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Date : 20221205


Dossier : IMM‑628‑22

Référence : 2022 CF 1675

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

DORCAS OLUWATOMIWA ABIODUN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 5 janvier 2022, par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a refusé la demande de résidence permanente que la demanderesse avait présentée depuis le Canada au titre de la Politique d’intérêt public temporaire visant à faciliter l’octroi de la résidence permanente pour certains demandeurs d’asile qui travaillent dans le secteur de la santé durant la pandémie de COVID‑19 [la politique d’intérêt public temporaire].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

II. Contexte

[3] La demanderesse, Dorcas Oluwatomiwa Abiodun, est une citoyenne du Nigeria.

[4] Le 7 juin 2021, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente depuis le Canada au titre de la politique d’intérêt public temporaire. La date limite pour le faire était le 31 août 2021.

[5] Pour être admissible au titre de la politique d’intérêt public temporaire, l’étranger devait répondre à certains critères, notamment :

Avoir travaillé au Canada dans une ou plusieurs professions désignées (voir l’annexe A) où l’étranger offrait des soins directs aux patients dans un hôpital, un établissement de soins de longue durée ou un foyer avec services public ou privé, ou encore pour un organisme où l’étranger offrait des services de soins de santé aux aînés à domicile ou en établissement ou aux personnes handicapées dans des résidences privées :

a. pendant au moins 120 heures (équivalant à 4 semaines à temps plein) entre le 13 mars 2020 (date de publication des conseils aux voyageurs canadiens) et le 14 août 2020 (date de l’annonce de la politique d’intérêt public);

b. pendant au moins 6 mois à temps plein (30 heures par semaine) ou 750 heures (s’il s’agissait d’un emploi à temps partiel) d’expérience au total (acquise au plus tard le 31 août 2021);

c. pour plus de précision, les périodes de travail dans une profession désignée doivent être payées sauf si le demandeur effectuait un stage considéré comme une partie essentielle d’un programme de niveau postsecondaire ou d’une formation professionnelle dans le cadre d’un emploi dans une des professions désignées ou si le demandeur a effectué un stage dans une des professions désignées requis par un ordre professionnel.

[6] Au soutien de sa demande de résidence permanente, la demanderesse a produit une preuve établissant qu’elle avait effectué un stage de 150 heures entre le 11 avril et le 14 mai 2020 à la Résidence Le St‑Ambroise par l’intermédiaire d’Agile Poly‑Services Inc. dans le cadre du programme de formation des préposés aux bénéficiaires [les PAB] qu’elle avait suivi à l’Académie Rocher Divin.

[7] La demande de la demanderesse a d’abord été refusée le 25 octobre 2021. La demanderesse a présenté une demande de réexamen, que l’agent a accueillie le 3 novembre 2021.

[8] L’agent a envoyé à la demanderesse une lettre d’équité procédurale faisant état d’une réserve, à savoir que le stage qu’elle avait effectué dans le cadre de son programme de formation de PAB à l’Académie Rocher Divin ne respectait pas les critères de la politique d’intérêt public temporaire. Il a indiqué ce qui suit :

[TRADUCTION]

Les études et les expériences professionnelles d’un étranger doivent être réalisées conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR).

Selon le RIPR, les études entreprises au Canada doivent être suivies dans un établissement d’enseignement désigné. [Caractères gras dans l’original.]

[9] L’agent a souligné dans sa lettre qu’une recherche menée à partir de sources ouvertes avait révélé que l’Académie Rocher Divin ne répondait pas aux critères d’un programme agréé par la province de Québec ou les autres provinces ou territoires du Canada. Il a autorisé la demanderesse à présenter des renseignements supplémentaires pour répondre à sa réserve quant aux heures de stage.

[10] Le 11 novembre 2021, la demanderesse a répondu par écrit que la politique d’intérêt public temporaire n’exigeait pas que les heures de stage d’un programme de stage soient effectuées exclusivement dans un établissement d’enseignement désigné [un EED] au sens de l’article 211.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR], et qu’il était illégal d’exiger que son programme de stage soit conforme à l’article 211.1.

[11] Le 5 janvier 2022, la demande a été refusée au motif que la demanderesse ne répondait pas au critère selon lequel l’étranger doit avoir travaillé au Canada dans une ou plusieurs professions désignées où il offrait des soins directs aux patients dans un hôpital, un établissement de soins de longue durée ou un foyer avec services public ou privé, ou encore pour un organisme où il offrait des services de soins de santé aux aînés à domicile ou en établissement ou aux personnes handicapées dans des résidences privées pendant au moins 120 heures (équivalant à quatre semaines à temps plein) entre le 13 mars 2020 et le 14 août 2020.

III. La question en litige

[12] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. La question à trancher est donc celle de savoir si la décision par laquelle l’agent a refusé la demande de résidence permanente de la demanderesse est déraisonnable.

IV. Analyse

[13] La demanderesse soutient que l’agent s’est appuyé à tort sur l’article 211.1 du RIPR et que, de ce fait, il a commis une erreur susceptible de contrôle. Elle fait valoir que rien dans la politique d’intérêt public temporaire n’exigeait qu’un stage soit effectué dans un EED ou qu’il soit lié à un EED.

[14] Selon la demanderesse, l’article 211.1 du RIPR s’applique uniquement à la catégorie des étudiants, et non à sa situation, soit celle d’une demandeure d’asile qui a présenté une demande de résidence permanente. Elle ajoute que l’obligation d’effectuer un stage dans un EED irait à l’encontre de l’intention du législateur et de l’objectif du programme Voie d’accès, lequel a été mis en place en reconnaissance des services exceptionnels rendus par certains demandeurs d’asile travaillant dans le secteur de la santé au Canada qui ont fourni des soins directs aux patients durant la pandémie de COVID‑19 et pour faciliter l’octroi de la résidence permanente à ces demandeurs d’asile.

[15] Le défendeur soutient que l’agent a rendu une décision raisonnable. Selon lui, l’agent a refusé la demande non pas au motif que la demanderesse n’avait pas suivi un programme d’études dans un EED, mais plutôt parce que la preuve concernant ses études à l’Académie Rocher Divin et les renseignements sur son stage qu’elle avait fournis étaient insuffisants. Je ne suis pas d’accord.

[16] La seule réserve exprimée par l’agent dans l’avant‑dernier paragraphe de la décision contestée est que l’Académie Rocher Divin ne répondait pas aux critères d’un programme agréé par la province de Québec ou par les autres provinces ou territoires du Canada. L’agent s’est clairement concentré sur la question de savoir si la demanderesse respectait l’article 211.1 du RIPR, et non sur celle de savoir si les renseignements qu’elle avait fournis concernant ses heures de travail et la formation qu’elle avait reçue pendant son stage étaient suffisants.

[17] À mon avis, l’agent a limité son pouvoir discrétionnaire en considérant être lié par les exigences de l’article 211.1. À première vue, cet article ne s’appliquait qu’aux demandeurs de la catégorie des étudiants ou, plus précisément, aux étrangers qui cherchaient à entrer au Canada en tant qu’étudiants et qui devaient effectuer leurs études dans un EED. Or, la demanderesse n’a pas présenté sa demande au titre de la catégorie des étudiants. Elle n’a pas non plus demandé un permis d’études ni cherché à devenir résidente temporaire. Elle a présenté une demande de résidence permanente depuis le Canada au titre de la politique d’intérêt public temporaire.

[18] La politique d’intérêt public temporaire n’exigeait pas expressément ni implicitement qu’un stage soit effectué dans un EED. En fait, elle prévoyait expressément que les stages pouvaient faire partie « d’une formation professionnelle dans le cadre d’un emploi dans une des professions désignées », sans mentionner les EED.

V. Conclusion

[19] Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu’il était déraisonnable que l’agent refuse la demande de résidence permanente de la demanderesse pour les motifs fournis. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

[20] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑628‑22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

  3. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

Vide

« Roger R. Lafreniѐre »

Vide

Juge

Traduction certifiée conforme

N. Belhumeur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑628‑22

 

INTITULÉ :

DORCAS OLUWATOMIWA ABIODUN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Mark Gruszczynski

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Canada Immigration Team

Westmount (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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