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Date : 20221201


Dossier : IMM-6851-21

Référence : 2022 CF 1655

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

MAHMMUD ABU AL-HALAWA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Mahmmud Abu Al-Halawa, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 14 septembre 2021, par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle il n’a ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] Le demandeur soutient que la SAR n’a pas apprécié la preuve correctement et qu’il était déraisonnable de sa part de maintenir la conclusion de la SPR selon laquelle il n’avait pas réussi à démontrer que sa conversion au christianisme était authentique et sincère.

[3] Pour les motifs qui suivent, je juge que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. Faits

A. Le demandeur

[4] Le demandeur est un citoyen de la Jordanie âgé de 29 ans. Il a été élevé dans la foi musulmane.

[5] En juin 2018, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un visa d’étudiant afin de poursuivre des études au Collège Georgian de Barrie, en Ontario. Il affirme que pendant son séjour à Barrie, d’autres étudiants jordaniens chrétiens l’ont initié au christianisme.

[6] Plus tard cette année-là, le demandeur a déménagé à Ajax, en Ontario. En novembre 2018, le demandeur a rencontré Maryet, une Égyptienne membre de l’église copte, qui lui a longuement parlé du christianisme.

[7] Dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), le demandeur a déclaré que Maryet l’avait invité à assister à un service religieux copte avec elle. Devant la SPR, le demandeur a d’abord déclaré qu’il avait assisté seul au service religieux copte, mais il a par la suite déclaré que Maryet lui avait parlé de l’église et qu’elle lui avait dit d’y assister.

[8] En février 2019, le demandeur a déménagé à Mississauga, en Ontario, et se serait joint à l’église New Life Kingdom de Brampton, en Ontario. Il affirme avoir demandé au prêtre de l’église de l’aider à se convertir au christianisme et avoir continué à assister à des cérémonies religieuses et à se renseigner sur le christianisme. Il ajoute qu’il a été baptisé le 22 novembre 2020 et qu’il a fourni une copie de son certificat de baptême à la SPR.

[9] Le demandeur affirme qu’en raison de sa conversion au christianisme, il serait considéré comme un apostat selon la charia en Jordanie et qu’il serait victime de violence.

B. La décision de la SPR

[10] La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur et a conclu que la preuve présentée pour démontrer que sa conversion au christianisme est authentique manquait de crédibilité.

1) L’initiation au christianisme

[11] La SPR a relevé une contradiction entre le témoignage du demandeur et la preuve écrite concernant son amie Maryet. Dans son exposé du formulaire FDA, le demandeur a déclaré que Maryet l’avait emmené à un service religieux copte, mais il a par la suite déclaré à la SPR qu’il y avait assisté seul. Le demandeur n’a pas fourni d’explication raisonnable quant à cette contradiction.

[12] La SPR a souligné que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve pour corroborer l’allégation selon laquelle trois amis de Barrie l’avaient initié au christianisme. La SPR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur fasse des efforts pour obtenir des éléments de preuve et les lui présenter afin d’appuyer sa demande d’asile. Elle a jugé que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait été initié au christianisme par trois amis d’école à son arrivée au Canada.

2) L’appartenance à une église chrétienne

[13] Bien que le demandeur ait déclaré dans son témoignage qu’il était membre de l’église New Life Kingdom depuis février 2019, qu’il avait rencontré virtuellement des membres de l’église et qu’il en connaissait certains personnellement, il n’a fourni aucune preuve pour corroborer ces activités, aucun témoignage d’autres membres, aucune lettre d’appui du pasteur de l’église et n’a démontré aucun effort pour obtenir de tels éléments de preuve. Comme l’appartenance du demandeur à une église au Canada est un aspect central de sa demande, la SPR a tiré une conclusion défavorable en matière de crédibilité du fait que le demandeur n’a pas déployé ces efforts.

[14] Lorsqu’on lui a demandé à quelle confession appartient l’église New Life Kingdom, le demandeur a répondu qu’il s’agissait d’une église anglicane. Son conseil a effectué une recherche sur l’église New Life Kingdom dans Google et a constaté qu’il n’était indiqué nulle part sur la page Web de l’église qu’il s’agissait d’une église anglicane. Le demandeur a déclaré qu’il savait qu’il s’agit d’une église anglicane parce qu’elle ne relève pas de l’autorité du pape. La SPR a rejeté cette explication et a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur connaisse ce détail s’il était membre depuis février 2019.

3) La connaissance du christianisme

[15] Lorsque le demandeur a été interrogé sur sa connaissance du christianisme, la SPR a noté qu’il n’avait pas répondu à deux questions concernant la prière la plus importante pour les chrétiens et le jour où Jésus a été crucifié. La SPR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’après avoir allégué qu’il était un chrétien pratiquant et membre d’une église depuis deux ans, le demandeur soit en mesure de répondre correctement à ces questions. Comme ce n’était pas le cas, la SPR a conclu qu’il n’avait pas démontré que sa foi religieuse était authentique.

[16] Citant la décision Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1139 (« Gao »), où la Cour a déclaré que la SPR n’était « pas obligée de s’en remettre à l’opinion d’un pasteur et d’accepter un certificat de baptême sans se poser de question » (au para 21), cette dernière a conclu que le certificat de baptême présenté par le demandeur n’était pas suffisant pour dissiper les doutes quant à l’authenticité de sa conversion au christianisme.

[17] La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré qu’il s’était véritablement converti au christianisme et qu’il n’était donc pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Le demandeur a interjeté appel de cette décision devant la SAR.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[18] Dans une décision datée du 14 septembre 2021, la SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR. Après avoir effectué sa propre analyse de la preuve du demandeur et écouté l’enregistrement de l’audience tenue devant la SPR, la SAR a conclu ce qui suit au sujet de la demande d’asile du demandeur :

L’appelant peut avoir assisté à des messes chrétiennes, mais il n’est pas un chrétien converti au vrai sens du terme. Il s’est plutôt accroché au christianisme comme moyen de bâtir un exposé circonstancié quant aux raisons pour lesquelles il risque d’être persécuté s’il retourne en Jordanie. Il s’agit d’un effort qui n’est ni sincère ni authentique de la part de l’appelant pour tenter de prouver qu’il a renoncé à l’islam.

[19] La SAR a conclu que le demandeur avait fourni peu d’éléments de preuve pour démontrer la portée de son engagement auprès de l’église New Life Kingdom, faisant observer qu’il s’était fait baptiser seulement deux mois avant l’audience devant la SPR et 30 mois après son arrivée au Canada. Elle a déclaré que le baptême du demandeur et son association avec l’église « n’étaient rien d’autre qu’un stratagème conçu pour appuyer son affirmation selon laquelle il ferait l’objet de persécution du fait de sa religion s’il retournait en Jordanie ».

[20] La SAR a également souligné que rien ne démontrait que le demandeur a partagé des renseignements concernant sa conversion au christianisme avec des amis ou des membres de sa famille vivant en Jordanie. Il n’y a donc aucun fondement à l’affirmation selon laquelle ses croyances religieuses seraient une chose connue et pourraient l’exposer à des agressions.

[21] La SAR a jugé que le demandeur avait soulevé une préoccupation valable quant aux questions posées par la SPR au sujet des préceptes fondamentaux du christianisme. La SAR a souscrit à l’opinion du demandeur selon laquelle « [l]’évaluation de la crédibilité ne devrait pas se réduire à un jeu de questions futiles au sujet de la religion » et a jugé que, par conséquent, les réponses du demandeur à ces questions n’avaient aucune incidence sur sa crédibilité.

[22] Bien que l’absence d’éléments de preuve corroborants à l’appui du témoignage d’un demandeur d’asile ne soit généralement pas un motif suffisant pour tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité, la SAR a conclu qu’il était essentiel, dans cette affaire, de présenter des éléments preuve corroborants pour confirmer que la conversion du demandeur au christianisme était authentique. Un certificat de baptême montre seulement qu’un certificat a été délivré dans une église, et non que le demandeur est un véritable chrétien. La SAR a cité la jurisprudence de la Cour, qui établit que le défaut de fournir des éléments de preuve corroborants peut être pris en compte lorsqu’il existe des raisons sérieuses de mettre en doute la crédibilité du demandeur d’asile ou lorsque sont rejetées les raisons données par le demandeur pour expliquer pourquoi il n’a pas produit d’éléments de preuve alors qu’il était raisonnable de s’attendre à ce qu’il le fasse : Radics c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 110, et Rojas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 849. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle l’absence d’éléments de preuve corroborants est pertinente dans la cause du demandeur et mine la crédibilité de sa demande d’asile.

[23] La SAR a finalement conclu que le demandeur n’avait pas établi que son baptême traduisait un engagement sincère et authentique à pratiquer la foi chrétienne et, par conséquent, qu’il serait persécuté en Jordanie en raison de ses activités religieuses au Canada. Elle a donc rejeté l’appel du demandeur.

III. Question préliminaire

[24] L’intitulé indique que le défendeur est le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Je souligne que le défendeur en l’espèce devrait être le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (LIPR, art 4(1); Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, art 5(2)). L’intitulé sera modifié, avec effet immédiat.

IV. Question en litige et norme de contrôle applicable

[25] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question, soit celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[26] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16, 17, 23-25 [Vavilov]). Je suis d’accord. Cela est compatible avec les évaluations que la Cour a faites des décisions de la SAR concernant l’authenticité des croyances religieuses : Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 546 au para 15; Gao, au para 14; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1541 au para 24.

[27] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle qui commande la retenue, mais elle est rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

V. Analyse

[28] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en confirmant la conclusion de la SPR selon laquelle il n’avait pas fourni d’éléments de preuve suffisants à l’appui de sa demande. Il fait valoir que la SPR s’est fondée sur une citation erronée de la décision Gao et que le juge Southcott n’a pas dit que la SPR ne devrait pas accepter le certificat de baptême sans se poser de question pour évaluer la crédibilité des croyances religieuses d’un demandeur. Il soutient que la SAR a commis une erreur ne se penchant pas sur l’interprétation erronée que la SPR a faite de la décision Gao.

[29] Le demandeur affirme que les faits exposés dans l’affaire Gao se distinguent également de l’espèce. Dans cette affaire, l’interrogatoire du demandeur n’était pas suffisamment solide pour convaincre le tribunal, ce qui n’est pas le cas dans l’affaire qui nous occupe. Le demandeur soutient que la SPR ne l’a pas interrogé sur sa relation avec le pasteur et qu’elle a donc conclu de manière déraisonnable que le certificat de baptême ne suffisait pas à établir ses allégations. Il prétend que la SPR a commis une erreur en [traduction] « effectuant son analyse à l’envers » et qu’elle s’est fondée sur d’autres éléments de preuve pour écarter un document corroborant.

[30] Le demandeur soutient que, lors de l’appel, la SAR a commis une erreur en ne remédiant pas à l’erreur que la SPR aurait commise et en préférant la preuve corroborante d’autres membres de la congrégation au certificat de baptême. Il déclare qu’il a fourni une explication raisonnable pour justifier le fait qu’il n’a présenté aucun document, soit qu’on ne lui a pas dit de produire ces éléments de preuve devant la SPR et qu’il n’a pas pensé lui-même à le faire.

[31] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que la preuve du demandeur était insuffisante pour établir sa conversion au christianisme, et que les motifs de la SAR découlent rationnellement de la preuve disponible. Il incombe au demandeur d’établir les éléments de sa demande d’asile, et la SPR est en droit de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur le fait que ce dernier n’a pas fait d’efforts pour obtenir des éléments de preuve corroborants; voir Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84 au para 32 (« Ismaili ») et Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 aux para 28-36.

[32] Le défendeur soutient que la SAR et la SPR ont raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas cherché à obtenir des éléments de preuve corroborants auprès de personnes qui, selon lui, jouent un rôle important dans son cheminement vers le christianisme. À l’encontre de l’argument du demandeur selon lequel il n’aurait pas dû être tenu de fournir de tels éléments de preuve, le défendeur fait remarquer que la Cour a rejeté cet argument dans la décision Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288 (« Ortiz Juarez ») au para 7.

[33] En ce qui concerne l’observation du demandeur selon laquelle la décision de la SAR est déraisonnable parce qu’elle n’a pas corrigé l’erreur de la SPR, qui a mal cité la décision Gao, le défendeur soutient que la SPR a correctement cité le paragraphe 21 de la décision, qui prévoit explicitement que « [l]a Commission n’[est] pas obligée de s’en remettre à l’opinion d’un pasteur et d’accepter un certificat de baptême sans se poser de question. » Le défendeur soutient que la Cour, dans la décision Gao, a finalement souscrit à la position selon laquelle la SPR n’est pas tenue d’accepter un certificat de baptême sans se poser de question.

[34] Le défendeur fait remarquer que le demandeur semble attaquer son ancien représentant en faisant valoir qu’il n’était pas au courant de son obligation de produire des éléments de preuve corroborants. Il ajoute que le demandeur n’a fourni aucun élément de preuve pour démontrer qu’il s’était conformé au Protocole concernant les allégations formulées contre les avocats ou contre d’autres représentants autorisés au cours des instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et de personnes à protéger avant de présenter ses observations, et qu’il n’avait pas avisé son ancien représentant de ces allégations, ce qui signifie que ses observations à l’encontre de son ancien représentant ne sont pas dûment présentées à la Cour.

[35] Je juge que le demandeur n’a pas établi l’existence d’une erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le demandeur n’a pas satisfait aux exigences en matière d’avis et qu’il n’a fourni aucun élément de preuve pour s’acquitter du fardeau de prouver une allégation formulée contre son ancien représentant. Cet argument en particulier ne sera donc pas examiné dans la présente analyse, et je me concentrerai sur les principaux arguments des parties concernant la valeur probante du certificat de baptême et l’absence d’éléments de preuve corroborants.

A. Le certificat de baptême

[36] Je conviens avec le défendeur que la SPR n’a pas commis d’erreur en se fondant sur la décision rendue par la Cour dans l’affaire Gao pour décider de n’accorder aucun poids au certificat de baptême. Je souligne que, bien que la citation attribuée à la décision Gao par la SPR soit un extrait direct du paragraphe 21, elle est prise hors contexte. La SPR associe le commentaire de la Cour concernant les certificats de baptême à une conclusion, mais il s’agit d’un résumé des observations du défendeur et non de la décision de la Cour sur ce point. Cela dit, dans la décision Gao, la Cour a finalement souscrit à l’observation du défendeur et a déclaré ceci :

[30] Dans ses observations, le demandeur indique avoir produit des éléments de preuve documentaire à l’appui de sa demande d’asile, notamment un certificat de baptême et des lettres de son église. La Commission a toutefois demandé au demandeur comment son pasteur avait pu conclure qu’il était chrétien. La Commission a examiné les réponses du demandeur et estimé que le pasteur avait posé des questions très simples et s’attendait à très peu en retour. La Commission n’a accordé aucun poids à cet élément de preuve, ce qui est conforme avec le raisonnement approuvé par la Cour dans la décision Cao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1174, au paragraphe 28 :

[28] Il ressort clairement des motifs du commissaire qu’il est arrivé à la conclusion que la foi du demandeur n’était pas authentique, et ce, malgré la preuve établissant que le demandeur avait, de façon régulière, fréquenté une église à Toronto et qu’il y avait été baptisé. Le demandeur affirme que le commissaire aurait dû faire preuve de retenue envers l’opinion du pasteur et n’aurait pas dû mettre en doute l’authenticité de sa foi vu le certificat de baptême. Ce serait alors remplacer l’examen de l’authenticité de la foi que le demandeur prétendait avoir, examen effectué par le commissaire et que le commissaire avait le devoir d’effectuer, par l’opinion du pasteur. Dans son ensemble, on ne peut dire que la décision était irrationnelle ou qu’elle n’était pas étayée par la preuve.

[37] La décision rendue par la Cour dans l’affaire Gao a confirmé que le certificat de baptême ne constituait pas une preuve suffisante de l’authenticité de l’adhésion d’un demandeur au christianisme, et la SPR n’a donc pas commis d’erreur en se fondant sur cette conclusion pour n’accorder aucun poids au certificat de baptême du demandeur. La décision de la SAR, quant à elle, a raisonnablement confirmé la conclusion de la SPR sur ce point, selon laquelle le certificat « n’établit pas que [le demandeur] a actuellement un attachement sincère au christianisme ».

[38] Je ne suis pas non plus d’accord avec le demandeur pour dire que les faits de l’affaire Gao se distinguent suffisamment de la présente affaire. Lorsque mon collègue le juge Southcott a conclu, dans l’affaire Gao, que l’évaluation de la preuve par la SPR était raisonnable, il s’est appuyé sur la décision Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1174 (« Cao »). Dans la décision Cao, la Cour a déclaré que le fait d’accepter le certificat de baptême sans se poser de question revenait à « remplacer l’examen de l’authenticité de la foi que le demandeur prétendait avoir, examen effectué par le commissaire et que le commissaire avait le devoir d’effectuer, par l’opinion du pasteur » (au para 28). La Cour ne dit pas que la valeur probante d’un certificat de baptême dépend de la preuve d’une conversation entre le demandeur d’asile et le pasteur. L’applicabilité de cette conclusion au cas du demandeur n’est pas modifiée par le fait que la SPR n’a pas interrogé le demandeur au sujet de sa relation avec le pasteur. La SPR s’est raisonnablement appuyée sur la conclusion de la Cour selon laquelle un certificat de baptême ne constitue pas une preuve de l’authenticité d’une croyance religieuse.

[39] Le demandeur n’a présenté aucune preuve d’une relation avec son pasteur ou d’une conversation au sujet de son baptême qui aurait pu établir un lien entre le certificat de baptême et l’authenticité de ses croyances chrétiennes. En l’absence de tout élément de preuve établissant ce lien, il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’elle ne pouvait accepter le certificat de baptême sans se poser de question, conformément à la jurisprudence. Le raisonnement de la SPR qui sous-tend sa décision de ne pas accorder de poids au certificat de baptême était intelligible et transparent (Vavilov, au para 15).

B. L’absence d’éléments de preuve corroborants

[40] La SAR a raisonnablement confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle l’absence d’éléments de preuve corroborants à l’appui de la demande d’asile du demandeur mine sa crédibilité. Bien que le manque de crédibilité ne puisse pas être le seul motif pour tirer des conclusions défavorables, la SPR a le droit d’exiger des éléments de preuve corroborants lorsqu’elle doute de la crédibilité d’un demandeur et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait certains éléments de preuve, mais que le demandeur ne donne pas d’explication raisonnable quant à la raison pour laquelle il n’en a pas produit (Ismaili, au para 36; Byaje c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 90 aux para 26-27; Ortiz Juarez, aux para 7-9; Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 12 au para 10; Dundar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1026 au para 22). Dans la décision Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452, le juge Rennie a confirmé que, bien qu’il « [soit] erroné de tirer une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité qui [est] uniquement fondée sur l’absence de preuves corroborantes », la SPR « peut [...] tirer une conclusion défavorable à l’égard du manquement à présenter des éléments de preuve corroborants auxquels elle pourrait raisonnablement s’attendre » « [s]i elle a une raison valable de douter de la crédibilité [du demandeur] » (aux para 6-7).

[41] Compte tenu des circonstances de l’espèce, il était raisonnable que la SPR s’attende à des éléments de preuve corroborants et qu’elle tire des conclusions défavorables du fait que le demandeur n’en a produit aucun et du fait qu’il n’a pas présenté d’explication raisonnable quant aux raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait. La SPR avait des raisons de douter de la crédibilité de la demande d’asile du demandeur et elle a expliqué ces raisons de manière intelligible dans sa décision, soulignant qu’il y avait une contradiction entre le témoignage du demandeur et sa preuve écrite. La SAR, après avoir effectué sa propre évaluation du dossier de preuve, a déclaré qu’elle ne croyait pas au récit du demandeur selon lequel il était un véritable chrétien converti.

[42] Il est également raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur fournisse des éléments de preuve corroborants, étant donné que sa demande repose sur le fait qu’il a été initié au christianisme par ses amis au Canada et qu’il continue de pratiquer le christianisme aux côtés des membres de son église. Le demandeur a déclaré qu’il y avait dans son téléphone des renseignements qui confirment que son amie Maryet lui avait parlé d’un service religieux copte, mais il n’a pas produit cet élément de preuve. Il a également déclaré qu’il était en contact avec d’autres membres de l’église New Life Kingdom, mais il n’a pas présenté d’éléments de preuve de ces membres pour le confirmer. En l’absence d’éléments de preuve corroborants provenant de l’une de ces personnes pour confirmer les éléments clés de sa demande, d’une preuve qu’il s’est efforcé d’obtenir de tels éléments, ou d’explications raisonnables quant aux raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait, l’authenticité de l’affirmation du demandeur selon laquelle il est un chrétien converti sincère est directement remise en question. Il est raisonnable que la SPR tire des conclusions défavorables de l’absence d’éléments de preuve corroborants et que la SAR confirme ces conclusions.

VI. Conclusion

[43] La décision de la SAR de maintenir la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas réussi à démontrer que sa conversion au christianisme était authentique et sincère est raisonnable au regard des principes établis dans l’arrêt Vavilov. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6851-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné à titre de défendeur, avec effet immédiat.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6851-21

 

INTITULÉ :

MAHMMUD ABU AL-HALAWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

John O. Grant

 

Pour le demandeur

 

Diane Gyimah

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John O. Grant

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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