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Date : 20221117


Dossier : IMM-9520-21

Référence : 2022 CF 1575

Ottawa (Ontario), le 17 novembre 2022

En présence de l’honorable juge Pamel

ENTRE :

Nela Miguel PEDRO

Moises PEDRO MAUEJA

Miguel PEDRO DOS SANTOS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse principale, Mme Nela Miguel Pedro (citoyenne de l’Angola) et ses fils mineurs, Miguel Pedro Dos Santos (aussi citoyen de l’Angola) et Moises Pedro Manueja (citoyen du Brésil), demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR], en date du 11 décembre 2021, qui a conclu que Mme Pedro n’était pas un témoin crédible et que les demandeurs n’avaient pas établi de possibilité sérieuse de persécution ni démontré de risque prospectif au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi]. Les demandeurs soutiennent que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité de leurs allégations sont fondées sur une analyse déraisonnable de certains éléments de preuve au cœur de leur demande et que la SAR n’a pas procédé adéquatement à l’analyse de leur demande sous le régime de l’article 97 de la Loi.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits et décision sous-jacente

[3] Dans son formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA] initial, signé le 8 août 2019, Mme Pedro a allégué craindre des individus qui auraient voulu s’en prendre à son conjoint en novembre 2017, après que celui-ci a détourné pour son compte des fonds du parti politique dont il était membre, l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola [UNITA]. À la suite de cet événement, des personnes armées et non identifiées auraient fait irruption au domicile familial une certaine nuit. Recherché par des partisans du parti UNITA et se sentant en danger, le conjoint de Mme Pedro aurait organisé la fuite de sa famille au Brésil le 7 novembre 2017. À leur sortie de l’aéroport au Brésil, Mme Pedro et son fils ainé auraient été séquestrés par le chauffeur d’un taxi qu’ils auraient pris pour se rendre au centre des demandeurs d’asile, lequel les aurait forcés à s’installer avec lui et aurait astreint Mme Pedro à devenir sa conjointe – le jeune Moises serait le fruit de cette relation. Le 10 février 2019, les demandeurs se seraient enfuis du Brésil et auraient traversé plusieurs pays d’Amérique avant d’arriver au Canada.

[4] Le 3 juin 2021, soit quatre jours avant l’audience devant la SPR, Mme Pedro, assistée par son avocat, a présenté un récit modifié de cinq pages dans son FDA, lequel contenait les nouvelles allégations suivantes :

  • En mai 2017, des inconnus auraient fait irruption chez elle en Angola, afin de chercher son conjoint.

  • Ils auraient pointé un fusil vers elle et l’auraient violée à tour de rôle.

  • Après une hospitalisation de deux jours, elle ne serait pas rentrée chez elle, mais serait plutôt allée chez sa belle-sœur.

  • En septembre 2017, les assaillants l’auraient retrouvée à cet endroit et l’auraient menacée de nouveau avec un fusil, la sommant de révéler la cachette de son conjoint et l’auraient violée.

  • Le lendemain, elle aurait été soignée et serait allée s’installer chez un cousin.

[5] La SAR a conclu que la SPR avait correctement déterminé que les modifications apportées par Mme Pedro à son FDA quatre jours avant l’audience touchaient au cœur de sa demande et que les explications fournies par Mme Pedro pour justifier l’ajout de ces informations n’étaient pas satisfaisantes. La SAR a également conclu que la SPR avait eu raison de relever une contradiction entre le témoignage de Mme Pedro selon lequel son conjoint était activement recherché par le parti UNITA depuis 2017 et une carte de membre du parti UNITA portant le nom de son conjoint et déposée en preuve par Mme Pedro, laquelle était valide du 24 mai 2021 au 24 mai 2023. La SAR a par ailleurs confirmé la décision de la SPR quant à la crainte que Mme Pedro éprouvait à l’égard de sa belle-famille en Angola et a jugé qu’aucune preuve au dossier n’indiquait que Mme Pedro serait persécutée par celle-ci.

[6] Quant à l’analyse faite au titre de l’article 97 de la Loi, la SAR a constaté que la SPR a conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau d’établir une possibilité sérieuse de persécution ni de leur fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils seraient personnellement exposés à un risque au sens de l’article 97 s’ils retournaient en Angola. La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que ses conclusions quant à la crédibilité des demandeurs étaient valables tant pour l’application de l’article 96 que de l’article 97 de la Loi et qu’en conséquence, il n’était pas nécessaire pour la SPR de procéder à une analyse distincte fondée sur l’article 97.

III. Analyse

[7] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : la décision de la SAR est-elle raisonnable? Les conclusions de la SAR portant sur la crédibilité des demandeurs doivent être examinées selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17; Bouarif c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 49 au para 9 [Bouarif]).

[8] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas effectué sa propre analyse du rapport psychologique produit par Mme Pedro devant la SPR, lequel visait à justifier l’ajout tardif d’informations à son FDA. En effet, les demandeurs soutiennent que les omissions commises par Mme Pedro dans son FDA initial étaient dues au stress et que le rapport psychologique déposé en preuve permettait de constater l’état mental dans lequel elle se trouvait à ce moment. Ainsi, la SAR aurait commis une erreur de fait en ne tirant pas d’inférences de ce rapport sur la justification des omissions de Mme Pedro.

[9] À mon avis, il est manifeste que la SAR a pris connaissance de ce rapport. En effet, lorsqu’elle a examiné les motifs de la SPR le concernant, la SAR a noté que la SPR avait tenu compte du rapport psychologique déposé en preuve, mais qu’elle n’avait pas été convaincue que des facteurs d’ordre psychologique pouvaient raisonnablement expliquer l’omission d’événements importants survenus en Angola, alors même que Mme Pedro avait résumé son parcours de manière détaillée dans ledit rapport. Selon moi, la SAR a simplement conclu, à son tour, que la présentation d’une histoire essentiellement nouvelle à quatre jours de l’audience minait la crédibilité de Mme Pedro. Effectivement, les ajouts faits par Mme Pedro à son FDA n’avaient rien d’anodin : ils modifiaient fondamentalement la cause de sa crainte, à savoir qu’elle aurait été violée à deux reprises par ses persécuteurs. À cet égard, la SAR indique avoir suivi les Directives numéro 4 du président sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, et je note que les demandeurs n’ont pas présenté d’argument sur la question. En effet, leurs observations se limitent à mentionner que le rapport psychologique permet de constater l’état mental dans lequel se trouvait Mme Pedro, sans pourtant relever un seul passage du rapport qui vienne appuyer cette affirmation, ni expliquer en quoi cet état mental pouvait justifier des omissions d’une telle nature. Je vois difficilement comment les demandeurs peuvent reprocher à la SAR d’avoir omis de tirer d’un rapport des inférences qu’ils n’ont pas su eux-mêmes mettre en lumière. Conséquemment, je ne suis pas convaincu que les conclusions de la SAR quant aux modifications par Mme Pedro de son FDA initial et à l’impact de ces modifications sur la crédibilité des demandeurs sont déraisonnables.

[10] Les demandeurs soutiennent également que la carte de membre du parti UNITA portant le nom du conjoint de Mme Pedro avait été introduite en preuve uniquement afin de démontrer l’appartenance de celui-ci au parti en question. Ils soutiennent que, dans son analyse, la SAR aurait dû s’en tenir à la raison pour laquelle cette carte de membre avait été produite et qu’il était déraisonnable pour la SAR d’avoir tiré des conclusions s’en écartant au sujet de la crédibilité des demandeurs.

[11] Je considère cet argument dépourvu de tout fondement et note que les demandeurs n’ont invoqué aucun précédent à l’appui. La jurisprudence de notre Cour est pourtant claire et établit que la SAR et la SPR, à titre de tribunaux spécialisés, sont habilitées à tirer de la preuve toute conclusion sur la crédibilité qui soit basée sur les invraisemblances, le bon sens et la raison, pour autant que les inférences qui la sous-tendent soient raisonnables et formulées en termes clairs et explicites (Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 838 au para 17). Or en l’espèce, il n’était en rien déraisonnable pour la SAR d’accepter la carte de membre et l’allégation des demandeurs quant à l’appartenance du conjoint de Mme Pedro au parti UNITA, pour ensuite constater que la période de validité de la carte, soit de 2021 à 2023, créait une contradiction avec une autre allégation de Mme Pedro, à savoir que son mari était recherché pour avoir volé des fonds depuis 2017. En effet, si le conjoint de Mme Pedro était poursuivi par les membres du parti UNITA depuis 2017, pourquoi ce dernier aurait-il renouvelé sa carte de membre en 2021? Rien dans les arguments des demandeurs ne me permet de conclure que la décision de la SAR à cet égard était déraisonnable.

[12] Les demandeurs soutiennent de plus que Mme Pedro risque d’être accusée d’adultère par sa belle-famille en raison de la probabilité que le père de son plus jeune fils ne soit pas son conjoint. Ainsi, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en mentionnant dans sa décision qu’il n’y avait aucune preuve que Mme Pedro serait persécutée par sa belle-famille, alléguant qu’elle pourrait être tuée en raison de son infidélité.

[13] À mon avis, l’argument des demandeurs est purement spéculatif. Mme Pedro n’est plus en contact avec sa belle-famille depuis son départ de l’Angola pour le Brésil. Il est donc difficile de comprendre sur quel motif raisonnable repose la crainte de Mme Pedro, en l’absence de toute autre observation des demandeurs à l’appui. À cet égard, je note que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 au paragraphe 15, a rappelé que l’analyse d’une demande d’asile se fonde sur une évaluation objective des risques, et non pas sur une évaluation subjective des inquiétudes éprouvées par le demandeur d’asile. Conséquemment, je ne vois rien de déraisonnable dans les conclusions de la SAR selon lesquelles la crainte de Mme Pedro était insuffisante pour démontrer un risque prospectif.

[14] Les demandeurs soutiennent finalement que la SAR a commis une erreur de droit en concluant que l’article 97 de la Loi ne s’appliquait pas, puisque Mme Pedro avait prouvé craindre pour elle et ses enfants si elle devait retourner en Angola. Encore une fois, les demandeurs ne présentent aucune explication claire à l’appui de cet argument. Or, tel qu’elle le mentionne en toutes lettres dans sa décision, la SAR ne voyait pas comment la SPR, une fois la crédibilité du récit des demandeurs entachée, aurait pu conclure que la crédibilité était un facteur déterminant pour l’application de l’article 96 de la Loi, mais pas pour celle de l’article 97. À cet égard, le juge Favel a conclu, au paragraphe 23 de la décision Matsika c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 602, que la SPR n’était pas tenue d’effectuer une analyse distincte sous le régime de l’article 97 de la Loi après avoir examiné la demande d’asile fondée sur l’article 96, car dans le cadre de cette demande, la SPR avait conclu que les allégations du demandeur, jugées non crédibles, étaient les mêmes pour l’une et l’autre des dispositions. Il en va de même dans la présente demande, où la SAR a déterminé que les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité de Mme Pedro s’appliquaient tant aux articles 96 et 97 de la Loi, puisque son analyse et ses conclusions portaient sur l’essentiel de la demande d’asile des demandeurs, à savoir le préjudice redouté. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

[15] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de prouver que la décision de la SAR comporte des lacunes graves quant à sa raisonnabilité qui méritent l’intervention de notre Cour.

[16] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT au dossier IMM-9520-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9520-21

 

INTITULÉ :

NELA MIGUEL PEDRO, MOISES PEDRO MAUEJA, MIGUEL PEDRO DOS SANTOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Laurent Gryner

Pour leS demandeurS

Me Julien Primeau-Lafaille

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Laurent Gryner, avocat

Montréal (Québec)

 

Pour leS demandeurS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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