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Date : 20221202


Dossier : IMM-1312-20

Référence : 2022 CF 1667

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

SAJID IMRAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du 5 février 2020 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté sa demande d’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles ou fiables à l’appui de sa demande.

[2] Le demandeur a interjeté appel de la décision devant la Section d’appel des réfugiés, mais celle-ci a refusé de l’entendre en se fondant sur l’article 167 de la Loi no 1 sur le Plan d’action économique de 2013, LC 2013, c 33 [la LPAE].

[3] Le demandeur avait déjà présenté une demande d’asile par le passé, qui avait été rejetée le 10 avril 2014. La juge McVeigh avait accueilli la demande de contrôle judiciaire le 12 juin 2015, et l’affaire avait été renvoyée à la SPR pour qu’un décideur différent rende une nouvelle décision.

[4] C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[5] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

II. La décision

[6] La deuxième audience de la SPR a eu lieu, avec l’aide d’un traducteur ourdou, les 14 et 15 janvier 2019, 15 août 2019 et 2 décembre 2020.

[7] Bien que le tribunal ait eu la transcription de la première audience, il a indiqué qu’il ne s’était pas appuyé sur celle-ci.

[8] Le tribunal a accepté l’identité du demandeur sur la base du passeport pakistanais de ce dernier.

[9] Le tribunal a ensuite énoncé son obligation d’apprécier la preuve en partant de la présomption selon laquelle la preuve est authentique, mais réfutable.

[10] Le tribunal a examiné en détail le témoignage du demandeur et des témoins de ce dernier.

[11] Le tribunal a conclu que le demandeur n’était pas en mesure de fournir des détails à l’appui de ses affirmations et que son témoignage semblait avoir été mémorisé de manière à réciter son histoire et ne faisait pas état d’événements réels que le demandeur avait vécus.

[12] Dans l’ensemble, le tribunal a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible. Il a jugé que les éléments de preuve corroborants étaient douteux et n’avaient aucune valeur probante permettant d’étayer la demande du demandeur.

[13] Le tribunal a conclu que la question déterminante était la crédibilité des activités du demandeur et de ses convictions en matière de droits de la personne.

III. Les questions en litige

[14] Le demandeur soulève trois questions :

  1. Premièrement, la décision contestée est-elle raisonnable?

  2. Deuxièmement, le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

  3. Troisièmement, si le demandeur obtient gain de cause, la Cour devra-t-elle trancher l’affaire plutôt que de la renvoyer au tribunal?

[15] Le défendeur est en accord avec les deux premières questions, mais soutient que la troisième question devrait être modifiée pour qu’elle porte sur la réparation appropriée à accorder si la décision est jugée déraisonnable ou s’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[16] Je suis d’accord avec le défendeur en ce qui concerne la troisième question.

IV. La norme de contrôle

A. La norme de la décision raisonnable

[17] La Cour suprême du Canada a conclu que, lors du contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond (c.-à-d. le contrôle judiciaire d’une mesure administrative qui ne porte pas sur un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale), la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 23. La présomption est réfutable. À part la question de l’équité procédurale, aucune des exceptions à la présomption n’est présente en l’espèce.

[18] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[19] Le décideur peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait du décideur. Elles doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

B. L’équité procédurale

[20] L’obligation d’agir avec équité s’applique à toutes les questions d’équité procédurale et de justice naturelle. La cour de révision doit déterminer si le processus suivi par le décideur a atteint le degré d’équité requis par les circonstances de l’affaire et si la décision était l’aboutissement d’un processus équitable : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CPP] au para 54.

[21] Dans l’affaire CPP, la Cour d’appel fédérale s’est demandé s’il était opportun de se lancer dans une analyse sur la norme de contrôle à l’égard des questions d’équité procédurale. Elle a jugé que même s’il y a une certaine maladresse dans l’utilisation de la terminologie et qu’à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée, l’exercice de révision est « particulièrement bien reflété dans la norme de la décision correcte » : CCP, au para 54.

[22] Dès qu’il s’agit de déterminer s’il y a eu manquement à l’équité procédurale, aucune déférence ne doit être témoignée au décideur. La question fondamentale est celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre : CPP, au para 56.

V. La décision est raisonnable

[23] Le tribunal a commencé par énoncer les allégations contenues dans le formulaire de renseignements personnels (le FRP) du demandeur.

[24] Il s’agissait notamment des allégations du demandeur selon lesquelles il a longtemps été un défenseur des droits de la personne au Pakistan et selon lesquelles il était un allié de la communauté ahmadie de ce pays et l’avait aidée dans sa lutte pour la défense des droits de la personne. Le demandeur affirme qu’il a été ciblé par des extrémistes religieux et les autorités à cet égard.

[25] Le demandeur affirme également avoir travaillé à la Commission internationale des droits de la personne (International Human Rights Commission ou IHRC) en décembre 2005 à titre de secrétaire à l’information. Il dit avoir recueilli des éléments de preuve et des renseignements sur les violations des droits de la personne afin de sensibiliser le public et de recueillir des fonds pour les minorités religieuses du Pakistan.

[26] La décision souligne que le demandeur a déclaré en 2008 qu’il avait commencé à dénoncer les attaques terroristes contre les écoles pour filles. Puis, en mars 2009, alors qu’il était à la maison, trois ou quatre hommes seraient venus le chercher, affirmant qu’ils appartenaient à la direction interservices des renseignements (Inter-Services Intelligence Directorate ou ISI). Il affirme qu’ils lui ont demandé de cesser ses activités de défense des droits de la personne et qu’ils l’ont agressé lorsqu’il a refusé. Plus tard, ces hommes l’ont déposé au village et l’ont avisé de ne rien dire au sujet de l’incident.

[27] Le demandeur dit que, en mai 2010, il a participé à une manifestation pacifique dénonçant les attaques contre les centres de prière ahmadis et qu’il a reçu des menaces par téléphone, mais que les policiers ont refusé de l’aider lorsqu’il leur a signalé l’incident.

[28] Le demandeur affirme aussi qu’un premier rapport d’information (PRI) l’accusant de blasphème au sens du code pénal du Pakistan a été déposé contre lui. Trois semaines plus tard, des policiers l’ont arrêté alors qu’il conduisait. Il a été détenu et interrogé, mais, grâce à l’intervention du président de l’IHRC, il a été libéré le lendemain.

[29] Le demandeur explique que l’ISI et les talibans ont ensuite proféré des menaces par téléphone envers sa famille et lui.

[30] Un autre PRI a été déposé par la police contre le demandeur en juillet 2011, mais il n’y a pas eu de suite à celui-ci.

[31] Le demandeur allègue que, en février 2012, quatre hommes ont tiré sur sa voiture alors qu’il revenait d’une rencontre à l’IHRC. Lorsque le demandeur a signalé cet incident à la police, celle-ci lui aurait conseillé de mettre fin à ses activités et de déménager dans une autre région.

[32] En septembre 2012, le demandeur a de nouveau été arrêté alors qu’il participait à une manifestation dénonçant l’arrestation d’une jeune chrétienne qui avait été faussement accusée d’avoir brûlé le Coran. Il a été détenu environ une heure et demie.

[33] Après cet incident, il a décidé de venir au Canada pour échapper à la violence et aux menaces dont il faisait l’objet.

A. L’analyse du tribunal

[34] Le tribunal a décrit son obligation d’apprécier la preuve en présumant qu’elle est authentique, mais qu’elle peut être réfutée.

[35] Pour étayer sa demande, le demandeur a fait appel à trois témoins : 1) M. Iftikhar Ahmad, un ami de la famille du demandeur qui est maintenant son employeur en Saskatchewan; 2) M. Ahmed Rizwan, président du conseil de l’union (politicien local à Bhalwal); et 3) M. Asif Mehmood, un ami du demandeur et président de la section de Bhalwal de l’IHRC.

[36] Le tribunal a examiné en détail le témoignage du demandeur et de ses témoins, comme il en sera question ci-dessous.

[37] Le tribunal a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible. Il a jugé que les éléments de preuve corroborants étaient douteux et n’avaient aucune valeur probante permettant d’étayer la demande du demandeur.

(1) Le témoignage du demandeur.

[38] Le tribunal a questionné le demandeur en profondeur au sujet de son travail en matière de droits de la personne.

[39] Au terme d’une série de questions, de réinterrogatoires et de mises en garde qui visaient à amener le demandeur à fournir des détails sur les problèmes qu’il avait rencontrés et sur ce qu’il avait fait pour servir la cause, le tribunal a conclu que le demandeur [traduction] « a continué de fournir des réponses qui ne reflétaient que les brèves déclarations de son récit et n’a pas été en mesure de fournir de détails authentiques qu’il aurait pu communiquer au tribunal si les relations alléguées avaient existé ».

[40] Le demandeur invoque la présomption énoncée au paragraphe 5 de la décision Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CAF) [Maldonado] selon laquelle son témoignage sous serment est présumé être véridique.

[41] La présomption est réfutable. Dans la décision Janvier c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 142 [Janvier], le juge Gascon a souligné, au paragraphe 30, que « s’il y a une raison quelconque de douter de la véracité des allégations formulées dans l’affidavit ou le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, la présomption de vérité disparaît ».

[42] Le tribunal a tiré de nombreuses conclusions concernant le manque de crédibilité du demandeur. Par exemple, il a déclaré que [traduction] « [l]e demandeur d’asile a été volubile dans son témoignage; le tribunal lui a souvent conseillé de répondre aux questions qui lui étaient posées, mais le demandeur a continué de fournir des réponses qui reflétaient son récit et a esquivé les questions visant à obtenir davantage de détails du demandeur et à connaître ses motivations ».

[43] De plus, l’examen de la transcription de l’audience révèle que le demandeur a fréquemment donné des réponses vagues et évasives aux questions du tribunal et de son avocat, même après que le tribunal a posé diverses questions de suivi en vue d’obtenir plus de détails et de précisions. À au moins une douzaine de reprises, le tribunal a averti le demandeur d’asile qu’il avait besoin de plus de détails au-delà du simple récit et l’a informé que, autrement, il pourrait tirer une conclusion défavorable.

[44] Le tribunal a conclu que le demandeur était en mesure de raconter le récit de son FRP [traduction] « presque textuellement », mais [traduction] « était incapable de parler spontanément de presque quoi que ce soit d’autre que ces événements indiqués dans son FRP ».

[45] Lorsque le demandeur a été interrogé par son propre avocat, qui lui demandait de donner [traduction] « un exemple précis d’une personne ahmadie qui est venue chercher de l’aide », le demandeur a déclaré que [traduction] « [d]ans notre village, il y a des Ahmadis, ce sont des gens très pauvres. Azef était également présent. Il les a personnellement aidés sur le plan organisationnel, tout comme nous les avons aidés. »

[46] En réponse, l’avocat l’a relancé en indiquant ce qui suit : [TRADUCTION] « Je vais reposer ma question. Vous souvenez-vous d’une personne en particulier qui est venue vous voir et que vous avez aidée? ». Le demandeur a répondu que [traduction] « [t]oute personne qui viendrait nous voir dans notre organisation serait spéciale pour nous, quelle que soit sa religion ou la communauté à laquelle elle appartient ».

[47] Lorsque l’avocat du demandeur a de nouveau insisté pour obtenir un nom précis, le demandeur a déclaré que [traduction] « là-bas, il y a beaucoup de noms, mais nous avons une femme handicapée, et elle n’a personne pour l’aider. Nous l’avons aidée. »

[48] Compte tenu de ce qui précède, j’estime qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que la présomption de véracité était réfutée dans les circonstances.

[49] La décision comporte des erreurs factuelles mineures en ce qui concerne le PRI de février 2011. Le paragraphe 30 de la décision en traite, à la rubrique [traduction] « La crédibilité de l’arrestation en 2012 ». L’arrestation en cause a eu lieu en fait en 2011. Le tribunal mentionne que le PRI a été déposé par l’IHRC, mais d’après le contexte du reste du paragraphe, il est évident qu’il croyait comprendre que le PRI avait été déposé contre le demandeur et avait mené à son arrestation.

[50] La décision comporte aussi une erreur factuelle : il est indiqué que le demandeur a été détenu pendant trois semaines, alors qu’il est mentionné plus tard, à juste titre, que l’arrestation a eu lieu trois semaines après le dépôt du PRI. Je conviens avec le défendeur que ces erreurs n’étaient pas importantes aux fins de la décision. Comme indiqué dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 100, « [i]l ne conviendrait pas que la cour de révision infirme une décision administrative pour la simple raison que son raisonnement est entaché d’une erreur mineure ». La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience qu’invoque la partie contestant la décision est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette dernière déraisonnable. L’examen global de la décision révèle que la question centrale était la crédibilité du demandeur en ce qui concerne ses croyances et ses activités dans le domaine des droits de la personne. Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, les détails entourant son arrestation ne constituaient pas le fondement des nombreuses conclusions en matière de crédibilité tirées par le tribunal.

(2) Le témoignage de M. Ahmad

[51] Le tribunal a conclu que le premier témoin, M. Ahmad, n’était pas au Pakistan au moment des événements en question. M. Ahmad a déclaré qu’il n’avait appris que récemment l’existence des deux PRI et qu’il avait lu des articles de journaux qui auraient été écrits par le demandeur.

[52] Dans l’ensemble, le tribunal a conclu que le témoignage de M. Ahmad appuyait le maintien du demandeur au Canada. Cependant, comme l’information provenait du témoignage du demandeur, qui n’a pas été jugé crédible, et comme M. Ahmad était l’ami et l’employeur du demandeur, le tribunal a accordé peu de poids aux déclarations de ce témoin.

[53] L’analyse du tribunal est raisonnable. Le témoin n’a présenté aucune preuve directe des événements au tribunal.

(3) Le témoignage de M. Rizwan

[54] Le demandeur affirme que le tribunal a commis une erreur en concluant qu’il [traduction] « allègue avoir été un militant reconnu en matière de droits de la personne ». Il soutient qu’il n’a jamais prétendu être un militant « reconnu » dans le cadre de l’audience, de son témoignage ou de ses documents à l’appui. En toute déférence, ce n’est pas tout à fait exact. Le tribunal disposait d’une lettre d’appui rédigée à la main par M. Rizwan, qui était datée du 29 juin 2017. Le papier à en-tête mentionnait que M. Rizwan était le président du conseil de l’union no 30. Selon cette lettre, le demandeur était [traduction] « un éminent défenseur des droits de la personne de la localité [...]« parce qu’il prenait les points de vue des ahmadis, des figahs, des hindous et des autres minorités ».

[55] Je trouve qu’il y a peu, voire qu’il n’y a aucune différence entre être un militant des droits de la personne reconnue et un membre éminent d’un organisme de défense des droits de la personne. La déclaration du tribunal repose donc sur la preuve. La conclusion du tribunal sur ce point doit être examinée dans le contexte de la décision dans son ensemble. Le tribunal n’a pas fondé ses conclusions en matière de crédibilité sur l’absence de témoignage détaillé du demandeur en tant que militant « reconnu », mais plutôt sur l’incapacité de ce dernier à témoigner spontanément à propos de ses convictions et du contexte général de ses activités en faveur des droits de la personne.

[56] Le tribunal a souligné que M. Rizwan avait connu le demandeur toute sa vie, ce qui faisait de lui un ami de la famille. Il a conclu que son témoignage et sa lettre concernant les activités du demandeur en matière de droits de la personne étaient considérablement vagues, à l’instar du témoignage du demandeur lui-même.

[57] M. Rizwan a déclaré que la famille du demandeur était rarement vue, car elle avait peur de se montrer. Cependant, le tribunal a fait remarquer que la preuve contenait un relevé des frais de scolarité des enfants du demandeur pour les années 2017 à 2018, ce qui venait contredire la déclaration de M. Rizwan. Le demandeur conteste cette conclusion et affirme que ni lui ni M. Rizwan n’ont déclaré que ses enfants se cachaient ou n’allaient pas à l’école.

[58] À la ligne 2902 de la transcription, l’avocat du demandeur lui a posé directement la question suivante : [TRADUCTION] « M. Sajid Imran, croyez-vous que votre famille se cache en ce moment? ». Comme dans bon nombre de ses réponses antérieures, le demandeur a répondu vaguement, laissant entendre ce qui suit : « dans la situation que vit ma famille, vous vous renseignez à ce sujet et vous voyez par vous-même ». Le demandeur ajoute ce qui suit : [TRADUCTION] « Qu’y a-t-il de plus grave que cela? Mes enfants ne peuvent pas sortir et jouer comme les autres enfants. » Compte tenu de ce témoignage, il était raisonnable pour le tribunal de conclure que les éléments de preuve concernant la famille du demandeur étaient incohérents.

[59] En raison de ces contradictions et incohérences, le tribunal a raisonnablement conclu que M. Rizwan avait livré un témoignage dans le but d’aider la cause du demandeur. Il a conclu que le témoignage de M. Rizwan n’était ni authentique ni fiable, et ne lui a accordé pratiquement aucun poids.

(4) Le témoignage de M. Mehmood

[60] M. Mehmood était le président de l’IHRC. Il a déclaré qu’il avait été actif au sein de l’IHRC jusqu’en 2015. Le tribunal a comparé le témoignage de M. Mehmood à celui du demandeur, qui avait déclaré que M. Mehmood avait été démis de ses fonctions de président en 2012.

[61] Après avoir relevé plusieurs problèmes dans le témoignage de M. Mehmood, le tribunal a conclu que son témoignage n’était pas fiable et n’étayait pas les allégations du demandeur.

(5) La preuve documentaire

[62] Le demandeur a présenté une lettre manuscrite de l’Église presbytérienne du Pakistan datée du 20 décembre 2014. Le tribunal a reproché à la lettre d’être générale et de manquer de détails, concluant qu’elle constituait presque le reflet des déclarations du demandeur. Comme l’auteur de la lettre ne parlait pas en son propre nom, le tribunal a jugé qu’elle ne permettait pas d’établir les activités menées par le demandeur pour le compte de l’Église presbytérienne.

[63] Le tribunal a également examiné une lettre de la Commission des droits de la personne de Bhalwal, dans laquelle il était mentionné que le demandeur avait travaillé pour la Commission de janvier 2010 à juillet 2012. Le tribunal a fait remarquer qu’il s’agissait d’un nom différent de celui de l’IHRC et que les dates d’activité différaient de celles du demandeur, qui affirmait y avoir été actif de 2006 à 2012. Le demandeur considère qu’il s’agit d’une erreur mineure, invoquant les décisions Bahati c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CF 1071 et Mohamud c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 170.

[64] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur qui qualifie ces divergences d’erreurs mineures. Les activités du demandeur auprès de l’IHRC étaient au cœur de sa demande d’asile. Il ne s’agit pas d’erreurs typographiques mineures, comme c’était le cas dans l’affaire Mohamud, sur laquelle le demandeur s’appuie. Je juge qu’il était raisonnable que le tribunal accorde peu de poids à la lettre compte tenu des problèmes relevés à la lecture du document.

[65] Une lettre manuscrite d’Anjuman Asna Shria a également été présentée à l’appui des prétentions du demandeur. La lettre indiquait que le demandeur était le [traduction] « secrétaire à l’information de l’organisme de défense des droits de la personne ». Elle mentionnait que le demandeur avait toujours défendu les droits de la communauté chiite et qu’il avait participé aux processions. Elle précisait qu’il avait été torturé en raison de son soutien à la communauté chiite et que les talibans étaient contre lui et lui avaient causé [traduction] « énormément de difficultés ».

[66] Le tribunal a jugé que la lettre traitait d’allégations très générales formulées par le demandeur et que les déclarations semblaient être des répliques plutôt qu’un témoignage authentique des activités du demandeur. Il a donc conclu que la lettre ne permettait pas d’établir les activités du demandeur auprès de la communauté chiite.

[67] Je juge que l’analyse du tribunal est raisonnable compte tenu du dossier sous-jacent. Le tribunal a conclu que la preuve documentaire ne permettait pas de dissiper les doutes relatifs à la crédibilité.

(6) La conclusion du tribunal

[68] Après avoir examiné tous les documents que le demandeur avait présentés pour corroborer ses déclarations, le tribunal a conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible et que la preuve qu’il avait présentée ne l’emportait pas sur les problèmes relevés. Le tribunal a souligné l’existence d’un manque de crédibilité général, qui s’appliquait à tous les éléments de preuve pertinents découlant du témoignage du demandeur.

[69] Le tribunal a jugé que le demandeur n’avait pas démontré qu’il avait été un militant des droits de la personne et qu’il travaillait à défendre les minorités religieuses.

[70] Les allégations du demandeur selon lesquelles il avait déjà été la cible d’individus, de groupes extrémistes ou de l’État pakistanais n’avaient pas été raisonnablement établies au moyen de témoignages et d’éléments de preuve clairs et concordants. Par conséquent, le tribunal a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve fiables pour conclure qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté en raison de ses activités s’il était renvoyé au Pakistan.

[71] Enfin, comme le demandeur n’avait pas établi qu’il était exposé à un risque visé à l’article 96, le tribunal a conclu, à la lumière de la preuve dont il disposait, que le demandeur n’avait pas démontré qu’il serait exposé, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Pakistan.

VI. La décision est équitable sur le plan procédural

[72] Pour étayer son allégation selon laquelle la décision est inéquitable sur le plan procédural, le demandeur relève dix-huit erreurs [je souligne] commises par le tribunal.

[73] Le demandeur s’est principalement plaint du fait que le tribunal n’avait pas procédé à une nouvelle audience et s’était appuyé sur les motifs erronés du tribunal précédent, qu’il avait posé des questions décousues, puis qu’il avait limité de façon arbitraire son droit d’être réinterrogé et de fournir des précisions; et du fait que, dans sa décision, le tribunal n’avait pas tenu compte des deux derniers jours de témoignage du demandeur et de ses témoins.

[74] Dans ses observations préliminaires, le tribunal a indiqué qu’il n’allait pas s’appuyer sur l’audience ou la décision du tribunal précédent, et rien ne prouve qu’il l’a fait même si le demandeur a présenté ses demandes ensemble avec une copie de la transcription de la première audience de la SPR et du dossier entier de la Cour fédérale dont disposait la juge McVeigh.

[75] En renvoyant aux documents dont disposait la SPR lors de la première audience, le tribunal a agi conformément à la Politique concernant les nouveaux examens sur ordonnance de la cour de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR), qui se trouve à l’adresse https://irb.gc.ca/fr/legales-politique/politiques/Pages/PolOrderOrdon.aspx.

[76] Étant donné que, dans son jugement de 2014, la juge McVeigh n’a pas conclu qu’il y avait eu manquement aux principes de justice naturelle, la partie de la politique pertinente en l’espèce est l’article 5.1 :

5.1 Contenu du dossier lorsque la Cour ne conclut pas à un manquement aux principes de justice naturelle

Lorsque la Cour ne donne aucune instruction précise et ne conclut pas à un manquement aux principes de justice naturelle lors de la première audience, le dossier du nouvel examen est constitué des pièces suivantes :

les documents attributifs de compétence (avis d’appel, avis de cas déféré à la SPR, demande d’enquête ou de contrôle des motifs de détention);

l’ordonnance de la Cour et les motifs;

les décisions initiales de la CISR et les motifs;

des documents administratifs (p. ex. avis de convocation);

les pièces déposées aux audiences précédentes;

les transcriptions de la première audience (si elles sont disponibles);

d’autres éléments de preuve contenus dans le dossier initial.

[77] Le demandeur ne m’a pas convaincu que le tribunal n’a pas tenu de nouvelle audience. L’examen des éléments de preuve dans la décision est beaucoup plus détaillé et complet que dans la décision antérieure de la SPR.

[78] Le demandeur soutient également que le tribunal a limité de façon arbitraire le temps accordé aux témoins et que celui-ci a informé son avocat que le temps dont ils disposaient pour les précisions serait limité.

[79] Le demandeur affirme que la citation du témoignage par le tribunal était [traduction] « manifestement erronée, prise hors contexte et choisie de façon arbitraire pour étayer une conclusion qui, par ailleurs, n’a aucun fondement factuel, ou entièrement mal interprétée de manière à présenter le témoignage du demandeur comme étant malhonnête ».

[80] Dans l’ensemble, le demandeur affirme que le tribunal n’a pas tenu compte des documents et du dossier à sa disposition avant de conclure qu’il n’avait présenté aucun document à l’appui de sa relation avec des minorités à risque et marginalisées au Pakistan et que le tribunal a ignoré de façon arbitraire son témoignage et celui des témoins quant aux raisons pour lesquelles il avait travaillé à défendre les droits de la personne au Pakistan.

[81] Le demandeur accuse à répétition le tribunal d’avoir fait preuve de malveillance en affirmant plusieurs fois que [traduction] « la commissaire a intentionnellement mal interprété certains éléments et en a ignoré de manière arbitraire » et que « la commissaire a arbitrairement écarté le témoignage du demandeur et celui des témoins ».

[82] Je ne souscris pas aux affirmations du demandeur à cet égard. Nulle part le tribunal ne me semble avoir tiré une conclusion dénuée de fondement factuel.

[83] Je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale dans la manière dont les audiences ont été tenues. La transcription révèle que le tribunal a donné au demandeur de nombreuses occasions de faire valoir sa cause et de fournir des explications et des éclaircissements lorsque son témoignage posait problème. Le tribunal a également avisé le demandeur que son incapacité à donner des détails sur divers points de son témoignage entraînerait une conclusion défavorable.

VII. Résumé et conclusion

[84] La conclusion fondamentale du comité était que le demandeur manquait de crédibilité, car il n’a pas été capable de livrer un témoignage raisonnablement détaillé pour démontrer qu’il entretenait une relation authentique avec les communautés chrétienne et ahmadie.

[85] Le tribunal a raisonnablement conclu que le demandeur n’était pas en mesure de fournir un témoignage authentique quant aux problèmes quotidiens auxquels étaient confrontées les communautés qu’il prétendait soutenir. Il a indiqué qu’il se serait raisonnablement attendu à de tels éléments de preuve, étant donné que le rôle du demandeur, à titre de secrétaire à l’information, consistait à recueillir ces renseignements.

[86] Le demandeur a souligné diverses erreurs commises par le tribunal, mais la décision doit être examinée dans son ensemble et non de façon fragmentaire. Comme établi dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 102, « la norme de la décision raisonnable n’est pas "une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur." Cependant, la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale; elle doit être convaincue qu’"[un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [...] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait" ». (Renvois internes omis.)

[87] Le dossier sous-jacent appuie les conclusions du tribunal. Le demandeur préférerait une interprétation différente de la preuve, mais la cour de révision doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : Vavilov, au para 125.

[88] Bien qu’une cour de révision doive s’assurer que la décision faisant l’objet du contrôle est justifiée au regard des faits pertinents, la déférence dont elle doit faire preuve envers le décideur signifie notamment qu’elle doit s’en remettre aux conclusions et à l’appréciation de la preuve de ce dernier.

[89] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée. Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la décision était déraisonnable ou inéquitable sur le plan procédural.

VIII. Question à certifier

[90] Le demandeur a proposé la certification de la question suivante :

[traduction]
La Cour fédérale du Canada a-t-elle compétence pour substituer sa décision à celle de la Section de la protection des réfugiés et statuer sur la question de l’octroi du statut de réfugié que la Section de la protection des réfugiés aurait pu trancher, afin d’éviter un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires, dans une situation où une issue particulière concernant le statut de réfugié est inévitable et où le renvoi de l’affaire ne serait d’aucune utilité, et compte tenu du fait que l’article 167 de la LPAE a aboli le pouvoir d’appel extrajudiciaire afin que l’alinéa 3(2)e) puisse être mis en œuvre adéquatement, de sorte qu’une telle supervision relève maintenant de la Cour fédérale?

[91] Le critère applicable en matière de certification a été établi dans l’arrêt Lunyamila c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22 au para 46 :

La question doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale. Cela signifie que la question doit avoir été examinée par la Cour fédérale et elle doit découler de l’affaire elle-même, et non simplement de la façon dont la Cour fédérale a statué sur la demande. Un point qui n’a pas à être tranché ne peut soulever une question dûment certifiée (arrêt Lai c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CAF 21, 29 Imm. L.R. (4th) 211, au paragraphe 10). Il en est de même pour une question qui est de la nature d’un renvoi ou dont la réponse dépend des faits qui sont uniques à l’affaire (arrêt Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, 485 N.R. 186 aux paragraphes 15 et 35).

[92] Le défendeur soutient que la question proposée ne satisfait pas au critère, car [traduction] « d’abord et avant tout, cette question ne permettrait pas de trancher l’appel. Il ne s’agit pas d’une situation où le statut de réfugié est inévitable et où le renvoi de la demande ne serait d’aucune utilité. De plus, cette question n’est pas de portée générale, car la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale ont déjà donné des directives sur les circonstances dans lesquelles il est approprié pour une cour de révision de substituer son opinion à celle du décideur administratif. »

[93] Je suis d’accord avec le défendeur. La question proposée aux fins de certification sera rejetée pour les deux motifs qui précèdent.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1312-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1312-20

 

INTITULÉ :

SAJID IMRAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Iqbal Brar

François Wessels

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Don Klaassen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Merchant Law Group LLP

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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