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Date : 20221214


Dossier : IMM‑961‑22

Référence : 2022 CF 1723

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2022

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

Jose Armando MONTES CAMACHO

Maria De Los Angeles MONTES CAMACHO

Martha Itzel VILLALOBOS ROSAS

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Jose Armando Montes Camacho [le demandeur principal], son épouse, Martha Itzel Villalobos Rosas [l’épouse du demandeur principal], et sa sœur, Maria De Los Angeles Montes Camacho [la sœur du demandeur principal], [collectivement, les demandeurs] sont des citoyens du Mexique qui ont présenté des demandes d’asile au Canada. Ces demandes reposent sur leur crainte d’être persécutés par le cartel del CIDA, qui a menacé le père du demandeur principal, un médecin local.

[2] La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté leur demande d’asile après avoir conclu qu’ils disposaient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] viable à Mérida et à Cabo San Lucas. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté leur appel, concluant que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau qui leur incombait de démontrer que leur conseil ne les avait pas représentés efficacement et partageant l’avis de la SPR selon lequel ils disposaient d’une PRI viable. La SAR a admis les nouveaux éléments de preuve des demandeurs en appel en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], mais n’a pas tenu d’audience au titre du paragraphe 110(6) de la LIPR. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la SAR et demandent qu’elle soit annulée et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une nouvelle décision.

[3] Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe A.

[4] Je conclus que la question déterminante n’est pas tant que la SAR a commis une erreur en omettant de tenir une audience, comme l’affirment les demandeurs, mais plutôt qu’elle a déraisonnablement omis d’expliquer pourquoi une audience n’était pas justifiée. Voir le paragraphe 12 de la décision Tchangoue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 334 [Tchangoue], qui porte sur l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable. Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’accueillerai donc la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

II. Analyse

[5] En l’espèce, la décision de la SAR est muette en ce qui concerne le paragraphe 110(6) et la possibilité de tenir une audience. La Cour a alors la tâche difficile, voire impossible, de tenter d’examiner, essentiellement dans l’abstrait, la décision non formulée et non expliquée de la SAR de procéder uniquement sur la base du dossier écrit sans tenir d’audience.

[6] Le défendeur soutient que la SAR n’était pas tenue de fournir les motifs pour lesquels elle n’a pas tenu d’audience, étant donné que la crédibilité des demandeurs n’était pas en cause et qu’elle s’était simplement livrée à une appréciation des nouveaux éléments de preuve des demandeurs. Le défendeur renvoie au paragraphe 26 de la décision Ferguson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1067 [Ferguson], où le juge Zinn a conclu que le juge des faits peut passer directement à l’évaluation du poids sans tenir compte de la question de la crédibilité s’il estime qu’il faut accorder peu, voire aucun poids, aux éléments de preuve en question.

[7] Bien que je sois en accord avec le principe énoncé dans la décision Ferguson, le tribunal de la SAR, dans l’affaire dont je suis saisie, a déclaré ce qui suit : « J’ai seulement examiné les questions de crédibilité liées à la désignation d’une PRI viable. » Toutefois, il n’a pas indiqué comment il avait évalué la crédibilité.

[8] En outre, comme je l’explique, la SAR a commis une erreur dans son examen de l’exposé circonstancié modifié des demandeurs, l’un des nouveaux documents qu’elle a acceptés en appel, en ce qui concerne la motivation du cartel à retrouver les demandeurs dans les endroits proposés comme PRI. Plus précisément, la SAR a mentionné que la SPR avait conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles, car ils avaient omis de mentionner qu’un second oncle avait également été tué. La SAR a déclaré ensuite que « l’exposé circonstancié modifié comporte aussi cette incohérence ».

[9] L’exposé circonstancié modifié indique toutefois que les demandeurs ont appris le meurtre de leur second oncle alors qu’ils se trouvaient au Canada. Ensuite, la SAR s’est penchée sur le meurtre du premier oncle en avril 2018 et le fait que les affidavits des parents ne mentionnent aucun autre acte commis à l’endroit de la famille. La SAR a conclu « qu’il n’y a[vait] pas suffisamment d’éléments de preuve attestant que le groupe criminel est toujours motivé à trouver les [demandeurs] ». La Cour ne peut que se demander si ou comment l’incohérence mentionnée entre en ligne de compte dans cette conclusion.

[10] Je conclus donc que la justification de la SAR concernant la motivation du cartel ne « se tient pas » dans la mesure où elle ne permet pas à la cour de révision « de relier les points sur la page quand les lignes, et la direction qu’elles prennent, peuvent être facilement discernées » [non souligné dans l’original] : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 97 (citant Komolafe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 431 au para 11) et 104.

[11] En outre, il est peut‑être encore plus important de noter que le défendeur n’a cité aucun précédent pour appuyer la proposition selon laquelle la SAR n’était pas tenue de fournir les motifs expliquant pourquoi elle n’avait pas tenu d’audience. À l’inverse, la jurisprudence sur laquelle les demandeurs se fondent souligne la nécessité pour la SAR de justifier sa décision. Par exemple, la juge Roussel (anciennement juge de la Cour fédérale) a déclaré que « bien que le choix de tenir une audience est un pouvoir discrétionnaire, ce pouvoir doit être exercé de manière raisonnable dans les circonstances de l’affaire » : Tchangoue, précitée, au para 12, citant Zhuo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 911 [Zhuo] au para 11.

[12] Dans la décision Zhuo, le juge O’Reilly a déclaré (au paragraphe 11, non souligné dans l’original) que « le simple fait qu’une partie n’a pas demandé la tenue d’une audience ne sera généralement pas une raison suffisante pour justifier le refus d’en convoquer une lorsque la situation semble l’exiger[; ... l]e fardeau incombe à la SAR d’examiner et d’appliquer de manière raisonnable les critères prévus par la loi ».

[13] Le défendeur soutient que, dans les circonstances, il n’y a pas lieu de tenir une audience. Je conclus toutefois que cet argument rate la cible. La SAR doit néanmoins justifier son refus de tenir une audience, surtout que, contrairement à la situation dans l’affaire Zhuo, les demandeurs en l’espèce ont demandé une audience, demande qui est restée sans réponse et qui, à mon avis, « exigeai[t] au moins que la SAR envisage la nécessité de tenir une audience » : Hundal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 72 aux para 26‑28.

III. Conclusion

[14] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la SAR manque de justification et de transparence, car elle ne contient pas les motifs pour lesquels la SAR a choisi de procéder uniquement sur la base du dossier écrit (ou, en d’autres termes, pourquoi la tenue d’une audience n’était pas justifiée), alors qu’elle a accepté les nouveaux éléments de preuve des demandeurs et que ces derniers ont demandé la tenue d’une audience.

[15] Les demandeurs ont demandé dans leurs observations écrites et orales que l’intitulé soit modifié à deux égards. Premièrement, le prénom de l’épouse du demandeur principal devrait être « Martha » au lieu de « Marth », comme il figure actuellement dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire [DACJ] telle qu’elle a été déposée. Deuxièmement, la désignation du défendeur, « Le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté », comme indiqué dans la DACJ, devrait être remplacée par « Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ». Puisque le défendeur ne s’oppose pas à ces modifications, la Cour ordonne que l’intitulé soit modifié en conséquence, avec effet immédiat.

[16] Aucune des parties n’a proposé de question grave de portée générale à certifier, et je conclus que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑961‑22

LA COUR STATUE que :

  • 1.L’intitulé est modifié, avec effet immédiat, de manière à indiquer que le prénom de la demanderesse est « Martha Itzel VILLALOBOS ROSAS » et que le défendeur est « LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ».

  • La demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie.

  • La décision de la Section d’appel des réfugiés du 4 janvier 2022 est annulée.

  • L’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section d’appel des réfugiés pour qu’il rende une nouvelle décision.

  • Il n’y a aucune question à certifier.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Vézina


Annexe A : Dispositions pertinentes

Immigration and Refugee Protection Act (S.C. 2001, c. 27)
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27)

Appel devant la Section d’appel des réfugiés

Appeal to Refugee Appeal Division

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

Audience

Hearing

110 (6) La section peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire visés au paragraphe (3) qui, à la fois :

110 (6) The Refugee Appeal Division may hold a hearing if, in its opinion, there is documentary evidence referred to in subsection (3)

a) soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause;

(a) that raises a serious issue with respect to the credibility of the person who is the subject of the appeal;

b) sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile;

(b) that is central to the decision with respect to the refugee protection claim; and

c) à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

(c) that, if accepted, would justify allowing or rejecting the refugee protection claim.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑961‑22

 

INTITULÉ :

JOSE ARMANDO MONTES CAMACHO, MARIA DE LOS ANGELES MONTES CAMACHO, MARTHA ITZEL VILLALOBOS ROSAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 DÉcembRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 DÉcembRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Yelda Anwari

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Pavel Filatov

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yelda Anwari

Anwari Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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