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Date : 20221118


Dossier : IMM-7181-21

Référence : 2022 CF 1578

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

Mirza Jahanzeb BAIG

Zunaira TARIQ

Mirza Altamash BAIG

Mirza Aurangzeb BAIG

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 23 septembre 2021 [la décision] par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la «SAR»] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel des demandeurs et «la décision» datée du 16 mars 2021 de la Section de la protection des réfugiés [la «SPR»] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a été confirmée.

[2] La SPR et la SAR ont conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la «LIPR»].

II. Contexte

[3] Les demandeurs, Mirza Jahanzeb Baig [le «demandeur principal»], son épouse, Zunaira Tariq [la «demanderesse»], leur fils mineur, Mirza Altamash Baig [le «demandeur mineur»], et le frère du demandeur principal, Mirza Aurangzeb Baig [le «demandeur associé»], sont tous des citoyens du Pakistan.

[4] Les demandeurs sont nés au sein d’une famille musulmane sunnite. Ils affirment s’être convertis à la secte chiite de l’islam au Pakistan en octobre 2018 et, en conséquence, craignent d’être persécutés par des membres de la famille et des groupes extrémistes sunnites, tel le Lashkar-e-Jhangvi [le LeJ], qui désapprouvent la conversion.

[5] Le 23 janvier 2019, le demandeur associé a quitté le Pakistan et s’est rendu aux États-Unis muni d’un visa de visiteur. Le 3 avril 2019, le demandeur principal, la demanderesse et le demandeur mineur ont quitté le Pakistan pour venir au Canada munis de visas de visiteurs, et le 25 avril 2019 ils ont présenté des demandes d’asile. Le demandeur associé est entré au Canada en provenance des États-Unis le 8 juillet 2019 et a présenté une demande d’asile.

[6] À l’audience relative aux demandes tenue devant la SPR, le ministre est intervenu et a fourni des observations écrites au sujet de la crédibilité. Dans la décision datée du 16 mars 2021, la SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs. La SPR a conclu que le récit des demandeurs au sujet de leur conversion à l’islam chiite en octobre 2018 n’était pas crédible. Puisqu’ils étaient toujours des musulmans sunnites, ils n’étaient pas exposés à un risque de persécution. La SPR a tiré les conclusions pertinentes qui suivent :

  1. La preuve n’appuyait pas le récit des demandeurs selon lequel ils se sont rendus au Pakistan en octobre 2018 pour se convertir à l’islam chiite. Le demandeur principal et le demandeur associé ont affirmé qu’ils travaillaient aux Émirats arabes unis à l’époque où ils sont allés se convertir au Pakistan. Cependant, aucun timbre d’entrée ou de sortie n’a été apposé dans le passeport du demandeur associé à l’occasion du prétendu voyage. Quand il lui a été demandé d’expliquer ces faits, le demandeur associé a affirmé que les timbres avaient été apposés par erreur dans son ancien passeport; cependant, il n’a pas été en mesure de produire son ancien passeport et la preuve quant à savoir s’il avait tenté de le retrouver était incohérente. L’explication du demandeur associé au sujet des timbres manquants était insatisfaisante et justifiait la conclusion défavorable sur la crédibilité des demandeurs.

  2. Les témoignages des demandeurs au sujet d’incidents survenus alors qu’il fréquentait un imambargah (un lieu de culte) au Pakistan étaient incohérents avec le formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA]. Dans le formulaire FDA, le demandeur principal a affirmé qu’il fréquentait l’imambargah moins régulièrement après la tentative de fusillade survenue le 18 janvier 2019 mais, dans son témoignage, il a affirmé qu’il ne le fréquentait plus du tout. Plus tard dans son témoignage, il a mentionné qu’il avait reçu des appels téléphoniques ciblés et menaçants après l’attaque de février 2019, alors que, dans le formulaire FDA, il a affirmé qu’il n’avait eu « aucun autre problème avant le 31 mars 2019 », date à laquelle il avait reçu une lettre de la part du commandant du secteur local du LeJ.

  3. Les demandeurs n’ont jamais reçu de lettres de menaces de groupes extrémistes anti-chiites. La preuve qu’ils ont présentée était incohérente en ce qui concerne le nombre de lettres de menaces dont ils étaient au fait et qu’ils avaient reçues avant de demander la protection de la police le 1er avril 2019; leur preuve concernant une autre lettre datée de septembre 2020 n’était pas crédible. De plus, les demandeurs n’ont pas réussi à établir que les lettres jointes à leur demande étaient authentiques.

  4. La preuve présentée pour étayer le fait que les demandeurs sont de foi chiite, notamment diverses lettres, des reçus de dons faits à des institutions chiites et des photographies, était dénuée de valeur probante. Les documents à l’appui du récit des demandeurs sur leur conversion en octobre 2018 n’étaient pas dignes de foi, puisque les événements ne se sont jamais produits. Plusieurs documents ne comportaient aucune caractéristique de sécurité.

  5. Les demandeurs ont fait des dons à des imambargahs au Pakistan et au Canada. Toutefois, selon la prépondérance des probabilités, les dons ont été faits pour étayer leur demande d’asile.

  6. Le ministre est intervenu afin de présenter des éléments de preuve selon lesquels le demandeur associé avait déjà présenté des demandes d’asile au Royaume-Uni en février 2018. Ces demandes ont été rejetées. Le fait que les demandeurs ont omis de divulguer cette information a mis davantage en doute leur crédibilité.

[7] Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Dans la décision datée du 23 septembre 2021, la SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la SPR. Les demandeurs demandent à la Cour d’annuler la décision de la SAR.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

A. Nouvel élément de preuve et audience

[8] En appel devant la SAR, les demandeurs ont cherché à inclure un nouvel élément de preuve, soit un billet d’avion qui était censé établir que le demandeur principal et le demandeur associé étaient au Pakistan au moment de leur conversion en octobre 2018 et qu’ils sont ensuite retournés aux Émirats arabes unis.

[9] La SAR a rejeté l’élément de preuve parce qu’il ne satisfait pas aux exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR au sujet des nouveaux éléments de preuve. Elle a également rejeté la demande d’audience des demandeurs.

B. Bien-fondé de la décision

[10] La SAR s’est prononcée sur le bien-fondé de l’appel des demandeurs en répondant aux deux questions suivantes :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient pas voyagé pour se convertir à la foi chiite tel qu’ils le prétendent, et les autres conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR étaient-elles correctes?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur en rejetant la preuve documentaire?

[11] En ce qui a trait à la première question, la SAR a confirmé le raisonnement de la SPR.

[12] En ce qui a trait à la deuxième question, la SAR a tiré la même conclusion que la SPR, mais pour des motifs différents. La SAR n’avait pas les mêmes préoccupations que la SPR au sujet de l’authenticité des lettres rédigées par des institutions religieuses et des affidavits des membres de la famille à l’appui des demandeurs, mais a conclu que les documents avaient une faible valeur probante et ne remédiaient pas aux préoccupations entourant la crédibilité des demandeurs. La SAR avait les mêmes préoccupations que la SPR au sujet de l’authenticité des rapports de police et des lettres de menaces reçues de la part d’extrémistes sunnites joints à la demande et a conclu que ceux-ci n’étaient pas authentiques.

IV. Questions en litige

A. La décision était-elle raisonnable?

B. Est-ce qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale à l’égard des demandeurs en raison de l’assistance inefficace de leur conseil à l’audience devant la SPR?

V. Norme de contrôle

[13] La norme de contrôle sur le fond est celle de la décision raisonnable [Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 25].

[14] La norme de contrôle applicable en ce qui concerne les questions d’équité procédurale est celle de la norme de la décision correcte ou une norme ayant la même portée [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 34-35 et 54-55, citant Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79].

VI. Analyse

A. La décision était-elle raisonnable?

(1) Nouvel élément de preuve

[15] Selon le paragraphe 110(4), le demandeur ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles, ou, s’ils l’étaient, qu’il n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment de la décision de la SPR.

[16] Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre le nouvel élément de preuve, soit un billet d’avion qui établit que le demandeur principal et le demandeur associé étaient au Pakistan en octobre 2018. Les demandeurs affirment qu’ils ne pouvaient pas raisonnablement s’attendre à ce que l’élément de preuve soit pertinent.

[17] Je conclus qu’il était raisonnable de la part de la SAR de ne pas accepter l’élément de preuve. Étant donné que le fondement de la demande d’asile repose sur la conversion à l’islam chiite, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les demandeurs présentent à la SAR les éléments de preuve qui corroboraient le récit de leur conversion. Le rôle de la SAR ne consiste pas à fournir la possibilité de compléter une preuve déficiente [Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 35].

(2) Bien-fondé de la décision

[18] Les demandeurs soutiennent de plus que la décision est déraisonnable pour deux motifs. En premier lieu, la SAR a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité et de la preuve documentaire des demandeurs. En second lieu, la SAR a commis une erreur puisqu’elle a omis d’évaluer si les musulmans chiites ont accès à une protection adéquate de l’état au Pakistan.

[19] Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse par la SAR de la crédibilité des demandeurs ou dans son appréciation de la preuve documentaire. Comme la Cour l’a conclu dans Vall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1057 au paragraphe 15 :

Il faut faire preuve d’un degré de déférence élevé particulièrement lorsque, comme en l’espèce, les conclusions contestées ont trait à la crédibilité et à la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, compte tenu des connaissances spécialisées de la SPR et de la SAR à cet égard et de leur rôle de juge des faits.

[20] Les demandeurs demandent à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de la SAR en ce qui a trait à leur témoignage et à leur preuve documentaire. Le rôle d’une cour de révision n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire [Vavilov, au para 125].

[21] De plus, la SAR était tenue d’examiner la question de la protection de l’état puisqu’elle a conclu que la conversion des demandeurs à l’islam chiite ne s’était pas déroulée de la façon dont ceux-ci l’avaient décrite.

B. Est-ce qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale à l’égard des demandeurs en raison de l’assistance inefficace de leur conseil à l’audience devant la SPR?

[22] Les demandeurs prétendent avoir reçu une assistance inefficace de la part de leur conseil en ce qui concerne les observations faites à la SPR. Les demandeurs affirment que leur ancien avocat leur a dit qu’ils n’avaient pas besoin de l’ancien passeport du demandeur associé, qui portait prétendument des timbres qui montraient qu’il avait été au Pakistan en octobre 2018. De plus, les demandeurs allèguent que l’avocat a commis une erreur en omettant d’inclure dans leur formulaire FDA des éléments de preuve relatifs aux lettres et aux appels de menaces.

[23] Le défendeur est en désaccord avec l’allégation pour des motifs de procédure et de fond. Le défendeur soutient que, puisque les demandeurs prétendent seulement que leur conseil devant la SPR était incompétent et qu’ils n’ont pas soulevé le problème devant la SAR, la préclusion fondée sur l’action les empêche de poursuivre l’affaire devant la Cour. Subsidiairement, le défendeur soutient que le critère de l’assistance inefficace d’un conseil n’est pas satisfait.

[24] Bien que je sois généralement en accord avec les observations du défendeur sur le fait que la compétence du conseil devant la SPR n’est pas pertinente quant à la compétence du conseil devant la SAR, et peu importe le bien-fondé de son argument procédural, je conclus que les demandeurs n’ont pas satisfait au critère de fond de l’assistance inefficace du conseil. Afin d’établir un manquement à l’équité procédurale en raison d’une assistance inefficace du conseil, un demandeur doit :

  1. établir que les omissions ou les actes de l’ancien conseil constituaient de l’incompétence indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives;

  2. établir qu’il existe une probabilité raisonnable que le résultat aurait été différent n’eût été l’incompétence.

[Nik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 522 au para 23]

[25] Les demandeurs n’ont pas satisfait au premier volet du critère. Outre les allégations des demandeurs, il n’y a aucune preuve selon laquelle leur ancien conseil les aurait induits en erreur ou mal informés en ce qui a trait aux documents qui devaient être joints à leur demande d’asile. Rien n’indique que la prétendue preuve qui, selon les demandeurs aurait été omise par l’ancien conseil, existe bel et bien. Dans une lettre qui accompagne le mémoire en réplique des demandeurs, leur ancien conseil nie avec véhémence leurs allégations.

[26] Rien ne permet de conclure que les demandeurs ont été représentés de manière incompétente devant la SPR.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-7181-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-7181-21

 

INTITULÉ :

Mirza Aurangzeb BAIG, Zunaira TARIQ, Mirza Altamash BAIG, Mirza Aurangzeb BAIG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE l’audience :

audience tenue par vidéoconférence

 

DATE DE l’audience :

le 16 Novembre 2022

 

JUGeMENT et motifs :

le juge MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

le 18 NOVEMBrE 2022

 

COMPARUTIONS :

SHAH RUKH ZOHAIB ABBAS

 

POUR LE DEMANDEUR

 

SIMARROOP DHILLON

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SHAH RUKH ZOHAIB ABBAS

AVOCAT

MISSISSAUGA (ONTARIO)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

TORONTO (ONTARIO)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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