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Date : 20221118


Dossier : IMM-9585-21

Référence : 2022 CF 1582

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 18 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

C. D.

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION,

DES RÉFUGIÉS ET

DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] La cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR était raisonnable et je rejetterai la présente demande.

II. Le contexte

[2] Le demandeur est un citoyen de l’Ouganda. En 2018, il a présenté une demande d’asile dans laquelle il disait craindre d’être persécuté du fait de son affiliation politique avec le Forum pour le changement démocratique [le FDC] et de sa séropositivité.

[3] Le demandeur affirme qu’après avoir participé activement durant près de dix ans aux activités du parti au pouvoir en Ouganda, il a commencé à s’opposer à ses politiques. En septembre 2017, il s’est officiellement joint à l’un des partis d’opposition, le FDC. Il prétend qu’il a ensuite été menacé, détenu de manière arbitraire et torturé par les forces de sécurité ougandaises.

[4] La SPR a entendu le demandeur au cours de trois séances. Elle a rejeté sa demande d’asile après avoir conclu que l’allégation principale du demandeur concernant sa participation aux activités du FDC n’était pas crédible et que, selon la prépondérance des probabilités, il n’avait jamais été détenu, battu ou torturé en raison de ses opinions politiques. S’agissant de son statut de personne vivant avec le VIH, la SPR a conclu que la preuve du demandeur ne permettait pas d’établir l’existence d’une crainte objective qu’il serait exposé à de la persécution ou à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de traitement cruel ou inusité.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

[5] La SAR a rejeté l’appel, après avoir confirmé les conclusions de la SPR selon lesquelles les allégations du demandeur quant à ses activités politiques avec le FDC n’étaient pas crédibles. La SAR a relevé de nombreuses incohérences dans la preuve du demandeur. Elle a notamment conclu que le demandeur s’était fondé sur des éléments de preuve frauduleux pour appuyer ses allégations, ce qui a sérieusement miné la crédibilité de ses arguments dans leur ensemble. En outre, la SAR a conclu que, même s’il était possible que le demandeur soit stigmatisé ou discriminé en raison de sa séropositivité, la preuve ne permettait pas d’établir qu’il subirait un traitement équivalant à de la persécution.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[6] Le demandeur soulève les deux questions suivantes : (i) la SAR a-t-elle eu tort de refuser de tenir une audience, et (ii) la SAR a-t-elle omis de faire une appréciation indépendante des conclusions de la SPR concernant les personnes atteintes du VIH en Ouganda?

[7] Certains juges de la Cour ont exprimé des points de vue différents quant à la norme de contrôle applicable à la première question formulée par le demandeur – selon qui la Commission aurait eu tort de ne pas tenir une audience étant donné le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi. Ces points de vue ont été exprimés dans le contexte d’un appel devant la SAR, comme en l’espèce, et dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi (ERAR). Dans la récente décision Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 447 [Balogh], la juge Rochester a fait, dans le contexte d’un ERAR, une revue de la jurisprudence. Elle conclut que la norme de la décision raisonnable doit s’appliquer au contrôle de la décision de l’agent de tenir ou non une audience.

[8] En revanche, le juge McHaffie a expliqué, dans la décision Iwekaeze c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 814 [Iwekaeze], pourquoi selon lui la norme de la décision correcte devait s’appliquer. Aux paragraphes 7 à 14, il fournit une analyse détaillée – renvoyant notamment à la décision Balogh – où il explique pourquoi la décision de tenir ou non une audience rendue par l’agent chargé de l’ERAR devrait plutôt être assujettie à la norme de la décision correcte.

[9] Toutefois, la présente affaire porte sur la question de savoir si la SAR – et non l’agent chargé de l’ERAR – a eu tort de ne pas tenir une audience. Dans l’arrêt souvent cité Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] (où étaient principalement examinés d’autres aspects touchant aux appels devant la SAR – notamment l’interprétation des dispositions régissant l’admission de nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR), la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 74, que les principes d’analyse que l’agent chargé de l’ERAR est tenu d’appliquer pour savoir s’il doit tenir une audience s’appliquaient aussi dans le contexte d’un appel devant la SAR. Elle a répondu comme suit aux deux questions que notre Cour avait certifiées :

1. Quelle norme de contrôle la Cour devrait-elle appliquer au moment d’examiner l’interprétation que fait la Section d’appel des réfugiés du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27?

Réponse : L’interprétation que fait la SAR du paragraphe 110(4) de la LIPR doit être révisée en appliquant la norme de la décision raisonnable, conformément à la présomption voulant que l’interprétation par un organisme administratif de sa loi constitutive fasse l’objet de déférence par la cour de révision.

2. Au moment d’examiner le rôle de l’agent d’examen des risques avant renvoi et celui de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié saisie de l’appel d’une décision de la Section de la protection des réfugiés, faut-il appliquer les critères énoncés dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, pour l’interprétation de l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, au paragraphe 110(4) de cette loi?

Réponse : Pour déterminer l’admissibilité d’une preuve au regard du paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR doit toujours s’assurer que les exigences explicites prévues par cette disposition sont respectées. Il était également raisonnable pour la SAR de s’inspirer, en y apportant les adaptations nécessaires, des considérations dégagées par cette Cour dans l’arrêt Raza. L’exigence du caractère substantiel de la nouvelle preuve doit cependant s’apprécier dans le contexte du paragraphe 110(6), à la seule fin de déterminer si la SAR peut tenir une audience.

[10] Comme c’est le cas pour la norme applicable à la décision de tenir une audience suivant l’article 113 – dans le contexte d’une demande d’ERAR –, la jurisprudence est également divisée sur la norme à appliquer (la norme de la décision raisonnable ou celle de la décision correcte) aux décisions que la SAR rend dans le contexte du paragraphe 110(6). Par exemple, après avoir appliqué la norme de la décision correcte, le juge Ahmed a conclu au paragraphe 31 de la récente décision Shen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 1456, que la SAR avait correctement évalué la question et qu’il n’y avait eu aucun manquement à l’équité.

[11] Toutefois, dans d’autres décisions récentes, la Cour a conclu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait au contrôle de la décision de la SAR de tenir ou non une audience. Au paragraphe 13 de la décision Faysal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 324, la Cour a donné les explications succinctes suivantes : « La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, tant pour l’admission par la SAR des éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR, que pour sa décision de tenir une audience en vertu du paragraphe 110(6), puisque les deux questions concernent l’interprétation et l’application par la SAR de sa loi habilitante. » (Voir aussi Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1464 aux para 8 et 13; et Akinyemi-Oguntunde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 666 au para 15).

[12] Compte tenu des observations qui précèdent, je suis d’avis qu’en l’espèce, la décision de la SAR de ne pas tenir d’audience doit être assujettie à la norme de la décision raisonnable. Cette norme s’applique également, à l’évidence, à la deuxième question en litige relative à la séropositivité du demandeur.

[13] Comme la norme de la décision raisonnable s’applique aux deux questions en litige soulevées en l’espèce, la décision de la SAR doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 83-85).

V. Analyse

A. La SAR n’a pas eu tort de refuser de tenir une audience

[14] La SAR a admis deux nouveaux éléments de preuve. Il s’agit d’articles de journaux d’intérêt général. L’un décrit la situation d’une personne séropositive en Ouganda et l’autre, la manière dont le parti au pouvoir a débauché des membres des partis d’opposition. La SAR a tenu compte de la demande d’audience présentée par le demandeur et a conclu que même si les articles étaient suffisamment nouveaux, crédibles et pertinents pour être admis, ils ne satisfaisaient à aucun des critères énoncés au paragraphe 110(6) de la LIPR.

[15] La conclusion de la SAR était raisonnable puisque la tenue d’une audience n’est pas automatique dès lors qu’un nouvel élément de preuve est admis. En fait, le paragraphe 110(3) de la LIPR dispose que la SAR procède sans tenir d’audience sauf si les trois conditions énoncées au paragraphe 110(6) sont remplies et, là encore, la SAR peut décider de ne pas tenir d’audience (Singh, aux para 48 et 71). Par ailleurs, bien que la crédibilité du demandeur ait été en cause en l’espèce, les problèmes de crédibilité se rattachaient à la preuve dont disposait la SPR, et non aux nouveaux éléments de preuve.

[16] Dans les observations qu’il a présentées en appel devant la SAR, le demandeur a fait valoir que le nouvel élément de preuve était susceptible de dissiper les doutes relatifs à la crédibilité que la SPR avait soulevés en lien avec sa nomination immédiate à titre de mobilisateur de la jeunesse, car il démontrait que des membres de partis politiques qui font défection peuvent se voir confier des postes importants même lorsqu’ils en connaissent peu sur le nouveau parti. La SAR n’était pas de cet avis et elle a raisonnablement conclu que le nouvel élément de preuve ne permettait pas de remédier à ce que la SPR et la SAR considéraient comme une contradiction fondamentale dans la preuve du demandeur.

[17] En outre, même si la SAR avait convenu que le nouvel élément de preuve étayait les affirmations du demandeur sur ce point précis, il ne lui permettait certainement pas de modifier les autres conclusions concernant la crédibilité.

[18] Enfin, je souligne que le demandeur n’a essentiellement jamais contesté le caractère raisonnable des conclusions de la SAR en matière de crédibilité. Il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire R.K. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1305 (sur laquelle le demandeur se fonde), car les questions qui y étaient soulevées sont différentes. Dans cette affaire, les questions portaient sur l’étendue de la preuve qui peut être examinée lorsqu’une nouvelle audience est accordée, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

B. L’examen, par la SAR, de la preuve relative au VIH était raisonnable

[19] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas fait une appréciation indépendante des motifs de la SPR se rapportant aux conclusions tirées sur le vécu des personnes atteintes du VIH, mais qu’elle s’est plutôt contentée de s’appuyer sur des conclusions semblables.

[20] Je ne souscris pas à la façon dont le demandeur qualifie l’examen de la preuve que la SAR a fait à cet égard. La SAR a plutôt raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une crainte objectivement fondée de persécution en raison de sa séropositivité. Il demande donc à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Le demandeur n’a pas été en mesure de relever dans la décision de la SAR un exemple concret du défaut d’effectuer une appréciation indépendante de la preuve. Contrairement à ce qu’avance l’avocate du demandeur, j’estime que la SAR a fait un examen plus approfondi du dossier de preuve que ne l’avait fait la SPR dans son analyse de la question du VIH, notamment en faisant référence à d’autres sources dans le dossier.

[21] La SAR a effectivement cité des éléments de conclusion de la SPR auxquels elle a souscrit, mais de ce que je constate, elle l’a fait chaque fois dans le contexte de son appréciation indépendante. Le simple fait que la SAR souscrive aux conclusions de la SPR ne signifie pas qu’aucune analyse indépendante n’a été effectuée (Ademi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 366 au para 28). Aux paragraphes 66 à 68 de sa décision, la SAR a expressément énoncé les raisons pour lesquelles elle souscrivait aux conclusions de la SPR. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve présentée à la SPR, la SAR a conclu que cette preuve ne permettait pas d’établir l’existence d’une violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne. Elle a souligné que la preuve objective démontrait que les violations étaient minimes et avaient diminué depuis 2013.

[22] Enfin, la SAR a également examiné le nouvel élément de preuve présenté par le demandeur – qui n’avait évidemment pas été présenté à la SPR –, lequel portait sur le vécu des personnes atteintes du VIH en Ouganda. Cet élément de preuve n’a rien changé au résultat de l’analyse de la SAR. Le fait que la SAR a analysé ce nouvel élément de preuve démontre qu’elle a effectué une analyse indépendante.

VI. Conclusion

[23] La décision de la SAR de rejeter l’appel du demandeur était raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier et je suis d’accord que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9585-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question à certifier n’a été proposée et je suis d’accord que l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

  4. Le nom du demandeur dans l’intitulé est remplacé, avec effet immédiat, par des initiales afin de refléter ce qui a été convenu lors de l’audition du présent contrôle judiciaire.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9585-21

 

INTITULÉ :

C.D. c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 18 NovembRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Samalie Kidde Nsubuga

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Diane Gyimah

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NSUBUGA LAW

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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