Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221214


Dossier : IMM-4626-21

Référence : 2022 CF 1729

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

SOMAYEH ASLANI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Somayeh Aslani, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 24 juin 2021 par laquelle un agent d’immigration (« l’agent ») d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») a rejeté sa demande de permis d’études.

[2] L’agent a conclu que la demanderesse était inadmissible au titre du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le « RIPR »), qui permet aux résidents temporaires de faire une demande de permis d’études après leur entrée au Canada s’ils ont terminé un programme d’études exigé pour s’inscrire à un établissement d’enseignement désigné. Il a jugé que la lettre d’acceptation du Georgian College ne précisait pas explicitement que le programme suivi par la demanderesse à l’International Language Academy of Canada (« ILAC ») était exigé pour son inscription et a conclu que celle‑ci était donc inadmissible.

[3] La demanderesse soutient que la décision de l’agent est déraisonnable parce qu’il n’a pas tenu compte de la preuve jointe à sa demande de permis d’études qui fait état de la pertinence du programme d’études de l’ILAC pour son inscription au Georgian College en tant qu’étudiante étrangère et qu’il a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[4] Pour les motifs qui suivent et eu égard à la preuve, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Les faits

A. La demanderesse

[5] La demanderesse est une citoyenne iranienne âgée de 40 ans. Elle a des antécédents professionnels dans le domaine commercial et a fait des études en administration des affaires.

[6] Le 2 février 2021, la demanderesse est arrivée au Canada munie d’un visa de résident temporaire (le « VRT ») pour rendre visite à sa sœur, qui réside au pays. Pendant son séjour au Canada, la demanderesse a commencé à se renseigner sur les programmes en administration des affaires offerts dans des collèges canadiens. Elle s’est intéressée au certificat en administration mondiale des affaires du Georgian College situé à Barrie, en Ontario.

[7] La demanderesse a consulté la section sur les admissions du site Web du Georgian College et a constaté que l’une des exigences pour l’inscription était la preuve de la maîtrise de la langue anglaise et que l’une des façons de satisfaire à cette exigence consistait à suivre un programme de préparation autorisé d’un [traduction] « établissement d’enseignement partenaire ». Le ILAC University Pathway Program Level III (programme de préparation à l’université de niveau III de l’ILAC) est l’un des programmes qui sont explicitement mentionnés sur le site Web du Georgian College. Pendant son séjour au Canada, la demanderesse a terminé ce programme de l’ILAC, après quoi elle a présenté une demande d’inscription au certificat en administration mondiale des affaires du Georgian College pour la session d’automne 2021. Elle a été acceptée au certificat sans condition.

[8] Le 9 juin 2021, la demanderesse a présenté une demande de permis d’études depuis le Canada. Les documents à l’appui suivants accompagnaient la demande :

1. le formulaire Demande pour modifier les conditions de séjour, proroger le séjour ou demeurer au Canada comme étudiant rempli;

2. la preuve montrant que la demanderesse a terminé le programme de l’ILAC;

3. la lettre d’acceptation du Georgian College;

4. un plan d’études;

5. une copie du passeport de la demanderesse et du VRT canadien;

6. la preuve que la demanderesse a payé les droits de scolarité pour la première session au Georgian College;

7. la preuve que la demanderesse retournera occuper son emploi en Iran après ses études;

8. la preuve des ressources financières et des actifs de la demanderesse en Iran;

9. une lettre d’observations du représentant autorisé de la demanderesse dans laquelle il confirme que les critères d’admissibilité énoncés au sous‑alinéa 215(1)f)(iii) du RIPR étaient respectés et une liste des documents à l’appui accompagnant la demande de permis d’études.

[9] Le 24 juin 2021, la demanderesse a reçu une lettre du Centre de traitement des demandes d’IRCC à Edmonton indiquant que sa demande de permis d’études avait été rejetée.

B. La décision faisant l’objet du contrôle

[10] La décision de l’agent est contenue dans les notes qu’il a consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le « SMGC »), lesquelles font partie intégrante des motifs de la décision. Les notes du SMGC, datées du 24 juin 2021, sont ainsi rédigées :

[traduction]

La cliente a déclaré dans son formulaire de demande IMM 5709 qu’elle est entrée au Canada pour la dernière fois à titre de visiteuse le 2 février 2021. Son statut est valide jusqu’au 2 août 2021. La cliente demande un permis d’études parce qu’elle a l’intention de s’inscrire au certificat d’études supérieures en administration mondiale des affaires du Georgian College qui se terminera le 21 avril 2023. La cliente a terminé le programme de préparation à l’université de l’International Language Academy of Canada (ILAC) le 30 mars 2021, soit au cours de la période de six mois suivant son entrée initiale au pays. La lettre d’acceptation que le Georgian College a produite pour la cliente indique qu’il n’y a aucune condition d’acceptation ni aucun cours préalable à suivre. Comme la cliente n’a pas terminé un cours ou un programme d’études exigé pour son inscription à un établissement d’enseignement désigné, elle ne peut pas faire une demande de permis d’études depuis le Canada au titre du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) du Règlement; elle doit faire sa demande depuis l’étranger. La demande a été rejetée et une lettre a été envoyée pour en informer la cliente.

[11] La lettre de refus indique que la demande de permis d’études a été rejetée parce que la demanderesse [traduction] « n’est pas une personne visée par les dispositions législatives sur l’immigration qui peut demander ce type de document à partir du Canada » et [traduction] qu’« une telle demande doit être présentée à un bureau canadien des visas dans un autre pays ».

III. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[12] La présente demande de contrôle judiciaire soulève la seule question de savoir si la décision de l’agent de rejeter la demande de permis d’études est raisonnable.

[13] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑17, 23‑25 (« Vavilov »). Je suis d’accord avec elles. Cela est également conforme à la jurisprudence de la Cour relative au contrôle des décisions des agents des visas concernant les demandes de permis d’études : Noulengbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1116 au para 7; Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 11; Kavugho‑Mission c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 597 au para 8.

[14] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit décider si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[15] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle contient des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle suscite ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne devrait pas modifier les conclusions de fait de celui‑ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision, ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156 au para 36).

IV. Analyse

[16] La demanderesse soutient que l’agent a déraisonnablement conclu qu’elle ne pouvait pas faire une demande de permis d’études à partir du Canada au titre du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) du RIPR. Elle affirme que cette conclusion est contraire à la fois à l’interprétation que la Cour donne du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) et à la preuve jointe à sa demande.

[17] La demanderesse renvoie à la décision Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 279 (« Li »), dans laquelle ma collègue, la juge Fuhrer, a conclu qu’un agent des visas qui constate que la lettre d’acceptation ne précise aucune condition d’acceptation « ne doit pas mettre fin à son enquête si le demandeur fournit des éléments de preuve supplémentaires démontrant qu’il a terminé un ou plusieurs cours ou programmes d’études exigés pour “s’inscrire à [l’]établissement d’enseignement désigné” » (Li, au para 13). La demanderesse renvoie aussi à l’affaire Virk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1181 (« Virk »), dans laquelle un agent avait rejeté une demande de permis d’études au motif que le demandeur n’avait pas présenté une lettre d’acceptation conditionnelle ou la preuve qu’il avait terminé les cours exigés pour son inscription malgré les éléments de preuve montrant qu’il avait respecté les conditions préalables. La Cour a conclu que ce rejet était déraisonnable parce que ces éléments de preuve supplémentaires montraient que le demandeur était, en fait, admissible au titre du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) du RIPR (Virk, au para 7).

[18] La demanderesse soutient que les conclusions tirées dans les décisions Li et Virk peuvent s’appliquer en l’espèce. Il était également mentionné dans la lettre d’acceptation fournie par le Georgian College qu’il n’y avait pas de conditions d’acceptation, ce qui signifie qu’elle n’avait pas d’autres conditions à respecter puisqu’elle respectait déjà l’exigence préalable grâce au programme de l’ILAC. La demanderesse soutient que les éléments de preuve supplémentaires qu’elle a déposés montrent clairement qu’elle a réussi un programme d’études obligatoire et que l’agent n’en a pas tenu compte dans ses motifs, ce qui rend sa décision déraisonnable.

[19] Le défendeur soutient que les affaires Li et Virk sont différentes de l’espèce. Il note que les agents qui ont rendu les décisions contestées dans ces deux affaires disposaient d’éléments de preuve montrant que les demandeurs avaient terminé un programme exigé pour leur inscription. Le défendeur affirme qu’en l’espèce, l’imprimé du site Web du Georgian College n’a pas été présenté à l’agent et qu’on ne peut pas présumer que cette information aurait convaincu l’agent que le programme de l’ILAC était bel et bien exigé pour s’inscrire dans cet établissement.

[20] Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas déclaré qu’elle avait inclus cet imprimé tiré du site Web du Georgian College dans sa demande de permis d’études et qu’elle ne l’avait pas mentionné dans son affidavit. Il est bien établi que le contrôle judiciaire se limite à la preuve dont disposait le décideur, à moins qu’il y ait une allégation de manquement à l’équité procédurale. Le défendeur soutient que les extraits du site Web du Georgian College ne peuvent être pris en compte par la Cour. Il fait en outre valoir que, ces éléments de preuve n’ayant pas été présentés à l’agent, celui‑ci a tenu compte, comme il était tenu de le faire, des éléments de preuve dont il disposait, lesquels montraient que la demanderesse avait suivi le programme et non que le programme était exigé pour l’inscription.

[21] Je suis d’accord avec le défendeur. Bien que les décisions de la Cour dans les affaires Li et Virk aient été rendues dans des situations factuelles très semblables à celle de la demanderesse en l’espèce, la principale différence réside dans la preuve dont disposaient les décideurs. Dans la décision Li, la juge Fuhrer a fait référence aux « éléments de preuve au dossier, qui comprennent ce qui semble être un imprimé provenant du site Web du MITT » [non souligné dans l’original] et qui indiquent explicitement que les étudiants étrangers doivent suivre un cours d’anglais pour pouvoir être admis au programme (au para 15). De même, dans la décision Virk, la demande de permis d’études était accompagnée d’une lettre du directeur de l’école indiquant que le demandeur avait terminé un programme exigé (aux para 5‑7). Le fait que les décideurs disposaient d’éléments de preuve montrant clairement que les programmes d’études suivis étaient exigés pour l’inscription des demandeurs est le facteur important qui a amené la Cour à conclure que les décisions contestées dans ces deux affaires étaient déraisonnables.

[22] En l’espèce, toutefois, l’agent ne disposait d’aucun élément de preuve de ce genre. Bien que la demanderesse renvoie au site Web du Georgian College, sur lequel il est indiqué qu’un programme de maîtrise de l’anglais offert par un [traduction] « établissement d’enseignement partenaire » est exigé, aucun imprimé de ce site Web n’était inclus dans les documents à l’appui, comme c’était le cas dans la décision Li. La liste des documents fournie par la demanderesse à l’appui de sa demande de permis d’études ne comprend aucun renseignement tiré du site Web du Georgian College. Je conviens aussi que, dans l’ensemble, la preuve ne démontre pas que le programme de l’ILAC est exigé pour l’inscription de la demanderesse au Georgian College. Elle montre seulement que la demanderesse a terminé le programme de l’ILAC, ce qui ne constitue pas en soi une preuve suffisante de son admissibilité au titre du sous‑alinéa 215(1)f)(iii) du RIPR.

[23] Il n’appartient pas à la Cour de remettre en question le caractère raisonnable d’une décision en se fondant sur des éléments de preuve qui n’ont jamais été présentés au décideur. Une décision déraisonnable est une décision qui ne tient pas compte de la preuve dont le décideur disposait. En l’espèce, cependant, la preuve montrant que le programme de l’ILAC était exigé pour l’inscription au Georgian College n’a pas été présentée à l’agent et ne peut donc être prise en compte dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 126). L’analyse de l’agent est raisonnable compte tenu du dossier de preuve dont il disposait.

V. Conclusion

[24] La décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4626‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4626-21

 

INTITULÉ :

SOMAYEH ASLANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATON

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Hana Marku

 

Pour la demanderesse

 

Andrea Mauti

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hunter Sutcliffe Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.