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Date : 20221109


Dossier : IMM-3062-22

Référence : 2022 CF 1530

[traduction française]

Toronto (Ontario), le 9 novembre 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

FOROOZAN AZIZI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, madame Foroozan Azizi, est une citoyenne iranienne de 29 ans. Elle a obtenu un baccalauréat en génie électrique – électronique en janvier 2017 en Iran. Le 22 novembre 2021, elle a reçu une lettre d’admission au programme de maîtrise en administration des affaires [MBA] – affaires internationales de l’Université Trinity Western. La demanderesse travaille pour le groupe industriel MH Control depuis janvier 2017, et occupe un poste de chargée de projets en fabrication de matériel électronique depuis février 2019.

[2] En décembre 2021, la demanderesse a présenté une demande de permis d’études assortie d’un plan d’études. Elle a fourni des éléments de preuve démontrant que son employeur lui avait accordé un congé d’études de deux ans, qu’elle entretient des liens avec sa famille en Iran et que celle-ci a la capacité et la volonté de contribuer financièrement à ses études au Canada.

[3] Dans une décision rendue le 2 février 2022, un agent du centre de traitement des demandes d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [l’agent] a rejeté la demande de permis d’études présentée par la demanderesse [la décision] au motif qu’il n’était pas convaincu que celle‑ci quitterait le Canada à la fin de son séjour, conformément au paragraphe 216(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002-227 [le RIPR], au vu de ses liens familiaux au Canada et en Iran et du but de sa visite.

[4] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de cette décision, alléguant que l’agent a rendu une décision déraisonnable et qu’il a manqué à son obligation d’équité procédurale.

[5] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est déraisonnable et j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

II. Les questions préliminaires

[6] Le dossier de la demande qui a été soumis à notre Cour comporte une série d’observations écrites qui auraient été préparées par l’ancien représentant légal de la demanderesse à l’appui de la demande de permis d’études de cette dernière. Les parties conviennent que ces observations écrites n’ont pas été présentées à l’agent, et je ne les prendrai donc pas en considération.

[7] Il semble que l’ancien représentant légal de la demanderesse aurait déposé par erreur, dans le cadre de la demande de permis d’études de celle‑ci, des observations écrites pour le compte d’une autre cliente portant le même nom de famille que la demanderesse plutôt que pour le compte de cette dernière. Ainsi, les observations écrites concernant cette autre cliente se trouvent incluses dans le dossier certifié du tribunal. Lors de l’audience, j’ai avisé les parties de mon intention d’ordonner l’expurgation de tous les documents portant sur une personne qui n’est pas concernée en l’espèce. Comme les parties n’ont soulevé aucune objection, c’est donc ce que j’ordonnerai.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle

[8] La demanderesse soulève deux questions, à savoir 1) si la décision contestée est déraisonnable, et 2) si l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en tirant des conclusions défavorables en matière de crédibilité sans lui donner à l’occasion d’y répondre.

[9] Les parties conviennent que la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, conformément à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[10] Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [être] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Il incombe au demandeur de démontrer le caractère déraisonnable de la décision (Vavilov, au para 100).

[11] La demanderesse soutient que les manquements à l’équité procédurale doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 55; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).

IV. Analyse

[12] Les motifs à l’appui de la décision de l’agent ont été versés dans les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC] :

[traduction]

Je fais observer que le projet d’études de la demanderesse n’est pas raisonnable du fait qu’elle indique avoir obtenu un baccalauréat en génie électrique – électronique en Iran.

Depuis 2017, la demanderesse a travaillé comme assistante de projets d’ingénierie électronique et comme chargée de projets en fabrication de matériel électronique.

Le plan d’études ne semble pas raisonnable compte tenu des antécédents de la demanderesse au chapitre de l’emploi et de la scolarité.

Je constate ce qui suit : – Les études antérieures de la cliente ne portaient pas sur un domaine connexe – le projet d’études de la cliente n’est pas raisonnable compte tenu de son cheminement de carrière.

Examen de la lettre d’explication de la cliente. La demanderesse ne soulève pas de raisons suffisamment impérieuses pour me convaincre que ce programme d’études constituerait un atout. Je ne suis pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour à titre de résidente temporaire.

Je constate ce qui suit : – la demanderesse est célibataire, mobile, n’est pas bien établie et n’a aucune personne à charge. La demanderesse n’a pas démontré l’existence de liens assez solides la rattachant à son pays de résidence.

L’objet de la visite ne semble pas raisonnable compte tenu de la situation socioéconomique de la demanderesse, et, pour cette raison, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[Non souligné dans l’original.]

[13] La question déterminante, à mon avis, est celle du caractère raisonnable de la décision. Plus particulièrement, je conclus que le raisonnement de l’agent relativement au plan d’études de la demanderesse ne satisfait pas aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification.

[14] Tout d’abord, je conviens avec le défendeur que la décision d’un agent des visas commande une grande retenue et que la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[15] Le défendeur invoque plusieurs jugements à l’appui de son argument selon lequel, dans la mesure où tous les éléments de preuve ont été dûment examinés, la question du poids à leur attribuer relève entièrement de l’expertise de l’agent des visas : Monteza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 530 au para 8; Abbas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 378 [Abbas] au para 29; Musasiwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 617 au para 22; Nimely c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 282 au para 7.

[16] Je souligne qu’aucun des paragraphes susmentionnés, tirés de la jurisprudence, n’indique que, dans la mesure où tous les éléments de preuve ont été dûment examinés, la question du poids à leur attribuer relève entièrement de l’expertise de l’agent des visas. Il y est plutôt précisé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des motifs exhaustifs, et qu’en raison de l’expertise des agents des visas et des exigences de volume auxquelles ils sont assujettis, leurs décisions commandent une grande retenue de la part de la Cour à l’égard des questions se rapportant à la preuve. Je n’ai aucune intention de déroger à ces principes reconnus.

[17] En l’espèce toutefois, je suis d’avis que l’agent n’a pas dûment examiné la preuve avant de conclure que le plan d’études de la demanderesse « ne sembl[ait] pas raisonnable compte tenu des antécédents de la demanderesse au chapitre de l’emploi et de la scolarité. »

[18] En plus de son plan d’études, la demanderesse a présenté, à l’appui de sa demande de permis d’études, des certificats d’études, une preuve d’emploi, une lettre de recommandation de son employeur, une preuve de sa capacité financière à étudier au Canada ainsi qu’une preuve de ses liens familiaux en Iran.

[19] Plus particulièrement, dans son plan d’études, la demanderesse explique que son employeur lui a accordé un congé d’études et qu’elle entend rentrer en Iran après son cursus pour occuper le poste de gestionnaire de projets des services d’ingénierie que lui a offert son employeur. Dans la section de son plan d’études intitulée « Comment la maîtrise en administration des affaires peut-elle améliorer mes perspectives de carrière », la demanderesse explique également les motivations qui l’ont poussée à choisir ce programme, les compétences et les connaissances qu’elle pourra acquérir ainsi que les avantages d’un tel programme qui lui permettra d’élargir ses perspectives de carrière. Les motifs invoqués par l’agent ne font pas référence à ces explications et ne tiennent pas compte de la preuve.

[20] Comme l’a affirmé le juge Russell au paragraphe 26 de la décision Mahida c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 423 :

[26] L’agent ne tient tout simplement pas compte de cet élément de preuve et n’explique pas en quoi l’explication est insuffisante. Il ressort très clairement de la demande que son MBA actuel lui a permis d’entrer dans le domaine où elle souhaite travailler, mais que ce diplôme n’est pas suffisant pour lui permettre de progresser. C’est pourquoi elle a décidé de poursuivre ses études maintenant, et pas avant. Il s’agit d’une explication détaillée et tout à fait logique, et la réponse de l’agent est dénuée de toute justification, transparence ou intelligibilité.

[21] Je suis d’avis qu’un constat similaire s’applique en l’espèce. Contrairement à la conclusion de l’agent selon laquelle le programme d’études proposé par la demanderesse ne s’harmonise pas à son cheminement de carrière et à son parcours scolaire, je conviens avec la demanderesse que son plan d’études expose bien de quelle façon une maîtrise en administration des affaires contribuerait au projet de son employeur d’étendre ses services à l’international et comment ce programme d’études lui permettrait d’acquérir les compétences et les connaissances liées à la gestion et au commerce international qui lui seraient nécessaires pour occuper le poste prévu à son retour en Iran. L’agent ne mentionne aucune de ces explications dans sa décision.

[22] Je rejette l’argument du défendeur portant que l’agent a raisonnablement conclu que le plan d’études de la demanderesse était déraisonnable compte tenu de la situation financière de cette dernière et du coût onéreux du programme proposé. Avec égards, je rappelle que l’agent n’a fait aucune mention du coût du programme de MBA et n’a pas invoqué cet argument pour étayer sa décision de rejeter la demande présentée par la demanderesse, si ce n’est une vague référence à la « situation socioéconomique » de cette dernière, pouvant ou non avoir un lien avec le coût du programme. L’argument du défendeur se résume à tenter de renforcer le raisonnement de l’agent. Pour les mêmes raisons, je rejette également l’argument du défendeur selon lequel la lettre de recommandation de l’employeur de la demanderesse indique seulement que celle-ci s’est prévalue d’un congé de deux ans pour poursuivre des études menant à l’obtention d’un « diplôme de maîtrise ès sciences » et qu’il sera heureux de tirer avantage de son expertise une fois ses études terminées. L’agent ne mentionne aucunement de telles préoccupations dans ses notes du SMGC et il n’est pas convenable que le défendeur en fasse l’un des motifs du rejet de la demande après le fait.

[23] Le défendeur soutient également que l’agent a raisonnablement rejeté la demande puisqu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour. Le défendeur affirme qu’il appartient au demandeur de réfuter la présomption selon laquelle il cherche à immigrer au Canada (Danioko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 479 au para 15; Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 517 au para 13). Pour convaincre l’agent qu’il quittera effectivement le Canada, le demandeur ne peut pas simplement affirmer qu’il le fera; la preuve au dossier doit plutôt convaincre l’agent qu’il le fera réellement.

[24] Le défendeur avance en outre que le demandeur doit établir son intention de quitter le Canada et que la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et son règlement d’application ne donnent pas grand latitude aux agents pour accorder le bénéfice du doute aux demandeurs (Chhetri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 872 [Chhetri] au para 9; Abbas, aux para 20‑21; Hashem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 41 au para 31).

[25] Enfin, le défendeur fait valoir que l’agent est habilité à soupeser différents facteurs, notamment la raison pour laquelle un demandeur affirme vouloir entrer au Canada, ses raisons impérieuses de vouloir y étudier ou y suivre un cursus particulier ainsi que les liens qui l’unissent à son pays d’origine (Chhetry, au para 14; Roopchan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1342 aux para 14‑19).

[26] Je ne suis pas en désaccord avec les propositions générales qui sous-tendent les arguments du défendeur. C’est plutôt l’applicabilité de ces propositions à la lumière du présent dossier et de la décision dont je suis saisie que je remets en question. Comme l’agent n’a pas tenu compte de la preuve relative à l’objectif déclaré des études de la demanderesse au Canada, qui se trouve pourtant au cœur de sa conclusion selon laquelle la demanderesse ne quitterait pas le Canada au terme de son séjour, il y a lieu de renvoyer l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

[27] Comme je conclus que la décision est déraisonnable, je ne traiterai pas de l’argument relatif à l’équité procédurale soulevé par la demanderesse.

V. Conclusion

[28] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[29] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3062-22

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.

  2. Dans le mois suivant la date du présent jugement, le tribunal devra déposer une version publique du dossier certifié du tribunal duquel les pages 63 à 66, qui contiennent des observations écrites au sujet d’une autre demanderesse, auront été expurgées. Avant le dépôt de la version modifiée du dossier certifié du tribunal, la version actuelle demeurera confidentielle.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao‑Yao Go »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3062-22

 

INTITULÉ :

FOROOZAN AZIZI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 9 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Alireza Eftekhardadkhah

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

R. Keith Reimer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alireza Eftekhardadkhah

Infinity Law Corporation

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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