Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221208


Dossier : IMM-1235-22

Référence : 2022 CF 1692

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

UNKNOWN RAJINDER SINGH

UNKNOWN SANDEEP KAUR

UNKNOWN AGAMJOT SINGH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur principal, Rajinder Singh, son épouse Sandeep Kaur, et leur fils mineur, Agamjot Singh, sont des citoyens de l’Inde. Avant de venir au Canada, ils vivaient dans le village de Bussowal, au Pendjab. Le demandeur principal et son épouse affirment s’être mariés par amour en janvier 2012, malgré leur statut social différent. Ils affirment qu’en raison de ce mariage, ils seraient exposés à une menace à leur vie de la part des oncles de Mme Kaur et de la police.

[2] Après leur mariage, le couple a fui le village de Bussowal. En juillet 2013, ils sont retournés au village après avoir reçu l’assurance qu’ils seraient en sécurité. Leur fils est né en juillet 2016. Les demandeurs ont quitté l’Inde en mai 2017 pour se rendre au Canada.

[3] La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé en appel la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada selon laquelle les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La question déterminante que devaient trancher la SPR et la SAR était celle de savoir si les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] en Inde, soit à Chennai et à Bengaluru. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR datée du 19 janvier 2022.

[4] Les demandeurs font valoir que la SAR a commis plusieurs erreurs susceptibles de contrôle, notamment les suivantes : (i) elle n’a pas tenu compte de l’interdiction de renvoi vers un État où il y a un risque important de torture; (ii) elle n’a pas tenu compte de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants des Nations Unies [la Convention contre la torture]; (iii) elle n’a pas tenu compte de [traduction] « la situation des droits de la personne dans le pays d’origine pour faire une étude complète du risque de renvoi »; (iv) elle a commis une erreur dans son analyse de la PRI et des critères juridiques applicables; (v) elle n’a pas tenu compte des [traduction] « directives concernant la persécution fondée sur le sexe à l’égard d’une victime qui a épousé un homme de statut social différent en Inde » et d’une victime de « violence familiale »; (vi) elle a violé les [traduction] « droits fondamentaux garantis par notre Charte des droits et libertés » et les « normes du droit international ».

[5] Après avoir examiné le dossier présenté à la Cour – dont les observations écrites et verbales des parties, de même que le droit applicable –, j’estime que les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la décision de la SAR était déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Question en litige et norme de contrôle applicable

[6] Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions, que je reformulerai ainsi :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’article 3 de la Convention contre la torture, de la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte], des obligations internationales du Canada et du risque de torture auquel seraient exposés les demandeurs s’ils devaient retourner en Inde?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la PRI?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives]?

[7] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, comme elle est exposée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Il incombe aux demandeurs, les parties qui contestent la décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov, au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie contestant la décision que celle-ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances reprochées « ne [sont] pas [...] simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[8] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais elle est rigoureuse (Vavilov, aux para 12-13). Ainsi, il y a lieu de faire preuve de retenue, en particulier à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de fait. Ce n’est pas le rôle de la Cour, lors du contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau ou de réévaluer la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». La cour de révision doit uniquement être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov, aux para 102, 104).

III. Analyse

A. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de la Convention contre la torture, de la Charte, des obligations internationales du Canada et du risque de torture auquel seraient exposés les demandeurs s’ils devaient retourner en Inde?

[9] Dans leurs observations écrites, les demandeurs ont consacré un nombre considérable de pages à des arguments fondés sur l’article 3 de la Convention contre la torture, les obligations internationales du Canada de se conformer aux instruments internationaux et le risque de torture auquel seraient exposés les demandeurs s’ils devaient retourner en Inde. Les demandeurs citent un certain nombre de décisions, dont un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Chahal c Royaume-Uni (1996), 23 EHRR 413 [Chahal]), une décision du Comité contre la torture des Nations Unies et une décision de la Cour internationale de Justice. Les demandeurs font valoir qu’ils ont été menacés de mort à plusieurs reprises de 2012 jusqu’à leur départ de l’Inde en 2017, et qu’il est donc clair que les agents de persécution s’assureront qu’ils sont tués à leur retour en Inde. Il s’agit d’une forme de torture et, par conséquent, la SAR aurait dû prendre en compte ce risque important de torture dans sa décision. De plus, les demandeurs soutiennent que ce renvoi dans leur pays constituerait également une violation de leurs droits protégés par la Charte.

[10] Pendant leurs plaidoiries, les demandeurs ont brièvement mentionné les questions relatives aux droits de la personne, mais se sont concentrés sur les questions soulevées aux paragraphes B et C du présent jugement ci-dessous.

[11] Le défendeur soutient que les arguments fondés sur les motifs susmentionnés sont prématurés puisqu’ils ne sont pas actuellement menacés d’expulsion.

[12] Bien que les demandeurs aient raison de souligner que le renvoi vers la torture est contraire à la Charte et les normes du droit international, ils n’ont pas démontré en quoi ces normes s’appliquent en l’espèce, soit une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SAR. Je conviens avec le défendeur que ces arguments sont prématurés. Les demandeurs ne font pas actuellement l’objet d’un renvoi. En fait, la Cour a régulièrement examiné ces mêmes arguments et les a rejetés à maintes reprises (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 164 au para 11; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 341 aux para 15-18; Ogiemwonyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 346 au para 39; Davila Valdez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 596 aux para 21-22).

B. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son analyse de la PRI?

[13] L’analyse d’une PRI repose sur le principe voulant que la protection internationale ne puisse être offerte aux demandeurs d’asile que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir aux personnes qui demandent l’asile une protection adéquate partout sur son territoire (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 26). Il est bien établi que la protection internationale est une mesure de dernier recours, de sorte que si un demandeur d’asile peut se réinstaller en toute sécurité et raisonnablement dans son pays de nationalité, il doit le faire plutôt que de demander l’asile au Canada (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7). Par conséquent, si un demandeur d’asile a une PRI viable, sa demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 sera irrecevable, indépendamment du bien-fondé des autres aspects de la demande (Ibid).

[14] Le critère permettant d’évaluer la viabilité d’une PRI comporte deux volets. Les deux volets doivent être remplis pour pouvoir conclure qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI. Le premier volet consiste à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté à l’endroit proposé comme PRI. Dans le contexte de l’article 97, il faut établir que le demandeur ne serait pas personnellement exposé à un danger ou à un risque au titre de l’article 97 à l’endroit proposé comme PRI. Le deuxième volet exige que la situation dans la région du pays où se trouve la PRI soit telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur d’y chercher refuge, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris de la situation personnelle de ce dernier (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 (CAF) aux pp 597-598; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 aux para 10-12); Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 au para 9; Mora Alcca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 236 au para 5 [Mora Alcca]; Souleyman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 708 au para 17).

[15] Il appartient au demandeur d’asile, et non au défendeur ou à la SAR, de prouver que la PRI est déraisonnable (Jean Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1106 au para 21). Comme l’indique le juge LeBlanc dans la décision Mora Alcca, il s’agit d’un fardeau très exigeant :

[14] Je suis conscient que le fardeau de démontrer qu’une PRI est déraisonnable dans un cas donné, fardeau qui incombe au demandeur d’asile, est très exigeant. En effet, il lui faut démontrer rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité là où il pourrait se relocaliser. La preuve qu’il doit apporter à cet égard doit être réelle et concrète.

[Renvois omis.]

[16] Afin de démontrer qu’une PRI est déraisonnable, les demandeurs sont tenus d’apporter une preuve réelle et concrète pour démontrer l’existence de conditions qui mettraient en péril leur vie et leur sécurité s’ils se réinstallaient à l’endroit désigné comme une PRI. Les demandeurs soutiennent qu’ils ne demandent pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. Ils affirment plutôt que la SAR a mal interprété les éléments de preuve et a indûment minimisé le risque auquel ils seraient exposés. Les demandeurs font valoir que la SAR a commis une erreur en concluant qu’ils n’avaient subi que de l’« intimidation verbale » alors qu’en réalité, leurs vies ont été menacées et que ces menaces constituent des violations de leurs droits fondamentaux.

[17] Le défendeur soutient que la preuve démontre que les demandeurs ont vécu dans le village de Bussowal de juin 2013 à décembre 2017, un endroit connu des agents de persécution (les oncles de Mme Kaur) et de la police, et pourtant la situation n’a jamais dépassé l’intimidation verbale. De plus, malgré la menace verbale d’accusations criminelles, plus de quatre années plus tard, aucune accusation criminelle n’a en fait été portée.

[18] Je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur comme l’allèguent les demandeurs. Les conclusions tirées par la SAR sur la PRI sont essentiellement factuelles, reposent sur son évaluation de l’ensemble de la preuve, relèvent de son champ d’expertise et commandent donc un degré élevé de retenue de la part de la Cour (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 459 au para 23). Il n’est pas déraisonnable de la part de la SAR de conclure que, puisque les demandeurs n’ont subi aucun préjudice autre que des menaces verbales pendant la période de plusieurs années où ils ont vécu à Bussowal, les agents de persécution n’avaient pas la motivation d’aller au-delà de l’intimidation verbale, ni de chercher les demandeurs et de leur faire du mal à l’endroit désigné comme une PRI.

[19] Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SAR selon laquelle les renseignements qui se trouvent dans les affidavits du père de M. Singh et du sarpanch du village sont vagues et peu précis est déraisonnable. Les demandeurs ont déposé des affidavits à la suite de la décision de la SPR, et la SAR les a jugés admissibles. Dans les affidavits, ils mentionnent que, le 13 novembre 2021, des « hommes de main » sont venus à la maison du père de M. Singh et « lui ont fait subir de la violence physique et mentale ». La SAR a accordé peu de poids aux affidavits.

[20] Après avoir examiné le contenu des affidavits, je ne suis pas convaincue que la SAR a omis d’examiner convenablement la preuve à un point tel qu’on puisse dire que l’ensemble de la décision ne satisfait pas aux critères énoncés dans l’arrêt Vavilov. L’appréciation de la preuve relève tout à fait du pouvoir discrétionnaire et de l’expertise de la SAR (Vavilov, aux para 125-126). Il incombe aux demandeurs de démontrer que la décision de la SAR souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100). À mon avis, ils ne l’ont pas démontré.

[21] Les demandeurs soutiennent en outre que la SAR n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, le demandeur mineur, dans le contexte de son analyse de la PRI. Les demandeurs affirment que, parce qu’il ne sera pas aussi prudent que ses parents adultes, le demandeur mineur serait exposé à un risque accru dans l’endroit désigné comme une PRI en ce qui concerne les menaces de mort proférées par les agents de persécution. Les demandeurs allèguent que ce manquement constitue un [traduction] « signe fort d’insensibilité » de la part de la SAR, ce qui est contraire à ce que nous enseigne l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61.

[22] Le défendeur soutient que cet argument l’a pris par surprise et qu’il n’a pas été plaidé devant la SAR ni dans les observations écrites des demandeurs dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[23] Cet argument n’a pas été soulevé devant la SAR. Les observations des demandeurs présentées à la SAR ne font aucune distinction entre le demandeur mineur et ses parents. De plus, il n’y a aucun élément de preuve ni même aucune mention dans le dossier que le risque auquel serait exposé le demandeur mineur de la part des agents de persécution serait différent de quelque façon que ce soit du risque auquel seraient exposés ses parents. Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs quant à leur affirmation selon laquelle la SAR aurait dû examiner cette question puisque la question n’a jamais été soulevée devant la SAR.

[24] Les demandeurs soutiennent en outre que la décision de la SAR les force en fait à se cacher, y compris de ne pas communiquer avec leur famille, afin d’éviter d’être découverts. Cette observation repose sur la phrase qui suit dans l’affidavit du père de M. Singh : [traduction] « nous avons dit à la police que, lorsque nos enfants rentreraient à la maison, nous le leur dirions ». Pour cette raison, les demandeurs font valoir qu’une personne qui doit se cacher de ses persécuteurs n’a pas une PRI (Sabaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 901 (CAF)).

[25] Cet argument concernant la phrase dans l’affidavit du père de M. Singh n’a pas été soulevé dans les observations présentées à la SAR et n’a pas non plus été soulevé dans les observations écrites des demandeurs dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Il semble avoir été soulevé pour la première fois à l’audience. La Cour a toujours soutenu qu’il ne fallait pas accorder un contrôle judiciaire sur la base d’un motif qui n’avait pas été soulevé devant la SAR (Tcheuma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 885 au para 27; Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 24; Ogunmodede c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 94 aux para 23-30). Pour cette raison, je n’examinerai pas l’argument.

[26] En ce qui concerne l’analyse de la PRI faite par la SAR, même si les demandeurs affirment qu’ils ne demandent pas à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve, je conclus que c’est, en fait, ce qu’ils demandent. Pour cette raison, je refuse d’intervenir.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des Directives?

[27] Les demandeurs soutiennent que Mme Kaur a été victime de mauvais traitements de la part de sa famille lorsqu’elle était enfant et lorsqu’elle s’est mariée avec un homme d’un statut social différent et, pour ces raisons, il faut tenir compte des Directives.

[28] Les Directives servent à s’assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec sensibilité (Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1273 [Munoz] au para 33). Ma collègue, la juge Jocelyne Gagné, a résumé l’application des Directives dans le contexte d’un contrôle judiciaire dans la décision Boluka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 37 [Boluka] :

[16] La demanderesse doit démontrer que la SPR a manqué de sensibilité ou de compassion pour convaincre la Cour que les Directives n’ont pas été appliquées (Sandoval Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 43). De plus, la Cour a déjà conclu que le fait que la SPR ne mentionne pas expressément les Directives dans ses motifs ne révèle pas, en soi, l’insensibilité de la SPR (Akinbinu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 581) et que le défaut de prendre en compte les Directives ne porte pas toujours un coup fatal à une décision (Higbogun, précitée, au paragraphe 65).

[29] L’objectif des Directives est d’assurer la sensibilité aux difficultés des demanderesses à témoigner dans le contexte de demande d’asile fondée sur le sexe : (Konecoglu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1370 au para 26, et les décisions qui y sont citées [Konecoglu]). Mais les directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne peuvent servir à corriger toutes les lacunes dans les éléments de preuve qu’a présentés une demanderesse (Konecoglu, au para 26; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 625 au para 22).

[30] De plus, il est possible de suivre l’« esprit » des Directives par l’entremise de l’art de l’écoute active (Iqbal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1338 au para 40; Munoz, au para 33).

[31] Après avoir examiné la transcription, je constate que la SPR a été sensible à l’état de Mme Kaur à l’audience et qu’elle a suivi l’« esprit » des Directives en écoutant activement la demanderesse. La SPR a informé Mme Kaur qu’elle pouvait prendre des pauses si elle ne se sentait pas bien. Mme Kaur a mentionné qu’elle était enceinte. Par conséquent, lorsqu’elle a soulevé à un moment donné qu’elle ne se sentait pas bien, le commissaire a immédiatement demandé une pause et a même offert de reporter l’audience.

[32] La question du traitement de Mme Kaur par sa famille lorsqu’elle était enfant n’a été soulevée à aucun moment au cours de l’audience. Le sujet n’est mentionné dans le dossier que dans un document intitulé [traduction] « Récits des appelants présentés à la SPR » joint à l’affidavit de M. Singh, dans lequel il mentionne que son épouse lui a dit que, lorsqu’elle était enfant, [traduction] « elle était régulièrement battue comme si elle était une servante ».

[33] Les Directives visent à garantir que les revendications fondées sur le sexe sont instruites avec compassion et sensibilité. Rien dans le présent dossier n’indique que ce n’était pas le cas en l’espèce. De plus, tant la SPR que la SAR ont conclu que Mme Kaur était un témoin généralement crédible, qui a établi ses allégations selon la prépondérance des probabilités.

[34] Dans leurs observations écrites, les demandeurs soutiennent qu’ils ont été victimes de [traduction] « persécution fondée sur le sexe parce qu’ils appartiennent à des groupes sociaux différents » et qu’il était donc déraisonnable pour la SAR de conclure, sans tenir compte des Directives, que les demandeurs seraient en sécurité en Inde. À l’audience, les demandeurs n’ont pas été en mesure d’indiquer à la Cour où, dans la transcription, le dossier, la décision de la SPR ou la décision de la SAR, les Directives n’avaient pas été respectées à l’égard de Mme Kaur (ou même des deux demandeurs adultes). Les demandeurs n’ont pas non plus été en mesure d’indiquer une portion précise des Directives qui n’a pas été suivie. Les demandeurs soutiennent plutôt que la SAR a commis une erreur en omettant de mentionner les Directives. Comme je l’ai mentionné auparavant, le défaut de mentionner les Directives ne porte pas toujours un coup fatal à une décision (Boluka, au para 16).

[35] De plus, les demandeurs n’ont jamais soulevé les Directives dans leurs observations présentées à la SAR, et ils n’ont jamais mentionné un facteur fondé sur le sexe à l’égard de Mme Kaur en ce qui concerne leurs arguments au sujet de la PRI. Les arguments des demandeurs au sujet de la PRI portent sur le risque allégué de persécution que représentent les agents pour tous les demandeurs, et leurs observations quant au caractère raisonnable de la PRI ont trait aux possibilités d’emploi et d’affaires de M. Singh et aux langues parlées dans la PRI. En l’absence de preuve au dossier ou d’observations faites devant la SAR quant à l’incidence du sexe de Mme Kaur sur le caractère raisonnable de la PRI, je ne peux conclure que le défaut de mentionner les Directives ou le sexe comme facteur dans l’analyse de la preuve liée à la PRI faite par la SAR est une erreur susceptible de contrôle.

IV. Conclusion

[36] Pour les motifs énoncés ci‐dessus, je conclus que la décision de la SAR n’est pas déraisonnable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[37] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1235-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié, de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1235-22

INTITULÉ :

UNKNOWN RAJINDER SINGH ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 décembre 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 8 DÉCEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Sibomana Emmanuel Kamonyo

POUR LES DEMANDEURS

Édith Savard

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Emmanuel S. Kamonyo

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.