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Date : 20060410

Dossier : IMM-5397-05

Référence : 2006 CF 460

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2006

En présence de monsieur le juge Beaudry

ENTRE :

YANEZ ALFARO OSVALDO

LOPEZ HUERTA ISIS MARINA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la Loi) à l'encontre d'une décision de la section de la protection des réfugiés (le tribunal) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 21 septembre 2005. Le tribunal a conclu que les demandeurs n'avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la convention ni de personnes à protéger.

I.           Questions en litige

[2]                Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

      a)          Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour en                                     déterminant que les demandeurs auraient pu bénéficier de la protection de l'État au                                Mexique?

      b)          Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour en                                     déterminant que les demandeurs auraient pu trouver refuge ailleurs au Mexique?

[3]                Pour les motifs suivants, la réponse à ces deux questions est négative et la présente demande est rejetée.

II.         Contexte factuel

[4]                Les demandeurs sont citoyens du Mexique, et sont mari et femme.

[5]                En 2003, M. Osvaldo Yanez Alfaro (le demandeur principal) décida d'ouvrir un lave-auto à Morelia, dans l'état du Michoacán.

[6]                Il signa un bail de trois ans concernant un immeuble qu'il destinait à l'exploitation de son entreprise avec M. Leodoro Vega Almonte (le locateur), étant le médecin légiste en chef du Bureau du Procureur général de la justice de l'État du Michoacán, ainsi qu'un ami personnel du Procureur de la justice du même État, du Gouverneur de l'État et du Procureur de la justice du district fédéral.

[7]                Le locateur s'était engagé à réaliser des réparations nécessaires à l'utilisation à laquelle le demandeur principal destinait l'immeuble en question, mais n'a jamais tenu cet engagement.

[8]                Le demandeur principal protesta auprès du locateur, et fut victime d'harcèlement et d'intimidation à plusieurs reprises, notamment aux mains de la police judiciaire.

[9]                Les demandeurs quittèrent les lieux en octobre 2004, et le demandeur communiqua avec le locateur pour lui signifier son intention de résilier le bail. Ce dernier menaça le demandeur principal, et les demandeurs continuèrent à être victimes de harcèlement et d'intimidation.

[10]            Les demandeurs déposèrent des plaintes auprès des autorités mais n'obtinrent aucun soutien.

[11]            Le 16 mars 2005, les demandeurs quittèrent le Mexique, et présentèrent une demande d'asile lors de leur arrivée à l'aéroport de Dorval.

III.        Décision contestée

[12]            Dans ses motifs, le tribunal a conclu que les demandeurs n'avaient pas épuisé tous les recours possibles pour tenter d'obtenir réparation dans le conflit qui les opposait au locateur. Bien que les demandeurs aient tenté de porter plainte auprès des Commissions des Droits de la Personne, ils n'ont jamais consulté ou retenu les services d'un avocat qui aurait pu contester les décisions des Commissions ou intenter des poursuites civiles ou criminelles à l'encontre du locateur.

[13]            Le tribunal s'est appuyé sur les décisions Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.) (QL), Kadenko c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 889 (C.F. 1re inst.) (QL), De Baez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no1020 (C.F. 1re inst.) (QL), et Szorenyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1382, [2003] A.C.F. no 1761 (C.F. 1re inst.) (QL) pour réitérer les principes suivants :

·         les pays sont présumés pouvoir protéger leurs citoyens. En l'absence d'effondrement complet de l'appareil étatique, l'État est présumé pouvoir protéger le demandeur (Ward);

·         Aucun gouvernement ne peut garantir une protection absolue à tous ses citoyens en tout temps. Il n'est pas suffisant pour un demandeur de démontrer que l'État n'a pas réussi à protéger des personnes dans sa situation (Villafranca);

·         Lorsque l'État d'où émane un demandeur d'asile est démocratique, le demandeur doit faire plus que démontrer qu'il s'est adressé sans succès à certains policiers individuels. Plus l'État en question est démocratique, plus le fardeau de preuve qui incombe au demandeur sera lourd (Kadenko). Dans ce dossier, le tribunal se déclara d'avis que le mot « policiers » pouvait être remplacé par « commissions » , et que le principe demeurait le même;

·         Les agissements de certains policiers individuels ne prouvent pas en soi que l'État n'a pas la volonté de protéger ses citoyens ou que la protection de l'État ne leur est pas disponible (De Baez);

·         Il n'est pas déraisonnable de la part du tribunal d'exiger d'un demandeur qu'il démontre qu'il a épuisé tous les recours possibles pour obtenir protection et réparation (Szorenyi).

[14]            Le tribunal conclut que les demandeurs ne s'étaient pas acquittés du fardeau de preuve qui leur incombait, et qu'ils n'avaient pas épuisé leurs recours pour obtenir la protection de l'État mexicain.

[15]            De plus, notant la grandeur du Mexique, le tribunal déclara qu'il lui paraissait improbable que le locateur ait une influence telle que les demandeurs ne puissent se sentir en sécurité nulle part dans leurs pays d'origine. Il conclut donc que les demandeurs disposaient d'une possibilité de refuge interne.

IV.       Analyse

A.         Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour en déterminant que les demandeurs auraient pu bénéficier de la protection de l' État au Mexique?

[16]            Les demandeurs font valoir que les conclusions du tribunal en ce qui a trait à la possibilité dont auraient disposé les demandeurs de bénéficier de la protection de l'État mexicain vont à l'encontre de la preuve documentaire dont il disposait. Les demandeurs soutiennent que le tribunal n'a pas tenu compte d'un rapport de la CISR sur la protection de l'État au Mexique (pièce C de l'affidavit du demandeur principal) établissant que les tribunaux mexicains n'offraient aucune protection aux citoyens.

[17]            Le passage de ce rapport cité par les demandeurs à l'appui de cet argument porte sur la corruption au niveau de l'appareil judiciaire. Mais, il faut noter dans le même document la mention au sujet de la détermination du président Vicente Fox de mener à bien les réformes entreprises au début de sa présidence. On ne peut donc pas conclure à l'anéantissement de l'appareil étatique en matière de protection des citoyens.

[18]            Les principes jurisprudentiels soulignés par le tribunal et qui ont guidé son analyse sont pertinents. Cette Cour a conclu à maintes reprises que le Mexique était un État libre et démocratique (Balderas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 157, [2005] A.C.F. no 225 (C.F.1ère inst.) (QL), Velazquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no934 (C.F. 1ère inst.), Urgel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1777, [2004] A.C.F. no 2171 (C.F 1ère inst.) (QL), Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1699, [2004] A.C.F. no 2058 (C.F. 1ère inst.) (QL)). Ainsi, compte tenu de la situation politique du Mexique, je suis d'avis que le tribunal n'a commis aucune erreur susceptible de justifier l'intervention de cette Cour en déterminant que les demandeurs ne s'étaient pas déchargés du fardeau qui leur incombait en n'ayant pas consulté un avocat afin d'explorer les possibilités de recours civils ou criminels contre leur locateur.

B.         Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour en déterminant que les demandeurs auraient pu trouver refuge ailleurs au Mexique?

[19]            Les demandeurs allèguent que le tribunal n'a pas analysé la situation des demandeurs à la lumière des critères développés par la jurisprudence dans Thirunavukkarasu c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.), Kahlon c. Canada (Immigration and Refugee Board), [1993] A.C.F. no 811 (C.F. 1re inst.) (QL), et Sran c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1047 (C.F. 1re inst.) (QL) quant à l'existence d'une possibilité raisonnable de refuge interne.

[20]            Ils soumettent que la décision du tribunal devrait être annulée car il n'est pas possible de déterminer quelle est la base de cette conclusion, et le tribunal ne semble pas avoir tenu compte de la situation personnelle du demandeur.

[21]            Je ne peux pas souscrire à cet argument.

[22]            Les demandeurs avaient le fardeau de démontrer qu'ils ne pouvaient bénéficier d'aucune possibilité de refuge interne dans une autre partie du Mexique (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 164 (C.A.), Torres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 284, [2005] A.C.F. no 343 (C.F. 1ère inst.) (QL)). Or, lors de l'audience, le demandeur principal a admis avoir pu s'installer ailleurs au pays (dossier du tribunal, pages 247 et 248). Face à une telle admission, le tribunal était en droit de conclure que les demandeurs bénéficiaient d'une possibilité de refuge interne dans une autre partie du Mexique, et le recours à une analyse détaillée n'était ni nécessaire ni justifié, compte tenu du fait que le tribunal avait déjà déterminé que les demandeurs n'avaient pas démontré qu'ils ne pouvaient pas bénéficier de la protection de l'État au Mexique.

[23]            Il faut cependant indiquer que le demandeur principal s'est ravisé et a déclaré qu'il n'aurait pas été en sécurité ailleurs au Mexique à cause de l'influence de M. Vega. Malgré cette déclaration, la Cour ne trouve pas déraisonnable la conclusion du tribunal quant à la protection de l'État mexicain.

[24]            Bien qu'il ait été préférable de mentionner dans la décision un endroit au Mexique où les demandeurs auraient pu obtenir un refuge possible, il appert que dans la transcription (page 253), la ville de Monterrey a été mentionnée par le tribunal.

[25]            Les parties n'ont pas soumis de question à certifier. Ce dossier n'en soulève aucune.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5397-05

INTITULÉ :                                        YANEZ ALFARO OSVALDO

                                                            LOPEZ HUERTA ISIS MARINA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 4 avril 2006

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               Le juge Beaudry

DATE DES MOTIFS :                       le 10 avril 2006

COMPARUTIONS:

Odette Desjardins                                                          POUR LES DEMANDEURS

Thi My Dung Tran                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Marie-José Blain                                                           POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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