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Date : 20221125


Dossier : IMM-4801-21

Référence : 2022 CF 1626

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2022

En présence de madame la juge Sadrehashemi

ENTRE :

MUTHANA ABDULZA ATI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] Le demandeur, Muthana Abdulza Ati (M. Ati), est citoyen de l’Iraq. Il est arrivé au Canada il y a plus de 20 ans et a obtenu l’asile. Il est ensuite devenu résident permanent du Canada. En juin 2021, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a accueilli la demande de constat de perte de l’asile de M. Ati, conformément à l’alinéa 108(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR], présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration parce qu’elle a conclu que M. Ati s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection de l’Iraq [la décision portant perte d’asile]. Les répercussions de la décision portant perte d’asile sont importantes pour M. Ati : il a perdu à la fois son statut de réfugié et son statut de résident permanent. Il conteste la décision portant perte d’asile dans le présent contrôle judiciaire.

[2] Monsieur Ati avance trois arguments dans le cadre du contrôle judiciaire. Premièrement, il soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de chercher à savoir si le ministre avait établi qu’il s’était réclamé de nouveau de la protection de l’Iraq suivant l’alinéa 108(1)a) de la LIPR. Monsieur Ati affirme que la SPR n’a pas tenu compte des raisons qu’il avait fournies pour justifier ses voyages en Iraq. De plus, il soutient que l’évaluation faite par la SPR est incompatible avec les directives formulées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Camayo], et en particulier avec l’obligation d’examiner son intention subjective de se réclamer de nouveau de la protection de son pays de nationalité. Je ne suis pas d’avis que la SPR n’a pas pris en considération les facteurs pertinents énoncés dans l’arrêt Camayo. Je ne crois pas non plus que la SPR n’a pas examiné la preuve présentée par M. Ati, y compris ses explications concernant ses voyages en Iraq.

[3] Deuxièmement, M. Ati soutient que la SPR a manqué à l’équité procédurale parce qu’elle a conclu qu’il n’avait fait aucun effort pour se marier dans un tiers pays ni pour organiser les visites familiales ou la naissance de ses enfants à l’extérieur de l’Iraq, sans d’abord le prévenir à l’audience qu’elle tirerait ces conclusions. J’estime qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale. À l’audience devant la SPR, M. Ati a déclaré que sa présence était nécessaire en Iraq, mais il n’a pas fourni de renseignements pour expliquer pourquoi sa présence dans un pays tiers n’était pas envisageable. Quoi qu’il en soit, dans ses observations finales, le conseil du ministre a soulevé le fait que M. Ati n’avait rien dit au sujet de la possibilité qu’il se marie et rende visite à sa famille dans un pays tiers, sans que l’avocat de M. Ati s’y oppose. De plus, cette conclusion ne constitue pas un motif important sur lequel la SPR fait reposer sa décision.

[4] Enfin, M. Ati soutient que la SPR a commis une erreur dans le traitement de sa demande en vue de surseoir à statuer sur la demande de constat de perte de l’asile qu’il avait présentée pour cause d’abus de procédure, parce que le ministre a mis six ans pour présenter sa demande à la SPR. Je ne suis pas de cet avis. Compte tenu des éléments de preuve et des arguments limités qui ont été présentés à la SPR sur ce point, je ne vois aucun motif de modifier sa conclusion selon laquelle M. Ati n’a pas établi l’existence d’un abus de procédure qui commandait un tel sursis.

[5] Pour les motifs énoncés ci-après, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II. Le contexte

[6] Monsieur Ati est un citoyen de l’Iraq. Le 5 décembre 2001, la SPR a accueilli sa demande d’asile. Elle ne dispose plus du dossier relatif à sa demande d’asile. Monsieur Ati, a déclaré qu’il avait fondé sa demande d’asile sur sa crainte de Saddam Hussein, l’ancien dictateur de l’Iraq qui a été destitué en 2003 et exécuté en 2006.

[7] Monsieur Ati est devenu résident permanent du Canada en mai 2003. En 2008, il a obtenu un titre de voyage pour réfugié du Canada, qui lui permettait de faire des voyages à l’étranger, à l’exception de l’Iraq. Il a également demandé et obtenu un passeport iraqien. Il s’en est servi pour se rendre en Iraq et pour se déplacer dans différentes régions du pays. Il a voyagé en Iraq muni de son passeport iraqien au moins dix fois entre 2008 et 2016, plusieurs fois pour de longs séjours. Il s’est également rendu en Syrie, en Iran et en Jordanie muni de ce même passeport. Au cours de cette période, il a épousé sa femme en Iraq et était présent pour la naissance de deux de ses enfants dans ce pays. À au moins trois reprises, des représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] ont interrogé M. Ati à l’aéroport au sujet de ses voyages en Iraq.

[8] Il a présenté une demande de parrainage pour son épouse et ses deux enfants, qui sont devenus résidents permanents du Canada en avril 2013. Son troisième et plus jeune enfant est né au Canada.

[9] Monsieur Ati a présenté une demande de renouvellement de sa carte de résident permanent en 2013. Dans son formulaire de demande, il a divulgué ses jours d’absence du Canada, sans toutefois y indiquer qu’il se trouvait en Iraq pendant certaines de ces absences. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a fini par renouveler la carte de résident permanent de M. Ati en 2014 et l’a informé que son dossier avait été déféré aux fins d’examen en vue d’un possible constat de perte de l’asile. À la suite de ce renvoi, M. Ati est retourné en Iraq au moins une fois.

[10] En avril 2015, il a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Sur son formulaire de demande de citoyenneté, M. Ati n’a pas indiqué qu’il se trouvait en Iraq pendant certains de ses jours d’absence du Canada.

[11] En avril 2020, le ministre a présenté une demande de constat de perte de l’asile à M. Ati. Le 18 juin 2021, la SPR a entendu la demande et l’a accueillie dans une décision écrite datée du 29 juin 2021.

III. Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[12] Monsieur Ati soulève trois points distincts dans sa demande de contrôle judiciaire : i) la décision de la SPR quant au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays; ii) l’équité procédurale à l’audience devant la SPR, et iii) l’abus de procédure.

[13] S’agissant de l’équité procédurale, les deux parties conviennent que la présomption générale de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne s’applique pas (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 77). La question à laquelle je dois répondre est celle de savoir si la procédure était équitable au regard des circonstances (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54). Quant à la décision relative au fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays, la présomption générale s’applique et j’examinerai la décision de la SPR selon la norme de la décision raisonnable.

[14] Les deux parties disent dans leurs observations écrites que je devrais examiner la question de l’abus de procédure selon la norme de la décision correcte. Aucune d’elles n’a présenté d’observations ou d’arguments détaillés sur ce point. Je souligne que la Cour a adopté des points de vue différents sur cette question (voir par exemple : Chabanov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2017 CF 73 au para 23, et Pavicevic c Canada (Procureur général), 2013 CF 997 au para 29, comparativement à Cerna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 973 aux paras 27-33, et Akram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2021 CF 1024 au para 18).

[15] Je n’ai pas à trancher cette question compte tenu des observations limitées qui ont été présentées et du fait qu’à mon avis le résultat serait le même, peu importe la norme que j’applique. Comme je l’explique plus loin, j’estime que M. Ati n’a pas prouvé l’existence d’un abus de procédure qui commande de surseoir à statuer sur la demande de constat de la perte de l’asile. J’estime également que l’examen de cette question effectué par la SPR est raisonnable.

IV. Analyse

[16] Un constat de perte d’asile au titre de l’article 108 de la LIPR emporte de graves conséquences, notamment la perte du statut de réfugié, la perte du statut de résident permanent, l’incapacité de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi ou une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire dans l’année suivant la décision prise sur ce constat, et le renvoi du Canada « dès que possible » (LIPR, art 25(1.2)c)(i), 46(1)c.1), 48(2), 63(3), 101(1)b), 108(3), 112(2)b.1)). La gravité de ces conséquences accroît le devoir de la SPR d’expliquer sa décision à la personne concernée (Camayo, au para 51; Vavilov, aux para 133-135).

A. L’arrêt Camayo est pertinent

[17] Juste avant la présente audition de la demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a prononcé l’arrêt Camayo. Avant l’audience, j’ai émis une directive disant aux parties que je voulais les entendre sur la pertinence de l’arrêt Camayo.

[18] Selon les défendeurs, l’arrêt Camayo n’est pas pertinent parce que i) la SPR a rendu sa décision avant que la Cour d’appel fédérale ne prononce son arrêt Camayo; ii) l’arrêt Camayo est susceptible d’être porté en appel parce qu’il présente des incohérences internes et des erreurs factuelles; et iii) les faits dans l’affaire Camayo se distinguent de ceux de l’espèce.

[19] Je ne suis pas d’accord pour dire que l’arrêt Camayo n’est pas pertinent en l’espèce. Même si la SPR ne disposait pas des directives données par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Camayo, je suis liée par cet arrêt et je dois en tenir compte dans mon examen de l’analyse des motifs de la SPR quant à la perte de l’asile. Je tiens également à faire remarquer que notre Cour a tenu compte de l’arrêt Camayo dans plusieurs contrôles judiciaires où elle a examiné le caractère raisonnable de décisions que la SPR avait rendues avant que la Cour d’appel fédérale ne prononce son arrêt Camayo (voir par exemple : Hamid v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2022 FC 1541 au para 12 [Hamid]; Caballero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2022 CF 1143 aux para 14, 35; et Singh v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2022 FC 1481 au para 30 [Singh]). S’agissant du deuxième point des défendeurs, l’arrêt Camayo n’a en réalité pas été porté en appel, mais quoi qu’il en soit je demeure liée par les arrêts de la Cour d’appel fédérale, à moins qu’ils ne soient infirmés. Quant au dernier point soulevé par les défendeurs, les directives générales énoncées dans l’arrêt Camayo au sujet des facteurs à prendre en considération dans les demandes de constat de perte de l’asile fondées sur le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays s’appliquent, peu importe les distinctions factuelles entre l’affaire Camayo et la présente affaire.

[20] De plus, je fais miennes les récentes observations que la juge Go a formulées au paragraphe 14 de la décision Hamid en ce qui a trait aux répercussions de l’arrêt Camayo :

[…] [L]’arrêt Camayo représente un développement considérable du droit relatif aux constats de perte de l’asile, car il établit un ensemble de facteurs clairement énoncés, quoique non exhaustifs, que les décideurs doivent évaluer pour déterminer si une personne s’est réclamée de nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité et si cette présomption peut être réfutée.

[21] Pour ce motif, j’examinerai les questions en litige soulevées dans le présent contrôle judiciaire en tenant compte de l’arrêt Camayo.

B. La conclusion concernant le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays est raisonnable

[22] Comme dans l’affaire Camayo, la présente affaire concerne une personne protégée qui a obtenu un passeport délivré par son pays de nationalité et qui s’en est servi pour s’y rendre. Lorsque ce motif est invoqué dans une demande visant à mettre fin au statut de personne protégée en application de l’alinéa 108(1)a), il existe une présomption selon laquelle la personne protégée a eu l’intention de se réclamer de la protection de son pays de nationalité (Camayo, au para 63). Il incombe à la personne protégée de réfuter la présomption (Camayo, aux paras 65-66). La SPR doit effectuer une évaluation individualisée de la preuve, y compris les « éléments de preuve produits par la personne protégée quant à l’intention subjective qu’elle avait lorsqu’elle a obtenu le passeport de son pays de nationalité et lorsqu’elle s’est rendue dans ce pays munie de ce passeport » (Singh, au para 27, citant Camayo, aux paras 65-66).

[23] Sur ce point, M. Ati avance deux arguments. Premièrement, il soutient que la SPR n’a pas examiné les motifs qu’il a fournis pour expliquer la nécessité de son voyage en Iraq. Deuxièmement, il soutient que la décision de la SPR est incompatible avec l’arrêt Camayo parce que la SPR n’a pas tenu compte de son intention subjective de voyager en Iraq avec son passeport iraqien et, plus précisément, de sa compréhension de la portée de ses actes.

[24] L’argument de M. Ati selon lequel la SPR n’a pas pris en considération les explications qui justifiaient la nécessité de son voyage en Iraq n’est pas fondé. Dans sa décision, la SPR a examiné les diverses explications du demandeur. Elle a souligné les incohérences relevées dans le témoignage de par M. Ati au sujet de la santé de sa mère ainsi que l’absence d’éléments de preuve corroborants et pertinents à l’appui de ses explications. La SPR a également examiné les autres raisons qu’il avait invoquées pour justifier son voyage, y compris son mariage et ses enfants. Elle a estimé qu’il avait manqué de franchise quant à ses voyages en Iraq dans ses demandes de renouvellement de la carte de résident permanent et de citoyenneté canadienne. De plus, relativement au besoin de M. Ati d’être en Iraq avec sa famille et non dans un pays tiers, la SPR a tenu compte du fait qu’il avait affirmé qu’il était riche et qu’il était en mesure de mener ses affaires à partir de n’importe où dans le monde. La SPR a aussi pris en considération la fréquence et la durée de ses voyages en Iraq. En somme, elle a effectué une évaluation individualisée de la preuve, car elle a examiné et soupesé bon nombre des facteurs non exhaustifs énoncés au paragraphe 84 de l’arrêt Camayo. Rien ne me permet de conclure que la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve que M. Ati avait présentés pour justifier la nécessité de son voyage en Iraq.

[25] S’agissant de l’intention subjective de M. Ati et de sa compréhension des conséquences, la SPR a conclu que M. Ati avait voyagé en Iraq avec son passeport iraqien « en sachant très bien que, s’il retournait en Iraq à l’aide d’un passeport iraqien, il risquait de perdre son statut au Canada ». Monsieur Ati ne conteste pas cette conclusion de manière précise et ne mentionne aucun élément de preuve au dossier pour la remettre en question. Il lui incombe de démontrer que « la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Il ne s’est pas acquitté de son fardeau.

[26] J’ai examiné la transcription de l’enregistrement de l’audience devant la SPR, le dossier qui lui a été présenté ainsi que sa décision et ses motifs. Compte tenu du dossier dont elle disposait, rien ne me permet de conclure qu’elle n’a pas effectué une évaluation individualisée ou qu’elle n’a pas tenu compte de l’un ou l’autre des facteurs pertinents énoncés au paragraphe 84 de l’arrêt Camayo.

C. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[27] Monsieur Ati conteste la conclusion de la SPR selon laquelle il n’a présenté aucun élément de preuve pour justifier qu’il était impossible pour lui de se marier ou de rendre visite à sa famille dans un pays tiers. Il soutient que, si la SPR voulait se fonder sur l’absence de preuve, elle devait d’abord lui demander pourquoi il n’avait rien produit à ce sujet. J’estime que la SPR n’a pas manqué à l’équité procédurale dans les circonstances de la présente affaire. Monsieur Ati tentait de réfuter la présomption selon laquelle il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de l’Iraq parce qu’il s’y était rendu de nombreuses fois et pour de longs séjours. Il tentait d’établir que ces voyages étaient nécessaires. La SPR n’a pas manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle a fait remarquer que M. Ati n’avait présenté aucun élément de preuve pour expliquer pourquoi certaines de ses activités n’auraient pas pu avoir lieu dans un pays tiers. Elle a fait cette remarque parce qu’elle était tenue de se demander précisément si les voyages avaient été nécessaires, et M. Ati n’aurait pas dû s’en étonner. Quoi qu’il en soit, cette conclusion était un élément mineur dans l’évaluation de la preuve faite par la SPR et ne peut servir de fondement pour annuler la décision.

D. Le demandeur n’a pas établi qu’il y avait eu abus de procédure

[28] À l’audition de la demande de contrôle judiciaire, M. Ati a retiré l’argument qu’il avait présenté dans ses observations écrites au sujet de l’abus de procédure et de la règle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Ses autres arguments relatifs à l’abus de procédure se limitent à la lenteur du ministre à présenter la demande de constat de perte de l’asile.

[29] Monsieur Ati soutient que la SPR aurait dû surseoir à statuer sur la demande de constat de perte de l’asile en raison des six années qui s’étaient écoulées avant que le ministre ne présente la demande. Monsieur Ati calcule ce temps à partir d’octobre 2014, date à laquelle IRCC a renvoyé son dossier au ministre en vue d’un possible constat de la perte de l’asile, jusqu’en avril 2020, date à laquelle le ministre a présenté la demande de constat de perte de l’asile à la SPR. Lorsqu’il a présenté la demande de sursis, l’avocat de M. Ati a invoqué la décision Godinez Ovalle c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 935, de notre Cour, qui portait sur la suspension du traitement de la demande de citoyenneté pendant que le ministre enquêtait sur une éventuelle perte de l’asile du demandeur. Je fais remarquer qu’en l’espèce, le demandeur ne s’adresse pas à la Cour pour que le ministre soit tenu de traiter sa demande de citoyenneté, il fait plutôt valoir que la SPR doit surseoir à statuer sur la demande de constat de perte de l’asile en raison de la lenteur du ministre à la présenter.

[30] Au paragraphe 101 de l’arrêt Law Society of Saskatchewan c Abrametz, 2022 CSC 29, la Cour suprême du Canada a conclu que dans les cas où un délai, dans le contexte administratif, n’a pas eu d’incidence sur le caractère équitable d’une audience, l’analyse permettant de déterminer si ce délai constitue un abus de procédure comporte trois volets :

  1. Premièrement, le délai doit être excessif. Cette détermination se fait en appréciant le contexte dans son ensemble, y compris la nature et l’objet des procédures, la longueur et les causes du délai ainsi que la complexité des faits de l’affaire et des questions en litige.

  2. Deuxièmement, le délai lui-même doit avoir causé un préjudice important.

  3. Lorsque ces deux conditions sont réunies, le tribunal judiciaire ou administratif doit procéder à une évaluation finale afin de déterminer si l’abus de procédure a été établi. L’abus de procédure est établi si le délai est manifestement injuste envers une partie ou s’il déconsidère d’une autre manière l’administration de la justice.

[31] La SPR n’a pas conclu que le laps de temps avait été excessif. Elle a estimé que M. Ati avait contribué à la lenteur parce qu’il avait fait des déclarations inexactes au sujet du temps qu’il avait passé en Iraq, tant dans sa demande de renouvellement de la carte de résident permanent que dans sa demande de citoyenneté. Lors du contrôle judiciaire, M. Ati n’a pas contesté cette conclusion précise selon laquelle il avait contribué à la lenteur.

[32] La conclusion de la SPR sur l’argument relatif à l’abus de procédure doit être interprétée dans le contexte des observations et de la preuve dont elle disposait sur ce point. L’argument de M. Ati quant à l’abus de procédure a été soulevé pour la première fois à l’audience devant la SPR lors de la plaidoirie de son avocat, et après celle du conseil du ministre. Rien ne laissait présager que M. Ati soulèverait ce point à l’audience. Monsieur Ati n’a fourni aucun élément de preuve au sujet du préjudice qu’il a subi en raison de la lenteur du ministre à présenter la demande de constat de perte de l’asile.

[33] Dans ces circonstances, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la SPR quant à l’abus de procédure.

V. Conclusion

[34] Pour les raisons qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n’a formulé de question grave de portée générale, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-4801-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Lobat Sadrehashemi »

Juge

Traduction certifiée conforme

L. Brisebois


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4801-21

 

INTITULÉ :

MUTHANA ABDULAZA ATI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET AUTRE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 avril 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SADREHASHEMI

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 25 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

John Rokakis

 

POUR LE DEMANDEUR

Hillary Adams

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JOHN ROKAKIS

Avocat

Windsor (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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