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Date : 20221125


Dossier : IMM-6762-21

Référence : 2022 CF 1621

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

AB

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. La nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’immigration, datée du 22 juillet 2021 [la décision]. L’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que le demandeur avait présentée depuis le Canada. Il a conclu que les considérations d’ordre humanitaire n’étaient pas suffisantes pour justifier qu’une dispense soit accordée au demandeur au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

II. Les faits

[1] Le demandeur est un ressortissant de l’Afrique du Sud âgé de 50 ans. Il est arrivé au Canada en octobre 2017 et a présenté une demande d’asile. Dans cette demande, il a allégué avoir été victime de discrimination et de violence en Afrique du Sud en raison de son statut perçu d’étranger, ainsi que de stigmatisation et de discrimination parce qu’il est séropositif. Le demandeur a également mentionné qu’il craignait faire l’objet de représailles de la part de la famille d’un collègue de travail qui, selon lui, avait embauché un tueur à gages, en raison d’un différend concernant la propriété d’un taxi.

[2] La demande d’asile du demandeur a été rejetée en 2008. Par la suite, son appel devant la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a été rejeté en 2019 pour défaut de mise en état . Le demandeur a demandé la réouverture de son appel et a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La demande de réouverture a été rejetée en 2019. Le demandeur a présenté une autre demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du refus de la SAR de rouvrir son appel. Les deux demandes d’autorisation ont été jointes. L’autorisation a été accordée, mais les demandes de contrôle judiciaire du demandeur ont été rejetées en 2020.

[3] La présente demande de dispense est fondée sur les prétendues difficultés auxquelles le demandeur serait confronté s’il retournait en Afrique du Sud, sur ses liens personnels avec le Canada et sur l’intérêt supérieur de ses enfants.

[4] Le demandeur a également présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a été rejetée au même moment et par le même agent. Cette décision fait l’objet du dossier IMM-6761-21, pour lequel le jugement et les motifs sont également rendus aujourd’hui. Les deux demandes ont été instruites le même jour, l’une après l’autre.

III. La décision faisant l’objet du contrôle

A. Le degré d’établissement au Canada

(1) L’établissement financier

[5] L’agent a accordé un poids modéré à l’emploi et aux économies du demandeur. Plus précisément, il a examiné les documents présentés par le demandeur décrivant son emploi comme chauffeur pour Uber, les relevés bancaires et les renseignements fiscaux. Bien que l’agent ait pris acte du fait que le demandeur maintenait un solde positif constant dans ses comptes, il a estimé que ce solde n’était pas représentatif de toutes les dépenses quotidiennes du demandeur. Quoi qu’il en soit, l’agent a attribué à ces facteurs un poids modéré.

(2) L’établissement social

[6] L’agent a accordé un poids modeste aux relations sociales du demandeur. Il a tenu compte du fait que le demandeur était membre de l’église adventiste du septième jour de Brampton et qu’il était le cofondateur apparent de l’association Kintampo de Toronto. Il avait toutefois des réserves, car cette position de cofondateur n’était pas corroborée. L’agent a également trouvé peu d’éléments de preuve permettant de conclure que les relations sociales que le demandeur avait forgées ne pouvaient pas se poursuivre de manière significative par écrit. Rien n’empêcherait non plus le demandeur de poursuivre sa pratique religieuse en Afrique du Sud.

B. L’intérêt supérieur des enfants

[7] Les sept enfants du demandeur résident en Afrique du Sud. Parmi eux, quatre peuvent être pris en considération dans le cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’agent a pris acte du fait que le demandeur soutient ses enfants mineurs grâce au revenu qu’il gagne au Canada, mais il a jugé que [traduction] « peu d’éléments de preuve » permettaient de conclure que le demandeur ne pourrait pas trouver un emploi semblable en Afrique du Sud pour subvenir aux besoins de sa famille. L’agent n’a donc accordé qu’un poids modeste à ce facteur. Il a également fait observer qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que la santé, l’éducation, la sécurité ou la dignité des enfants seraient compromises si le demandeur devait quitter le Canada. Compte tenu de ces considérations, l’agent a trouvé peu de motifs justifiant l’attribution d’un poids plus que modéré aux facteurs mentionnés.

C. Les risques et les conditions défavorables dans le pays de renvoi

(1) Le fait d’être perçu comme un étranger en Afrique du Sud

[8] L’allégation du demandeur à cet égard était fondée sur le fait qu’il aurait été arrêté à trois reprises pour diverses raisons liées au fait qu’il était perçu comme ayant une identité et une citoyenneté étrangères. L’agent a fait remarquer que le demandeur n’avait pas présenté de documents corroborants, comme des affidavits souscrits par des personnes qui auraient joué un rôle dans ses détentions. Par conséquent, il a estimé qu’il y avait peu d’éléments de preuve convaincants pour conclure que le demandeur serait probablement victime de mauvais traitements de la part des autorités au motif qu’il était perçu comme un étranger. De même, en ce qui concerne la présomption de protection de l’État, l’agent a conclu que le demandeur avait fourni peu d’éléments de preuve établissant qu’il n’aurait pas eu de voie de recours s’il avait été victime de discrimination et de mauvais traitements en raison de son identité présumée.

(2) Le différend avec les chauffeurs de taxi

[9] Le demandeur a indiqué précédemment qu’il avait travaillé comme chauffeur de taxi en Afrique du Sud et qu’il était en conflit avec d’autres chauffeurs en raison de la taille de son véhicule, qui lui permettait de transporter un plus grand nombre de passagers. Le taxi du demandeur a été détruit par un incendie criminel en représailles. Par la suite, le demandeur a immatriculé son véhicule au nom d’une personne dont, selon lui, tout le monde avait [traduction] « peur ». Cette personne a ensuite été tuée par balle en mai 2017. Après cette attaque, la famille de la victime a menacé de tuer le demandeur et sa famille, et elle aurait embauché un tueur à gages pour accomplir la tâche. Ces événements ont incité le demandeur à déménager dans une ville située à environ 1 200 kilomètres. Le demandeur a par la suite été informé par son épouse que des hommes armés étaient entrés dans son salon de coiffure le 28 octobre 2017.

[10] L’agent a noté qu’il y avait [traduction] « peu d’éléments de preuve » permettant de conclure que quelqu’un était encore motivé à blesser le demandeur aujourd’hui, près de quatre ans après la dernière altercation signalée. Par conséquent, il n’a accordé à ce facteur qu’un poids modeste.

(3) L’agitation sociale

[11] Bien que l’agent ait pris acte du fait que l’Afrique du Sud traverse une période d’agitation sociale, le demandeur n’a pas fourni d’élément de preuve convaincant démontrant qu’il serait probablement touché personnellement et directement par les émeutes s’il devait retourner en Afrique du Sud. Par conséquent, l’agent n’a accordé que peu de poids à cette considération.

D. Les autres facteurs à prendre en considération

(1) Les études au Canada

[12] Le demandeur fonde son argument à cet égard sur la formation scolaire qu’il a reçue pour devenir camionneur, soulignant qu’il n’a pas pu passer les tests requis pour obtenir son permis en raison de la pandémie de COVID-19. L’agent avait des réserves parce que le demandeur n’avait fourni aucune documentation concernant ses études ou les titres de compétences qu’il avait obtenus. Le demandeur n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve convaincants permettant de conclure que ses titres de compétences ne seraient pas valides en Afrique du Sud ou qu’il serait fastidieux ou coûteux pour lui de suivre à nouveau une formation là-bas. L’agent a également souligné que le demandeur avait travaillé comme camionneur pendant environ sept ans en Afrique du Sud. Compte tenu de ces éléments, l’agent a accordé peu de poids à ces facteurs.

(1) Les considérations relatives à la santé

[13] Dans ses observations sur ce point, le demandeur a laissé entendre qu’une interruption de son traitement pourrait avoir des répercussions néfastes, et ce, même s’il ne manquait que 5 % de ses doses essentielles anti-VIH. L’agent a pris acte de cette conclusion du médecin du demandeur. Cependant, il a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve convaincants pour conclure que le demandeur ne serait pas en mesure de quitter le Canada sans interrompre son traitement pharmacologique ou qu’il n’aurait pas accès à ses médicaments en Afrique du Sud. Le demandeur a également présenté des arguments selon lesquels la pandémie de COVID-19 a entraîné une pénurie de ressources médicales. À l’instar de la question précédente, l’agent a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que ces pressions sur les soins de santé auraient une incidence négative sur la capacité du demandeur de demander et d’obtenir le traitement dont il a besoin. Ainsi, l’agent a conclu que la preuve n’était pas suffisante pour établir que la gestion de l’état de santé du demandeur dépendait de sa capacité à rester au Canada. Par conséquent, il n’a accordé à ces facteurs qu’un poids modeste.

(2) Le VIH et la COVID-19

[14] L’agent a accepté l’argument du demandeur selon lequel les personnes séropositives auraient des problèmes de santé particuliers liés à la COVID-19. La preuve de la propagation du virus en Afrique du Sud était insuffisante pour que l’agent puisse conclure que l’Afrique du Sud connaît ou connaîtrait une augmentation du nombre de cas et que cela touchera directement et personnellement le demandeur. L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas non plus fourni d’éléments de preuve convaincants sur sa capacité (ou son incapacité) à se faire vacciner en temps opportun, compte tenu de sa séropositivité. Par conséquent, il n’a accordé à ces facteurs qu’un poids modeste.

(3) La stigmatisation liée au VIH

[15] L’allégation du demandeur selon laquelle il est victime d’ostracisme social en raison de sa séropositivité repose sur le fait que des amis et d’autres membres de la collectivité ont commencé à l’éviter. L’agent reconnaît que les personnes séropositives sont effectivement victimes d’exclusion sociale, mais il estime qu’il s’agit d’un problème partout dans le monde, y compris au Canada. L’agent fait remarquer que le demandeur ne présente aucun argument pour étayer la supposition qu’il ne serait pas victime d’une telle stigmatisation au Canada. Il n’explique pas non plus pourquoi d’autres personnes que son médecin et son pharmacien seraient au courant de son traitement médical en Afrique du Sud. L’agent n’a donc pas été en mesure de conclure que la séropositivité du demandeur deviendrait vraisemblablement de notoriété publique. De même, l’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur s’était vu refuser un emploi, un logement ou d’autres services, et/ou qu’il serait victime de violence physique ou d’un déni systématique de ses droits s’il retournait en Afrique du Sud. Par conséquent, il n’a accordé à ces facteurs qu’un poids modeste.

(4) Le soutien offert à ses enfants adultes

[16] L’agent a pris acte du fait que le demandeur envoie de l’argent à ses enfants adultes pour les aider à payer leurs frais de scolarité et de subsistance. Cependant, il fait remarquer que de nombreux jeunes adultes en Afrique du Sud sont en mesure d’assumer leurs frais de scolarité et de subsistance sans dépendre du revenu de leurs parents qui travaillent à l’étranger. De plus, l’agent a trouvé peu d’éléments de preuve pour conclure que les enfants adultes seraient incapables de trouver un emploi pour subvenir à leurs besoins et financer leurs études. L’agent a également conclu que le demandeur pouvait subvenir aux besoins de ses enfants adultes en gagnant un revenu en Afrique du Sud. Par conséquent, il a accordé peu de poids à ces facteurs.

IV. La question en litige

[17] La question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent était raisonnable. Avant l’audience, j’ai rendu une ordonnance d’anonymat qui n’a pas été contestée et qui est officialisée dans le présent jugement.

V. La norme de contrôle applicable

[18] Les deux parties conviennent, tout comme moi, que la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, qui a été rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], le juge Rowe a expliqué, au nom des juges majoritaires, les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « [...] ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‐ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[19] En outre, il ressort clairement de l’arrêt Vavilov qu’à moins de « circonstances exceptionnelles », le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve. Selon la Cour suprême du Canada :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[20] La Cour d’appel fédérale a récemment conclu, dans l’arrêt Doyle c Canada (Procureur général), 2021 CAF 237, que le rôle de notre Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve :

[3] La Cour fédérale avait tout à fait raison d’agir ainsi. Selon ce régime législatif, le décideur administratif, en l’espèce le directeur, examine seul les éléments de preuve, tranche les questions d’admissibilité et d’importance à accorder à la preuve, détermine si des inférences doivent en être tirées, et rend une décision. Lorsqu’elle effectue le contrôle judiciaire de la décision du directeur en appliquant la norme de la décision raisonnable, la cour de révision, en l’espèce la Cour fédérale, peut intervenir uniquement si le directeur a commis des erreurs fondamentales dans son examen des faits, qui minent l’acceptabilité de la décision. Soupeser à nouveau les éléments de preuve ou les remettre en question ne fait pas partie de son rôle. S’en tenant à son rôle, la Cour fédérale n’a relevé aucune erreur fondamentale.

[4] En appel, l’appelant nous invite essentiellement dans ses observations écrites et faites de vive voix à soupeser à nouveau les éléments de preuve et à les remettre en question. Nous déclinons cette invitation.

VI. Analyse

A. La nature de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire

[21] Dans la décision Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 265, le juge en chef Crampton s’est penché sur les éléments nécessaires pour justifier une dispense pour considération d’ordre humanitaire, déclarant ceci au paragraphe 19 :

L’article 25 a été adopté pour répondre aux situations dans lesquelles les conséquences d’une expulsion « affecterai[ent] plus certaines personnes que d’autres [...], à cause de certaines circonstances » : arrêt Kanthasamy, précité, au paragraphe 15 [non souligné dans l’original], citant les Procès‐verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Politique de l’immigration, fascicule no 49, 1re sess., 30e lég., 23 septembre 1975, à la page 12. C’est donc dire que la personne qui demande la dispense exceptionnelle fondée sur des considérations d’ordre humanitaire qu’offre la LIPR doit faire la preuve de l’existence réelle ou probable de malheurs ou d’autres considérations d’ordre humanitaire qui sont supérieurs à ceux auxquels sont habituellement confrontées les personnes qui demandent la résidence permanente au Canada.

[Souligné dans l’original]

[22] De même, au paragraphe 16 de la décision Shackleford c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1313, le juge Roy a fait remarquer ce qui suit :

Rien dans l’arrêt Kanthasamy ne laisse entendre que les demandes CH sont autre chose qu’exceptionnelles : la description contenue dans la décision Chirwa elle‐même, le fait que ces demandes ne se veulent pas un régime d’immigration de remplacement et que les difficultés associées au fait de quitter le Canada ne suffisent pas, tout cela indique clairement que les considérations CH doivent être suffisamment importantes pour se prévaloir du paragraphe 25(1). Il faut davantage qu’une affaire qui attire la sympathie.

B. Les principales préoccupations du demandeur

[23] Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve et des observations qu’il a présentés au sujet de son travail essentiel en tant que chauffeur Uber à Toronto pendant la pandémie de COVID-19, ainsi que de sa capacité à subvenir aux besoins de ses enfants s’il doit retourner en Afrique du Sud. Il affirme que les manquements de l’agent constituent une erreur susceptible de contrôle. Ces prétentions ne me convainquent pas.

[24] En ce qui concerne l’emploi, je conviens que le demandeur a travaillé comme chauffeur Uber pendant la pandémie et que son travail a été utile à sa communauté. Je souligne que le gouvernement du Canada a mis en place un programme spécial pour permettre à certaines personnes qui ont travaillé pendant la pandémie d’accéder au statut de résident permanent. Cependant, le travail du demandeur n’était pas inclus dans l’évaluation du gouvernement à cet égard.

[25] Le demandeur demande que son travail soit considéré comme un facteur positif à l’appui de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. En fait, l’agent a accordé un certain poids à ce travail. Le demandeur n’est pas d’accord et affirme qu’il aurait dû lui accorder plus de poids. En agissant ainsi, le demandeur invite la Cour à apprécier à nouveau la preuve, ce qu’elle doit expressément s’abstenir de faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire, à moins de circonstances exceptionnelles. Ce principe a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Doyle, précité, de même que par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125, également précité. Par conséquent, avec égards, je refuse de me livrer à une telle analyse. Cela dit, j’ai examiné cette observation et j’ai conclu que l’évaluation de l’agent était raisonnable sur ce point.

[26] En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, j’estime que l’agent a été réceptif, attentif et sensible à ce facteur, qu’il a décrit et examiné en détail. En fait, l’agent a conclu que les versements du demandeur (13 000 $ sur trois ans) [traduction] « méritent un certain poids ». Cependant, le demandeur n’est pas d’accord et affirme qu’un plus grand poids aurait dû être accordé à l’intérêt supérieur des enfants. Il a souligné la valeur du soutien financier qu’il fournissait à ses enfants, notamment en payant leurs frais de scolarité, comme le démontre la preuve présentée par sa fille. L’agent a tenu compte des questions pertinentes et a en effet accordé à l’intérêt supérieur des enfants un poids positif modeste dans son analyse finale.

[27] À mon avis, le demandeur demande à la Cour de procéder à ce que je considère comme une nouvelle appréciation de la preuve relative à l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce, ce qui, encore une fois, en l’absence de circonstances exceptionnelles, n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire suivant l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125 et l’arrêt Doyle, tous deux précités. Je refuse de procéder à une telle réévaluation de la preuve. Cela dit, comme dans le cas de son travail pendant la pandémie en tant que chauffeur Uber, j’ai examiné son observation concernant l’intérêt supérieur des enfants, et je juge que les considérations de l’agent sont raisonnables.

[28] Le demandeur a présenté d’autres observations à l’agent ainsi qu’à la Cour au sujet des difficultés auxquelles il serait confronté s’il devait retourner en Afrique du Sud, notamment en ce qui a trait à la stigmatisation liée au VIH et au risque de discrimination. À mon avis, ces deux facteurs, tout comme son établissement et l’intérêt supérieur des enfants, sont des questions factuelles à l’égard desquelles le demandeur demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve présentée à l’agent chargé d’évaluer la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaires, ce que la Cour ne peut pas faire en l’absence de circonstances exceptionnelles. Je refuse de procéder à une nouvelle appréciation, me fondant sur les conclusions tirées dans les arrêts Vavilov et Doyle, précités. Je ne procéderai pas à une évaluation détaillée, mais j’ai examiné ces observations et celles-ci ne me convainquent pas.

C. L’ordonnance d’anonymat

[29] La délivrance d’une ordonnance de confidentialité est régie par le paragraphe 151(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, qui est libellé ainsi :

Circonstances justifiant la confidentialité

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

[30] Le demandeur a sollicité une telle ordonnance parce qu’il craignait que lui ou sa famille ne fassent l’objet de stigmatisation et de discrimination en raison de sa séropositivité si son état médical venait à être largement connu. Compte tenu de cette observation et du fait que le défendeur s’oppose à une telle ordonnance, j’ai accordé l’ordonnance avant l’audience et celle-ci est officialisée dans le présent jugement.

VII. Conclusion

[31] À mon humble avis, le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agent est déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

VIII. Question certifiée

[32] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-6762-21

LA COUR STATUE que le nom du demandeur est anonymisé, que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, qu’aucune question de portée générale n’est certifiée et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6762-21

 

INTITULÉ :

AB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 NOVEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 25 NOVEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Debbie Rachlis

POUR LE DEMANDEUR

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Debbie Rachlis Law

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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