (Re), 2014 CanLII 34105 (AB OPIC) [Lethbridge]; Saskatchewan (Economy) (Re), 2017 CanLII 73763 (SK IPC) [Saskatchewan]. Par exemple, dans la décision Ancaster, la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario a déclaré ce qui suit (à la page 2) :

[traduction]

Dans les cas où l’identité est une question à trancher, il a été établi que le style d’écriture est considéré comme un renseignement personnel. (Voir, par exemple, l’ordonnance P‐940, selon laquelle l’écriture d’une personne ayant postulé à un concours pour obtenir un emploi pourrait servir à l’identifier, même si ses identificateurs personnels ont été supprimés des dossiers, de sorte que les dossiers sont visés par la définition de renseignements personnels.)

[62] Toutefois, il existe des distinctions entre les faits des affaires précitées et les faits en l’espèce. L’une des principales différences est que, dans les affaires précitées, lorsqu’il a été jugé que l’écriture constituait un renseignement personnel, il s’agissait de l’écriture d’une seule personne. Dans la décision Ancaster, la question à trancher concernait l’identité d’une seule personne (à la page 1). De même, dans la décision Lethbridge, les réserves exprimées portaient notamment sur le caviardage de notes manuscrites qu’avait prises l’enquêteur dans des circonstances particulières au sujet d’une seule personne (aux pages 7 et 8). De plus, la décision Saskatchewan concernait notamment le retrait d’une page du bloc‐notes d’un employé (à la page 5). Dans la décision Ontario Parks Board, la commissaire adjointe a conclu que, dans les circonstances de l’espèce, les signatures ne constituaient pas des renseignements personnels (à la page 7). Ces décisions de commissaires à l’information et à la protection de la vie privée, sauf la décision Ontario Parks Board, portent sur des faits très précis. Contrairement à ces décisions, les faits en l’espèce sont beaucoup plus généraux et concernent plusieurs personnes et documents.

[63] Il est évident que l’analyse de la question de savoir si l’écriture constitue un renseignement personnel est intrinsèquement contextuelle et fonction des faits.

[64] La Cour d’appel fédérale a déclaré qu’un individu identifiable est une personne dont il est raisonnable de croire qu’elle pourra être identifiée à l’aide des renseignements en cause s’ils sont combinés avec des renseignements d’autres sources : Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, au paragraphe 43.

[65] Le défendeur soutient que l’écriture peut ne pas être considérée, en soi, comme un renseignement personnel contenu dans un dossier, mais qu’en l’espèce, les parties manuscrites constituent des « renseignements personnels » lorsqu’elles sont prises en compte dans leur contexte. Le défendeur renvoie à la demande elle‐même et affirme qu’elle restreint la population de détenus concernés, car elle ne vise que les griefs de détenus d’un seul établissement du SCC qui, au cours d’une période de six mois, ont eu affaire à des agents de correction qui ne portaient pas de masque. Le défendeur est d’avis que, de par ce fait, les circonstances sont très précises et il serait donc possible d’identifier les détenus qui ont rédigé les griefs en cause à partir de leur style d’écriture.

[66] L’identification des détenus à partir des griefs rédigés à la main tient principalement de la conjecture. L’identification des détenus a trop peu d’incidence dans les circonstances et ne devrait pas mettre en danger leur sécurité personnelle. Pour les identifier, il faudrait pouvoir comparer les griefs en cause avec des documents qu’ils ont rédigés à la main. De plus, dans les circonstances, rien ne garantit que les détenus ont rédigé eux‐mêmes les griefs, car certains sont analphabètes et ont besoin de l’aide d’un conseiller juridique pour préparer un grief. Qui plus est, même si l’on avait accès aux griefs et à des documents manuscrits, il faudrait tout de même avoir des compétences en analyse judiciaire de l’écriture pour effectuer une comparaison. Il semble peu probable qu’une telle situation se produise, même si la personne qui souhaite procéder à une comparaison a le désir et la motivation de le faire.

[67] En l’espèce, dans son témoignage, qui a été présenté par le défendeur à titre de preuve, l’analyste de l’AIPRP ne renvoie qu’au fait que les détenus écrivent des lettres à leurs proches et à leurs avocats.

[68] Dans la décision Gordon, la preuve présentée par le défendeur était le principal objet de la décision de la Cour. Dans cette décision, la Cour fédérale a conclu que la « preuve substantielle » démontrait que la communication de l’information « augmenterait considérablement la possibilité que des renseignements concernant un individu identifiable » puissent être utilisés pour identifier des individus particuliers (Gordon, au para 43).

[69] Bien que les propos de l’analyste de l’AIPRP soient vrais, la preuve en l’espèce est insuffisante et est fondée sur des conjectures, contrairement à celle présentée dans l’affaire Gordon. Outre le fait qu’il a été affirmé à maintes reprises que le style d’écriture utilisé dans des lettres permettrait d’identifier les détenus, aucun élément de preuve concret n’a été présenté à la Cour pour démontrer que la communication des parties manuscrites (après les avoir caviardées) augmente considérablement la possibilité d’identifier les détenus. Il est certes possible de comparer des lettres destinées à des proches avec les dossiers de la Cour, qui sont détenus par des tiers, mais il ne s’agit, au mieux, que d’une simple possibilité et non de fortes possibilités.

(2) Les renseignements disponibles

[70] En ce qui concerne le deuxième volet du critère énoncé dans la décision Gordon, la demanderesse affirme que l’évaluation des « renseignements disponibles » consiste à examiner « le type de renseignements en question, le contexte dans lequel ces renseignements sont consignés dans le dossier en question et la nature des autres renseignements qui sont disponibles » (SPPC, au para 67). La demanderesse s’appuie sur les observations de la Cour dans la décision SPPC en ce qui a trait aux renseignements considérés comme disponibles :

  1. les renseignements confidentiels qui sont en la possession d’une institution gouvernementale ne peuvent être considérés comme « disponibles » (au para 59);
  2. les renseignements disponibles ne se limitent pas aux « renseignements publics disponibles » (au para 65);
  3. le fait qu’une personne peut s’identifier elle‐même à partir de renseignements communiqués ne fait pas de ces renseignements des « renseignements personnels » (au para 61).

[71] Le défendeur s’appuie également sur la décision SPPC pour faire valoir qu’une personne peut être identifiée « par une personne qui est au courant des circonstances particulières ou des événements exposés dans le document » (au para 66). Je souscris à l’interprétation que font les deux parties du droit à la lumière de la décision SPPC.

[72] La demanderesse a formulé des hypothèses quant aux renseignements disponibles qui pourraient être utilisés pour identifier incorrectement un détenu à partir de son écriture. Le défendeur a pour sa part fait valoir que l’écriture d’un détenu constitue un renseignement accessible aux autres personnes. Cet argument repose sur l’affirmation de l’analyste de l’AIPRP selon laquelle les lettres destinées à des proches et les documents transmis à la Cour pourraient être utilisés pour identifier un détenu.

[73] Dans la décision SPPC, la Cour indique clairement que les renseignements qui devraient être considérés comme des « renseignements disponibles » aux fins de l’analyse de la question de savoir si les renseignements en cause permettraient d’identifier un individu sont intrinsèquement fondés sur les faits et le contexte (au para 67).

[74] L’explication fournie par la Cour dans la décision SPPC au sujet de ce qui constitue des « renseignements disponibles » est pertinente en l’espèce. Le juge McHaffie a fait les observations suivantes :

[65] Le fait que les « renseignements disponibles » ne se limitent pas à l’information détenue par un « membre bien informé du public » cadre avec ce qui est énoncé dans la décision Gordon et dans l’arrêt NavCanada. Dans la décision Gordon, le juge Gibson a effectivement conclu que l’information du champ « province » en question en l’espèce pourrait être utilisée, parallèlement avec d’autres « renseignements publics disponibles », pour identifier des personnes. Cependant, le juge Gibson ne semble pas avoir eu l’intention de limiter l’analyse aux renseignements disponibles au grand public. Aux paragraphes 33 et 34 de ses motifs, il parle des renseignements pertinents disponibles « y compris » les sources auxquelles le public a accès, et a repris la formulation du commissaire à la vie privée, laquelle n’inclut pas de référence à l’information à laquelle « le public a accès » :

Ainsi, les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, sont des renseignements « concernant » un individu s’ils « permettent » d’identifier l’individu ou « rendent possible » son identification, que ces renseignements soient utilisés seuls ou combinés avec des renseignements d’autres sources, y compris les sources auxquelles le public a accès [...]

[Souligné dans l’original.]

[75] En l’espèce, le défendeur a des réserves en ce qui a trait aux renseignements accessibles au public et aux renseignements communiqués à titre confidentiel. Il donne des exemples de renseignements accessibles au public, comme les dossiers de la Cour, et de communications privées, comme les lettres rédigées à la main destinées à des proches ou à des avocats.

[76] Dans la décision Gordon, les affidavits déposés visaient à démontrer la manière dont la communication de renseignements augmenterait la possibilité que les renseignements en question soient mis au jour. Par exemple, l’un des témoins du défendeur a [traduction] « examiné les renseignements de la base de données auxquels le public avait accès en parallèle avec les notices nécrologiques sur Internet » (au para 38).

[77] Pour essentiellement les mêmes motifs que ceux invoqués à l’égard du premier volet du critère applicable, je conclus que les éléments de preuve présentés par le défendeur sont trop généraux et fondés sur des conjectures. Rien ne prouve qu’il existe plus qu’une simple possibilité que la communication des notes rédigées à la main par les détenus permettra de les identifier. Quoiqu’ils démontrent l’existence d’une faible possibilité que les détenus soient identifiés, les exemples fournis par le défendeur sont trop hypothétiques pour tirer une telle conclusion.

[78] Je conviens avec le défendeur que l’article 51 de la Directive 081 assure la confidentialité de la procédure. Cet article est ainsi libellé :

51. Le fait qu’un délinquant a eu recours au processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants, y compris toute mesure corrective associée au processus de règlement des plaintes et griefs, ne peut être mentionné dans d’autres dossiers que ceux qui concernent ce processus sans l’autorisation du directeur de l’établissement/du district. Le cas échéant, cette approbation devrait être consignée dans le dossier.

[79] Toutefois, cet argument est sans pertinence quant à savoir si des renseignements disponibles permettraient d’identifier les détenus à partir des griefs qu’ils ont rédigés à la main. On ne peut présumer que l’article 51 de la Directive 081 empêche la communication de tous les griefs rédigés à la main. Je suis d’avis que les exemples fournis par le défendeur sont trop hypothétiques dans les circonstances.

[80] En l’espèce, comme je renvoie l’affaire, les griefs rédigés à la main devront être caviardés, tout comme ceux préparés à l’aide d’un ordinateur. Cependant, il est inapproprié dans les circonstances de caviarder l’ensemble des griefs rédigés à la main parce que le SCC a déclaré que l’écriture est considérée comme un renseignement personnel.

[81] Par conséquent, je conclus que le défendeur n’a pas établi que les styles d’écriture des détenus constituent des « renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la LPRP.

C. Le SCC a‐t‐il raisonnablement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 19(2) de la LAI en refusant de communiquer les parties manuscrites?

[82] Étant donné ma conclusion concernant la décision fondée sur le paragraphe 19(1) de la LAI, il n’est pas nécessaire que je tranche la question de savoir si le SCC a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en refusant de communiquer les griefs rédigés à la main. Comme les renseignements en question ne sont pas des renseignements personnels, le paragraphe 19(2) ne s’applique pas.

[83] Si ma conclusion à l’égard de la décision fondée sur le paragraphe 19(1) avait été différente, j’aurais tout de même conclu que l’affaire doit être renvoyée au SCC pour qu’une nouvelle décision soit rendue, car il est difficile de savoir comment le SCC a appliqué le paragraphe 19(2) ou s’il l’a même appliqué. Bien qu’il semble ressortir de la grille d’analyse des exceptions que l’analyste de l’AIPRP s’est appuyée sur le paragraphe 19(2), il est difficile de savoir comment ou pourquoi cette disposition a été appliquée. Cette conclusion est déraisonnable.

[84] Je conclus que, dans les circonstances, les griefs rédigés à la main par des détenus ne constituent pas des « renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la LPRP. À la lumière de cette conclusion, j’ordonne au SCC d’examiner les notes rédigées à la main afin de s’assurer que les parties contenant des renseignements personnels, tels que le nom, le numéro SED et la date de naissance, sont caviardées avant la communication des documents.

VI. Les dépens

[85] La demanderesse a demandé qu’une somme globale lui soit adjugée au titre des dépens sans préciser cette somme et le défendeur a demandé qu’une somme globale de 3 500 $ lui soit accordée. J’adjuge donc à la demanderesse des dépens de 3 500 $, incluant la somme globale demandée, que le défendeur devra lui payer sans délai.


JUGEMENT dans le dossier T‐148‐22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Des dépens d’une somme globale de 3 500 $, taxes et débours compris, sont adjugés à la demanderesse et devront être payés par le défendeur.

« Glennys L. McVeigh »

Juge


ANNEXE A – Dispositions légales applicables

Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‐21

Privacy Act, RSC 1985, C P-21

Définitions

3 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[...]

renseignements personnels Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

a) les renseignements relatifs à sa race, à son origine nationale ou ethnique, à sa couleur, à sa religion, à son âge ou à sa situation de famille;

b) les renseignements relatifs à son éducation, à son dossier médical, à son casier judiciaire, à ses antécédents professionnels ou à des opérations financières auxquelles il a participé;

c) tout numéro ou symbole, ou toute autre indication identificatrice, qui lui est propre;

d) son adresse, ses empreintes digitales ou son groupe sanguin;

e) ses opinions ou ses idées personnelles, à l’exclusion de celles qui portent sur un autre individu ou sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à octroyer à un autre individu par une institution fédérale, ou subdivision de celle‐ci visée par règlement;

f) toute correspondance de nature, implicitement ou explicitement, privée ou confidentielle envoyée par lui à une institution fédérale, ainsi que les réponses de l’institution dans la mesure où elles révèlent le contenu de la correspondance de l’expéditeur;

g) les idées ou opinions d’autrui sur lui;

h) les idées ou opinions d’un autre individu qui portent sur une proposition de subvention, de récompense ou de prix à lui octroyer par une institution, ou subdivision de celle‐ci, visée à l’alinéa e), à l’exclusion du nom de cet autre individu si ce nom est mentionné avec les idées ou opinions;

i) son nom lorsque celui‐ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(i) le fait même qu’il est ou a été employé par l’institution,

(ii) son titre et les adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail,

(iii) la classification, l’éventail des salaires et les attributions de son poste,

(iv) son nom lorsque celui‐ci figure sur un document qu’il a établi au cours de son emploi,

(v) les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de son emploi;

j.1) un conseiller ministériel, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts, actuel ou ancien, ou un membre, actuel ou ancien, du personnel ministériel, au sens de ce paragraphe, en ce qui a trait au fait même qu’il soit ou ait été tel et à ses nom et titre;

k) un individu qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l’individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de la prestation;

l) des avantages financiers facultatifs, notamment la délivrance d’un permis ou d’une licence accordés à un individu, y compris le nom de celui‐ci et la nature précise de ces avantages;

m) un individu décédé depuis plus de vingt ans. (personal information)

Definitions

3 In this Act

[...]

personal information means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

(a) information relating to the race, national or ethnic origin, colour, religion, age or marital status of the individual,

(b) information relating to the education or the medical, criminal or employment history of the individual or information relating to financial transactions in which the individual has been involved,

(c) any identifying number, symbol or other particular assigned to the individual,

(d) the address, fingerprints or blood type of the individual,

(e) the personal opinions or views of the individual except where they are about another individual or about a proposal for a grant, an award or a prize to be made to another individual by a government institution or a part of a government institution specified in the regulations,

(f) correspondence sent to a government institution by the individual that is implicitly or explicitly of a private or confidential nature, and replies to such correspondence that would reveal the contents of the original correspondence,

(g) the views or opinions of another individual about the individual,

(h) the views or opinions of another individual about a proposal for a grant, an award or a prize to be made to the individual by an institution or a part of an institution referred to in paragraph (e), but excluding the name of the other individual where it appears with the views or opinions of the other individual, and

(i) the name of the individual where it appears with other personal information relating to the individual or where the disclosure of the name itself would reveal information about the individual,

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

(j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including,

(i) the fact that the individual is or was an officer or employee of the government institution,

(ii) the title, business address and telephone number of the individual,

(iii) the classification, salary range and responsibilities of the position held by the individual,

(iv) the name of the individual on a document prepared by the individual in the course of employment, and

(v) the personal opinions or views of the individual given in the course of employment,

(j.1) the fact that an individual is or was a ministerial adviser or a member of a ministerial staff, as those terms are defined in subsection 2(1) of the Conflict of Interest Act, as well as the individual’s name and title,

(k) information about an individual who is or was performing services under contract for a government institution that relates to the services performed, including the terms of the contract, the name of the individual and the opinions or views of the individual given in the course of the performance of those services,

(l) information relating to any discretionary benefit of a financial nature, including the granting of a licence or permit, conferred on an individual, including the name of the individual and the exact nature of the benefit, and

(m) information about an individual who has been dead for more than twenty years; (renseignements personnels)


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐148‐22

 

INTITULÉ :

LA SOCIÉTÉ JOHN HOWARD DU CANADA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 SEPTEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MARS 2023

 

COMPARUTIONS :

Andrew West

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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