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Date : 20221125


Dossier : T-456-22

Référence : 2022 CF 1617

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

DIEGO RUIZ RODRIGUEZ

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Diego Ruiz Rodriguez, qui a comparu pour son propre compte, demande le contrôle judiciaire de la décision du ministre du Revenu national [le ministre] de rejeter sa demande d’allègement présentée au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e supp) [la LIR]. La présente affaire découle du fait que M. Rodriguez a versé des cotisations excédentaires à son compte d’épargne libre d’impôt [CELI] pour l’année d’imposition 2020.

[2] M. Rodriguez a présenté une première demande d’allègement, qui a été rejetée par un agent de l’Agence du revenu du Canada [ARC]. Il a donc présenté une deuxième demande d’allègement, qui a été examinée par une autre agente de l’ARC [l’agente]. Bien que la décision rendue par l’agente ait eu – je le conçois – des conséquences importantes pour M. Rodriguez, je ne suis pas convaincu qu’elle était déraisonnable. En outre, l’agente n’a pas outrepassé son pouvoir discrétionnaire ni commis une erreur susceptible de contrôle. Par conséquent, même si je compatis à la situation de M. Rodriguez, je dois rejeter sa demande de contrôle judiciaire.

II. Les faits et les décisions sous-jacentes

[3] Au début de l’année d’imposition 2020, M. Rodriguez a dû déménager pour se rapprocher de sa fille, à la suite de sa séparation d’avec son épouse. Il a donc retiré 50 000 $ de son CELI dans l’intention de présenter une offre d’achat sur une maison. Dans un marché immobilier en effervescence où les guerres d’enchères étaient fréquentes, les acheteurs potentiels devaient avoir les fonds en main pour que leur offre puisse être acceptée dans un délai très court. Or, M. Rodriguez s’est rapidement rendu compte que le marché immobilier était tout simplement trop effervescent pour ses moyens financiers, et il a donc fait ce qu’il pensait être raisonnable : le 6 février 2020, il a remis les fonds dans son CELI. Les droits de cotisation à un CELI de M. Rodriguez pour l’année d’imposition 2020 étaient de 10 008,88 $, de sorte que le dépôt des 50 000 $ – qui, aux yeux de M. Rodriguez, ne constituaient pas de nouveaux fonds, mais plutôt les mêmes fonds qui avaient été retirés du compte quelques semaines plus tôt – a entraîné une cotisation excédentaire d’environ 40 000 $ en février. Mais ce n’est pas tout. Comme il s’est rendu compte qu’il possédait deux CELI, le 20 février 2020, M. Rodriguez a transféré 50 000 $ du CELI dans lequel il avait déposé de nouveau les fonds le 6 février 2020 à son compte d’épargne ordinaire, puis les a transférés dans un autre CELI le même jour. Du point de vue de M. Rodriguez, il transférait simplement des fonds d’un CELI à un autre. Toutefois, du point de vue de l’ARC, le transfert qui a été effectué le 20 février 2020 par l’intermédiaire du compte d’épargne constituait une seconde cotisation de 50 000 $ en février 2020. Selon M. Rodriguez, il s’agissait simplement d’une erreur de bonne foi parce qu’il pensait qu’il pouvait déposer des fonds dans un CELI, retirer des fonds d’un CELI et transférer des fonds d’un CELI à l’autre sans que ces opérations aient une incidence sur son plafond de cotisation pour l’année. Mais il avait tort. Aux yeux de l’ARC, compte tenu des autres cotisations que M. Rodriguez semble avoir faites, qui visent – les parties l’ont reconnu – de « nouveaux » fonds, M. Rodriguez a fini par cotiser 122 000 $ à un CELI en 2020, ce qui signifie qu’il a effectué des cotisations excédentaires de 111 991,12 $ [les cotisations excédentaires de 2020]. Ses cotisations en 2020 étaient les suivantes :

  1. 6 février 2020 – 50 000 $

  2. 20 février 2020 – 50 000 $

  3. 11 mai 2020 – 10 000 $

  4. 29 décembre 2020 – 6 000 $

  5. 30 décembre 2020 – 6 000 $

[4] Aucune des deux parties n’a été en mesure d’expliquer pourquoi l’ARC a conclu que M. Rodriguez avait cotisé 6 000 $ deux fois à la fin de l’année alors que M. Rodriguez lui-même affirme qu’il n’a versé qu’une seule cotisation de 6 000 $ à la fin décembre. D’après ce que je peux voir, cette question n’est pas pertinente en l’espèce puisque M. Rodriguez n’a présenté aucun argument relatif à une éventuelle « double comptabilisation » de la cotisation effectuée en fin d’année. Il est possible que M. Rodriguez ait transféré ces fonds d’un CELI à un autre au moyen d’un instrument d’épargne autre qu’un CELI, effectuant les mêmes opérations de transfert que celles qu’il a effectuées le 20 février 2020 à l’égard de la somme de 50 000 $, et que la somme de 6 000 $ ait simplement été comptée deux fois. Quoi qu’il en soit, en juillet 2021, environ 18 mois après l’erreur que M. Rodriguez a déclaré être une erreur de bonne foi, l’ARC a envoyé un avis de cotisation à M. Rodriguez relativement aux cotisations excédentaires de 2020 [l’avis de cotisation]. Le montant à payer était de 6 270 $ plus 331,56 $ au titre des pénalités et des intérêts.

[5] Plus tard ce mois-là, M. Rodriguez a présenté une première demande d’annulation de l’avis de cotisation. Il a affirmé qu’il ne savait pas que le fait de retirer des fonds de son CELI puis de les déposer de nouveau dans le même CELI au cours de la même année d’imposition serait considéré comme une cotisation supplémentaire, et il s’est engagé à ne pas répéter ce qu’il a qualifié d’erreur de bonne foi. Il a fait valoir qu’il ne pensait pas que le fait de déposer de nouveau les 50 000 $ aurait une incidence sur son plafond de cotisation, car il avait supposé que seuls les droits de cotisation totaux à la fin de l’année étaient pris en compte pour calculer le plafond de cotisation annuel. Selon lui, ses droits de cotisation totaux pour 2020 s’élevaient à 69 500 $. En d’autres termes, M. Rodriguez pensait que les cotisations au CELI étaient uniquement calculées en fonction du montant d’argent dans le CELI à la fin de l’année d’imposition, de sorte qu’il pouvait retirer des fonds et les déposer de nouveau tout au long de l’année tant que, à la fin de l’année, il respectait son plafond de cotisation. Toutefois, comme il l’a appris, chaque dépôt est généralement considéré comme une cotisation distincte appliquée au plafond de cotisation d’une personne et, bien qu’il soit possible de retirer des fonds d’un CELI à tout moment, le retrait de fonds ne réduit pas le montant total des cotisations qui ont déjà été faites pour cette année-là. Autrement dit, le retrait de fonds n’augmente pas le plafond de cotisation d’une personne pour l’année en question. En règle générale, les retraits seront ajoutés aux droits de cotation au CELI d’une personne au début de l’année suivante (voir l’alinéa b) de la définition de « droits inutilisés de cotisation à un CELI » au paragraphe 207.01(1) de la LIR).

[6] La demande de M. Rodriguez a été rejetée par l’ARC en septembre 2021, parce que, même si les cotisations excédentaires de 2020 n’étaient pas intentionnelles, l’ARC n’a pas considéré que la mauvaise interprétation par M. Rodriguez des règles relatives au plafond de cotisation au CELI constituait une « erreur raisonnable » de sa part qui justifiait l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’annuler la cotisation, en particulier compte tenu du fait que M. Rodriguez avait déjà obtenu, en 2013, un allègement du fait des cotisations excédentaires qu’il avait versées à son CELI à cette époque. M. Rodriguez a peut-être retiré 50 000 $ de son CELI en 2020 pour des raisons valables, mais il reste que le dépôt a été considéré comme une cotisation au titre de la LIR. Il s’agissait de la deuxième fois que M Rodriguez versait des cotisations excédentaires, ce qui n’a pas aidé sa cause.

[7] En octobre 2021, M. Rodriguez a déposé une deuxième demande afin que l’ARC annule son avis de cotisation. M. Rodriguez a de nouveau fait valoir que les cotisations excédentaires de 2020 découlaient d’une erreur de bonne foi, mais, cette fois, il a affirmé que, même s’il connaissait son plafond annuel de cotisation, il pensait qu’un plafond cumulé s’appliquerait, c’est-à-dire qu’une moyenne des cotisations serait établie sur, disons, trois ans pour déterminer si les plafonds annuels étaient respectés. Le fondement de cette hypothèse n’est pas clair. M. Rodriguez semble aussi soutenir que sa banque aurait dû l’avertir que le fait de déposer les fonds de nouveau entraînait une cotisation excédentaire, ce qui lui aurait permis de corriger la situation immédiatement au lieu d’attendre de recevoir l’avis de cotisation 18 mois plus tard et d’accumuler entre-temps des intérêts et des pénalités.

[8] La deuxième demande d’allègement de M. Rodriguez a été rejetée le 17 février 2022. L’agente a reconnu qu’elle avait le pouvoir discrétionnaire au titre de la LIR d’annuler en tout ou en partie l’impôt sur les cotisations excédentaires à un CELI si un contribuable a commis une erreur raisonnable et qu’il a agi rapidement pour supprimer la cotisation excédentaire de son CELI. En résumé, l’agente a expliqué que M. Rodriguez ne pouvait, au cours d’une même année, retirer des fonds d’un CELI, puis les déposer de nouveau dans un CELI ou effectuer une cotisation équivalant au montant des fonds retirés, que si ses droits de cotation à un CELI lui permettaient de le faire, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En outre, l’agente a conclu que M. Rodriguez avait déjà reçu des renseignements au sujet des contributions excédentaires à un CELI en 2013 et qu’il avait déjà obtenu un allègement (il a été déchargé cette année-là de l’obligation de payer l’impôt de 1 %). Comme c’était la deuxième fois que M. Rodriguez était informé qu’il avait versé des cotisations excédentaires, l’ARC n’a pas considéré qu’il s’agissait d’une « erreur raisonnable » et a refusé de modifier la cotisation initiale. C’est ce second refus qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

III. La question en litige et la norme de contrôle

[9] La seule question en litige est celle de savoir si la décision de l’agente de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de rejeter la deuxième demande d’allègement de M. Rodriguez relative à l’impôt payable à l’égard des cotisations excédentaires qu’il a versées à un CELI était raisonnable (Badesha c Canada (Procureur général), 2021 CF 215 aux para 15-16 [Badesha]; Zazula c Canada (Procureur général), 2022 CF 1156 aux para 11-12). Une décision raisonnable doit être « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 85, 102, 105-107 [Vavilov]). Une décision ne devrait pas être infirmée à moins qu’elle ne souffre de « lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100). Les tribunaux doivent généralement s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve même si « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, aux para 125-126). En fin de compte, le rôle de la Cour est d’examiner si la décision est justifiée au regard des faits et des lois établies par le législateur (Vavilov, au para 85). La Cour ne peut pas aller à l’encontre de l’intention du législateur ni modifier la loi.

IV. Analyse

[10] L’article 207.02 de la LIR prévoit que le particulier qui a un excédent CELI au cours d’un mois civil est tenu de payer, en vertu de la partie XI.01 de la LIR, un impôt égal à 1 % du montant le plus élevé de cet excédent pour le mois. Le paragraphe 207.06(1) de la LIR confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d’accorder un allègement. Il prévoit qu’un agent de l’ARC, en tant que délégué du ministre, peut renoncer à l’impôt payable sur l’excédent CELI, ou l’annuler, si l’excédent fait suite à une « erreur raisonnable » et que le particulier a pris des mesures pour corriger l’erreur « sans délai ». La seule question en litige dans la présente affaire concerne l’erreur raisonnable, car il n’est pas contesté que M. Rodriguez a corrigé la situation sans délai, les fonds ayant par la suite été retirés lorsqu’il a présenté avec succès une offre d’achat sur une maison.

[11] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire fondé sur le paragraphe 207.06(1) de la LIR, les observations qui se limitent au fait que le particulier ignorait la loi ne peuvent pas, en soi, établir qu’une erreur était raisonnable (Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161 au para 69 [Connolly]). Une « erreur raisonnable » justifiant un allègement dans le contexte de la présente affaire se limiterait aux situations où les cotisations excédentaires ont eu lieu pour des raisons hors du contrôle de M. Rodriguez (Badesha, au para 18), qui comprennent, par exemple, les erreurs bancaires (Gekas c Canada (Procureur général), 2019 FC 1031 [Gekas]), les catastrophes physiques, les perturbations civiles, les maladies ou les accidents graves, ou la détresse (Connolly, au para 32 – il est vrai qu’il était question dans cette affaire du paragraphe 204.1(4) de la LIR, qui traite des cotisations excédentaires à un régime enregistré d’épargne-retraite, mais ces dispositions sont semblables aux dispositions relatives aux cotisations à un CELI).

[12] Le critère applicable pour déterminer qu’une erreur était raisonnable est rigoureux, parce que le régime fiscal canadien est fondé sur le principe de l’autocotisation, de sorte qu’il incombe aux contribuables de comprendre le droit ou de s’en informer et de prendre des mesures raisonnables pour se conformer à la LIR. En matière de CELI, il incombe aux contribuables de connaître leur plafond de cotisation et de s’assurer que leurs cotisations sont conformes aux règles applicables (Yew c Canada (Agence du revenu), 2022 CF 904 aux para 49-52). Même si l’innocence de M. Rodriguez peut être un facteur pertinent, elle n’est pas déterminante (Weldegebriel c Canada (Procureur général), 2019 FC 1565 au para 10).

[13] Devant moi, M. Rodriguez soutient toujours que les cotisations excédentaires de 2020 découlent d’une erreur de bonne foi et que l’ARC aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et le libérer de son obligation fiscale. Il renvoie à plusieurs facteurs des procédures de l’ARC en matière d’allègement qui, selon lui, n’ont pas été dûment pris en considération. Quant au fait que ce n’est pas la première fois qu’il cherche à obtenir un allègement pour des cotisations excédentaires, M. Rodriguez affirme que l’excédent découle dans chaque cas d’une erreur différente : en 2013, il ne connaissait pas son plafond de cotisation, alors qu’en 2020 il n’était tout simplement pas au courant de la règle selon laquelle les fonds déposés de nouveau étaient pris en compte dans le calcul du plafond de cotisation. Il mentionne également que, quoi qu’il en soit, ses cotisations excédentaires de 2013 remontent à sept ans et ne sont donc pas pertinentes en raison du « délai de prescription ».

[14] Le ministre soutient quant à lui que l’agente a raisonnablement conclu que l’obligation fiscale de M. Rodriguez ne faisait pas suite à une erreur raisonnable et que sa décision fait état d’une analyse rationnelle, conforme aux procédures en matière d’allègement, et montre que les observations de M. Rodriguez et la preuve au dossier ont été prises en considération. Dans la présente affaire, M. Rodriguez n’a soulevé aucune erreur susceptible de contrôle; il semble plutôt remettre en cause l’équité perçue de la décision compte tenu du montant de l’impôt qu’il doit payer par rapport aux quelques centaines de dollars d’intérêts qu’il a gagnés pendant que les fonds se trouvaient dans son compte.

[15] Je suis d’accord avec le ministre. La situation de M. Rodriguez a été prise en considération, y compris le fait que son erreur a été commise de bonne foi. Les procédures en matière d’allègement contiennent des facteurs distincts à prendre en considération pour les nouveaux surcotisants et les surcotisants récidivistes. Les procédures en matière d’allègement décrivent les surcotisants récidivistes comme des contribuables qui continuent de verser des cotisations excédentaires après que l’ARC a pris contact avec eux. Le demandeur en l’espèce tombe dans cette catégorie, même s’il s’agit uniquement de sa seconde cotisation excédentaire. Cela étant dit, les procédures en matière d’allègement n’empêchent pas les surcotisants récidivistes d’obtenir un allègement :

[traduction]

En règle générale, une personne obtient un allègement une seule fois. Toutefois, il est possible d’exercer plusieurs fois le pouvoir discrétionnaire d’accorder un allègement :

 

si la même erreur s’est étalée sur deux ans, mais a été corrigée sans délai (30 jours) après que la personne a été informée de l’erreur;

si la contribution excédentaire découle d’une erreur qui a été corrigée immédiatement.

Les procédures en matière d’allègement précisent également ce qui suit : « La correction immédiate signifie que le montant excédentaire a été retiré peu de temps après la cotisation. »

[16] M. Rodriguez soutient que le premier point s’applique à sa situation. Je ne partage pas ce point de vue. Le premier point concerne une seule erreur qui s’étale sur plusieurs années, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque l’erreur de M. Rodriguez de 2013 a été réglée, sept ans se sont écoulés, puis il a commis une nouvelle erreur en 2020. Selon les procédures en matière d’allègement, il est explicitement interdit d’accorder un allègement [traduction] « [l]orsque la personne a obtenu un allègement au cours d’une année antérieure et continue d’effectuer des contributions excédentaires ou des cotisations de non-résidents après avoir été avisée par l’ARC ». Dans la présente affaire, M. Rodriguez a été informé en 2013 qu’il était tenu de se conformer aux règles et a maintenant versé de nouvelles cotisations excédentaires, même si celles-ci découlent d’une erreur différente. Cette interdiction d’accorder un allègement n’exige pas que l’erreur soit similaire et donne à penser que, après une infraction, une personne doit redoubler de vigilance et mieux respecter les règles.

[17] Les procédures en matière d’allègement contiennent une liste de facteurs à prendre en compte pour les surcotisants :

[TRADUCTION]

Au cours d’une année précédente, l’ARC a pris contact avec le contribuable ou lui a délivré un avis de cotisation à l’égard de cotisations excédentaires ou de cotisations de non-résidents.

Qu’est-ce qui s’est passé après le premier contact de l’ARC – les cotisations excédentaires se sont-elles poursuivies?

Après examen de la conduite du contribuable après le premier contact de l’ARC, le contribuable est-il un surcotisant récidiviste qui aurait dû gérer son compte en respectant les limites de cotisation?

Y a-t-il des circonstances atténuantes à prendre en compte?

[18] Dans la deuxième demande d’annulation, M. Rodriguez a mentionné qu’il éprouvait des difficultés et vivait une période très difficile, sans donner plus de détails. Cependant, devant moi, M. Rodriguez a souligné qu’il traversait une période extrêmement stressante en 2020. Il était en train de se séparer de son épouse et devait trouver un endroit convenable pour vivre à proximité de l’endroit où vivait son épouse afin d’être près de sa fille, compte tenu de la probabilité que celle-ci fasse l’objet d’une garde conjointe. Or, cette preuve n’a pas été présentée à l’agente et, par conséquent, je ne peux guère lui reprocher de ne pas l’avoir prise en considération. Quoi qu’il en soit, il me semble que, même si l’agente avait été informée de ce que M. Rodriguez vivait en 2020, elle aurait été obligée d’évaluer si sa situation équivalait à une « détresse grave » au sens de l’arrêt Connolly. Ce qui est clair, toutefois, c’est que l’agente a raisonnablement conclu, compte tenu de la preuve dont elle disposait, que le manque de connaissance de M. Rodriguez n’équivalait pas à une « erreur raisonnable » au sens de la LIR. Je ne vois rien de déraisonnable non plus dans le fait que la déléguée du ministre a tenu compte de l’erreur commise par M. Rodriguez dans le contexte des cotisations excédentaires de 2013.

[19] La Cour a déjà accueilli des demandes de contrôle judiciaire dans des cas qui, pourrait-on soutenir, ressemblent au cas de M. Rodriguez; cependant, les faits de ces affaires diffèrent sensiblement des faits de l’espèce. Dans la décision Gekas, le juge Boswell a conclu qu’il était déraisonnable que le demandeur soit qualifié de surcotisant récidiviste étant donné que la seconde cotisation excédentaire du demandeur était le résultat de malentendus entre son institution financière et lui et était donc hors de son contrôle. Ce n’est pas le cas dans la présente affaire. Dans la décision Sangha c Canada (Procureur général), 2020 CF 712, la juge Walker a conclu que la décision du délégué du ministre comportait des lacunes fondamentales. Je ne constate aucune lacune dans le raisonnement de l’agente en l’espèce. Enfin, dans la décision Ifi c Canada (Procureur général), 2020 CF 1150, la juge Pallotta n’a trouvé aucun élément de preuve attestant que la demanderesse avait déjà obtenu un allègement. Encore une fois, ce n’est pas le cas dans la présente affaire.

[20] Enfin, j’ai tenu compte de l’appel téléphonique de juillet 2021 au cours duquel un agent de l’ARC aurait mentionné que M. Rodriguez obtiendrait probablement l’allègement qu’il demandait. Toutefois, je ne suis pas convaincu que l’agent aurait fait une promesse importante à M. Rodriguez relativement à l’allègement qu’il demandait ou, subsidiairement, qu’il aurait eu l’autorité de le faire. Je comprends que si l’agent, dans l’exercice du pouvoir que lui confère la loi, a fait des affirmations à M. Rodriguez quant au processus à suivre, ces affirmations peuvent bien avoir suscité des attentes légitimes de la part de M. Rodriguez, mais ces affirmations doivent être de nature strictement procédurale et ne doivent pas aller à l’encontre de l’obligation légale du décideur final quant au bien-fondé de la demande d’allègement de M. Rodriguez (Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30 au para 68). Cela ne semble pas être le cas dans la présente affaire.

[21] En fin de compte, je conclus que la décision de l’agente de refuser la demande d’allègement de M. Rodriguez est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et fait état d’une analyse rationnelle qui a permis à M. Rodriguez de comprendre pourquoi sa demande d’allègement était refusée pour l’année d’imposition 2020. Il est évident que les cotisations excédentaires dans la présente affaire ont été versées par M. Rodriguez en raison de sa méconnaissance des règles régissant les CELI et ne sont donc pas la conséquence d’une erreur raisonnable. Rien dans la décision n’étaye l’argument selon lequel l’agente n’a pas dûment exercé son pouvoir discrétionnaire dans les circonstances et, bien que je comprenne le mécontentement de M. Rodriguez à l’égard du résultat, je ne vois aucun motif d’annuler la décision. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[22] Le ministre sollicite les dépens, mais à mon avis il n’est pas justifié de les adjuger en l’espèce.

 


JUGEMENT dans le dossier T-456-22

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Blain McIntosh


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-456-22

 

INTITULÉ :

DIEGO RUIZ RODRIGUEZ c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 25 novembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Diego Ruiz Rodriguez

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

Félix Desbiens-Gravel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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