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Date : 20221123


Dossier : IMM-1247-20

Référence : 2022 CF 1610

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

HOLANDA JEAN MICHEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’affaire

[1] Holanda Jean Michel [la demanderesse] sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 16 décembre 2019 par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La question déterminante selon la SPR était le risque éventuel et le profil sous-jacent de la demanderesse en tant que femme en Haïti.

[2] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne d’Haïti âgée de 30 ans. En mai 2016, elle a appris que son père, décédé en 2004, avait laissé un titre de propriété à son nom [le titre de propriété]. La tante de la demanderesse, Polonne, vivait dans la propriété en question, mais refusait de reconnaître le titre de propriété et a tenté de se l’approprier.

[4] Le 3 novembre 2016, après le retour de la demanderesse d’un voyage aux États-Unis, deux hommes armés ont attaqué cette dernière, ont volé ses bagages et son passeport, l’ont suivie jusque chez elle, ont pointé leurs fusils sur elle et son mari et ont crevé les pneus de leur véhicule. Le 5 décembre 2017, les agresseurs armés ont pénétré dans la maison de la demanderesse pour tenter de s’emparer du titre de propriété. Incapables de le trouver, les agresseurs ont volé plusieurs objets, ont violenté la demanderesse et son époux et ont menacé de revenir et de les tuer.

[5] Le jour suivant, la demanderesse a contacté Polonne, qui était davantage préoccupée par la question de savoir si elle avait vu le visage des agresseurs. La demanderesse a déposé une plainte devant la cour, mais cette dernière n’a pas été en mesure d’agir en l’absence de preuve quant à l’identité des agresseurs.

[6] La demanderesse et son époux ont emménagé avec la belle-mère de la demanderesse. La demanderesse a également changé son numéro de téléphone, puisqu’elle avait reçu des menaces à son ancien numéro de téléphone. Toutefois, elle a continué de recevoir des menaces à son nouveau numéro de téléphone, que Polonne était la seule à connaître.

[7] La demanderesse a décidé de retourner aux États-Unis le 24 janvier 2018. Elle en a informé Polonne, laquelle a tenté de la convaincre d’annuler ou de retarder son départ.

[8] Le 21 janvier 2018, la demanderesse et son époux sont retournés chez eux pour aller chercher leurs effets personnels en prévision de leur départ et ils y ont été agressés. Le jour suivant, l’époux de la demanderesse s’est rendu aux Cayes dans le cadre de son travail. Le soir même, les deux hommes armés se sont introduits dans la maison de la demanderesse, ont menacé de la tuer si elle ne renonçait pas au titre de propriété, et ont affirmé que Polonne leur avait versé 50 000 dollars haïtiens pour la tuer. La demanderesse a dit aux agresseurs que son époux serait de retour le lendemain et qu’il aurait le titre de propriété avec lui. Les agresseurs ont ensuite battu et violé la demanderesse, qui était enceinte à l’époque. Ils ont ensuite fui les lieux lorsqu’ils ont entendu l’arrivée d’une voiture, car ils croyaient qu’il s’agissait de la police, mais ont menacé la demanderesse qu’ils seraient de retour pour la tuer. L’époux de la demanderesse et son ami, un policier, se trouvaient dans la voiture en question. La demanderesse et son époux se sont cachés dans la maison de la tante maternelle de celle-ci, à Port-au-Prince.

[9] Le 24 janvier 2018, l’époux de la demanderesse et son ami policier ont conduit la demanderesse à l’aéroport pour son départ vers les États-Unis. L’époux de la demanderesse a fui vers Cuba, car il ne détenait pas de visa pour les États-Unis, et il se cache en ce moment en République dominicaine. Le 2 février 2018, la demanderesse est entrée au Canada et a présenté une demande d’asile.

III. La décision

[10] La SPR a conclu que la demanderesse ne s’exposait pas à un risque éventuel de persécution en raison du différend relatif au titre de propriété ou de son profil sous-jacent en tant que femme en Haïti.

[11] Selon la SPR, Polonne et les agresseurs n’auraient aucun motif de causer préjudice à la demanderesse si elle renonçait au titre de propriété. Étant donné que la question est liée à un litige relatif à un bien, il n’y avait aucun lien au regard de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. En ce qui concerne l’article 97 de la LIPR, la crainte de la demanderesse selon laquelle Polonne serait motivée à la tuer afin d’empêcher ses enfants d’engager des poursuites relevait de la conjecture, car elle n’avait pas d’enfants et ses futurs enfants n’auraient aucun recours juridique si elle cédait le titre de propriété à sa tante. L’affirmation de la demanderesse selon laquelle Polonne serait motivée à la tuer en raison de l’embarras occasionné par les événements relevait également de la conjecture.

[12] La SPR a ensuite examiné le risque auquel est exposée la demanderesse en tant que femme en Haïti, et a admis en preuve les renseignements contenus dans le cartable national de documentation [le CND], où il est indiqué que la violence faite aux femmes en Haïti est endémique. La SPR a fait remarquer que les femmes les plus jeunes et les plus âgées peuvent être particulièrement vulnérables à la violence fondée sur le genre et le sexe. Elle a également souligné que la violence fondée sur le genre et le sexe, en particulier, est répandue, chronique et systématique, et que l’État n’offre aucune protection aux femmes contre cette forme de violence. Elle a conclu, toutefois, que, même si la demanderesse a été « sévèrement battue et violée par les criminels que [Polonne] a[vait] recrutés », ses circonstances personnelles se distinguent des renseignements figurant dans le CND, et ce, pour différentes raisons :

  • 1)La demanderesse « peut bénéficier de la protection d’un homme » en Haïti si son époux quitte la République dominicaine pour retourner en Haïti. Cela est possible si elle renonce à son titre de propriété;

  • 2)Compte tenu de son expérience de travail et de son niveau de scolarité, notamment le fait qu’elle a terminé ses études secondaires et une année d’études collégiales, la demanderesse est bien placée pour obtenir un emploi, comparativement à d’autres Haïtiennes;

  • 3)La demanderesse est retournée à deux reprises en Haïti depuis les États-Unis, ce qui donne à croire que son genre n’est pas un facteur de risque.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[13] Après avoir examiné les observations des parties, j’estime que la seule question en litige est celle de savoir si la décision est raisonnable. Les sous-questions peuvent être formulées ainsi :

  • 1)La SPR a-t-elle évalué de manière raisonnable la crainte de persécution de la demanderesse ou le risque de préjudice auquel elle est exposée aux mains de Polonne?

  • 2)La SPR a-t-elle évalué de manière raisonnable la crainte de persécution de la demanderesse ou le risque de préjudice auquel elle est exposée en tant que femme en Haïti?

[14] Je conviens avec les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Aucune des exceptions décrites dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] n’est soulevée en l’espèce (aux para 16-17). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige que la Cour examine la décision pour déterminer si elle satisfait aux exigences d’intelligibilité, de transparence et de justification. En effectuant un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit examiner tant le résultat de la décision que la justification du résultat (Vavilov, au para 87). Une décision raisonnable doit être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au para 99). Or, une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125, renvoyant à Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, aux para 85‐86).

V. Analyse

A. La SPR a-t-elle évalué de manière raisonnable la crainte de persécution de la demanderesse ou le risque de préjudice auquel elle est exposée aux mains de Polonne?

1) La position de la demanderesse

[15] Si la demanderesse renonçait à son titre de propriété, cette renonciation n’aurait pas pour effet d’éliminer le préjudice auquel elle est exposée ni d’améliorer sa relation avec Polonne. La SPR n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle Polonne avait recouru à des tactiques barbares pour parvenir à son objectif, soit l’obtention du titre de propriété. De plus, il était déraisonnable de la part de la SPR d’émettre des hypothèses « quant aux motifs, moyens et intentions à venir des agents de persécution » (Soos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 455 [Soos] au para 12, renvoyant à Builes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 215 [Builes] au para 17).

[16] La SPR a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était exposée à aucun risque puisqu’elle n’a pas d’enfants et que ses futurs enfants n’auraient aucun recours juridique si elle renonçait au titre de propriété. La demanderesse a affirmé dans la première version de l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA] qu’elle était enceinte lorsqu’elle a été violée. Elle a également indiqué dans la version modifiée du formulaire FDA qu’elle avait donné naissance à un enfant et a inclus une copie du passeport canadien et du formulaire de Déclaration de naissance vivante de l’Ontario de sa fille nouveau-née. En outre, la SPR n’a pas étayé son affirmation selon laquelle les enfants de la demanderesse n’auraient aucun recours juridique et n’a pas examiné si les enfants de la demanderesse pourraient contester la renonciation au titre de propriété. Si la SPR faisait référence à des connaissances qui sont du ressort de sa spécialisation en droit des biens et de la propriété ou du droit successoral en Haïti, elle était tenue d’en aviser la demanderesse et de lui donner la possibilité de répondre, conformément à l’article 22 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256.

[17] La SPR n’a pas tenu compte des documents personnels déposés en preuve par la demanderesse à l’appui de son affirmation selon laquelle elle craint avec raison d’être persécutée, y compris une lettre provenant de son époux, dans laquelle il fait état des événements, une lettre de la mère de la demanderesse, ainsi qu’une évaluation psychosociale dans laquelle il est indiqué que la demanderesse présente des symptômes de dépression et de stress consécutif à un traumatisme attribuable aux événements qu’elle a vécus. La SPR devait tenir compte de ces éléments de preuve pour évaluer la capacité de la demanderesse à prendre soin d’elle-même et son risque de préjudice futur, en tant que femme victime de viol.

2) La position du défendeur

[18] La SPR a évalué de façon raisonnable la demande d’asile fondée sur l’article 97 de la LIPR présentée par la demanderesse et a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le droit de propriété de la demanderesse et l’article 96 de la LIPR (Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 955 aux para 25-26).

[19] Il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la demanderesse ne serait plus exposée à un risque de persécution si elle renonçait à son titre de propriété (Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 99 [Sanchez] au para 17). La demanderesse n’était pas en mesure de fournir une réponse satisfaisante à la SPR quant à la raison pour laquelle Polonne continuerait de la persécuter si elle renonçait au titre de propriété. La SPR a fait remarquer que la demanderesse estimait qu’il était de son devoir de conserver le titre de propriété pour son époux et ses futurs enfants et que Polonne voudrait la tuer, car cette dernière était embarrassée et voudrait empêcher les futurs enfants de la demanderesse de prendre des mesures pour s’emparer du titre de propriété.

[20] L’affirmation de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas d’enfant était raisonnable, car la SPR répondait ainsi à l’explication de la demanderesse quant aux motivations de Polonne. La demanderesse n’a produit aucune preuve démontrant que Polonne était au courant de sa grossesse. En outre, elle n’avait pas d’enfant en Haïti, au moment où elle a été victime de persécution. La SPR n’est pas tenue de répondre à chacun des éléments de preuve. La mention, par la demanderesse, d’une déclaration prise hors contexte ne permet pas de démontrer que la SPR a commis une erreur importante ou qu’elle a fait abstraction de quelque élément de preuve (Vavilov aux para 97, 102-103, 128, 137; Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14; Jean-Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 285 au para 20).

3) Conclusion

[21] La SPR n’a pas évalué de façon raisonnable la crainte de persécution que disait éprouver la demanderesse aux mains de Polonne. La demanderesse affirme à juste titre que la SPR n’a pas tenu suffisamment compte du fait qu’elle a un enfant. Il ne s’agit toutefois pas d’un facteur déterminant.

[22] En revanche, la conclusion de la SPR selon laquelle la relation entre la demanderesse et Polonne redeviendrait normale si la demanderesse renonçait simplement au titre de propriété n’est pas étayée par la preuve. Au contraire, la preuve indique que Polonne a retenu les services de malfaiteurs pour menacer et malmener la demanderesse à plusieurs reprises, et ce, peu importe s’ils obtenaient ou non le titre de propriété. À mon avis, il s’agit ici d’un raisonnement conjectural illogique quant aux moyens, aux motivations et aux intentions à venir des agents de persécution (Soos aux para 12-16; Builes aux para 17-19). Cela suffit pour accueillir la demande de contrôle judiciaire.

B. La SPR a-t-elle évalué de manière raisonnable la crainte de persécution de la demanderesse ou le risque de préjudice auquel elle est exposée en tant que femme en Haïti?

1) La position de la demanderesse

[23] La SPR a commis une erreur en se contentant d’examiner le risque auquel est exposée la au regard de l’article 97 de la LIPR. Les femmes qui craignent la persécution fondée sur le genre, y compris les femmes craignant le viol, appartiennent à un groupe social au sens de la LIPR. Il était déraisonnable pour la SPR de ne pas avoir tenu compte du risque d’enlèvement et de viol auquel est exposée la demanderesse, en tant que risque de persécution fondée sur le genre au titre de l’article 96 (Josile c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 39 [Josile] aux para 24-36; Duversin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 466 aux para 32-34).

[24] La SPR a tenu compte du risque pour la demanderesse en tant que femme de façon abstraite, et non pas en tant que femme victime de violence fondée sur le genre. La SPR n’a pas tenu compte de la preuve non contredite selon laquelle la demanderesse a été battue et violée. Notre Cour a reconnu que le viol en Haïti est fondé sur le genre (Dezameau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 559 [Dezameau] au para 36). De plus, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse serait en sécurité en Haïti si son époux était là pour la protéger ne tient pas compte du fait que celui-ci était en Haïti au moment du viol. Dans des décisions antérieures, notre Cour a conclu que les décideurs doivent tenir compte du risque de violence sexuelle lorsqu’une femme n’est pas accompagnée de son époux (Siffort c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 351 au para 31).

[25] L’évaluation par la SPR des renseignements concernant le risque fondé sur le genre figurant dans le CND est également déraisonnable, car elle ne permet pas d’étayer la conclusion selon laquelle une distinction peut être faite entre les femmes mariées et les femmes exposées à un risque de persécution en Haïti. Même si ces renseignements permettaient d’étayer une telle conclusion, la SPR aurait eu à les concilier avec le fait que la demanderesse a été violée alors qu’elle est une femme mariée.

[26] Enfin, il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que les multiples retours de la demanderesse en Haïti, depuis les États-Unis, amoindrissaient le risque de violence fondée sur le genre auquel elle était exposée. Les voyages de la demanderesse aux États-Unis ont eu lieu avant qu’elle ne soit attaquée. La SPR n’a pas procédé à un examen personnalisé des risques prospectifs auxquels était exposée la demanderesse (Prophète c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 31 aux para 6-7).

2) La position du défendeur

[27] La SPR a effectué une évaluation raisonnable des risques de persécution fondés sur le genre auxquels est exposée la demanderesse. En outre, il était loisible à la SPR d’invoquer les renseignements figurant dans le CND, lesquels décrivent la vulnérabilité des femmes en Haïti. Il lui était également loisible de conclure que les éléments suivants minaient l’allégation de la demanderesse selon laquelle son profil en tant que femme en Haïti constituait un facteur de risque : la protection dont bénéficiait la demanderesse par la présence de son mari, l’expérience de travail et le niveau de scolarité de celle-ci, et le fait qu’elle n’ait pas présenté de demande d’asile aux États-Unis avant les attaques.

[28] Les attaques dont la demanderesse a été victime découlent de ses propres choix en lien avec le différend qui l’oppose à Polonne au sujet du droit de propriété. Il était loisible à la SPR d’évaluer la demande d’asile de la demanderesse en fonction des articles 96 et 97 de la LIPR, tout en reconnaissant la nature sexospécifique de la persécution à laquelle est exposée la demanderesse. La SPR s’est acquittée de son obligation de tenir compte du profil de la demanderesse en tant que femme en Haïti.

3) Conclusion

[29] La SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte du risque auquel est exposée la demanderesse au regard de l’article 96 de la LIPR. La SPR s’est exprimée comme suit avant de procéder à l’analyse du risque fondé sur le genre auquel est exposée la demanderesse :

Le cartable national de documentation (CND) sur Haïti indique qu’il existe une violence endémique contre les femmes en Haïti. La violence fondée sur le genre et le sexe faite aux femmes en Haïti a été décrite comme étant répandue, chronique et systématique. L’État ne peut pas ou ne veut pas protéger adéquatement les Haïtiennes contre cette violence.

[30] Les renseignements figurant dans le CND, auxquels renvoie la SPR, indiquent que les plus jeunes et les plus âgées peuvent être particulièrement vulnérables à la violence fondée sur le genre et le sexe, et que la dépendance financière envers les hommes exacerbe ce risque. Toutefois, il n’y a rien dans ces renseignements qui indique que lorsqu’une femme haïtienne est mariée, éduquée ou titulaire d’un emploi, pareil risque n’existe plus.

[31] Le défendeur invoque la décision Josile à l’appui de son observation selon laquelle la SPR s’est acquittée de l’obligation qui lui incombait de tenir compte du profil de la demanderesse en tant que femme. Je souligne que, dans la décision Josile, la Cour a déclaré ce qui suit :

[29] En fait, l’universitaire et praticien canadien Lorne Waldman soutient que les femmes, en général, devraient être reconnues comme un groupe social à la condition que la preuve démontre qu’elles sont victimes de graves violations de leurs droits humains fondamentaux en raison de leur sexe (Lorne Waldman, The Definition of Convention Refugee (Buttersworth : Markham, Ontario, 2001) au §8.288). À mon avis, cette approche est la bonne et elle découle de l’arrêt Ward, précité.

[30] Cette conclusion concorde également avec l’objectif en matière de droits de la personne que vise la Convention et elle cadre avec d’autres décisions de la Commission dans lesquelles il a été conclu que les femmes dénuées d’une protection masculine et d’une protection adéquate de l’État qui sont persécutées dans certains pays (comme le Pakistan et la Somalie) étaient des réfugiées au sens de la Convention du fait de leur appartenance à ce groupe (G.L.U. (Re), [2000] D.S.S.R. no 69; E.U.C. (Re), [2001] D.S.S.R. no 253.

[Non souligné dans l’original.]

[32] Compte tenu de la preuve objective relative à la prévalence de la violence fondée sur le sexe et le genre dont sont victimes les femmes en Haïti et des éléments de preuve personnalisés de la demanderesse indiquant qu’elle a été menacée, battue et violée par les agresseurs recrutés par Polonne, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’a pas démontré qu’il y avait une possibilité sérieuse de risque fondé sur son genre n’est pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles en l’espèce (Vavilov, aux para 85-86, 102).

[33] De plus, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’est pas exposée à un risque parce qu’elle bénéficie de la protection que lui procure son époux n’est pas étayée par les renseignements figurant dans le CND. Cette conclusion est démentie par le fait que 1) la demanderesse a été violée alors que son époux se trouvait dans une autre ville en Haïti pendant moins de 24 heures, et que 2) les mêmes agresseurs avaient attaqué la demanderesse et son époux à leur domicile.

[34] Enfin, je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que l’inférence défavorable tirée par la SPR quant aux raisons ayant motivé la demanderesse à revenir en Haïti avant les attaques était déraisonnable. Il est illogique de s’attendre à ce que la demanderesse présente une demande d’asile avant d’avoir été victime des actes de persécution.

VI. Conclusion

[35] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[36] Les parties ne proposent aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1247-20

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1247-20

INTITULÉ :

HOLANDA JEAN MICHEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 23 novembRE 2022

COMPARUTIONS :

Monique Ann Ashamalla

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ashamalla LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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