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Date: 20040917

Dossier: IMM-7655-03

Référence: 2004 CF 1268

Ottawa (Ontario), ce 17ième jour de septembre 2004

Présent :          Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

                                                             MARIAM AHMAD

MOHAMMAD JABER

YANNAL JABER

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c.27 (Loi), porte sur une décision de l'agent d'immigration, Vicky Hajdamacha (l'agente), rendue le 17 septembre 2003. Dans cette décision, l'agente a refusé la demande de dispense de visa d'immigrant, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, à la demanderesse principale, Mariam Ahmad (demanderesse).


QUESTION EN LITIGE

[2]                L'agente a-t-elle commis une erreur en refusant la demande dispense ministérielle de la demanderesse et en concluant à l'inexistence de motifs humanitaires pour justifier cette demande?

[3]                Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à cette question et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

LES FAITS

[4]                La demanderesse est une femme jordanienne accompagnée de ses deux fils aînés dans cette demande. Son fils Mohammad était âgé de 17 ans lors de la soumission de la présente demande. Malgré le fait qu'il soit présentement âgé de 18 ans, sa demande demeure jointe à celle de sa mère puisqu'il avait 17 ans lors du dépôt de ladite demande.

[5]                La demanderesse et son fils Yannal sont arrivés au Canada vers le 31 août 2000 au point d'entrée de Lacolle, Québec, et ce, en provenance des États-Unis. Ils ont revendiqué le statut de réfugié dès leur arrivée. La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention et que le témoignage de la demanderesse principale était dénué de crédibilité. La décision relative à l'évaluation des risques avant renvoi (ÉRAR) des demandeurs a été rendue le 31 octobre 2002 et cette dernière était négative. La demanderesse a déposé la présente demande suite à ce rejet.


[6]                La demanderesse est l'épouse de Wael Jaber, un palestinien-jordanien. Ensemble, ils ont cinq enfants dont trois ont accompagné la demanderesse au Canada soit, sa fille Dujana Jaber, 3 ans, canadienne; son fils Yannal, 12 ans, américain et jordanien; et Mohammad, 18 ans, jordanien. Le 22 août 2000, la demanderesse, alors enceinte de sa fille Dujana, a quitté la Jordanie avec son fils Yannal. Le mari de la demanderesse est resté en Jordanie et s'est opposé à son départ pour l'occident. Par la suite, il l'a répudiée. La propre famille de la demanderesse, restée en Jordanie, lui a dit qu'elle avait compromis l'honneur de la famille et qu'elle n'était donc plus la bienvenue en Jordanie. Le 14 août 2000, Mohammad a obtenu, à Amman, un visa de visiteur pour le Canada et est arrivé le 17 septembre 2000. Mohammad a revendiqué le statut de réfugié le 22 septembre 2000. Dujana, l'enfant canadien, est née le 7 décembre 2000.

[7]                Lors de l'audience à la CISR le 28 janvier 2002, Yannal a renoncé à sa revendication au statut de réfugié. Le 10 avril 2002, la CISR a rejeté la revendication principale de la demanderesse ainsi que celle de son fils Mohammad. Le 31 octobre 2002, l'ERAR négative a été rendue et le renvoi des demandeurs a été prévu pour le 16 janvier 2003.    Cependant, lorsque les demandeurs se sont présentés à la frontière américaine, on a refusé de laisser entrer Mohammad dans le pays. Le renvoi des demandeurs a été annulé. Le 12 février 2003, la demanderesse a rempli une demande de résidence permanente pour des considérations humanitaires dans laquelle elle indique sa crainte d'être persécutée par sa famille si elle retourne en son pays et qu'une femme seule est une cible facile en Jordanie.

[8]                En mai 2003, le défendeur a contacté la demanderesse afin de lui transmettre une nouvelle date pour son renvoi vers les États-Unis. L'avocat des demandeurs a subséquemment contacté le défendeur pour lui rappeler l'engagement qui avait été pris d'étudier la demande de résidence pour motifs humanitaires. Le défendeur a reconnu cet engagement et a annulé la date prévue pour le renvoi des demandeurs. Le 3 septembre, les demandeurs ont à nouveau reçu une date pour leur renvoi, soit le 18 septembre à 8h30.    L'avocat des demandeurs a de nouveau contacté le défendeur pour rappeler l'engagement de procéder à l'étude de la demande de résidence pour motifs humanitaires avant le renvoi. Or, le 11 septembre, l'avocat des demandeurs a été avisé par Anne-Marie Signori, de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), que le renvoi des demandeurs serait maintenu, qu'il aurait l'occasion de faire d'autres soumissions ainsi que de déposer d'autres documents à CIC et qu'une décision serait rendue sur la demande de résidence pour motifs humanitaires, avant la date prévue pour le renvoi. L'avocat a confirmé les informations transmises dans cet appel téléphonique, par lettre qu'il a envoyée à CIC. Le 16 septembre 2003, l'avocat a envoyé des documents additionnels à CIC pour appuyer la demande.

[9]                Le 17 septembre 2003, CIC a rendu une décision défavorable aux demandeurs et le 20 octobre 2003, l'agente d'immigration, Vicky Hajdamacha, a soumis les motifs de sa décision du 17 septembre à l'avocat des demandeurs.


DÉCISION CONTESTÉE    

[10]            L'agente a rejeté la demande d'asile de la demanderesse, en raison de son défaut d'établir des motifs humanitaires suffisants et également de son absence de crédibilité. L'agente a conclu que la Jordanie accorde une place importante aux enfants et à leur bien-être, en leur fournissant les services nécessaires en éducation et en santé. Dans l'ÉRAR, la CIC a affirmé que la demanderesse n'était pas une victime probable d'un « crime d'honneur » considérant les faits particuliers de son dossier notamment, le fait que son mari n'éprouve aucune rancune à son égard. La CIC a également conclu que les femmes jordaniennes peuvent être sans hommes et ressentir un « certain niveau de libération » , dont celui de prendre leur vie en main. L'agente s'est exprimée ainsi à la page 5 de sa décision:

Je note que la demanderesse n'a pas soumis de document reconnu dans son pays soulignant la rupture de son union matrimoniale. Je n'ai pas trouvé dans la documentation objective consultée de l'information a l'effet que le fait d'avoir été répudiée par son époux était cause d'un crime d'honneur et que les femmes divorcées étaient ciblées par les membres de leur famille pour atteinte à l'honneur de la famille. J'accorde d'avantage de poids à la documentation objective consultée soulignant avec de multiples exemples que les crimes d'honneur en Jordanie sont davantage reliés au comportement sexuel de la femme et où cette documentation ne soutient pas le fait que d'être répudié par son mari mette l'honneur d'une famille en doute. De plus et selon la documentation objective consultée, le divorce est accepté en Jordanie et l'homme peut obtenir le divorce plus facilement que si la femme en faisait la demande. Je note ici que c'est l'époux de la demanderesse qui désire ne plus vivre avec cette dernière et que c'est lui qui a mis un terme au mariage.


PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les demandeurs

[11]            Les demandeurs contestent la décision de l'agente en invoquant essentiellement les trois arguments suivants:

a.                    se fondant sur les décisions rendues dans les arrêts Shah c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1299 (C.A.F.) (QL); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),[1999] 2 R.C.S. 817 (QL) et Cardinal c. Directeur de l'Établissement Kent [1985] 2 R.C.S. 643 (QL); les demandeurs allèguent que l'agente d'immigration n'a pas soumis à la demanderesse la preuve extrinsèque qu'elle a considérée pour rendre sa décision;

b.                   l'agente d'immigration a erré lorsqu'elle a évalué le principe du meilleur intérêt de l'enfant; et

c.                    selon la décision rendue dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] 1 R.C.S. 1222 (QL); et Canada (Director of Investigation and Research) c. Southam Inc. [1997] 1 S.C.R. 748 (QL); l'agente d'immigration n'a pas rendu une décision raisonnable considérant les faits en l'espèce.            


Le défendeur

[12]            Le défendeur précise que, tel qu'énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Baker, précité ainsi que dans Southam, précité aux par. 54 à 62, la norme de contrôle judiciaire à appliquer à la décision d'un agent d'immigration prise en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi et en vertu de l'article 2.1 du Règlement sur l'immigration, est la norme de la décision raisonnable simpliciter. De plus, le défendeur soumet que les notes de l'agent d'immigration, saisi de l'analyse de la demande de dispense pour motifs humanitaires, sont suffisantes pour rencontrer les exigences d'équité procédurale et que le pouvoir discrétionnaire conféré à l'agent d'immigration devait être considéré avec une certaine déférence et respect.


[13]            Le défendeur se fonde sur la décision du juge Hansen dans l'affaire Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] A.C.F. no 341 (C.F.1ère inst.)(QL), qui reprend l'arrêt Mancia c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1998] A.C.F. no 565 (C.A.) (QL), pour contester l'argument de la demanderesse concernant la preuve extrinsèque et de soumettre qu'il est manifestement mal fondé. Le défendeur s'appuie sur les arrêts Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 457 (C.A.) (QL); Baker, précité; Zolotareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2003] F.C.J. No. 1596 (C.F.) (QL); et Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2002] 1 R.C.S. 3 (QL), pour soumettre que la demanderesse a complètement passé sous silence, dans ses soumissions écrites, les deux éléments qu'elle lui reproche maintenant, à savoir l'impact psychologique d'un renvoi sur ses enfants et l'impact d'une interruption scolaire pour ses deux fils. Ainsi, le défendeur prétend qu'en l'espèce, l'agente d'immigration a bien identifié le facteur « intérêt de l'enfant » et de là, il lui revenait de déterminer le poids approprié à accorder à ce facteur dans les circonstances. Le défendeur soumet également que le portrait que la défenderesse présente n'est pas du tout conforme avec la preuve documentaire objective sur la situation en Jordanie retenue par l'agente d'immigration, notamment parce qu'elle n'a pas commis de geste répréhensible qui pourrait résulter en crime d'honneur et parce qu'elle est en bons termes avec son mari, qui peut avoir plus qu'une épouse, et que celui-ci la laisse libre de choisir ce qu'elle veut pour son avenir et celui de ses enfants.

ANALYSE

La norme de contrôle

[14]            Dans le cadre d'un contrôle judiciaire à l'égard des décisions prises aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi, le Ministre est autorisé à accorder une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi ou de faciliter l'admission de toute autre manière, s'il est convaincu qu'une telle dispense ou facilitation est justifiée par l'existence de considérations humanitaires. Ainsi, me fondant sur la jurisprudence citée, je suis d'accord avec le défendeur qu'en l'espèce la norme de contrôle appropriée est celle du raisonnable simpliciter car la décision du Ministre en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi est rendue de manière tout à fait discrétionnaire et, de ce fait, c'est à la demanderesse que revient le fardeau de démontrer qu'il existe des considérations d'ordre humanitaire justifiant une recommandation favorable.

[15]            Basé sur mon évaluation de la preuve, la demanderesse ne s'est pas déchargé de ce fardeau. L'agente a bien motivé sa décision en énonçant, en termes clairs et non équivoques, les raisons pour lesquelles elle a douté de la véracité des allégations de la demanderesse. Basé sur mon évaluation de la jurisprudence, tel qu'énoncé au par. 40 de l'arrêt Mancia, précité, l'agente pouvait tenir compte de la preuve documentaire objective, accessible au public pour rendre sa décision et n'était pas tenue de les communiquer à la demanderesse avant de rendre sa décision:

[...] Je ne suis toutefois pas convaincue que les principes d'équité énoncés dans les arrêts Baker, Haghighi et Bhagwandass vont jusqu'à exiger la communication dans les circonstances de la présente affaire. En d'autres termes, l'ARRR n'était pas tenue de communiquer avant de rendre sa décision les documents accessibles au public qui décrivent la situation générale du pays et dont la demanderesse est présumée avoir eu connaissance.

Pour en arriver à cette constatation, je note que la documentation est antérieure aux soumissions faites à l'agente et que les demandeurs n'ont pas présenté de la preuve à l'effet que les documents n'étaient pas accessibles au public. De plus, il y a pas dans ces documents de l'information "hors de l'ordinaire" justifiant une communication aux demandeurs. Tel que mentionné ci-haut, je suis d'opinion que les critères mis de l'avant dans l'arrêt Mancia, précité, ont été respectés par l'agente.

[16]            De plus, à la lumière de la preuve et de la jurisprudence présentée, je suis d'avis que l'agente a bien identifié et analysé l'intérêt des enfants et qu'il lui revenait donc de déterminer le poids approprié à accorder à ce facteur dans les circonstances en l'espèce, tout en tenatn compte des représentations faites par les demandeurs à cet effet.

[17]            D'ailleurs, je note que les arguments d'impact psychologique etc... sur les enfants pouvant résulter d'un renvoi en Jordanie n'ont pas été communiqués à l'agente. On ne peut adresser un reproche sur des faits dont elle n'a pas été saisi. Ma lecture de la décision concernant l'intérêt des enfants est satisfaisante.    Je suis également satisfait que le profil de la demanderesse ne correspond pas à celui d'une victime de crime d'honneur mais bien à celui d'une femme séparée de son mari et je reprends les motifs de l'agente à cet égard (voir page 6 de la décision):

Quant à la crainte de la demanderesse d'être la proie des hommes car elle n'aura pas de protection masculine, je note qu'elle a à ses côtés son fils de 18 ans, Mohammad. Nonobstant cela, je n'ai pu trouver dans la documentation objective consultée de l'information à l'effet qu'une femme en Jordanie est la proie des hommes car vivant seule. En outre, aucune personne ne peut se protéger de la criminalité aléatoire et ce, dans n'importe quel pays. Il s'agit ici d'un risque général que toutes femmes peut [sic] rencontrer, quel que soit le pays où elle vit.

[18]            Les parties furent invitées à soumettre une question pour fin de certification mais aucune ne fut présentée.

ORDONNANCE

Pour tous ces motifs la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune

question ne sera certifiée.

                "Simon Noël"               

                                  juge                              


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-7655-03

INTITULÉ :               Mariam Ahmad et al

c.

Ministre de la citoyenneté et

de l'immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                            15 septembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    L'Honorable Juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                                   17 septembre 2004

COMPARUTIONS:

Me William Sloan                                    POUR LES DEMANDEURS

Me Martin Valois                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

400, rue McGill

Montréal (Québec)         POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Montréal (Québec)         POUR LE DÉFENDEUR


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