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Date : 20221118


Dossier : IMM-216-22

Référence : 2022 CF 1587

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 novembre 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

FATEMEH JALILVAND et
AMIR ARSALAN JALILVAND BIN SAIFUL ZAMRI et MEHR AYLEEN JALILVAND

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse principale [la DP], Fatemeh Jalilvand, est une ressortissante iranienne qui, après avoir terminé des études en psychologie clinique en Iran, a immigré en Malaisie, où elle est devenue résidente permanente. Son époux est malaisien et le couple a deux jeunes enfants.

[2] La DP a présenté une demande de permis d’études pour elle-même et des demandes de résident temporaire au nom de ses deux enfants pour qu’ils l’accompagnent au Canada pendant ses études. La demande de permis d’études a été refusée pour des motifs liés aux biens personnels et à la situation financière de la demanderesse ainsi qu’au but de sa visite. Les demandes de visa de résident temporaire pour les enfants ont également été refusées pour des motifs liés au but de la visite. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de ces refus, invoquant un manquement à l’obligation d’équité procédurale et le caractère déraisonnable des décisions.

[3] Après avoir examiné les observations écrites et verbales des parties ainsi que les dossiers et la jurisprudence applicable, je suis convaincue qu’il n’y a eu aucun manquement à l’obligation d’équité procédurale. Je suis toutefois d’avis que les décisions refusant les demandes de permis d’études et de résidents temporaires sont déraisonnables. Par conséquent, pour les motifs détaillés ci-dessous, j’accueille la demande de contrôle judiciaire.

[4] Les dispositions législatives applicables sont reproduites à l’annexe « A » ci‐dessous.

II. Analyse

[5] Je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas établi qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Je suis en revanche d’avis qu’ils se sont acquittés du fardeau qui leur incombait d’établir que les refus étaient déraisonnables : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23. J’examine chacune de ces questions tour à tour ci-dessous.

A. Équité procédurale

[6] Les questions liées à l’équité procédurale exigent une norme de contrôle s’apparentant à celle de la décision correcte : Benchery c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 217 aux para 8-9; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; arrêt Vavilov, précité, au para 77. La cour de révision doit essentiellement chercher à savoir si le processus était équitable eu égard aux circonstances : Chaudhry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 520 au para 24.

[7] En outre, dans le contexte des décisions concernant les permis d’études, le devoir d’équité procédurale doit être apprécié de manière pragmatique compte tenu du volume des demandes que les agents des visas doivent traiter : Yuzer c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 781 [Yuzer] au para 15, renvoyant à Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khan, 2001 CAF 345 au para 32.

[8] Je remarque en particulier qu’« un agent des visas n’est pas légalement obligé de prévenir un demandeur des lacunes de sa demande avant de rendre une décision, quand ces lacunes ont trait à des conditions juridiques préalables auxquelles il est nécessaire de répondre pour que la demande soit accueillie » : décision Yuzer, précitée, au para 16. De plus, si le demandeur ne peut pas établir que l’agent des visas s’est fondé sur une preuve extrinsèque sans lui donner la possibilité d’y répondre, les exigences en matière d’équité procédurale se situent à l’extrémité inférieure du continuum : décision Yuzer, précitée, aux para 16-17.

[9] Contrairement aux observations des demandeurs, et comme ces derniers n’ont pas démontré que l’agent des visas s’est fondé sur une preuve extrinsèque en l’espèce, je suis d’avis que l’agent n’avait pas le devoir, avant de refuser la demande, de donner l’occasion à la DP de répondre à ses préoccupations ou de chercher à obtenir des précisions concernant le dossier de demande s’il le considérait comme lacunaire. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’obligation d’équité procédurale dans les circonstances de l’espèce.

B. Norme de la décision raisonnable

[10] Pour être considérée comme raisonnable, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : arrêt Vavilov, précité, au para 99.

[11] Il incombe au demandeur de permis d’études de fournir à l’agent des visas tous les renseignements pertinents pour convaincre ce dernier qu’il quittera le Canada à l’expiration du visa : Tabari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1046 au para 24. Les agents des visas jouissent d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour évaluer la preuve et parvenir à une décision : Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 33.

[12] En outre, lorsqu’elle évalue le caractère raisonnable d’une décision rendue par un tribunal administratif, la cour de révision doit garder à l’esprit que la perfection n’est pas la norme applicable, et qu’il ne lui revient pas d’apprécier et d’évaluer à nouveau la preuve soumise au décideur : arrêt Vavilov, précité, au para 125. En outre, « [l]a moindre lacune ou insuffisance relevée dans une décision ne la rend pas déraisonnable dans son ensemble » : Metallo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 575 au para 26. En revanche, le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur se méprend fondamentalement sur la preuve qui lui est soumise ou n’en tient pas compte : arrêt Vavilov, précité, au para 126.

[13] Je conclus que le cumul des erreurs dont sont entachées les notes consignées au Système mondial de gestion des cas [le SMGC], notes qui font partie de la décision de l’agent des visas refusant la demande de permis d’étude de la DP, justifie l’intervention de la Cour en l’espèce.

[14] Premièrement, d’après les notes consignées au SMGC, la DP est une citoyenne malaisienne. Or, selon la preuve fournie par la DP, cette dernière est plutôt résidente permanente en Malaisie. La DP reconnaît que cette erreur, en soi, ne suffirait pas à obtenir gain de cause dans le cadre du contrôle judiciaire, et je suis d’accord. Néanmoins, il ne s’agit que de l’une des nombreuses des erreurs en cause en l’espèce.

[15] Deuxièmement, même en adoptant une approche globale et contextuelle, le dossier certifié du tribunal n’étaye pas la conclusion de l’agent selon laquelle [traduction] « la situation financière de la demanderesse ne démontre pas qu’elle possède des fonds qui sont suffisants ou disponibles ». Il était annexé à la demande de permis d’études de la demanderesse une attestation de solde de compte bancaire indiquant la présence de fonds équivalant à près de 59 000 $ en dollars canadiens dans un compte au nom du père de la DP. Ce dernier a également fourni un affidavit dans lequel il déclare qu’il s’engage à payer les droits de scolarité et les frais de subsistance de sa fille et des enfants de celle‐ci tout au long de leur période de résidence et d’études au Canada. Dans la demande de permis d’études, il est également indiqué que la DP et son père payeront les dépenses engagées au Canada. En outre, la lettre d’acceptation de l’Université Adler indique que les droits de scolarité pour la première année se chiffrent à 19 342 $, qu’un montant de 5 000 $ a déjà été payé, et que la DP bénéficie d’une bourse de 2 000 $. Dans la demande de permis d’études, il est indiqué que, pour le programme d’une durée de deux années, les droits de scolarité se chiffrent à 38 684 $ (19 342 $ par année), alors que les frais de logement et repas s’élèvent à 48 000 $ (24 000 $ par année).

[16] À première vue, les éléments de preuve mentionnés précédemment démontrent que la DP dispose de moyens amplement suffisants pour couvrir les frais de la première année du programme auquel elle est inscrite et de la plus grande partie de la deuxième année (ce qui démontre qu’elle pourra probablement répondre à ses besoins financiers futurs). Il est indiqué, dans les notes consignées au SMGC, [traduction] « [qu’]aucun historique financier n’a été fourni », mais il n’est pas expliqué pourquoi cette observation factuelle est importante ni la façon dont elle a influé sur la conclusion selon laquelle les fonds sont insuffisants. On pourrait faire la même remarque au sujet de l’observation selon laquelle [traduction] « l’époux n’a engagé aucun fonds », étant donné la preuve du soutien financier fourni par le père de la DP pour le séjour de cette dernière au Canada.

[17] L’agent a pris acte des [traduction] « fonds dont dispose le père la DP qui se trouve en Iran ». Il n’explique toutefois pas pourquoi il a conclu, sur le fondement de ses propres constations factuelles, à une insuffisance ou absence de fonds. La Cour n’a d’autre choix que de deviner le raisonnement de l’agent ou d’émettre des hypothèses à cet égard. Étant donné qu’aucune préoccupation en matière de crédibilité n’a été soulevée dans les notes consignées au SMGC, d’autres éléments justificatifs étaient requis pour expliquer pourquoi l’agent a conclu à une insuffisante ou absence de fonds, compte tenu de la preuve au dossier. Selon moi, l’absence de justification de la part de l’agent en l’espèce est un cas de figure où le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte, contrairement aux principes énoncés dans l’arrêt Vavilov (para 126).

[18] Troisièmement, l’agent affirme ne pas être convaincu que les études proposées constitueraient une dépense raisonnable. Or, comme notre Cour l’a jugé, il ne revient pas à l’agent de déterminer la valeur de l’apprentissage pour un demandeur, ni de formuler des conseils en orientation de carrière : Lingepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 552 au para 18; Adom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 26 au para 16.

[19] Quatrièmement, l’agent fait observer qu’il n’y a aucune information dans la demande de permis d’études au sujet d’arrangements concernant la garde des enfants ou la manière dont la DP prévoit poursuivre ses études tout en s’occupant de ses enfants. Selon la preuve présentée par la DP, ses enfants sont d’âge scolaire, et, dans sa lettre de motivation, elle écrit que, grâce aux études qu’elle prévoit faire au Canada, ses enfants auront la possibilité d’étudier dans un pays de langue anglaise. En outre, les lignes directrices d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada relativement à l’évaluation des demandes de permis d’études, reproduites dans le dossier des demandeurs, mettent l’accent sur la preuve de l’identité et l’existence de moyens financiers suffisants. La Cour se demande donc comment et pourquoi l’agent a apprécié le facteur de la garde des enfants, d’autant plus que le paragraphe 30(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, autorise les enfants mineurs à étudier au Canada sans permis d’études si le parent avec qui ils se trouvent est autorisé à faire des études au pays. Je reconnais que le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs, mais je juge néanmoins qu’il manque une certaine justification et une certaine transparence en l’espèce.

[20] Enfin, l’agent déclare qu’il n’est pas convaincu, après avoir soupesé les divers facteurs, que la DP quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Le défendeur fait valoir que [traduction] « l’agent n’était pas convaincu que les liens des demandeurs en Iran étaient suffisamment forts pour garantir leur retour après leur séjour au Canada ». Or, on ne trouve pas cette affirmation dans les notes consignées au SMGC. L’observation du défendeur passe également sous silence les liens importants des demandeurs en Malaisie, c’est-à-dire le pays où l’époux de la DP et père des enfants demeurerait pendant les études de la DP au Canada.

[21] Selon le juge Norris, « [l]a conclusion selon laquelle on ne pouvait pas faire confiance à la demande[resse] pour se conformer au droit canadien est une chose sérieuse[; l]a demande[resse] avait fait tout ce qu’elle était censée faire » : Cervjakova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1052 au para 12.

III. Conclusion

[22] Compte tenu des circonstances, je conclus que le cumul des erreurs décrites précédemment démontre une absence de justification, de transparence et d’intelligibilité qui justifie l’intervention de la Cour. Par conséquent, la Cour accueille la demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs et annule les décisions refusant les demandes de permis d’études et de visa de résident temporaire. L’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour nouvelles décisions.

[23] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je suis d’avis que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-216-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire présentée par les demandeurs est accueillie.

  2. La Cour annule les décisions, en date du 8 décembre 2021, refusant les demandes de permis d’études et de visa de résident temporaire. L’affaire sera renvoyée à un autre décideur pour nouvelles décisions.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


Annexe A : Dispositions pertinentes

 

 

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-216-22

 

INTITULÉ :

FATEMEH JALILVAND ET AMIR ARSALAN JALILVAND BIN SAIFUL ZAMRI ET MEHR AYLEEN JALILVAND c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 AOÛT 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

POUR LES DEMANDEURS

 

Hilla Aharon

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Samin Mortazavi

Pax Law Corporation

North Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour les demandeurs

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

pour le défendeur

 

 

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