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Date : 20221214


Dossier : IMM-8520-21

Référence : 2022 CF 1725

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

GLADYS AKWI MUSORO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Gladys Akwi Musoro, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 25 octobre 2021 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la « SAR ») a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») portant qu’elle n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni la qualité de personne à protéger aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »). La SAR a conclu que la question déterminante concernait la crédibilité de la demanderesse.

[2] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur dans sa conclusion en matière de crédibilité parce qu’elle a fait fi d’éléments de preuve importants, qu’elle a procédé à une analyse indûment microscopique de la demande et qu’elle a tiré des conclusions qui ne sont pas étayées par le dossier de preuve.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Les faits

A. La demanderesse

[4] La demanderesse est une citoyenne camerounaise de 58 ans. Elle est une Camerounaise anglophone et une partisane du mouvement séparatiste ambazonien (le « MSA »), qui prône la sécession et l’indépendance des régions anglophones du Cameroun.

[5] Le 6 octobre 2016, la demanderesse a participé à une manifestation du MSA au Cameroun. Selon elle, la manifestation pacifique a été accueillie avec une grande brutalité par les forces policières et militaires, qui ont tué et blessé des manifestants pendant la manifestation et dans les semaines qui ont suivi.

[6] La demanderesse soutient que le gouvernement camerounais a coupé le réseau Internet et l’électricité dans toutes les régions anglophones le 17 janvier 2017. Elle ne pouvait plus communiquer avec sa famille à l’étranger pour lui faire savoir qu’elle était toujours en vie. Étant donné que bon nombre de ses amis et voisins qui avaient participé à la manifestation du 6 octobre ont été arrêtés ou tués, la demanderesse craignait que la même chose ne lui arrive.

[7] Le 27 janvier 2017, la demanderesse a déménagé à Bafoussam, qui est située près d’une région francophone dans laquelle Internet était accessible, afin de pouvoir communiquer avec sa famille. Son fils, Sylvanus Fonguh (M. « Fonguh »), lui a dit de déménager à Yaoundé parce que personne ne la connaissait là‑bas et qu’elle serait donc plus en sécurité. M. Fonguh a aidé la demanderesse à ouvrir une imprimerie à Yaoundé afin qu’elle puisse générer son propre revenu.

[8] La demanderesse affirme que les dirigeants du MSA ont organisé le 22 septembre 2017 un grand rassemblement dans les régions anglophones pour exiger la libération des personnes arrêtées à la suite de la manifestation du 6 octobre 2016. Elle a contribué à cet événement en imprimant des tracts pour la manifestation dans son imprimerie et, avec l’aide de son ami Thomas, un militant du MSA, en transportant les tracts à Bamenda pour qu’ils y soient distribués. La manifestation du 22 septembre s’est heurtée à une violente résistance. Une manifestation similaire a été organisée le 1er octobre 2017 et a rencontré la même résistance, ce qui a donné lieu à des violences à grande échelle.

[9] La demanderesse soutient que l’un de ses employés francophones à l’imprimerie a découvert un tract produit pour la manifestation et qu’il l’a dénoncée à la police. Elle s’est cachée dans son église locale à Yaoundé. Pendant qu’elle se cachait, le directeur de son imprimerie l’a appelée pour l’informer que la police avait mis les locaux de son entreprise sous scellé et avait lancé un mandat d’arrestation contre elle. Le directeur a par la suite informé la demanderesse que les comptes bancaires de l’entreprise avaient également été gelés.

[10] La demanderesse a appris la disparition de son ami Thomas, qui l’avait aidée à distribuer les tracts. Elle soutient que cette disparition a exacerbé sa crainte pour sa vie.

[11] Le pasteur de l’église, à Yaoundé, où la demanderesse se cachait toujours l’a aidée à déménager à Douala en mai 2018. De là, elle est finalement venue au Canada munie d’un visa de résident temporaire le 5 mai 2018. Elle a présenté une demande d’asile en août 2018.

B. La décision de la SPR

[12] Dans une décision datée du 15 avril 2021, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif qu’elle manquait de crédibilité.

[13] La SPR a souligné que la présomption de véracité des allégations d’un demandeur d’asile est réfutable si les allégations sont jugées non cohérentes, non plausibles ou contraires aux faits généralement connus. Au sens de l’article 96 de la LIPR, la persécution se distingue de la discrimination dans la mesure où la première doit reposer sur des éléments de preuve fiables montrant que le demandeur [traduction] « a une possibilité raisonnable d’être victime d’une violation grave et souvent durable ou systémique de ses droits fondamentaux » et qu’il a été [traduction] « pris pour cible, à titre personnel ou en tant que membre d’une collectivité».

[14] La SPR a conclu que l’allégation de la demanderesse selon laquelle le mandat d’arrestation lancé contre elle par la police constituait la preuve qu’elle était exposée à un risque fondé de persécution manquait de crédibilité parce qu’elle n’avait pas présenté le mandat en preuve ni expliqué pourquoi elle ne l’avait pas fait. La SPR a conclu que cela avait miné la crédibilité des allégations de persécution de la demanderesse.

[15] La SPR a également souligné que la demanderesse n’avait pas non plus présenté en preuve un exemplaire du tract produit pour la manifestation ou une courte description de son contenu en dépit du fait que ses activités d’impression et de distribution des tracts aient constitué un tournant décisif dans son exposé circonstancié. Le contenu du tract, par exemple s’il incitait à la sédition ou indiquait simplement le lieu et l’heure du rassemblement, a une incidence sur l’évaluation qui doit être faite pour trancher la question de savoir s’il est raisonnable de croire que l’employé de la demanderesse l’a dénoncée pour avoir imprimé les tracts et que la police a par la suite lancé un mandat d’arrestation contre elle. En fin de compte, la SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse concernant le tract [traduction] « ne sembl[ait] pas véridique » et qu’il était [traduction] « plus probable qu’improbable que la demanderesse ait embelli et exagéré le rôle de ce tract dans sa demande d’asile », minant ainsi la crédibilité d’un élément central de sa demande.

[16] La SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse contenait d’autres exagérations, comme son affirmation selon laquelle elle avait vécu un traumatisme émotionnel et psychologique parce qu’elle n’avait pas pu communiquer avec sa famille à l’étranger, ce qui a encore plus miné sa crédibilité.

[17] La SPR a examiné la preuve figurant dans le cartable national de documentation (le « CND ») concernant les relations entre les anglophones et les francophones au Cameroun. Le CND faisait état de [traduction] « grandes divisions » entre les groupes anglophones et francophones, et le Conseil économique et social des Nations Unies se disait préoccupé par la « situation de discrimination et de marginalisation de facto » à laquelle est exposée la minorité anglophone. Le Département d’État des États‑Unis reconnaissait quant à lui l’existence de [traduction] « graves problèmes liés aux droits de la personne » au Cameroun en général. La SPR a conclu que ces éléments de preuve étayaient certains éléments de l’allégation de la demanderesse concernant les difficultés auxquelles elle faisait face en tant que Camerounaise anglophone, mais elle a également noté que la preuve indiquant qu’au moins la moitié de la population camerounaise parle le pidgin anglais atténuerait en partie les effets de l’appartenance à la minorité anglophone.

[18] La SPR a également examiné des rapports objectifs faisant état de violences perpétrées par des groupes sécessionnistes anglophones, renvoyant à des éléments de preuve du CND montrant que des membres de groupes sécessionnistes militants avaient ciblé des civils, commis des enlèvements, causé des dommages à des biens et s’étaient livrés à d’autres actes de violence. La SPR a conclu qu’il n’était [traduction] « peut‑être pas surprenant » que le gouvernement camerounais cherche à imposer des sanctions légales à ces groupes compte tenu de leurs pratiques violentes.

[19] La SPR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour montrer que la demanderesse était plus qu’une [traduction] « partisane symbolique et non violente » qui a soutenu les efforts déployés pour défendre les intérêts des anglophones, qu’elle était recherchée par les autorités camerounaises parce qu’elle défendait cette cause, ou qu’elle serait victime de persécution pour ses activités de soutien. La SPR a également conclu que les éléments de preuve étaient insuffisants pour démontrer que la demanderesse serait exposée à une menace pour sa vie, à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités au Cameroun simplement parce qu’elle appartient à la minorité anglophone ou qu’elle s’oppose à la marginalisation des Camerounais anglophones. Par conséquent, la SPR a conclu que la demanderesse n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR. La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la SAR.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[20] Dans une décision datée du 25 octobre 2021, la SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu que la demande d’asile de la demanderesse manquait de crédibilité.

[21] En appel, la demanderesse a soutenu que la SPR avait commis une erreur en se méprenant sur le motif de sa demande d’asile, notamment en confondant « discrimination » et « persécution », et en interprétant à tort sa demande comme une allégation contre la marginalisation par le gouvernement camerounais. La demanderesse a également fait valoir que la SPR a favorisé de façon déraisonnable la preuve documentaire, qu’elle a déraisonnablement mis l’accent sur le fait qu’elle n’avait pas déposé en preuve le mandat d’arrestation ou le tract en dépit des explications raisonnables qu’elle avait fournies pour justifier l’absence de ces éléments, et qu’elle avait rejeté à tort sa demande d’asile sur place.

[22] La SAR a conclu que, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse dans ses observations, la SPR n’a pas tenu compte uniquement de la discrimination dont la demanderesse a été victime en tant que Camerounaise anglophone, mais a également examiné en profondeur la crédibilité de ses allégations selon lesquelles elle risquait d’être persécutée pour ses activités politiques. La SAR a noté que la demanderesse avait fourni peu d’explications dans son mémoire quant à la raison pour laquelle elle croit que la SPR a seulement examiné la question de la discrimination.

[23] La SAR a estimé que la SPR avait conclu à juste titre que des documents écrits auraient été nécessaires pour étayer les allégations de la demanderesse selon lesquelles elle avait participé à l’impression et à la distribution des tracts pour la manifestation et que la police avait lancé un mandat d’arrestation contre elle. La SAR n’a pas conclu que la SPR avait déraisonnablement insisté sur l’absence de preuve documentaire, d’autant plus qu’il n’y avait pas de cohérence interne entre les témoignages et les éléments de preuve contenus dans le formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire « FDA »). La SAR a conclu que l’incapacité de la demanderesse à préciser le contenu du tract en dépit de l’intérêt qu’elle portait à la cause ou à expliquer le sens de l’abréviation courante « Amba », qui renvoie au MSA, a encore plus miné la crédibilité de sa demande d’asile.

[24] La SAR a conclu que, même si des éléments de preuve corroborants ne sont généralement pas nécessaires, ils l’étaient dans le cas de la demanderesse étant donné les doutes quant à sa crédibilité. Premièrement, la SAR a noté que, bien qu’il ait pu être dangereux pour la demanderesse de tenter de se procurer un exemplaire du tract lorsqu’elle se trouvait au Cameroun, elle n’a déployé aucun effort une fois au Canada pour s’en procurer un auprès d’une connaissance qui avait participé à la manifestation. L’affirmation de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas conservé d’exemplaire du tract parce qu’elle croyait que cela la mettrait en danger est incompatible avec le fait qu’elle avait conservé dans son entreprise un exemplaire qu’un employé avait ultérieurement trouvé. Deuxièmement, la SAR a conclu que la SPR avait correctement jugé que l’incapacité de la demanderesse à décrire le contenu du mandat d’arrestation avait entaché sa crédibilité puisqu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce qu’elle demande une certaine description au directeur qui est censé l’avoir informée de l’existence du mandat. Bien que la SAR ait convenu que la demanderesse aurait pu courir un risque si elle avait tenté d’obtenir une copie du mandat d’arrestation, elle a conclu qu’elle n’avait pas tenté d’obtenir des renseignements sur son contenu, ce qui a encore plus miné sa crédibilité.

[25] La SAR a également jugé que la SPR avait correctement conclu que le contenu du tract était pertinent au regard de la crédibilité de la demande d’asile de la demanderesse. Bien qu’elle ait conclu que l’argument selon lequel tout type de tract produit pour une manifestation pouvait être considéré comme offensant pour les autorités n’était pas dénué de fondement, la SAR a convenu avec la SPR que le tract aurait pu susciter différents niveaux de préoccupation chez les autorités, selon son contenu. Bien que cet élément ne suffise pas à lui seul à conclure que la demanderesse n’est pas crédible – puisqu’il s’agirait d’une conclusion d’invraisemblance fondée sur des hypothèses –, la SAR a jugé qu’il s’agissait de l’un des nombreux éléments qui ont raisonnablement amené la SPR à conclure que la demanderesse n’avait pas établi de façon crédible que le fait d’avoir ce tract dans son tiroir aurait pu entraîner une dénonciation à la police.

[26] La SAR a écarté l’argument de la demanderesse selon lequel la SPR a rejeté sa demande d’asile sur place essentiellement parce qu’elle a fait fi de la preuve de son implication dans l’organisme d’aide du Sud du Cameroun (Southern Cameroons Relief Organization« SCRO ») et du fait que les membres de cette organisation ont été ciblés par les autorités camerounaises pour des activités menées à l’étranger. La SAR a souligné que la demanderesse avait assisté à une manifestation en 2016 au Cameroun avant d’imprimer les tracts en 2017, ainsi qu’à trois manifestations au Canada. La SAR a repris l’argument selon lequel la demanderesse ne savait pas ce que signifiait « Amba », bien qu’elle ait présenté une photographie d’elle debout à côté d’un homme tenant une pancarte sur laquelle était écrit le mot [traduction] « Ambazonie ». La SAR a finalement confirmé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que la demanderesse était plus qu’une partisane symbolique et non violente du mouvement de défense des droits des anglophones et que ce profil ne correspond pas au profil des militants sécessionnistes anglophones décrits dans la preuve documentaire qui sont ciblés par les autorités camerounaises.

[27] La SAR a conclu en fin de compte que la demanderesse manquait généralement de crédibilité et qu’elle n’avait donc ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

III. La question en litige et la norme de contrôle applicable

[28] La présente demande de contrôle judiciaire soulève la seule question de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[29] La norme de contrôle n’est pas contestée. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16‑17, 23‑25 (« Vavilov »). Je suis d’accord avec elles.

[30] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est empreint de déférence, mais demeure rigoureux (Vavilov, aux para 12‑13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle est transparente, intelligible et justifiée, notamment en ce qui concerne le résultat obtenu et le raisonnement suivi (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

IV. Analyse

[31] La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur dans sa conclusion concernant la crédibilité parce qu’elle s’est fondée sur plusieurs conclusions erronées. À mon avis, la décision est raisonnable en ce qui concerne les trois principales conclusions.

A. Discrimination ou persécution

[32] La demanderesse affirme que la SAR a déraisonnablement confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle sa demande d’asile était axée sur la discrimination plutôt que sur la persécution. Elle fait valoir que la SPR a mal interprété sa demande et a conclu qu’elle reposait sur des allégations selon lesquelles elle a été victime de discrimination en tant que Camerounaise anglophone, alors que sa demande reposait sur son origine ethnique de Camerounaise anglophone et ses opinions politiques.

[33] Le défendeur soutient que la décision de la SAR est raisonnable. En ce qui concerne l’argument de la demanderesse selon lequel la SAR ne s’est pas penchée sur le fait que la SPR avait jugé que sa demande d’asile était axée sur la discrimination plutôt que sur la persécution, le défendeur fait valoir que la demanderesse a soulevé cet argument devant la SAR et que celle‑ci l’a examiné. Après avoir examiné cet argument, la SAR a conclu que la décision de la SPR montrait que celle‑ci avait porté une attention particulière à l’égard de la preuve de la demanderesse concernant sa participation à la vie politique, qui reposait principalement, selon son formulaire FDA et son témoignage, sur ses activités d’impression et la distribution de tracts pour une manifestation. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas relevé d’erreur susceptible de contrôle dans la décision de la SAR.

[34] Je suis d’accord avec le défendeur. Les motifs de la SAR montrent qu’elle a porté une attention particulière à cet argument, qui lui avait également été présenté en appel. Rien dans les observations de la demanderesse ne permet de savoir avec certitude où et comment la SPR s’est concentrée sur la discrimination plutôt que sur la persécution. La SAR a raisonnablement conclu que la SPR s’était manifestement penchée sur la preuve de la demanderesse au cœur de sa demande d’asile, qui portait sur sa participation à la vie politique et dans la cause des anglophones, en particulier dans des activités d’impression et de distribution de tracts pour une manifestation. Il s’agit d’activités qui, selon le formulaire FDA et le témoignage de la demanderesse, constituaient un [traduction] « tournant décisif » dans son exposé selon lequel elle est exposée à un risque de persécution au Cameroun, et c’est ce même exposé que la SPR a évalué. Ainsi, la SPR a raisonnablement conclu que cet exposé manquait de crédibilité. Le simple fait que la SPR a tenu compte d’autres aspects de la preuve de la demanderesse pour tirer cette conclusion ne signifie pas qu’elle n’a pas tenu compte de l’essentiel des allégations de la demanderesse concernant la persécution potentielle.

B. Absence d’éléments de preuve documentaire

[35] La demanderesse soutient que la SAR a déraisonnablement attaqué sa crédibilité en se fondant sur l’absence d’éléments de preuve documentaire, notamment le fait qu’elle n’a pas présenté un exemplaire du tract produit pour la manifestation ou du mandat d’arrestation ni montré qu’elle a déployé des efforts pour obtenir ces éléments de preuve. La demanderesse note que la SAR a mentionné à tort qu’elle « sympathisait avec le mouvement Amba et voulait contribuer à la cause de ce dernier », bien qu’elle soit une membre active du mouvement. Elle ajoute que la SAR lui a déraisonnablement reproché de ne pas avoir précisé le contenu du tract produit pour la manifestation ou du mandat d’arrestation puisque la SPR ne lui avait jamais demandé de décrire le contenu de l’un ou l’autre de ces documents. Il en a résulté une conclusion en matière de crédibilité qui n’est pas fondée sur une preuve pertinente et qui, selon la demanderesse, va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour. La demanderesse note qu’à l’audience, elle a confirmé au commissaire de la SPR qu’elle n’avait jamais reçu de copie du mandat d’arrestation et qu’il était donc déraisonnable que la SPR s’attende à ce qu’elle donne des détails concernant celui‑ci. Enfin, la demanderesse soutient que la conclusion défavorable en matière de crédibilité tirée par la SAR, fondée sur l’absence d’éléments de preuve documentaire, est déraisonnable et fait simplement écho aux conclusions erronées de la SPR sur ce point.

[36] La demanderesse affirme en outre que la SAR a déraisonnablement miné la crédibilité des principales allégations sur lesquelles repose sa demande d’asile au motif qu’elle ne connaît pas le sens de l’abréviation « Amba », alors qu’il est évident qu’elle sait ce que représente le mouvement lorsque l’on examine la preuve et la transcription de l’audience dans leur ensemble. La Cour a conclu que l’évaluation d’une demande d’asile ne peut être transformée en un test de mémoire et ne devrait pas comprendre une analyse microscopique de la preuve; la conclusion de la SAR sur ce point est donc déraisonnable à la lumière de la jurisprudence (Shabab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 872, au para 39; Varon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 356).

[37] En ce qui concerne l’absence d’éléments de preuve documentaire en général, le défendeur soutient que la SPR et la SAR ont le droit de tirer des conclusions défavorables fondées sur le fait que la demanderesse n’a pas produit des éléments de preuve à l’appui qui auraient pu être obtenus ou auxquels on aurait pu raisonnablement s’attendre, particulièrement s’il existe d’autres motifs de douter de la crédibilité d’un demandeur (Ortiz Juarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288; Morka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 315). En l’espèce, la SAR a exprimé un certain nombre de réserves quant à la crédibilité de la demanderesse, comme son incapacité à préciser le sens de « Amba », son explication selon laquelle elle n’avait pas conservé d’exemplaire du tract parce qu’il était dangereux de le faire, même si elle en avait conservé un dans un tiroir de son entreprise, ainsi que son allégation selon laquelle les comptes bancaires de son entreprise avaient été gelés, malgré la preuve que des opérations y ont été faites après octobre 2017. Le défendeur soutient que la SAR était en droit de tirer une conclusion défavorable de l’absence d’éléments de preuve documentaire corroborants puisque la crédibilité de la demanderesse était déjà mise en doute.

[38] En ce qui concerne l’argument de la demanderesse selon lequel sa crédibilité a été déraisonnablement remise en doute parce qu’elle n’a pas décrit le contenu du tract alors qu’on ne lui avait jamais demandé de le faire, le défendeur fait valoir que cette évaluation particulière de la SAR n’a pas été faite d’après une question posée lors de l’audience devant la SPR, mais plutôt dans le contexte de la conclusion de la SPR selon laquelle il était troublant que le tract n’ait pas été produit en preuve. La SPR a conclu que la crédibilité de la demanderesse était entachée par le fait qu’elle n’avait pas obtenu d’exemplaire du tract, qu’elle n’avait pas expliqué son absence et qu’elle n’avait fait aucun effort pour en obtenir un ou même pour en résumer le contenu puisqu’il lui incombait de fournir ces renseignements. En ce qui concerne le contenu du mandat d’arrestation, le défendeur fait également valoir que la SAR ne s’attendait pas à ce que la demanderesse ait une copie du mandat, mais qu’elle estimait plutôt qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que la demanderesse tente d’en obtenir une copie auprès du directeur ou d’obtenir toute déclaration du directeur corroborant le fait qu’un mandat d’arrestation avait été lancé contre elle.

[39] Pour ce qui est du fait que la demanderesse n’a pas précisé la signification du terme « Amba », le défendeur soutient que le fait de conclure que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce que la demanderesse connaisse le nom de l’organisation dans laquelle elle prétend être impliquée n’équivaut pas à une conclusion tirée à la suite d’une analyse microscopique de la crédibilité.

[40] À mon avis, la SAR a raisonnablement confirmé la décision de la SPR quant à l’absence d’éléments de preuve corroborants. Il est bien établi en droit que, bien qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité ne puisse être tirée en se fondant uniquement sur l’absence d’éléments de preuve corroborants, le fait de ne pas fournir de tels éléments peut être un facteur valable dans l’évaluation de la crédibilité si la crédibilité du demandeur d’asile est déjà remise en doute et qu’aucune explication raisonnable n’est fournie (Luo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 823 aux para 18‑22 (« Luo »); Amarapala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12 au para 10; Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 aux para 6‑7). L’omission de présenter des éléments de preuve auxquels on peut raisonnablement s’attendre peut également mener à une conclusion défavorable quant à la crédibilité (Luo, au para 21; Radics c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 110 aux para 31‑32 (« Radics »)).

[41] Dans ses motifs, la SAR a appliqué ces principes de façon intelligible et transparente à l’égard des éléments de preuve corroborants (Vavilov, au para 15). La SAR a expliqué en détail pourquoi des éléments de preuve corroborants étaient nécessaires dans le cas de la demanderesse, en soulignant ses réserves quant à la crédibilité.

[42] Je ne pense pas que toutes les réserves exprimées par la SAR en matière de crédibilité constituent une base valable pour exiger des éléments de preuve corroborants. La Cour a établi que l’absence d’éléments de preuve corroborants ne peut à elle seule constituer une raison de douter de la crédibilité d’un demandeur d’asile et d’exiger par la suite des éléments de preuve corroborants, ce qui constitue une « analyse circulaire erronée » (Khamdamov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1148 au para 16; Ruan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1522 au para 38). Dans le cas de la demanderesse, la SAR utilise un raisonnement semblable lorsqu’elle affirme que des éléments de preuve corroborants sont nécessaires, en partie parce que « le défaut de l’appelante de tenter d’obtenir des documents à l’appui de l’existence de ces tracts compromet sa crédibilité ».

[43] Cela dit, l’absence d’éléments de preuve corroborants dans le dossier de la demanderesse n’était pas le seul fondement des conclusions défavorables de la SAR en matière de crédibilité en l’espèce. Elle a également raisonnablement tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité du fait que la demanderesse n’a pas décrit le contenu ou la nature du tract produit pour la manifestation ou du mandat d’arrestation, bien que ces documents soient au cœur de ses allégations selon lesquelles elle est exposée à un risque fondé de persécution au Cameroun. La demanderesse a également allégué que son imprimerie avait fermé ses portes et que ses comptes bancaires avaient été gelés, même si des éléments de preuve montraient que des opérations de divers types avaient été effectuées après le 17 octobre et en 2018. Dans la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924, la Cour a déclaré que la présomption de véracité applicable aux demandes d’asile est réfutable lorsque la preuve ne concorde pas avec le témoignage d’un demandeur (au para 21). Étant donné que la crédibilité de la demanderesse était déjà mise en doute, la SAR avait de bonnes raisons de s’attendre à des éléments de preuve corroborants, et les motifs pour lesquels elle a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité en se fondant sur l’absence d’éléments de preuve corroborants sont intelligibles et transparents (Vavilov, au para 15).

[44] Je conclus également que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les éléments de preuve précis qui faisaient défaut dans la demande d’asile de la demanderesse soient présentés compte tenu de la situation personnelle de cette dernière, d’autant plus que ces documents étaient au cœur de sa demande d’asile. Dans la décision Radics, la Cour a conclu que la SPR avait raisonnablement tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des demandeurs parce qu’ils n’avaient pas produit de documents corroborants sur un aspect crucial de leurs demandes d’asile et dont on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils soient disponibles (au para 32). De même, en l’espèce, le tract produit pour la manifestation et le mandat d’arrestation sont des éléments clés des allégations de la demanderesse selon lesquelles elle est exposée à un risque fondé de persécution si elle est renvoyée au Cameroun. Son exposé circonstancié est centré sur le fait que son importante contribution à la cause ambazonienne, lorsqu’elle était au Cameroun, avait été d’utiliser son imprimerie pour imprimer des tracts pour les manifestations, ce qui a donné lieu à un mandat d’arrestation contre elle et entraîné une crainte subséquente pour sa sécurité.

[45] Même si j’estime que les arguments de la demanderesse selon lesquels elle se serait exposée à un risque supplémentaire si elle avait quitté le Cameroun avec un exemplaire du tract et qu’elle n’avait jamais reçu le mandat de son directeur sont fondés, elle n’a présenté aucun élément de preuve indiquant qu’elle a tenté d’obtenir ces renseignements après son arrivée au Canada. Ses contacts au SCRO ou l’épouse de son ami Thomas, qui l’avait aidée à distribuer les tracts, auraient pu raisonnablement attester du contenu du tract et du fait que la demanderesse avait participé à son impression et à sa distribution. Elle soutient qu’elle n’a pas conservé d’exemplaire du tract parce qu’il aurait été trop dangereux de le faire, mais elle aurait été dénoncée par son employé parce qu’elle en avait gardé un exemplaire dans les locaux de son entreprise. En ce qui concerne le mandat d’arrestation, la demanderesse n’a pas non plus fait d’efforts pour parler au directeur qui l’avait informée de l’existence du mandat, ne serait‑ce que pour attester de son contenu, afin d’essayer de prouver son allégation selon laquelle le mandat d’arrestation avait contribué à sa crainte fondée de persécution au Cameroun. En fin de compte, la SAR a raisonnablement confirmé la décision de la SPR concernant l’absence d’éléments de preuve corroborants et a raisonnablement conclu qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que certains documents corroborants soient déposés dans le cas de la demanderesse.

C. Demande d’asile sur place

[46] La demanderesse soutient que la SAR a également commis une erreur en concluant qu’elle n’était qu’une partisane symbolique et non violente de la cause ambazonienne, en partie parce que son profil ne correspondait pas à celui des militants habituellement ciblés par le gouvernement. Elle note que la preuve objective sur la situation au pays montre que ceux qui défendent activement la diaspora camerounaise sont également exposés à des risques. La demanderesse soutient que cette preuve objective et son implication en tant que membre active du SCRO indiquent que la conclusion de la SAR sur ce point est incompatible avec la preuve fournie et qu’elle est, par conséquent, déraisonnable.

[47] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que la preuve était insuffisante pour étayer une demande d’asile sur place et qu’elle était en droit de juger que la question déterminante concernait le manque de crédibilité de la demanderesse. Le défendeur renvoie à la décision Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 765, dans laquelle la Cour a conclu que la SAR avait raisonnablement jugé que la demande d’asile sur place ne pouvait être étayée en l’absence d’une preuve démontrant que la présentation de la demande d’asile était venue spécifiquement à l’attention des autorités du pays d’origine du demandeur d’asile (au para 27). Le défendeur soutient qu’en l’espèce, la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que les activités de la demanderesse avaient été portées à l’attention des autorités camerounaises ou que celles‑ci la recherchaient, et la demanderesse n’a pas été en mesure de relever une erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la SAR concernant la demande d’asile sur place.

[48] Je suis d’accord avec le défendeur. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à juger si la décision dans son ensemble est raisonnable eu égard à la trame factuelle et à la preuve versée au dossier, et non à soupeser de nouveau la preuve (Vavilov, aux para 15, 116, 125). J’ai examiné la décision de la SAR dans son ensemble, et je suis d’avis que sa conclusion concernant la demande d’asile sur place est cohérente avec les éléments de preuve dont elle disposait. Selon moi, la déclaration de la SAR selon laquelle le profil de la demanderesse ne correspondait pas à celui des « militants » dont il est question dans la preuve documentaire et qui sont ciblés par les autorités ne permet pas de conclure que seuls les militants sont ciblés. La SPR et la SAR ont plutôt raisonnablement conclu qu’une appréciation de la preuve faisait ressortir un profil particulier de défenseur camerounais de la cause anglophone qui est ciblé par les autorités et que la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour montrer que ses activités l’incluraient dans ce groupe ciblé ou qu’elle était recherchée par les autorités en raison de ses activités au Canada.

V. Conclusion

[49] À mon avis, la SAR a raisonnablement confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible et n’avait donc ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8520-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8520-21

 

INTITULÉ :

GLADYS AKWI MUSORO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Ugochukwu Udogu

 

Pour la demanderesse

 

Andrea Mauti

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ugo Udogu Law Office

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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