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Date : 20221128


Dossier : IMM-5662-21

Référence : 2022 CF 1637

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

MOHSEN KARIMI TABASI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur est un citoyen de l’Iran. La demande qu’il a présentée dans le cadre du Programme des candidats des provinces a été acceptée par l’Île-du-Prince-Édouard. Le 30 avril 2014, il a présenté une demande de résidence permanente en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. N’ayant reçu aucune décision en 2020, il a demandé un bref de mandamus. L’affaire a été abandonnée après que les parties se sont entendues pour qu’une lettre d’équité procédurale soit envoyée au demandeur.

[2] La lettre d’équité procédurale a été envoyée le 12 décembre 2020, et le demandeur a répondu par l’entremise de son conseil le 8 mai 2021. Le rejet de la demande par l’agent est la décision qui fait l’objet du contrôle.

[3] Dans la lettre d’équité procédurale, l’agent a allégué que le demandeur était interdit de territoire pour des raisons de sécurité parce qu’il était membre de Yas Air (ou Yas Toos Air ou Yas Toos Airlines) qui, selon l’agent, était affilié à la Brigade Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique. Il a également allégué que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations, parce qu’il n’avait pas indiqué qu’il était membre de Yas Air ou du groupe Yasin dans sa demande et qu’il n’avait pas indiqué qu’il était un directeur de la société canadienne Pouyan Shahr Corporation.

[4] L’agent a décrit les raisons pour lesquelles il croyait qu’il existait un lien entre le demandeur, Yas Air et les gardiens de la révolution :

[traduction]
Vous êtes désigné comme étant le président du groupe de sociétés Yasin dans une annonce de l’ambassade de la République de Lituanie en République de Türkiye, groupe qui est propriétaire de la compagnie Yas Toos Airlines (Yas Air) pour laquelle vous étiez nommé comme président du conseil d’administration en 2014 dans un article de l’Agence de presse de la République islamique. Comme vous êtes membre de Yas Air et du groupe Yas, il existe des motifs raisonnables de croire que vous êtes ou avez été affilié à la Brigade Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique et que vous êtes interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR. Puisque vous êtes membre de ces organisations, il existe également des motifs raisonnables de croire que vous représentez un danger pour la sécurité du Canada et que vous êtes interdit de territoire au titre de l’alinéa 34(1)d) de la LIPR. [références du site Web omises]

[5] Dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, le demandeur a nié avoir quelque lien que ce soit avec Yas Air.

[6] Premièrement, il a fourni une lettre d’opinion de l’avocat iranien de Yas Seyr Sanabad Toos Air Travel and Tourism Company, datée du 17 avril 2021, dans laquelle l’avocat affirmait que l’allégation selon laquelle le demandeur avait des liens avec Yas Air était sans fondement :

[traduction]
D’après le procès-verbal de l’assemblée générale ordinaire annuelle et sur la foi des documents publiés par le service de l’enregistrement sur le site Web du ministère de la Justice et dans le journal officiel de la République islamique d’Iran, M. Mohsen Karimi Tabasi n’a aucun lien avec Yas Air Airlines, n’y a occupé aucun poste et n’y a assumé aucune responsabilité.

[7] Deuxièmement, le demandeur affirme qu’il est un agent de voyages et qu’il travaille pour l’entreprise Yas Seyr Sanabad Toos Air Travel and Tourism Company, l’agence de voyages et non la compagnie aérienne.

[8] Troisièmement, le demandeur a abordé l’« annonce » publiée dans un journal dont il est question dans la lettre d’équité procédurale et qui fait état de son lien avec Yas Air. Il fait remarquer à l’agent que le journal a depuis corrigé cette histoire et il fournit cette correction avec sa réponse. L’Agence de presse de la République islamique [l’APRI] a fourni une lettre datée du 19 janvier 2021, dans laquelle elle déclare [traduction] « qu’une erreur s’est glissée en raison de la similitude entre le nom de la compagnie aérienne et celui de l’entreprise pour laquelle travaille M. Mohsen Karami Tabasi, et que l’article no 2740416 daté du 9 octobre 2014 a été corrigé et publié à nouveau sur le site Web officiel de l’APRI, avec le même code et le même numéro ». L’histoire corrigée désigne le demandeur comme étant le [traduction] « président du conseil d’administration de l’agence de voyages iranienne Yas Seir Sanabad Toos ».

[9] Enfin, le demandeur traite de l’allégation de fausses déclarations découlant de l’omission de divulguer son poste au sein de la société canadienne Pouayn Shahr Inc., affirmant qu’il a omis de le mentionner par inadvertance. Il soutient que cette omission était sans importance parce que la société est inactive depuis sa constitution en société en 2015. Par conséquent, la société ou ses employés n’ont accompli aucun travail ni aucune « activité » depuis sa constitution.

[10] Malgré la réponse du demandeur et les documents présentés, l’agent a rejeté la demande.

[11] Tout d’abord, l’agent souligne qu’il savait que le demandeur avait mentionné qu’il travaillait pour une agence de voyages, mais pas pour l’agence de voyages Yas Seyr Sanabad Toos. Il fait remarquer que ces renseignements ne figurent pas dans la demande de résidence permanente du demandeur ni dans son curriculum vitae. Ces documents indiquent plutôt que le demandeur travaillait pour Aseman Travels and Tours en Malaisie.

[12] Ensuite, l’agent fait remarquer que l’article corrigé du journal décrit maintenant le demandeur comme étant le président du conseil d’administration de l’agence de voyages Yas Seir Sanabad Toos [sic] et mentionne qu’il a cherché ce nom sur Internet et que ses recherches ont mené au site Yasinbooking.com, une entreprise qui est liée à Yas Air. Il écrit ceci :

[traduction]
Yasinbooking.com est un site de recherche de vols de Yas Toos (compagnie aérienne), mais il ne contient aucune introduction ni aucune autre information sur la société pour le moment. Il s’agit du site que l’on trouve lorsque l’on cherche Yas Toos Airlines ou Yas Air, lesquelles sont une seule et même entreprise (toutes deux constituées en société en 2008 et dont le site Web est https://yasinbooking.com). Le groupe Yasin est répertorié comme étant le propriétaire du site Web de l’entreprise Yas Toos Airlines : https://yasinbooking.com, également connue sous le nom de Yas Air. L’agence de voyages Yas Seir Sanabad Toos semble donc appartenir au groupe Yasin, tout comme Yas Air, et partage le même domaine Internet. Il se pourrait donc qu’il s’agisse de la même entreprise. Je note que dans l’article https://tr.mfa.lt/tr/en/news/first-ever-lithuanian-consulatc-in-iran, l’adresse électronique fournie pour le groupe Yasin est Karimi@yasinbooking.com, et que l’adresse municipale se trouve à Téhéran, alors que le demandeur a indiqué qu’il travaillait et résidait en Malaisie à l’époque.

[13] De plus, l’agent a souligné que dans l’article de 2017 intitulé [traduction] « Le tout premier consulat lituanien en Iran », il est indiqué que l’adresse électronique du consul honoraire de la Lituanie (le demandeur) était Karimi@yasinbooking.com et que son adresse municipale se trouvait à Téhéran, alors que le demandeur prétendait travailler et résider en Malaisie.

[14] L’agent a fait remarquer que, même si l’avocat iranien, dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale, a fourni des renseignements sur les directeurs de Yas Air, aucune information n’a été fournie pour 2014.

[15] L’agent a accordé peu de poids à la modification apportée à l’article de journal de l’APRI parce que le demandeur est associé au groupe Yasin, qui est propriétaire de Yas Air et de Yas Seir Sanabad Toos Air Travel Agency; qu’il n’avait divulgué son affiliation avec le groupe Yasin ou Yas Air et Yas Seir Sanabad Toos Air Travel Agency ni dans la présente demande ni dans la demande de résidence permanente; que ces entreprises sont liées au même domaine Internet, et que l’APRI est affiliée au gouvernement iranien et n’est pas un média indépendant.

[16] L’agent affirme que selon lui, le demandeur est peut-être encore président du groupe Yasin et qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il était membre de Yas Air au moment de la publication de l’article.

[17] L’agent mentionne que le demandeur n’a pas parlé de son rôle de président du groupe Yasin, propriétaire de Yas Air, dans sa réponse à la lettre d’équité procédurale. Il fait également remarquer que le demandeur est inscrit comme président du groupe Yasin sur une annonce de l’ambassade de Lituanie en Türkiye. L’annonce indique que le demandeur occupait le poste de [traduction] « consul honoraire de la Lituanie à Téhéran, où se trouve le bureau de son entreprise ». Cette information ne figure pas dans sa demande, et rien n’indique qu’il a une entreprise ou qu’il réside à Téhéran.

[18] L’agent a conclu que le défaut du demandeur de déclarer sa participation dans la société canadienne Pouayn Shahr Inc. était un élément important de son évaluation de l’admissibilité. Il a jugé que l’associé du demandeur, Masoud Feiz, semblait [traduction] « avoir été un suspect dans une importante opération de trafic de stupéfiants en 2011 ». Ces soupçons étaient fondés sur les renseignements qui lui avaient été fournis dans un mémoire de 12 pages de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC]. L’agent affirme qu’il peut s’agir de la même personne ou non, mais que cela démontre que la divulgation de la participation du demandeur dans la société canadienne est importante pour l’évaluation de l’admissibilité.

[19] L’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour des raisons de sécurité au titre de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR parce qu’il était membre d’une organisation qui se livre, s’est livrée ou se livrera à des activités terroristes. En se faisant, il a conclu que le demandeur était membre du groupe Yasin et très probablement membre du conseil d’administration de Yas Air en 2014, puisqu’il [traduction] « est peu probable que l’Agence de presse de la République islamique ait confondu l’une de ses principales compagnies aériennes avec une agence de voyages (à moins qu’il s’agisse d’une seule et même compagnie, ce qui pourrait très bien être le cas, car elles partagent le même domaine Internet) ». La décision de l’agent est fondée sur le fait que Yas Air était affiliée à la Brigade Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique.

[20] L’agent a également conclu que le demandeur était interdit de territoire au titre de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR parce qu’il avait omis de déclarer certains de ces emplois antérieurs importants, notamment ses emplois chez Yas Air et l’agence de voyages, son poste de président du groupe Yasin et celui de consul honoraire de la Lituanie. Il avait également omis de déclarer son poste de directeur de la société canadienne, ses intérêts commerciaux et sa résidence en Iran.

[21] Dans la présente demande, le demandeur soulève les questions qui suivent :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

  2. L’agent a-t-il manqué au principe de justice naturelle en tenant compte d’éléments de preuve extrinsèques?

  3. La décision de l’agent selon laquelle le demandeur était interdit de territoire au titre du paragraphe 34(1) était-elle raisonnable étant donné que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve dont il disposait?

  4. La décision de l’agent selon laquelle le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations était-elle raisonnable étant donné que l’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur avait caché des renseignements importants?

[22] S’il est conclu que l’agent a violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en tenant compte d’éléments de preuve extrinsèques, cela constitue une erreur susceptible de contrôle et est suffisant pour faire droit à la présente demande.

[23] Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale et de justice naturelle est celle de la décision correcte : voir Weng c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 151 aux para 18 et 19.

[24] Au paragraphe 19 de la décision Kambasaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 31, le juge Pentney a décrit la norme de la façon suivante :

Les questions d’équité procédurale commandent une démarche qui s’apparente à la norme de contrôle de la décision correcte et qui consiste à se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54; Heiltsuk Horizon Maritime Services Ltd c Atlantic Towing Limited, 2021 CAF 26 au para 107). Comme il est indiqué au paragraphe 56 de l’arrêt Canadien Pacifique, « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre », et au paragraphe 54 de ce même arrêt, « [u]ne cour de révision [...] demande, en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi ».

[25] Lorsque j’applique cette norme, je dois me demander si le demandeur « connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre ». Le demandeur soutient qu’il ne connaissait pas la preuve à réfuter et qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale.

[26] Le demandeur a reçu une lettre d’équité procédurale et a eu la possibilité de répondre à la préoccupation de l’agent quant à son appartenance à Yas Air. La lettre détaillait précisément les préoccupations de l’agent concernant la relation entre Yas Air et la Brigade Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique, et soulignait qu’une annonce de l’ambassade de Lituanie désignait le demandeur en tant que président du groupe Yasin, qui est propriétaire de Yas Air. Il y était également révélé que le demandeur était, selon un article de l’APRI, président du conseil d’administration de Yas Air en 2014. En raison de l’affiliation du demandeur au groupe Yasin et à Yas Air, l’agent a dit qu’il était possible que le demandeur soit interdit de territoire en application de l’alinéa 34(1)f) de la LIPR.

[27] De plus, la lettre indiquait que le demandeur ne s’était pas conformé à l’alinéa 40(1)a de la LIPR en ne déclarant pas qu’il était directeur de Pouyan Shahr Inc., une organisation figurant sur le site Web des sociétés de régime fédéral du gouvernement du Canada.

[28] Malgré la lettre d’équité procédurale, l’agent s’est fondé sur de nombreux documents qui constituaient des éléments de preuve extrinsèques, et le demandeur n’a pas été informé de l’intention de l’agent de s’appuyer sur ces éléments et n’a pas eu la possibilité d’y répondre.

[29] L’agent n’a pas communiqué le mémoire de l’ASFC, lequel contenait un document du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) ainsi que des allégations relatives à des accusations de trafic de stupéfiants déposées contre l’associé du demandeur. L’agent a déclaré qu’il ne s’appuyait pas sur les accusations de trafic de stupéfiants pour démontrer que le demandeur était associé au financement du terrorisme, affirmant que, selon lui, cette information démontrait [traduction] « que la communication des renseignements au sujet de la propriété de la société canadienne et de la participation au sein de cette société est importante aux fins de l’évaluation de l’admissibilité du demandeur ».

[30] Le demandeur a déposé un affidavit de Masoud Feiz dans lequel ce dernier atteste que, bien qu’il ait été accusé de trafic de stupéfiants, il s’agissait d’une erreur d’identité et les accusations ont été retirées. Si le demandeur avait été informé des préoccupations de l’agent, il aurait fourni cet élément en réponse.

[31] La Cour souligne que les préoccupations de l’agent ne se limitaient pas au trafic de stupéfiants allégué et que ce dernier était d’avis qu’une évaluation complète des intérêts commerciaux et des emplois d’un demandeur est toujours importante lors d’une évaluation de l’admissibilité.

[traduction]
Le représentant du demandeur indique que l’omission de déclarer sa participation dans la société canadienne Pouayn Shahr est sans importance et que la société est inactive. Une évaluation complète des intérêts commerciaux et des antécédents professionnels du demandeur est importante lors de l’évaluation de son admissibilité. Dans la présente demande, le représentant a fourni un document de l’Agence du revenu du Canada selon lequel l’entreprise canadienne Pouyan Shahr Inc. avait été constituée en société en 2015, avec Masoud Feiz en tant qu’associé et personne-ressource, et dont l’adresse était le 222, avenue Finch Ouest, unité 214, North York (Ontario). Masoud Feiz (ou Masoud Feizabadi) est également inscrit comme administrateur de Borderless Brokers, Artopia Gallery et Jaam Exchange. Cette personne est aussi propriétaire de l’entreprise World Wide Immigration Services, située à la même adresse, au 222, avenue Finch Ouest, à North York. Masoud Feizabadi semble être un suspect dans une importante opération de trafic de stupéfiants en 2011 https://nationalpost.com/posted-toronto/suspected-smuggling-ring-leaders-arrested. Qu’il s’agisse de la même personne ou non, cela démontre que la communication d’information sur la propriété d’une société canadienne et la participation au sein de cette société est importante aux fins de l’évaluation de l’admissibilité d’une personne. Il est bien connu que le trafic de stupéfiants est associé au financement du terrorisme, selon de l’information de sources ouvertes : voir https://www.unodc.org/unodc/en/frontpage/drug-trafiicking-and-the-financing-of-terrorism.html, ou https://iranuprisingorg.wordpress.com/2021/06/02/iran-regime-uses-drugs-to-fund-terrorism/. [Non souligné dans l’original.]

[32] Même si, selon l’agent, la communication de toute l’information concernant les intérêts commerciaux est essentielle aux fins de l’évaluation de l’admissibilité d’une personne, la Cour ne peut conclure qu’il n’aurait pas tiré une conclusion différente s’il avait été informé de la prétendue erreur sur la personne de l’associé du demandeur dans la société canadienne. Cela est particulièrement vrai compte tenu des commentaires de l’agent au sujet des produits du trafic de stupéfiants utilisés pour financer le terrorisme. L’agent aurait dû communiquer au demandeur les renseignements reçus du CANAFE et lui donner la possibilité d’y répondre.

[33] Ensuite, le demandeur se plaint que, même si la lettre d’équité procédurale renvoyait à des renseignements sur l’ambassade de Lituanie et à un article sur Yas Air, elle ne renvoyait à aucun autre document pertinent concernant les allégations au sujet des liens qu’il entretenait avec Yas Air. Cependant, dans la décision, l’agent s’appuie sur une recherche Internet à propos de l’agence de voyages du demandeur et conclut qu’elle était liée à Yasinbooking.com, ce qui lui a permis de conclure que Yas Air et l’agence de voyages étaient une seule et même entreprise. L’agent a affirmé ce qui suit :

[traduction]
Lorsque l’on fait une recherche sur l’agence de voyages Yas Seir Sanabad Toos sur Internet, on trouve le site Yasinbooking.com https://domainbigdata.com/yasinbooking.com. Yasinbooking.com est un site de recherche de vols de Yas Toos (compagnie aérienne), mais il ne contient aucune introduction ni aucune autre information sur la société pour le moment. Il s’agit du site que l’on trouve lorsque l’on fait une recherche sur Yas Toos Airlines ou Yas Air, lesquelles sont une seule et même entreprise (toutes deux constituées en société en 2008 et dont le site Web est https://yasinbooking.com). Le groupe Yasin est répertorié comme étant le propriétaire du site Web de l’entreprise Yas Toos Airlines : https://yasinbooking.com, également connue sous le nom de Yas Air. L’agence de voyages Yas Seir Sanabad Toos semble donc appartenir au groupe Yasin, tout comme Yas Air, et partage le même domaine Internet. Il se pourrait donc qu’il s’agisse de la même entreprise.

[34] L’agent s’appuie en outre sur la recherche Internet pour étayer le fait que le demandeur était très probablement membre du conseil d’administration de Yas Air en 2014 et qu’il était donc affilié à la Brigade Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique. Il a déclaré ceci :

[traduction]
Je conclus que le demandeur est interdit de territoire au Canada au titre de l’alinéa 34(1)f) ou de l’alinéa 34(1)c) de la LIPR parce qu’il est membre du groupe Yasin, propriétaire de Yas Toos Airlines (ou de Yas Air), et qu’il était très probablement membre du conseil d’administration de Yar Air en 2014, car il est peu probable que l’Agence de presse de la République islamique ait confondu l’une de ses principales compagnies aériennes avec une agence de voyages (à moins qu’il ne s’agisse d’une seule et même entreprise, ce qui peut très bien être le cas, car elles partagent le même domaine Internet). Yas Air est affilié à la Brigade Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI). [Non souligné dans l’original.]

[35] En réponse, le défendeur fait remarquer à juste titre que la lettre d’équité procédurale envoyée au demandeur faisait état des préoccupations de l’agent concernant les liens du demandeur avec Yas Air, Yas Toos Airlines et le groupe de sociétés Yasin, qui est le propriétaire de Yas Air.

[36] Le défendeur soutient en outre que les conclusions de l’agent étaient fondées sur des renseignements de source ouverte provenant d’Internet et facilement accessibles au public. Il renvoie aux décisions Sinnasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 67 [Sinnasamy], aux paragraphes 39 et 40, et Pizarro Gutierrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 623 [Pizarro Gutierrez], au paragraphe 46, pour étayer la proposition selon laquelle les documents accessibles au public ne sont pas considérés comme des éléments de preuve extrinsèques.

[37] Je conviens avec le demandeur que ces deux décisions se distinguent de l’espèce. Dans les affaires Sinnasamy et Pizarro Gutierrez, les documents en cause étaient des documents généraux sur la situation dans le pays. Aux paragraphes 37 et 38 de la décision Begum c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 824, la Cour a conclu qu’il existe une différence importante entre le fait de se fonder sur des documents sur la situation dans un pays qui n’ont pas été communiqués et d’autres recherches sur Internet :

[...] Je ne peux être d’accord avec le défendeur et conclure que ces renseignements ne constituent pas des éléments de preuve extrinsèque uniquement parce qu’ils sont affichés publiquement sur Internet. La preuve extrinsèqu[e], dans le cadre d’une décision visant une demande CH, est une preuve qui ne fait partie ni des observations du demandeur ni du dossier d’immigration du défendeur concernant le demandeur ou du dossier communiqué du tribunal, qui inclut les cartables nationaux de documentation (CND) disponibles en ligne, dont il sera plus tard question.

L’Internet donne accès instantanément à une vaste quantité de renseignements sur n’importe quel sujet. Certains sont exacts, d’autres non. À mon avis, même si les renseignements n’étaient pas considérés comme étant extrinsèques parce qu’ils se trouvent sur Internet, il faudrait aussi qu’il y ait un lien évident avec eux, et avec l’utilisation que l’agent entend en faire, au point où le demandeur pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient consultés et utilisés dans le contexte de la décision précise que l’agent doit prendre. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire.

[38] En l’espèce, l’agent a utilisé des renseignements que le demandeur ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce qu’il consulte et utilise pour rendre une décision à l’égard de sa demande de résidence permanente. Cela comprend la recherche Internet effectuée sur l’agence de voyages, laquelle a révélé un lien vers le site yasinbookings.com, le rapport de l’ASFC et les allégations concernant une accusation de contrebande de drogues contre le partenaire du demandeur.

[39] Pour ces motifs, je conclus que le droit du demandeur à l’équité procédurale a été violé, que la décision doit être annulée et que la demande doit être examinée à nouveau par un autre agent. Je tire cette conclusion malgré le fait qu’il existe de sérieuses préoccupations quant aux intérêts et aux antécédents du demandeur qui sont divulgués dans le dossier. Ces préoccupations ne l’emportent cependant pas sur le droit du demandeur d’être traité équitablement dans le cadre du processus décisionnel.

[40] Aucune question à certifier n’a été proposée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-5662-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant : La demande est accueillie, la décision de rejeter la demande de résidence permanente est annulée, la demande sera examinée par un autre agent et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5662-21

 

INTITULÉ :

MOHSEN KARIMI TABASI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 28 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Lorne Waldman, CM

 

Pour le demandeur

 

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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