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Date : 20221201


Dossier : IMM-6187-20

Référence : 2022 CF 1652

[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2022

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

XIAOYU TAN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Nature de l’instance

[1] Madame Xiaoyu Tan [la demanderesse] sollicite le contrôle judiciaire de la décision [la décision] de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] du 3 novembre 2020 confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[2] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

II. Contexte

[3] La demanderesse est une citoyenne chinoise qui craint d’être persécutée par les autorités chinoises en raison de son profil d’adepte du Falun Gong.

[4] La demanderesse allègue que des douleurs au cou et aux épaules l’ont incitée à apprendre le Falun Gong en septembre 2017. Après s’être jointe à un groupe qui pratiquait le Falun Gong toutes les semaines, puis toutes les deux semaines à leur domicile, le 25 août 2018, la demanderesse allègue que le groupe a été la cible d’une descente par les autorités chinoises et que des membres ont été mis en détention. La demanderesse s’est échappée et s’est cachée chez son cousin.

[5] Le 26 août 2018, le Bureau de la sécurité publique [le PSB] s’est rendu chez son père pour savoir où elle se trouvait et pour l’interroger au sujet des activités de la demanderesse. Une citation à comparaître a été remise au domicile de son père le 28 août 2018. Le PSB a également cherché la demanderesse au domicile de ses proches, et son employeur l’a congédiée à la suite des visites effectuées par le PSB.

[6] La demanderesse a obtenu un visa pour le Canada avec l’aide d’un passeur. Elle s’est enfuie au Canada et a demandé l’asile le 10 décembre 2018. Elle continue de pratiquer le Falun Gong au Canada. Elle affirme que le PSB la cherche toujours en Chine et que les adeptes de son groupe sont toujours détenus.

[7] La SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse parce qu’elle avait des doutes quant à sa crédibilité. Plus particulièrement, la SPR a émis des réserves au sujet de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle aurait quitté la Chine munie de son propre passeport et elle a estimé que le PSB n’avait pas délivré de citation à comparaître, que la demanderesse n’était pas recherchée par les autorités chinoises et qu’elle n’était pas une adepte authentique du Falun Gong. Elle a conclu que la demanderesse pratiquait le Falun Gong au Canada pour favoriser sa demande d’asile. De plus, la SPR n’a relevé aucun élément selon lequel les autorités chinoises ont été informées de ses activités; par conséquent, sa crainte d’être persécutée à son retour en Chine ne reposait sur aucun fondement objectif.

III. Décision

[8] La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas une adepte authentique du Falun Gong et qu’elle n’était pas recherchée par les autorités chinoises. De plus, elle a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur dans son appréciation de la crédibilité de la demanderesse.

[9] La SAR a conclu que la citation à comparaître de la demanderesse n’était pas authentique, car son contenu ne correspondait pas aux renseignements objectifs inscrits sur un échantillon figurant dans le Cartable national de documentation [le CND]. À la lumière des conclusions de la SPR selon lesquelles la demanderesse n’était pas une adepte authentique du Falun Gong, qu’elle n’était pas recherchée par les autorités chinoises et que des documents frauduleux étaient largement disponibles en Chine, la SAR a conclu que la citation à comparaître n’était pas authentique. Ces constatations ont amené la SAR à conclure que la demanderesse n’était pas crédible dans l’ensemble. Étant donné que la SAR a estimé que la demanderesse avait présenté une citation à comparaître frauduleuse et qu’elle n’était pas recherchée par les autorités chinoises, elle a conclu que la SPR avait eu raison de conclure que la demanderesse avait pu quitter la Chine sans difficulté munie de son propre passeport.

[10] La SAR a également conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en déterminant que la demanderesse n’était pas une adepte authentique du Falun Gong. Elle a estimé que la SPR avait tenu compte du niveau de scolarité de la demanderesse dans l’appréciation de son témoignage et qu’elle avait conclu que cette dernière ne possédait pas les connaissances auxquelles il serait raisonnable de s’attendre d’une personne à son prétendu niveau de pratique. Plus particulièrement, la SAR a conclu que la SPR avait raisonnablement estimé qu’une adepte authentique connaîtrait le contenu du Zhuan Falun.

[11] Enfin, la SAR a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré le bien-fondé de sa demande d’asile sur place fondée sur sa pratique du Falun Gong. Elle a également conclu qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve suffisants selon lesquels les autorités chinoises étaient susceptibles d’être informées des activités de la demanderesse liées au Falun Gong au Canada. La SAR a estimé que les arguments avancés par la demanderesse selon lesquels elle avait été photographiée ou surveillée par les autorités chinoises étaient hypothétiques, et que les éléments de preuve objectifs en révélaient peu au sujet de la surveillance des adeptes du Falun Gong à l’extérieur de la Chine.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[12] La demanderesse énonce les questions en litige en ces termes dans ses observations écrites :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur déterminante en concluant que la demanderesse avait présenté une citation à comparaître frauduleuse?

  2. La SAR a-t-elle omis de tenir compte de tous les éléments de preuve?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas une adepte authentique du Falun Gong?

[13] Le défendeur affirme que les questions en litige sont les suivantes :

  1. La Cour devrait-elle radier l’affidavit de Liling Shen?

  2. La demanderesse a-t-elle soulevé une affaire défendable ou une question sérieuse?

[14] Après avoir pris en compte les observations écrites et de vive voix formulées par les parties, j’estime que la question préliminaire en l’espèce est celle de savoir si la Cour a été dûment saisie de l’affidavit de Liling Shen. Les questions de fond peuvent être formulées en ces termes :

  1. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale et a-t-elle eu tort lorsqu’elle a conclu que la demanderesse avait présenté une citation à comparaître frauduleuse?

  2. La SAR a-t-elle omis de tenir compte de la lettre de congédiement de la demanderesse?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas une adepte authentique du Falun Gong?

[15] La norme de contrôle qui s’applique en ce qui concerne le fond de la décision est celle de la décision raisonnable. Aucune des exceptions énoncées dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] n’est présente en l’espèce (aux para 16-17). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable exige que la Cour apprécie l’intelligibilité, la transparence et la justification de la décision. La cour de révision qui effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser tant au résultat de la décision qu’au raisonnement à l’origine de ce résultat (Vavilov, au para 87). Une décision raisonnable doit être « justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, au para 99). Cependant, la cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125, citant l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 au para 55). Si les motifs du décideur permettent à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui a mené à la décision et de déterminer si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la décision sera jugée raisonnable (Vavilov, aux para 85-86).

[16] La norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale est essentiellement celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux para 49, 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35). La Cour ne dispose d’aucune marge d’appréciation ou de retenue à l’égard des questions d’équité procédurale. Lorsqu’elle se penche sur la question de savoir s’il y a eu manquement à l’équité procédurale, la cour de révision doit plutôt établir si le décideur a suivi un processus équitable, compte tenu de l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique, au para 54; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux pages 837 à 841 [Baker]).

V. Question préliminaire

[17] Le défendeur soutient que la SAR ne disposait pas de l’affidavit de Liling Shen, qui porte sur de prétendues erreurs de traduction liées à la citation à comparaître et que, pour cette raison, l’affidavit n’est pas admissible en contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20). Bien qu’il existe des exceptions à la règle de l’irrecevabilité des nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur, aucune n’est présente ici. La demanderesse n’a présenté aucune observation écrite sur la question.

[18] Je conviens que l’affidavit est inadmissible en preuve. L’affidavit de Liling Shen, qui n’a pas été présenté à la SAR, soulève des erreurs et des omissions dans la traduction du chinois en anglais de la citation à comparaître délivrée pour la demanderesse. Bien qu’il existe une exception à la règle générale quant à l’irrecevabilité de nouveaux éléments de preuve lorsque ceux-ci portent sur des questions d’équité procédurale, l’affidavit n’est pas visé par cette exception (Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux para 25-26). D’abord, l’affidavit ne traite pas d’une question d’équité procédurale dont la SAR a été saisie. Il cherche plutôt à réfuter les conclusions supplémentaires tirées par la SAR quant à l’authenticité de la citation à comparaître. De plus, la question de la traduction s’est posée devant la SPR et la SAR. Bien que la SAR ait été la seule à tirer des conclusions sur la présentation matérielle de la citation à comparaître pour en contester l’authenticité, la demanderesse a été en mesure de soulever la question de la traduction devant elle.

VI. Analyse

A. La SAR a-t-elle manqué à l’équité procédurale et a-t-elle eu tort lorsqu’elle a conclu que la demanderesse avait présenté une citation à comparaître frauduleuse?

(1) Position de la demanderesse

[19] La SAR a eu tort de conclure que la demanderesse avait présenté une citation à comparaître frauduleuse. Elle a manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle s’est fondée sur de nouveaux motifs, à savoir les différences dans le titre de la loi et le titre de l’avis de citation à comparaître par rapport à l’échantillon figurant dans le CND, pour tirer sa conclusion sans offrir à la demanderesse la possibilité de répondre (Fu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1074, au para 14). Ces différences consistaient simplement en des problèmes de traduction, et la demanderesse aurait pu les expliquer si la possibilité lui avait été donnée.

[20] De plus, la SAR a eu tort de se fonder sur ces différences dans la traduction, puisque la version originale de la citation à comparaître correspond à l’échantillon figurant dans le CND. La conclusion de la SAR selon laquelle la demanderesse a présenté une citation à comparaître frauduleuse a été déterminante quant à l’appel. Par conséquent, si la Cour conclut que la conclusion de la SAR était déraisonnable, le contrôle judiciaire devrait être accueilli pour ce seul motif.

(2) Position du défendeur

[21] Les conclusions supplémentaires tirées par la SAR quant à l’authenticité de la citation à comparaître ne constituaient pas une question nouvelle et ne justifiaient pas que la demanderesse ait la possibilité d’y répondre. Bien que la SPR n’ait pas contesté la crédibilité de la citation à comparaître en raison de sa présentation matérielle par rapport à l’échantillon figurant dans le CND, elle a conclu que la citation avait peu de poids en raison de l’absence d’éléments de sécurité, de la prévalence de documents frauduleux en Chine, et du fait que la demanderesse avait pu quitter la Chine munie de son passeport sans difficulté — conclusions que la SAR a confirmées. Les conclusions tirées par la SAR quant à la présentation matérielle de la citation à comparaître ne faisaient que compléter les motifs donnés par la SPR. De plus, la SAR n’a pas été saisie de la preuve relative aux problèmes de traduction.

(3) Conclusion

[22] La SAR n’a pas manqué au droit à l’équité procédurale de la demanderesse. L’authenticité de la citation à comparaître n’était pas une nouvelle question, puisque la demanderesse savait que son authenticité était une question en litige découlant de la décision de la SPR.

[23] Bien que la SAR ait tiré des inférences supplémentaires à l’appui de sa conclusion selon laquelle la citation à comparaître n’était pas authentique, ces inférences découlaient d’incohérences quant à la citation et sa traduction en anglais. La SAR n’a pas manqué à l’équité procédurale en invoquant un motif de plus pour remettre en question l’authenticité de la citation à comparaître (Han c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1390, au para 32; Oluwaseyi Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246 au para 13).

[24] De plus, je conclus que la SAR n’a pas eu tort d’invoquer les incohérences dans la traduction anglaise par rapport à l’échantillon figurant dans le CND. Je conviens avec le défendeur que la SAR n’a pas été saisie des éléments de preuve concernant des erreurs dans la traduction anglaise. Il incombait à la demanderesse de présenter la meilleure preuve possible et de veiller à l’exactitude de la traduction anglaise de la citation à comparaître (Gu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 543, au para 29).

B. La SAR a-t-elle omis de tenir compte de la lettre de congédiement de la demanderesse?

(1) Position de la demanderesse

[25] La SAR n’a pas tenu compte de la lettre de congédiement de la demanderesse, qui étayait son affirmation selon laquelle le PSB la soupçonnait de participer à des activités de Falun Gong.

(2) Position du défendeur

[26] La lettre de congédiement n’était pas une preuve crédible, puisque la SAR avait déjà conclu que la demanderesse n’était pas une véritable adepte du Falun Gong. La SAR n’était pas tenue de renvoyer au document.

(3) Conclusion

[27] J’estime que la SAR a commis une erreur en n’examinant pas la lettre de congédiement.

[28] La Cour a conclu qu’un décideur n’est pas tenu de renvoyer à tous les éléments de preuve dont il dispose, à moins qu’il soit saisi d’éléments de preuve contradictoires (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Tefera, 2017 CF 204 au para 31) :

Je reconnais qu’un décideur est présumé avoir soupesé et pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui ont été soumis, à moins que l’on démontre le contraire (Florea c Canada (M.E.I), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au paragraphe 1). Je reconnais aussi que l’absence de référence à un élément de preuve en particulier ne signifie pas qu’il n’a pas été pris en compte (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Mais quand un tribunal administratif garde sous silence des éléments de preuve qui indiquent clairement une conclusion contraire et qui contredisent carrément ses conclusions de fait, la Cour peut intervenir et laisser entendre que le tribunal a négligé les preuves contradictoires au moment de rendre sa décision (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 et 10; Cepeda-Gutierrez, au paragraphe 17). C’est le cas en l’espèce. La Section d’appel de l’immigration était confrontée à des éléments de preuve contradictoires et, dans les circonstances, elle devait fournir une analyse et expliquer pourquoi elle préférait une partie de la preuve aux dépens de l’autre. Elle ne l’a pas fait.

[Non souligné dans l’original.]

[29] Je conviens que la lettre de congédiement appuie l’allégation de la demanderesse selon laquelle son employeur l’a congédiée en raison de sa pratique du Falun Gong et parce que le PSB s’était présenté à son travail. De plus, la lettre contredit directement les conclusions de la SAR en matière de crédibilité en ce qui concerne le fait que le PSB était à sa recherche et son départ de la Chine. La SAR ne mentionne pas la lettre de congédiement et n’explique pas les raisons pour lesquelles elle l’a écartée. Elle a commis une erreur à cet égard.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas une adepte véritable du Falun Gong?

(1) Position de la demanderesse

[30] La SAR a traité de façon déraisonnable les éléments de preuve présentés par la demanderesse à l’appui de son profil d’adepte du Falun Gong. Pour cette raison, la conclusion tirée par la SAR selon laquelle la demanderesse n’était pas une adepte authentique ne peut être maintenue. La SAR a eu tort de rejeter la lettre d’appui de Zhonghua Yang au seul motif que celle-ci n’a pas comparu comme témoin devant la SPR. Le simple fait que l’auteure de la lettre n’a pas comparu comme témoin n’était pas un motif raisonnable pour n’accorder aucun poids à un document par ailleurs très probant. De plus, la SAR a procédé à une appréciation trop rigoureuse de la connaissance que la demanderesse avait du Falun Gong.

(2) Position du défendeur

[31] La SAR est habilitée à apprécier la connaissance qu’un demandeur d’asile a des détails de sa prétendue religion, pourvu qu’elle fasse montre de précaution vu le caractère très subjectif et personnel des croyances religieuses d’une personne. La SAR a fait preuve de la précaution voulue et elle a raisonnablement conclu que les connaissances de la demanderesse ne correspondaient pas au niveau et à la durée allégués de sa pratique. La SAR a souligné que les observations que la demanderesse avait présentées en appel ne contestaient pas le faible poids accordé à la lettre d’appui de Zhonghua Yang.

[32] La demanderesse mentionne ses activités de Falun Gong au Canada dans ses observations écrites, mais la SAR a estimé que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les autorités chinoises avaient été ou étaient susceptibles d’être informées de ses activités au Canada.

(3) Conclusion

[33] Je ne souscris pas à la position de la demanderesse selon laquelle la SAR a rejeté la lettre de soutien de Zhonghua Yang au seul motif que l’auteure n’a pas témoigné à l’audience devant la SPR. La SAR a souligné que la SPR avait accordé peu de poids à la lettre parce que la preuve ne renversait pas la méconnaissance des principes du Falun Gong par la demanderesse.

[34] Cependant, je conviens avec la demanderesse que l’appréciation que la SAR a effectuée de sa connaissance du Falun Gong était déraisonnable et microscopique. La Cour a mis en garde contre le fait de tester la foi d’un demandeur d’asile et a conclu que l’incapacité à répondre à une question concernant tel ou tel élément d’une doctrine religieuse ne signifiait pas grand-chose (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 503, aux para 12-14). C’est « la sincérité de la conviction qui importe »; les demandeurs ne devraient pas être tenus « d’établir la validité objective de leurs croyances en apportant la preuve que d’autres les reconnaissent comme telles » (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002, aux para 9, 12). La Cour a statué que « [les] questions posées par la SPR à un demandeur d’asile au sujet de ses croyances ou de sa pratique ne sont justifiées que si elles portent sur la sincérité des croyances ou de la pratique » (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1237 au para 27).

[35] L’appréciation effectuée par la SAR de la pratique de la demanderesse était déraisonnablement axée sur sa connaissance de certains textes et certaines notions. La SAR a affirmé qu’étant donné que le Falun Gong est une pratique fondée sur le savoir, la connaissance du Zhuan Falun, texte de Maître Li, était une condition implicite. La SAR a ensuite affirmé qu’« un adepte authentique connaîtrait à tout le moins l’existence du texte et, ce qui serait plus raisonnable, en connaîtrait en partie le contenu selon la durée et le niveau de sa pratique ». Une telle affirmation correspond exactement au type d’appréciation erronée des convictions contre lequel la Cour a mis en garde.

[36] La SAR a également procédé à une analyse microscopique lorsqu’elle a contesté l’incapacité de la demanderesse d’expliquer la notion des pensées droites selon la norme d’exactitude reconnue par la SAR. La SAR a conclu que « l’appelante n’a pas mentionné le fait de purger le mal et d’éliminer ses propres problèmes de manière à ne pas devenir une victime du mal ». Cependant, en réponse à une question sur les pensées droites au cours de l’audience devant la SPR, la demanderesse a affirmé : [traduction] « [p]arce que notre corps contient beaucoup de mauvaises substances, en envoyant des pensées droites, nous pouvons éliminer ces mauvaises substances de notre corps ». Dans sa description des pensées droites, la demanderesse souligne clairement l’action de « purger le mal ».

[37] La conclusion tirée par la SAR quant à l’authenticité de la pratique de la demanderesse était inextricablement liée à son appréciation de sa crédibilité globale et de ses allégations quant aux événements qui se sont produits avant son départ de la Chine. Cela entache la décision dans son ensemble.

VII. Conclusion

[38] La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La SAR a commis une erreur en écartant la lettre d’appui et en appréciant de façon déraisonnable l’authenticité de la pratique du Falun Gong de la demanderesse.

[39] Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6187-20

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SAR pour nouvelle décision.

  2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6187-20

INTITULÉ :

XIAOYU TAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 MAI 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FAVEL

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER DÉCEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Michael Korman

POUR LA DEMANDERESSE

 

Erin Estok

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Korman & Korman LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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