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Date : 20221209


Dossier : IMM-1076-22

Référence : 2022 CF 1700

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2022

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

DEEPAK KUMAR

HARPREET KAUR

KAVYA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur principal, Deepak Kumar, son épouse, Harpreet Kaur, et leur fille, Kavya, sont des citoyens de l’Inde. Ils demandent le contrôle judiciaire de la décision, datée du 10 janvier 2022, par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté leur appel et confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], qui avait rejeté les demandes d’asile en concluant que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2] Les demandeurs allèguent qu’ils craignent d’être persécutés par la police du Pendjab et de Delhi, ainsi que par des militants et des groupes criminels, car la police a faussement accusé M. Kumar de fréquenter des antinationaux et des militants après qu’il avait été arrêté par la police avec deux sacs d’armes à feu, de munitions et de drogues dans le coffre de son taxi. M. Kumar affirme que, lorsque son taxi a été arrêté à un barrage policier, les deux passagers qu’il transportait se sont enfuis, laissant les articles illégaux dans son taxi.

[3] La SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs en raison d’incohérences et d’omissions dans le témoignage et la preuve qui ont eu une incidence sur la crédibilité de M. Kumar, ainsi que de l’existence de possibilités de refuge intérieur [PRI], soit à New Delhi, à Mumbai, à Kolkata et à Bangalore. Selon la SAR, la question déterminante était l’existence de PRI à Mumbai, à Kolkata et à Bangalore.

[4] Les demandeurs soutiennent que la SAR : (i) n’a pas tenu compte de l’interdiction de renvoi vers un État où il y a un risque important de torture ni de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants [la Convention contre la torture] de l’ONU; (ii) a commis une erreur dans son appréciation des PRI et des critères juridiques applicables; et (iii) a commis une erreur en faisant fi des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe dans une affaire concernant une victime de viol.

[5] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu à l’existence de PRI. Il affirme que la police de Ludhiana a menacé et harcelé les demandeurs afin d’obtenir des pots-de-vin, et il ajoute qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse de persécution dans les villes désignées comme PRI, étant donné que M. Kumar ne fait pas l’objet d’une enquête officielle, d’un mandat ou d’une accusation. Le défendeur soutient en outre que les demandeurs n’ont pas soulevé les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe devant la SAR et que, de toute façon, la SPR et la SAR s’y sont conformées.

[6] Après avoir examiné le dossier dont dispose la Cour, y compris les observations écrites et orales des parties, ainsi que le droit applicable, les demandeurs n’ont pas réussi à me convaincre que la décision de la SAR est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

II. Les questions en litige et la norme de contrôle

[7] Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions que je reformulerai de la manière suivante :

  1. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’article 3 de la Convention contre la torture, des obligations internationales du Canada et du risque de torture si les demandeurs étaient renvoyés en Inde?

  2. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation des PRI?

  3. La SAR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte des Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [les Directives]?

[8] Lors de l’audience, les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est exposée dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Il incombe aux demandeurs, les parties qui contestent la décision, de démontrer le caractère déraisonnable de la décision de la SAR (Vavilov, au para 100). Pour pouvoir intervenir, la cour de révision doit être convaincue par la partie qui conteste la décision que celle‐ci « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence », et que ces lacunes ou insuffisances ne sont pas « simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision » (Vavilov, au para 100).

[9] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais elle est rigoureuse (Vavilov, aux para 12, 13). Ainsi, il y a lieu de faire preuve de retenue, en particulier à l’égard des conclusions de fait et de l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne devrait pas modifier les conclusions de fait. Il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau ou de réévaluer la preuve examinée par le décideur (Vavilov, au para 125). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur ». La cour de révision doit uniquement être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » (Vavilov, aux para 102, 104).

III. Analyse

A. La SAR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’article 3 de la Convention contre la torture, des obligations internationales du Canada et du risque de torture si les demandeurs étaient renvoyés en Inde?

[10] Dans leurs observations écrites, les demandeurs ont consacré un nombre considérable de pages à des arguments liés à l’article 3 de la Convention contre la torture, aux obligations internationales du Canada de se conformer aux instruments internationaux, et au risque de torture s’ils étaient renvoyés. Ils citent un certain nombre de décisions, dont un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (Chahal c Royaume‐Uni (1996), 23 EHRR 413 [Chahal]), une décision du Comité contre la torture des Nations Unies et une décision de la Cour internationale de justice.

[11] Dans leurs observations écrites, les demandeurs font valoir que M. Kumar et Mme Kaur ont été gravement torturés par les agents de police et que, étant donné que la torture constitue une violation des droits de la personne, ces principes auraient dû être pris en compte dans la décision de la SAR.

[12] Au cours des plaidoiries, lorsqu’ils ont été interrogés sur leurs observations écrites à ce sujet, les demandeurs ont reconnu que cet argument avait été rejeté par la Cour dans le passé, mais ont laissé entendre que ces principes fondamentaux des droits de la personne devraient néanmoins être pris pour donner une perspective à l’évaluation de l’analyse de la SAR.

[13] Je ne suis pas convaincue que les instruments mentionnés plus haut auraient dû influencer l’analyse des PRI par la SAR. L’approche que la SAR doit adopter lorsqu’elle procède à une analyse des PRI est énoncée plus bas à la section III(B) des présents motifs. Les demandeurs ne sont pas actuellement visés par une mesure de renvoi. Par conséquent, dans de telles circonstances, ces arguments ont constamment été rejetés par la Cour au motif qu’ils sont prématurés (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 164 au para 11; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 341 aux para 15-18; Ogiemwonyi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 346 aux para 38, 39; Davila Valdez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 596 aux para 21, 22).

B. La SAR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation des PRI?

[14] L’analyse d’une PRI repose sur le principe voulant que la protection internationale ne puisse être offerte aux demandeurs d’asile que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir à ces personnes une protection adéquate partout sur son territoire (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 26). Il est bien établi que la protection internationale est une mesure de dernier recours. En ce sens, si le demandeur peut raisonnablement se réinstaller dans son pays de nationalité en toute sécurité, il est censé le faire plutôt que de demander l’asile au Canada (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7). Par conséquent, si un demandeur d’asile dispose d’une PRI viable, sa demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, sera irrecevable, indépendamment du bien‐fondé des autres aspects de la demande (ibid).

[15] Le critère applicable à la viabilité d’une PRI comporte deux volets. Ces deux volets doivent être remplis pour pouvoir conclure qu’un demandeur d’asile dispose d’une PRI. Le premier volet consiste à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile fasse l’objet de persécution à l’endroit proposé comme PRI. Dans le contexte de l’article 97, il doit être établi que le demandeur d’asile ne serait pas personnellement exposé à un danger ou à un risque au titre de l’article 97à l’endroit proposé comme PRI. Le deuxième volet exige que les conditions à l’endroit proposé comme PRI soient telles qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris la situation personnelle du demandeur d’asile, que celui-ci s’y réfugie (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 (CA) à la p 597, 598; Hamdan c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 643 aux para 10-12; Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 au para 9; Mora Alcca c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 236 [Mora Alcca] au para 5; Souleyman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 708 au para 17).

[16] Il appartient au demandeur d’asile de prouver que la PRI est déraisonnable, et non au défendeur ou à la SAR (Jean Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1106 au para 21). Comme l’a déclaré le juge René LeBlanc dans la décision Mora Alcca, le fardeau de la preuve est très exigeant :

[14] Je suis conscient que le fardeau de démontrer qu’une PRI est déraisonnable dans un cas donné, fardeau qui incombe au demandeur d’asile, est très exigeant. En effet, il lui faut démontrer rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril sa vie et sa sécurité là où il pourrait se relocaliser. La preuve qu’il doit apporter à cet égard doit être réelle et concrète.

[Renvois omis.]

[17] Afin de démontrer qu’une PRI est déraisonnable, les demandeurs doivent fournir une preuve réelle et concrète de l’existence de conditions qui mettraient en danger leur vie et leur sécurité s’ils déménageaient dans les villes désignées comme PRI. Les demandeurs soutiennent qu’ils ne demandent pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Ils allèguent plutôt que la SAR a commis une erreur à deux principaux égards.

[18] Premièrement, les demandeurs soutiennent que la SAR a exagéré l’importance de l’absence d’un premier rapport d’information de la part de la police en Inde. Ils affirment que, même s’il n’y a pas de premier rapport d’information ou d’accusation officielle, M. Kumar a néanmoins le profil d’une personne d’intérêt parce qu’il a été accusé d’être un terroriste et un militant, ce qui met en jeu la sécurité de l’État. Les demandeurs font valoir que la preuve objective démontre que les services de police communiquent entre eux au sujet de ces personnes au-delà des frontières des États.

[19] Le défendeur souligne que, selon la preuve produite par les demandeurs eux-mêmes, la police n’avait déposé aucune plainte ni accusation contre M. Kumar (malgré le fait qu’elle a menacé de le faire). Il n’y a eu ni arrestation officielle ni mandat, le demandeur n’a pas été traduit devant un tribunal, il n’y avait pas de premier rapport d’information, et rien n’indique que quoi que ce soit ait été documenté par la police ou consigné dans une base de données. Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu, en se fondant sur la preuve des demandeurs eux-mêmes, qu’il n’y avait qu’un intérêt local d’extorsion à l’égard de la famille.

[20] Les conclusions de la SAR relatives aux PRI sont essentiellement factuelles, reposent sur son appréciation de la preuve, relèvent de son champ d’expertise et, par conséquent, commandent un degré élevé de retenue de la part de la Cour (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 459 au para 23). Après avoir examiné le dossier de la preuve dont disposait la SAR, y compris la preuve testimoniale, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans l’appréciation de la preuve relative au risque dans les villes désignées comme PRI. À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour la SAR de conclure, compte tenu du profil de M. Kumar, qu’il n’y avait aucune possibilité sérieuse que la police du Pendjab poursuive les demandeurs dans les villes désignées comme PRI ou que la police dans ces villes ait un intérêt quelconque à leur égard.

[21] Les demandeurs s’appuient sur ce qu’a déclaré le juge B. Richard Bell dans la décision Bansal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 531 [Bansal], pour l’argument selon lequel la SAR a commis une erreur en ne concluant pas que les allégations portées contre M. Kumar étaient suffisamment graves pour donner lieu à des communications interétatiques entre les forces policières. Je juge que l’espèce se distingue de l’affaire Bansal au motif que la preuve dans cette dernière a démontré que la police était utilisée par un agent de persécution pour retrouver le demandeur, et que le juge Bell a conclu que les accusations portées contre le demandeur étaient graves. En l’espèce, aucune accusation n’a été portée et les agents de persécution diffèrent.

[22] Deuxièmement, les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas apprécié la capacité de la police d’utiliser les systèmes à sa disposition pour les retrouver. Les demandeurs renvoient au point 10.6 du cartable national de documentation [le CND] et soutiennent qu’il s’agit d’un élément de preuve démontrant que les demandeurs ne seraient pas en mesure de mener une vie normale en Inde.

[23] Le défendeur soutient qu’il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve examinés par la SAR, soulignant que celle-ci a tenu compte des questions soulevées par les demandeurs en ce qui concerne le Réseau de suivi des crimes et des criminels (Crime and Criminal Tracking Network and Systems [CCTNS]) et le processus de vérification des locataires.

[24] Je conclus que les arguments des demandeurs concernant cette question s’opposent à l’appréciation de la preuve par la SAR et que, par conséquent, il n’y a aucun fondement justifiant l’intervention de la Cour. Comme je l’ai mentionné plus haut, il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Vavilov, au para 125). La SAR a tenu compte de la preuve documentaire concernant le CCTNS et le processus de vérification des locataires. En fait, elle a expressément renvoyé au point 10.6 du CND sur la surveillance par les autorités de l’État et le CCTNS, auquel les demandeurs font référence; le point 10.13 sur les bases de données policières, le CCTNS et le système de vérification des locataires; et le point 14.8 sur le système de vérification des locataires.

[25] Les demandeurs n’ont pas relevé une section ou une page en particulier du CND qui établirait l’existence d’une erreur; ils allèguent plutôt simplement que la SAR a commis une erreur dans sa compréhension de la preuve. Une allégation comme celle-ci ne suffit pas pour qu’ils s’acquittent de leur fardeau de démontrer que les conclusions de la SAR sont déraisonnables.

C. La SAR a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle n’a pas tenu compte des Directives?

[26] Les Directives servent à s’assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec sensibilité (Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1273 [Munoz] au para 33). L’application des Directives dans le contexte d’un contrôle judiciaire a été résumée par ma collègue la juge Jocelyne Gagné dans la décision Boluka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 37 [Boluka] :

[16] La demanderesse doit démontrer que la SPR a manqué de sensibilité ou de compassion pour convaincre la Cour que les Directives n’ont pas été appliquées (Sandoval Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 43) De plus, la Cour a déjà conclu que le fait que la SPR ne mentionne pas expressément les Directives dans ses motifs ne révèle pas, en soi, l’insensibilité de la SPR (Akinbinu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 581) et que le défaut de prendre en compte les Directives ne porte pas toujours un coup fatal à une décision (Higbogun, précitée, au paragraphe 65).

[27] L’objectif des Directives est d’assurer la sensibilité du décideur aux difficultés des demandeurs à témoigner dans le contexte de demande d’asile fondée sur le sexe (Konecoglu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1370 [Konecoglu] au para 26, et les décisions qui y sont citées). Toutefois, les Directives ne peuvent servir à corriger toutes les lacunes dans les éléments de preuve qu’a présentés le demandeur (Konecoglu, au para 26; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 625 au para 22).

[28] De plus, « l’esprit » des Directives peut être suivi par l’entremise de l’art de l’écoute active (Iqbal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1338 au para 40; Munoz, au para 33).

[29] Les demandeurs soutiennent que, parce que Mme Kaur a été détenue par la police à Ludhiana et agressée sexuellement, la SAR a commis une erreur en faisant fi des Directives. Ils font valoir qu’il s’agit d’un élément central de l’affaire qui n’a pas été examiné et qui aurait dû être pris en compte par la SAR dans le contexte de son analyse des PRI. Les demandeurs font valoir que la SAR s’est plutôt concentrée sur les questions liées à l’emploi et à la langue.

[30] Le défendeur soutient ce qui suit : (i) les demandeurs n’ont pas mentionné les Directives en appel devant la SAR et, par conséquent, il est inapproprié pour la Cour d’accueillir un contrôle judiciaire pour un motif qui n’a pas été soulevé devant la SAR; (ii) la SPR a mentionné et appliqué les Directives; (iii) la cible principale de la police est M. Kumar, et Mme Kaur n’a été détenue que parce que la police n’a pas pu le retrouver à leur résidence; il ne s’agit donc pas d’une demande d’asile fondée sur le sexe; (iv) les demandeurs n’ont pas précisé en quoi la SAR avait manqué de sensibilité à l’égard de l’expérience de Mme Kaur; et (v) le défaut de mentionner les Directives n’est pas fatal à une décision.

[31] Je conviens avec le défendeur que les demandeurs n’ont jamais soulevé les Directives ni leur application par la SPR dans leurs observations présentées à la SAR, et qu’ils n’ont jamais mentionné de facteurs fondés sur le sexe ayant une incidence sur Mme Kaur dans les villes proposées comme PRI. Les observations présentées à la SAR portaient plutôt sur le niveau d’études des demandeurs, leurs possibilités d’affaires et de prêts, ainsi que sur le mode de vie auquel ils se sont habitués au Canada. Les motifs de la SAR tenaient compte des observations qui lui avaient été présentées. On peut difficilement reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné une observation qui ne lui a pas été faite (Dakpokpo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 580 au para 14; Enweliku c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 228 au para 42).

[32] De plus, lorsqu’ils ont été interrogés à l’audience, les demandeurs n’ont pas été en mesure d’indiquer à la Cour, à aucun endroit de la transcription, du dossier, de la décision de la SPR ou de la décision de la SAR, les occurrences où les Directives n’ont pas été suivies à l’égard de Mme Kaur. Les demandeurs n’ont pas non plus été en mesure de renvoyer à une partie ou à une section précise des Directives qui n’aurait pas été respectée. Bien que les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en ne mentionnant pas les Directives, son défaut de le faire ne porte pas un coup fatal à une décision (Boluka, au para 16). Je souligne que la SPR a expressément mentionné qu’elle appliquait les Directives.

[33] Les Directives visent à garantir que les demandes fondées sur le sexe sont entendues avec compassion et sensibilité, et rien dans le présent dossier ne démontre que ce n’était pas le cas. Au contraire, malgré le fait que l’agression commise par la police contre Mme Kaur n’a pas été soulevée par les demandeurs dans le contexte de leurs observations au sujet des PRI, la SAR a néanmoins décidé d’en tenir compte dans son analyse :

[59] J’ai tenu compte en outre du fait que les appelants adultes affirment avoir été torturés par la police du Pendjab et que l’appelante associée adulte affirme avoir été torturée et agressée sexuellement par des policiers du Pendjab. Cependant, j’ai déjà conclu qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que la police du Pendjab pourchasse les appelants dans un endroit désigné comme PRI. Les appelants n’ont présenté aucun autre argument à la SPR ou en appel au sujet de l’incidence de leurs expériences en détention sur le caractère raisonnable de leur installation à un nouvel endroit en Inde.

[34] Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en ne mentionnant pas les Directives.

IV. Conclusion

[35] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis que les demandeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que la décision de la SAR est déraisonnable (Vavilov, au para 100). Par conséquent, je rejetterai la présente demande de contrôle judiciaire.

[36] Les parties n’ont proposé aucune question grave de portée générale à certifier et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1076-22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est rejetée;

  2. L’intitulé est modifié, de manière à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration soit désigné comme défendeur;

  3. Il n’y a pas de question à certifier.

« Vanessa Rochester »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1076-22

INTITULÉ :

DEEPAK KUMAR ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2022

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

LE 9 DÉCEMBRE 2022

COMPARUTIONS :

Mohamed‐Amine Semrouni

POUR LES DEMANDEURS

Lisa Maziade

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude Légale Stewart Istvanffy

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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