Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221205


Dossier : T-179-22

Référence : 2022 CF 1673

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

PAULINE HOWARD

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Mme Howard a contrevenu aux plafonds de cotisation applicables à son compte d’épargne libre d’impôt [CELI] pour les années d’imposition 2020 et 2021. Par conséquent, le 20 juillet 2021, elle a fait l’objet d’une cotisation d’impôt de 1 800 $ sur l’excédent CELI et s’est vu imposer une pénalité de 90 $ et des arriérés d’intérêts de 5,18 $.

[2] Mme Howard a payé ces sommes. Elle a présenté au ministre une demande d’allègement de l’impôt, de la pénalité et des intérêts.

[3] Le paragraphe 207.06(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5supp) [la Loi], prévoit que le ministre peut renoncer à tout ou partie de l’impôt payable sur l’excédent CELI si l’obligation de payer l’impôt fait suite à une « erreur raisonnable » et que le particulier a agi sans délai pour retirer la cotisation excédentaire.

[4] La demande d’allègement de Mme Howard a été rejetée, de même que sa demande visant un deuxième examen indépendant de cette décision.

[5] Tout au long de ce processus ainsi que de la présente demande de contrôle, Mme Howard s’est représentée sans l’aide d’un avocat. Je la félicite d’avoir bien fait ses recherches sur le droit applicable et d’avoir présenté de façon compétente ses observations écrites et orales à la Cour.

[6] Mme Howard ne conteste pas qu’elle a fait des cotisations à son CELI qui dépassaient le plafond autorisé. Le ministre ne conteste pas les faits qui ont donné lieu aux cotisations excédentaires ni les mesures prises par Mme Howard lorsqu’elle a pris connaissance des cotisations excédentaires.

[7] En décembre 2019, Mme Howard détenait un certificat de placement garanti [CPG] qui arrivait à échéance. Une conseillère financière de la Banque Scotia lui a conseillé d’utiliser le produit pour acheter un autre CPG et le déposer dans un CELI. Elle a suivi ces conseils et a versé 63 500 $ à un CELI et 6 000 $ supplémentaires en janvier 2020, lorsque le plafond de cotisation est devenu disponible. Elle dit qu’il s’agissait de toutes ses économies à la Banque Scotia. Il n’est pas contesté qu’elle ignorait que cela représentait des cotisations excédentaires au CELI.

[8] Le 31 janvier 2020, Mme Howard s’est envolée pour la République dominicaine et s’attendait à y rester pendant trois mois, mais la pandémie mondiale a modifié ses plans. À partir de mars 2020, il n’y avait plus de vols entre la République dominicaine et le Canada. Par la suite, les voyages ont été grandement limités et Mme Howard n’a pas pu rentrer au Canada avant le 25 juin 2021. Elle a dû observer une quarantaine de 14 jours et n’a regagné son domicile à l’Île-du-Prince-Édouard qu’à la mi-juillet 2021.

[9] Pendant son absence, Mme Howard avait demandé à un ami de ramasser son courrier et de prendre une photo des enveloppes qui étaient adressées à elle afin qu’elle puisse demander à son ami d’ouvrir celles dont le contenu lui était inconnu.

[10] L’Agence du revenu du Canada [ARC] a envoyé une lettre à Mme Howard le 4 juin 2020 [la lettre d’information], soit environ quatre mois après son départ pour la République dominicaine. Dans cette lettre, l’ARC l’a informée qu’elle avait fait des cotisations excédentaires de 15 000 $ à son CELI et lui a expliqué les mesures qu’elle devait prendre ainsi que les conséquences éventuelles :

[traduction]

Vos droits de cotisation au CELI représentent le montant maximum que vous pouvez cotiser à votre CELI chaque année. Chaque fois que vous dépassez vos droits de cotisation au CELI, vous devez retirer l’excédent immédiatement. Si vous avez déjà effectué le retrait de l’excédent, vous n’avez rien d’autre à faire. Si vous ne l’avez pas retiré, veuillez le faire immédiatement. Vous n’êtes pas tenue de nous fournir la preuve du retrait de l’excédent.

À l’avenir, si vous continuez à dépasser vos droits de cotisation, l’ARC pourra vous réclamer un impôt de 1 % pour chaque mois où l’excédent demeure dans votre compte. En outre, les gains découlant des cotisations excédentaires peuvent être considérés comme un avantage, ce qui pourrait entraîner d’autres impôts et pénalités, comme l’impôt relatif à un avantage.

[11] L’ami de Mme Howard ne lui a pas envoyé une photo de l’enveloppe contenant la lettre de l’ARC qui l’informait de sa cotisation excédentaire. Mme Howard n’a pris connaissance de son existence et de la cotisation excédentaire qu’à son retour à l’Île-du-Prince-Édouard.

[12] Lorsqu’elle a reçu la lettre d’information en juillet 2021, Mme Howard a immédiatement communiqué avec la Banque Scotia pour comprendre ce qui s’était passé. Un autre conseiller financier a expliqué que la personne qui avait conseillé à Mme Howard de contribuer au CELI avait commis une erreur dans le calcul de ses droits de cotisation puisqu’elle avait inclus trois années pendant lesquelles Mme Howard n’était pas résidente du Canada (2009 à 2011). Mme Howard a immédiatement retiré sa cotisation excédentaire.

[13] Par une lettre datée du 1er août 2021, Mme Howard a demandé un allègement de l’impôt, de la pénalité et des intérêts. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas reçu la lettre d’information plus tôt et qu’elle s’était fiée aux conseils que lui avait donnés sa conseillère financière :

[traduction]

Suivant les conseils de ma conseillère financière à la Banque Scotia, j’ai versé le montant total que j’avais, selon elle, le droit de cotiser à mon CELI en décembre 2019 et un autre montant que j’avais, selon elle, le droit de cotiser en janvier 2020 lorsque mon plafond de cotisation a augmenté. Ma conseillère financière m’a donné des renseignements erronés parce qu’elle a inclus les années 2009 à 2011 alors que je ne vivais pas au Canada. J’ignorais les règles relatives au CELI et je me suis fiée aux conseils d’une experte financière. Ce n’est qu’après avoir consulté un autre conseiller financier à la Banque Scotia que nous avons pu comprendre pourquoi l’autre conseillère financière (qui n’y travaillait plus) m’avait donné le plafond de cotisation incorrect. J’ignorais totalement l’existence de la cotisation excédentaire jusqu’à ce que j’ouvre mon courrier à la mi-juillet 2021.

[14] Mme Howard a aussi expliqué sa situation en tant que femme célibataire vivant sous le seuil de pauvreté :

[traduction]

J’ai 62 ans et je vis d’une modeste pension. Vous pouvez consulter mon avis de cotisation et voir que je vis (et que j’ai vécu) bien en deçà du seuil de pauvreté. Mon portefeuille d’investissement relativement modeste doit être suffisant pour que je puisse compléter mon revenu de retraite pour le reste de ma vie. La pénalité et les intérêts calculés conformément à l’avis daté du 20 juillet 2021 [sic] pour 2020 s’élèvent à 1 895,18 $, soit près de 20 % de mon revenu en 2020. Ce montant représente une contrainte pour moi du fait que je tente de survivre avec environ 10 000 $ par année.

[15] La demande d’allègement initiale a été refusée au motif qu’il avait fallu un certain temps pour que Mme Howard retire l’excédent de son CELI après l’envoi de la lettre d’information :

[traduction]

Après un examen approfondi des renseignements présentés et des faits relatifs à votre dossier, nous avons conclu que, d’après les renseignements que vous avez fournis, l’excédent est demeuré dans votre compte CELI même si vous avez été avisée au moyen de la lettre d’information du 4 juin 2020. Par conséquent, nous considérons que vous n’avez pas retiré l’excédent dans un délai raisonnable. Après que le contribuable en a été avisé, il lui incombe de retirer immédiatement toute cotisation excédentaire présente dans son CELI et de tenir des registres exacts à l’avenir pour s’assurer qu’il ne dépasse pas les droits de cotisation.

[16] Cette décision ne traite pas de la question de savoir si l’impôt découlait d’une erreur raisonnable.

[17] Après le refus de sa demande d’allègement, Mme Howard a présenté une demande de deuxième examen indépendant, qui a également été refusée. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[18] Dans la décision contestée, les deux éléments de la demande d’allègement énoncés au paragraphe 207.06(1) de la Loi ont été traités.

[19] Tout d’abord, le décideur a conclu que Mme Howard n’avait pas respecté l’exigence selon laquelle elle [TRADUCTION] « aurait dû agir immédiatement pour retirer les cotisations excédentaires » bien que la décision ait mentionné son explication selon laquelle elle n’avait reçu la lettre d’information qu’en juillet 2021, car elle était à l’étranger et ne pouvait pas rentrer au pays. Dans la décision contestée, le décideur a souligné que la lettre d’information était datée du 4 juin 2021 et que l’excédent n’avait été retiré qu’en juillet 2021. Elle renferme aussi la conclusion suivante : [TRADUCTION] « Par conséquent, nous considérons que vous n’avez pas retiré l’excédent dans un délai raisonnable ».

[20] Ensuite, le décideur a constaté que la cotisation excédentaire n’avait pas été effectuée en raison d’une « erreur raisonnable ». À cet égard, il a indiqué :

[traduction]

Nous considérons que les conseils que vous avez reçus de votre conseillère financière sont une affaire entre vous et votre banque. Votre institution financière a la responsabilité de vous conseiller correctement à partir des renseignements dont elle dispose à ce moment-là. Si vous estimez qu’elle n’a pas rempli ses obligations à votre égard, vous devriez envisager de donner suite à l’affaire en utilisant ses procédures internes de traitement des plaintes. Si votre plainte ne peut pas être résolue à l’issue de ces étapes internes, vous pouvez la soumettre à l’organisme externe de traitement des plaintes des institutions financières.

[21] La question dont la Cour est saisie est de savoir si la décision faisant l’objet du contrôle est raisonnable comme le décrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], au paragraphe 86 :

[…] Il ressort explicitement de l’arrêt Dunsmuir que la cour de justice qui procède à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable « se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » : par. 47. Selon l’arrêt Dunsmuir, le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : ibid. En somme, il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. Si certains résultats peuvent se détacher du contexte juridique et factuel au point de ne jamais s’appuyer sur un raisonnement intelligible et rationnel, un résultat par ailleurs raisonnable ne saurait être non plus tenu pour valide s’il repose sur un fondement erroné.

[22] Mme Howard fait valoir quatre raisons qui, selon elle, démontrent que la décision contestée n’est pas raisonnable. Premièrement, la décision ne répond pas à sa préoccupation centrale, soit les répercussions de la pandémie mondiale et son incidence sur le fait qu’elle n’a pas reçu la lettre d’information avant d’avoir pu rentrer au Canada. Deuxièmement, la décision n’explique pas pourquoi sa cotisation excédentaire n’était pas une erreur raisonnable. Troisièmement, le raisonnement n’est pas transparent parce qu’il manque d’analyse et de justification. Quatrièmement, la décision a une incidence sur la situation personnelle de Mme Howard, mais n’est pas accompagnée de motifs complets et détaillés.

[23] Le ministre soutient que la décision est raisonnable. Tout d’abord, il affirme que [TRADUCTION] « le fait de ne pas être au courant des plafonds de cotisation, sans égard aux conseils fournis par des tiers, n’est pas une erreur raisonnable qui justifie la cotisation excédentaire ou le défaut de retirer la cotisation excédentaire versée au CELI dans un délai raisonnable ». Il soutient qu’il s’agit [TRADUCTION] « d’une analyse raisonnable fondée sur des contraintes juridiques et factuelles ». Ensuite, le ministre fait valoir que la conclusion selon laquelle le délai écoulé entre la date de la lettre d’information et le retrait des cotisations excédentaires dépasse le délai raisonnable est conforme à la jurisprudence pertinente.

[24] Compte tenu de l’ensemble de faits unique dont dispose la Cour, je suis d’avis que la décision contestée est déraisonnable.

[25] Premièrement, la conclusion selon laquelle la cotisation excédentaire n’est pas une erreur raisonnable parce qu’elle est fondée sur les conseils fournis par un tiers n’est pas motivée. Deuxièmement, la conclusion selon laquelle Mme Howard n’a pas retiré la cotisation excédentaire [TRADUCTION] « dans un délai raisonnable » a été tirée sans tenir compte des répercussions de la pandémie et de son absence du Canada et sans tenir compte du fait qu’elle a retiré l’excédent immédiatement après en avoir pris connaissance.

[26] Le décideur a accepté le fait que les cotisations excédentaires résultaient des conseils que Mme Howard avait reçus de la Banque Scotia, mais il a conclu qu’il ne s’agissait pas d’une « erreur raisonnable » au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu : [TRADUCTION] « Nous considérons que les conseils que vous avez reçus de votre conseillère financière sont une affaire entre vous et votre banque. » Cela revient à dire qu’une erreur commise à cause des conseils erronés donnés par un conseiller ne peut jamais être une erreur raisonnable. Cette affirmation est contraire à l’opinion exprimée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161 [Connolly].

[27] Dans l’affaire Connolly, le contribuable avait versé des cotisations excédentaires à son régime enregistré d’épargne-retraite. La disposition de la Loi qui prévoit un allègement dans de telles circonstances est le paragraphe 204.1(4), qui ressemble à la disposition applicable en l’espèce, soit le paragraphe 207.06(1).

[28] Dans l’arrêt Connolly, au paragraphe 27, la Cour d’appel a mentionné les lignes directrices internes de l’ARC qui définissent le terme « erreur acceptable » (le terme utilisé au paragraphe 204.1(4) pour reasonable error) :

[traduction]

Qu’est-ce qu’une « erreur acceptable »?

L’erreur acceptable signifie que le contribuable n’avait pas l’intention de cotiser en trop à son REER ou à son régime de pension agréé collectif (RPAC) et que l’excédent fait suite à des circonstances exceptionnelles, indépendantes de sa volonté.

L’erreur acceptable signifie que l’excédent fait suite à une erreur et que le contribuable n’a pas cotisé en trop intentionnellement. Pour qu’une erreur soit jugée acceptable, elle doit correspondre à une erreur qu’une personne impartiale considérerait comme plus – et non moins – susceptible de survenir compte tenu des circonstances.

Une personne impartiale s’entend d’une personne qui n’a aucun parti pris quant aux éléments à l’origine d’une question ou d’une situation et quant à la manière de la résoudre, et qui n’a aucun intérêt personnel dans le règlement de l’affaire.

Le caractère acceptable dépendra des faits propres à chaque affaire.

[29] Le décideur dans cette affaire s’était appuyé sur ces lignes directrices pour conclure que le contribuable n’avait pas établi qu’il avait droit à un allègement. Plus précisément, il avait conclu que le terme « erreur acceptable » signifie que le contribuable n’avait pas l’intention de cotiser en trop et que l’excédent faisait suite à des circonstances exceptionnelles, indépendantes de la volonté du contribuable. Il avait affirmé qu’un contribuable ne pouvait obtenir un allègement que si « les pénalités et les intérêts découlaient de circonstances indépendantes de sa volonté, telles qu’une maladie, un accident, des troubles émotifs graves, une catastrophe naturelle ou une action de [l’ARC] ».

[30] La Cour d’appel fédérale a conclu qu’il s’agissait d’une interprétation beaucoup trop stricte du terme « erreur acceptable » et a affirmé ce qui suit au paragraphe 67 :

L’interprétation par la fonctionnaire déléguée du paragraphe 204.1(4) de la LIR (tout comme l’interprétation énoncée dans les lignes directrices internes de [l’ARC], à laquelle s’est fiée la fonctionnaire déléguée) contrevient à l’objet du paragraphe qui est d’offrir un allègement, car elle supprime pour ainsi dire le pouvoir discrétionnaire du ministre, ce qui nous amène indubitablement à conclure que cette interprétation est déraisonnable. Presque toutes les erreurs commises par des contribuables qui cotisent en trop à leur REER (outre les simples erreurs mathématiques) résultent d’une mauvaise compréhension des limites qui s’appliquent – une erreur de droit. Si ce type d’erreur n’est pas assujetti au paragraphe 204.1(4) de la LIR, la portée de celui-ci est alors pratiquement réduite à néant. De même, le fait que l’erreur puisse avoir été commise par un tiers conseiller, ou puisse être le résultat de mauvais conseils reçus dudit conseiller, ne signifie pas automatiquement que l’erreur ne peut être acceptable. [Non souligné dans l’original.]

[31] Comme je l’ai déjà mentionné, dans la décision faisant l’objet du contrôle, il n’y a aucune analyse quant à la raison pour laquelle, dans les circonstances, le fait que Mme Howard ait agi en se fondant sur les conseils erronés de sa conseillère financière ne constituait pas une erreur raisonnable. Mme Howard a porté à l’attention de la Cour la décision Ifi c Canada (Procureur général), 2020 CF 1150, où la Cour a accueilli une demande de contrôle judiciaire dans une affaire où la contribuable avait été mal conseillée. Bien que les faits de cette affaire sont différents de ceux en l’espèce, je souscris entièrement à l’affirmation suivante formulée par la juge Pallotta au paragraphe 21, qui s’applique également à la décision faisant l’objet du présent contrôle :

[…] Bien que les motifs écrits donnés par un organisme administratif ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale : arrêt Vavilov, aux paras 91 et 102. Je ne suis pas en mesure d’en dire autant concernant l’espèce. À mon avis, les motifs avancés ne comportent aucun mode d’analyse qui pourrait raisonnablement amener le décideur, au vu de la preuve, à la conclusion définitive qu’il a tirée : arrêt Vavilov, au para 102.

[32] En l’espèce, il n’y a tout simplement aucune analyse. Tout ce dont la Cour dispose pour juger du caractère raisonnable de la décision contestée est la conclusion selon laquelle le fait que Mme Howard s’est fondée sur les conseils d’une conseillère financière ne rend pas l’erreur raisonnable. Comme nous l’enseigne l’arrêt Vavilov, il faut tenir compte à la fois du résultat de la décision et du raisonnement à l’origine de ce résultat pour évaluer le caractère raisonnable d’une décision. Lorsque c’est impossible, la décision n’est pas raisonnable et ne peut être maintenue.

[33] Je conclus également que la conclusion selon laquelle Mme Howard n’a pas retiré les cotisations excédentaires en temps opportun est déraisonnable. Au paragraphe 127 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a souligné qu’il est important que le décideur tienne valablement compte des préoccupations soulevées :

Les principes de la justification et de la transparence exigent que les motifs du décideur administratif tiennent valablement compte des questions et préoccupations centrales soulevées par les parties. Le principe suivant lequel la ou les personnes visées par une décision doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position est à la base de l’obligation d’équité procédurale et trouve son origine dans le droit d’être entendu : Baker, par. 28. La notion de « motifs adaptés aux questions et préoccupations soulevées » est inextricablement liée à ce principe étant donné que les motifs sont le principal mécanisme par lequel le décideur démontre qu’il a effectivement écouté les parties.

[34] L’une des questions centrales soulevées par Mme Howard était qu’elle ignorait qu’elle avait fait des cotisations excédentaires puisqu’elle n’avait pas reçu la lettre d’information, n’ayant pas pu rentrer au Canada en raison de la pandémie de COVID-19. N’eût été la pandémie, elle aurait été chez elle et aurait reçu la lettre d’information au moment de sa livraison. De plus, elle souligne que, dès qu’elle a pris connaissance de la situation, elle a retiré l’excédent.

[35] Le ministre affirme que la décision faisant l’objet du contrôle est conforme à la jurisprudence de la Cour. Il cite à cet égard les décisions Rempel c Canada (Procureur général), 2021 CF 337 [Rempel], Jiang c Canada (Procureur général), 2019 CF 629 [Jiang], et Weldegebriel c Canada (Procureur général), 2019 CF 1565 [Weldegebriel]. J’estime que ces décisions peuvent être distinguées de celle dont la Cour est maintenant saisie.

[36] Dans l’affaire Rempel, le contribuable avait reçu la lettre d’information par courriel, puisqu’il avait indiqué à l’ARC que c’était le moyen de communication qu’il préférait. Il ne vérifiait pas ses courriels et c’est seulement lorsqu’il a reçu l’avis de cotisation par la poste qu’il a appris l’existence de la cotisation excédentaire. La Cour a fait remarquer que le contribuable avait la responsabilité de vérifier sa correspondance, et elle a affirmé, au paragraphe 28, que l’erreur commise par le contribuable « en ne surveillant pas ses communications, ne devrait pas être attribuée à l’ARC ». En l’espèce, Mme Howard avait mis en place un mécanisme pour surveiller ses communications étant donné que la pandémie l’empêchait de recevoir personnellement son courrier. L’erreur découlait de la surveillance et non de son défaut de mettre en place un plan pour surveiller son courrier.

[37] Dans l’affaire Jiang, la contribuable ne pouvait plus recevoir de courrier à l’adresse qu’elle avait fournie à l’ARC et n’avait pas mis à jour son adresse. Encore une fois, le problème de communication découlait du fait que la contribuable n’avait pas mis à jour ses dossiers. Aucune faute de ce type n’a été commise ici par Mme Howard.

[38] De manière similaire, dans l’affaire Weldegebriel, le contribuable, un membre des forces armées qui voyageait fréquemment, n’avait pas fait de changement d’adresse, et la Cour a jugé que le défaut de recevoir la lettre était attribuable au contribuable, même si l’erreur était de bonne foi.

[39] Or, en l’espèce, le fait que la lettre d’information n’a pas été portée à l’attention de Mme Howard n’était pas de sa faute. Il y a sans doute deux causes immédiates : la personne qui surveillait le courrier ne lui a pas envoyé la photo de l’enveloppe de cette lettre en particulier, et la pandémie l’a empêchée de recevoir et d’ouvrir elle-même son courrier.

[40] Il est possible qu’un décideur ne juge aucune de ces explications suffisante pour justifier le retard dans le retrait des cotisations excédentaires; cependant, comme Mme Howard les avait soulevées expressément, il fallait les traiter. Ce ne fut pas le cas. Mme Howard a affirmé : [TRADUCTION] « si j’avais été à la maison et que j’avais reçu la lettre d’information et n’avais pas été prise dans une pandémie mondiale, j’aurais été informée des cotisations excédentaires et j’aurais pu éviter l’impôt en retirant ces cotisations sans tarder, pendant la période de grâce ». En se fondant sur sa conduite, la Cour accepte le fait que, n’eût été la pandémie, elle aurait reçu la lettre d’information et aurait pris des mesures immédiates pour retirer les cotisations excédentaires.

[41] Pour ces motifs, la présente demande sera accueillie, la décision sera annulée et un nouvel examen indépendant devra être effectué par un autre décideur.

[42] Il est possible que le résultat du nouvel examen soit le même. Si c’est le cas, la Cour encourage Mme Howard à suivre la recommandation de l’ARC et à demander réparation pour ses pertes à la Banque Scotia. D’après le dossier dont dispose la Cour, il est plutôt incompréhensible qu’une personne conseille à une cliente d’investir dans un CELI alors que son revenu est si faible qu’elle n’a aucun impôt sur le revenu à payer. C’est une mesure inutile, car le CELI est un mécanisme visant à mettre les revenus à l’abri de l’impôt.

[43] À juste titre, le ministre n’a pas demandé que les dépens lui soient adjugés s’il devait obtenir gain de cause. Mme Howard a demandé à la Cour de lui rembourser les dépens qu’elle a engagés pour déposer la présente demande. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je lui accorderai des dépens de 200 $.

 


JUGEMENT dans le dossier T-179-22

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie, que la décision sur le deuxième examen de la demande présentée par Mme Howard au ministre pour qu’il renonce à l’impôt, à la pénalité et aux intérêts découlant de la cotisation excédentaire à son compte d’épargne libre d’impôt doit être examinée à nouveau par un autre décideur. Des dépens de 200 $ sont accordés à Mme Howard.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-179-22

 

INTITULÉ :

PAULINE HOWARD c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Pauline Howard

 

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Caitlin Ward

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.