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Date : 20221216


Dossier : T‐1091‐21

Référence : 2022 CF 1747

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 septembre 2022

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

AUDAX ARCHITECTURE INC.

GIANPIERO PUGLIESE

demandeurs

et

SCOTT MCCUAIG

EDEN TREE DESIGN INC.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur Gianpiero Puglieses est propriétaire d’Audax Architecture Inc [Audax], une entreprise d’architecture et de design d’intérieur spécialisée dans le domaine des propriétés résidentielles de luxe. Le défendeur Scott McCuaig est propriétaire d’Eden Tree Design Inc [Eden Tree], une entreprise d’aménagement paysager.

[2] Les demandeurs et les défendeurs ont collaboré à la conception architecturale de la « Villa Cortile », une maison d’inspiration italienne d’envergure où se combinent des éléments de modernisme et de traditionalisme. Le projet a été achevé en 2019.

[3] Après la réalisation du projet de la Villa Cortile, les demandeurs ont commandé une vidéo professionnelle, à l’aide de séquences de drones et d’une musique spécialement choisie, pour l’utiliser à titre d’outil de marketing sur leur site Web et leurs comptes de médias sociaux. Les demandeurs n’ont pas reconnu le travail des défendeurs sur l’aménagement paysager, même si cela était clairement visible dans la vidéo.

[4] Les défendeurs ont demandé que leur contribution aux éléments d’aménagement paysager de la Villa Cortile soit reconnue. Devant l’insuccès de cette démarche, ils ont publié la vidéo promotionnelle des demandeurs, en tout ou en partie, sur leur propre compte de médias sociaux. Les défendeurs ont d’abord obtempéré à une demande de cessation et de désistement envoyée par les demandeurs, mais ont ensuite publié de nouveau la vidéo en tenant des propos désobligeants à l’égard des demandeurs.

[5] Les demandeurs affirment que la publication par les défendeurs de la vidéo promotionnelle sur leurs comptes de médias sociaux a porté atteinte à leur droit d’auteur sur l’œuvre. Ils ont présenté une demande en vertu du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C‐42, pour obtenir les mesures suivantes :

  • a)une déclaration selon laquelle les défendeurs ont utilisé sans autorisation le matériel protégé par le droit d’auteur appartenant aux demandeurs, en violation de la Loi sur le droit d’auteur;

  • b)une injonction permanente interdisant aux défendeurs de publier le matériel contrefait ou de diffuser par ailleurs tout matériel qui porte atteinte au droit d’auteur des demandeurs;

  • c)un montant de 20 000 $ en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur;

  • d)des dommages punitifs de 50 000 $.

[6] Les défendeurs reconnaissent que leur publication de la vidéo promotionnelle sur leur compte de médias sociaux a porté atteinte au droit d’auteur des demandeurs sur l’œuvre. Toutefois, compte tenu de l’ensemble des circonstances, ils affirment que les demandeurs n’ont droit qu’à des dommages‐intérêts symboliques. Ils nient qu’une condamnation à des dommages‐intérêts exemplaires soit appropriée en l’espèce.

[7] Pour les motifs qui suivent, des dommages‐intérêts de 5 000 $ sont accordés aux demandeurs en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur.

II. Contexte

[8] Les services des demandeurs ont été retenus à titre d’entreprise principale d’architecture et de design pour la Villa Cortile. Selon M. Pugliese, le design de la Villa Cortile comportait plusieurs caractéristiques frappantes et uniques, notamment :

[traduction]

[...] une entrée en voûte de pierre gracieuse, une cour extérieure traditionnelle d’inspiration italienne qui abrite les salles de séjour, de repas et de cuisine, un jardin arrière avec aménagement paysager quadrillé et une terrasse dotée d’une piscine et d’un mur d’eau adjacent.

[9] Les parties ne s’entendent pas sur les circonstances dans lesquelles les défendeurs ont commencé à travailler sur le projet de la Villa Cortile. M. Pugliese affirme que les services de M. McCuaig ont été retenus pour mettre en œuvre un plan d’aménagement extérieur élaboré par Audax :

[traduction]

Après la création par Audax d’une proposition de design pour la Villa Cortile, M. McCuaig, qui exerce ses activités sous le nom d’EdenTree Design Inc., a été retenu comme architecte paysagiste afin de mettre en œuvre le plan d’aménagement extérieur envisagé dans nos plans et rendus.

[10] M. McCuaig dit qu’il était le seul responsable de la conception et de la mise en œuvre du paysage extérieur de la Villa Cortile. Il soutient que les propriétaires de la Villa Cortile lui ont demandé de fournir des rendus pour l’extérieur de la maison après qu’ils eurent décidé de ne pas donner suite aux rendus de M. Pugliese :

[traduction]

[...] les propriétaires ne souhaitaient pas donner suite aux rendus que leur avait fourni M. Pugliese, plus précisément, les propriétaires n’étaient pas intéressés par l’allée circulaire, le design de la cour, la piscine et le mur‐décor et le tracé de paysage quadrillé proposé par M. Pugliese. Les propriétaires m’ont demandé de fournir mes propres rendus pour ma vision de la conception de la cour, de la piscine et du mur‐décor, ainsi que des modèles d’aménagement paysager général pour la propriété, y compris une allée carrée et un accès au garage.

[11] Vers la fin de l’année 2019, M. Pugliese a embauché un photographe professionnel pour prendre des photos de l’intérieur et de l’extérieur de la Villa Cortile. M. Pugliese avait l’intention d’utiliser ces photos dans du matériel promotionnel et de marketing pour le site Web et les comptes de médias sociaux d’Audax.

[12] M. Pugliese a également retenu les services d’un vidéographe professionnel pour enregistrer des séquences par caméras de drones de la Villa Cortile pour la production d’une vidéo promotionnelle. M. Pugliese affirme qu’il [traduction] « a consacré beaucoup de temps à l’examen et au montage minutieux des séquences vidéo, et qu’il a également sélectionné une piste musicale pour servir de musique d’ambiance pour la vidéo et a obtenu les droits de cette dernière ». Le 8 juillet 2021, M. Pugliese a enregistré la vidéo auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (numéro d’enregistrement 1183867).

[13] En mars 2020, Audax a publié les photos et la vidéo promotionnelle sur son compte Instagram. Le 17 mars 2020, l’avocat de M. McCuaig a transmis à M. Pugliese une lettre dans laquelle il s’est plaint du fait que certains messages publiés par Audax dans les médias sociaux n’ont pas accordé de crédit à Eden Tree pour l’aménagement paysager extérieur. La lettre comprenait une série d’exigences accompagnées d’une menace de litige si elles n’étaient pas satisfaites.

[14] M. Pugliese a refusé d’obtempérer aux demandes de M. McCuaig. Il a plutôt affirmé que les principaux éléments d’aménagement paysager illustrés sur les photographies publiées d’Audax [traduction] « étaient englobés par la vision créative d’Audax et ne dépassaient pas celle‐ci ». Il a nié avoir eu une quelconque obligation morale ou juridique de fournir à Eden Tree une [traduction] « publicité gratuite ».

[15] Peu de temps après, les défendeurs ont publié de nouveau les photos et la vidéo de la Villa Cortile sur le compte Instagram d’Eden Tree. M. Pugliese soutient que M. McCuaig a supprimé le logo et la référence au site Web d’Audax, et a inclus un lien défectueux au compte Instagram d’Audax pour mal diriger les utilisateurs. Monsieur McCuaig nie avoir altéré la vidéo de quelque façon que ce soit.

[16] En avril 2020, à la suite de discussions de règlement, M. McCuaig a supprimé la vidéo du compte Instagram d’Eden Tree. Toutefois, en juin 2020, M. McCuaig a publié de nouveau la vidéo promotionnelle de la Villa Cortile sur Instagram.

[17] Le 15 mai 2021, M. McCuaig a publié de nouveau les images prises par Audax de la Villa Cortile sur Instagram. Les images contenaient une estampille avec le texte « EGO » et une légende accusant M. Pugliese de conduite contraire à l’éthique :

[traduction]

Un autre exemple parfait d’un architecte qui exploite notre travail pour son propre gain. [...] Ces caractéristiques ont été créées à partir de ma vision des espaces entourés et ont été inspirées par l’architecture et les souhaits et les rêves des clients pour leur maison sur mesure. Il est inacceptable que quelqu’un utilise ces documents pour faire son auto‐promotion. [...]

[18] Le 17 mai 2021, Mariya Naumov, designer d’intérieur et co‐directrice chez Audax, a envoyé un message à M. McCuaig pour lui demander de supprimer les photos et la vidéo promotionnelle prises par Audax de la Villa Cortile du compte Instagram d’Eden Tree. Le 4 juin 2021, M. McCuaig a envoyé la réponse suivante à Mme Naumov :

[traduction]

Demandez à votre avocat de communiquer avec moi! Nous avons déjà eu un appel avec Gianperio et il a supprimé une publication mais je vois qu’elle est revenue donc je le verrai au tribunal s’il est dégonflé au point de ne pas vouloir reconnaître mon travail et de l’exploiter pour son propre profit.

Il ne peut même pas répondre lui‐même et doit envoyer d’autres faire son sale boulot. Quelle farce que vous êtes tous les deux! Je devrais vous envoyer tous les commentaires des autres architectes et designers ainsi que du grand public qui m’ont contacté au sujet de cette publication et vous verriez à quel point sa tête est enflée après avoir vu ce que les gens pensent de son acte lâche.

[19] Le 8 juin 2021, l’avocat d’Audax transmet à M. McCuaig une lettre réitérant la mise en demeure de retirer du compte Instagram d’Audax le contenu qu’il avait publié de nouveau. M. McCuaig n’a pas répondu. Les demandeurs ont déposé la présente demande le 9 juillet 2021.

III. Question en litige

[20] Les défendeurs reconnaissent que les demandeurs détiennent des droits d’auteur sur la vidéo promotionnelle de la Villa Cortile, et qu’ils ont violé les droits d’auteur des demandeurs en publiant la vidéo sur le compte d’Eden Tree dans les médias sociaux, sans autorisation. En conséquence, la seule question soulevée par la présente demande consiste à déterminer si les demandeurs ont droit à des dommages‐intérêts et, le cas échéant, de quel montant.

IV. Analyse

A. Violation du droit d’auteur

[21] Selon le paragraphe 5(1) de la Loi sur le droit d’auteur, le droit d’auteur s’applique à « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale ». L’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur définit l’expression « œuvre dramatique » comme incluant toute œuvre cinématographique, soit « toute œuvre exprimée par un procédé analogue à la cinématographie, qu’elle soit accompagnée ou non d’une bande sonore ».

[22] Dans l’arrêt CCH Canadienne Ltée c Barreau du Haut‐Canada, 2004 CSC 13, la Cour suprême du Canada a défini l’originalité comme un exercice non négligeable de compétence et de jugement dans la production d’une œuvre (para 16) :

[...] Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est‐à‐dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. [...]

[23] Il n’est pas contesté que les demandeurs détiennent des droits d’auteur sur la vidéo promotionnelle de la Villa Cortile. Sa production comportait plus qu’un exercice négligeable de talent et de jugement : M. Pugliese a engagé un vidéographe professionnel pour enregistrer des séquences à l’aide de la technologie des drones, a passé beaucoup de temps à examiner et à modifier les séquences et a personnellement choisi la musique d’ambiance. De plus, M. Pugliese a obtenu un certificat de droit d’auteur pour la vidéo le 8 juillet 2021.

[24] La Cour suprême de la Colombie‐Britannique a confirmé que les images de propriétés résidentielles peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur (Century 21 Canada Limited Partnership v Rogers Communications Inc, 2011 BCSC 1196 au para 187).

[25] Selon le paragraphe 27(1) de la Loi sur le droit d’auteur, « [c]onstitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la présente loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir. ». Le paragraphe 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur indique que les titulaires du droit d’auteur ont le « droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle ».

[26] Dans la décision Young c. Thakur, 2019 CF 835 [Young], la juge Catherine Kane a conclu qu’il y avait violation du droit d’auteur à l’égard d’une composition musicale et de l’enregistrement sonore lorsque les défendeurs ont publié en ligne une vidéo contenant la musique protégée par le droit d’auteur afin d’annoncer leurs services de production cinématographique (para 28‐29) :

[...] Les défendeurs ont effectué des copies de l’œuvre musicale et de l’enregistrement sonore en mettant le vidéoclip en ligne. Les demanderesses allèguent au fond que les défendeurs ont reproduit l’œuvre musicale et l’enregistrement sonore.

La preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que les défendeurs ont reproduit l’œuvre musicale et l’enregistrement sonore en les publiant, comme composantes du vidéoclip, sur Vimeo et sur le site Web de Badmash Factory.

[27] De la même façon, la publication répétée non autorisée par les défendeurs de la vidéo promotionnelle de la Villa Cortile sur leur compte Instagram a porté atteinte au droit d’auteur des demandeurs à l’égard de la vidéo.

[28] Les défendeurs font valoir néanmoins qu’ils étaient, à bon droit, insatisfaits de l’omission par M. Pugliese de reconnaître la participation d’Eden Tree dans les publications Instagram d’Audax concernant le projet de la Villa Cortile. M. McCuaig prétend qu’Audax a violé le droit d’auteur des défendeurs sur l’aménagement paysager de la Villa Cortile lorsqu’elle a publié des photos et vidéos du projet terminé sans reconnaissance appropriée. Toutefois, la Cour n’est saisie d’aucune demande pour violation du droit d’auteur des défendeurs sur l’aménagement paysager d’extérieur de la Villa Cortile. Cette prétention ne constitue pas non plus un moyen de défense à l’encontre de l’allégation de violation du droit d’auteur des demandeurs.

[29] M. McCuaig laisse également entendre que M. Pugliese pourrait s’être livré à de la commercialisation trompeuse selon la common law et selon l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‐13. Encore une fois, les défendeurs n’ont pas présenté d’action pour commercialisation trompeuse devant la Cour. Cette allégation ne constitue pas non plus un moyen de défense à l’encontre de l’allégation de violation du droit d’auteur des demandeurs.

[30] En définitive, les défendeurs affirment que le comportement des demandeurs, particulièrement leur omission de reconnaître la contribution d’Eden Tree au projet de la Villa Cortile dans du matériel promotionnel, constitue un facteur atténuant important qui devrait limiter les dommages‐intérêts auxquels les demandeurs auraient par ailleurs droit.

B. Dommages‐intérêts

[31] Le paragraphe 38.1(1) de la Loi sur le droit d’auteur permet à un titulaire du droit d’auteur, avant le jugement qui met fin au litige de recouvrer des dommages‐intérêts préétablis au lieu de dommages‐intérêts et de profits. Si les violations sont commises à des fins commerciales, la fourchette prescrite par la loi est d’un minimum de 500 $ et d’un maximum de 20 000 $ pour chaque violation (Loi sur le droit d’auteur, art 38.1(1)a)). Si les violations sont commises à des fins non commerciales, la fourchette prescrite par la loi est d’un minimum de 100 $ et d’un maximum de 5 000 $ pour chaque violation (Loi sur le droit d’auteur, art 38.1(1)b)).

[32] M. McCuaig soutient que sa publication de la vidéo promotionnelle de la Villa Cortile visait des fins non commerciales : [traduction] « Eden [T]ree n’a pas exercé d’activités commerciales et il n’y a pas eu de gain personnel pour son administrateur ni de gain commercial pour Eden Tree, mais [la publication visait] plutôt à obtenir une reconnaissance appropriée de son travail ».

[33] La Cour d’appel fédérale a confirmé que « des dommages‐intérêts préétablis peuvent être accordés même si aucun dommage monétaire n’est subi et qu’aucune perte n’a été subie » (2424508 Ontario Ltd c Rallysport Direct LLC, 2022 CAF 24 au para 29, conf 2020 CF 794 [Rallysport]). Par exemple, dans la décision Young, la juge Kane a conclu que la violation du droit d’auteur à l’égard d’une vidéo utilisée pour annoncer des services servait à une fin commerciale, même si aucun profit réel n’a été tiré de ces services (au para 45).

[34] En l’espèce, le litige oppose deux agences d’architecture concurrentes. Les défendeurs ont violé le droit d’auteur des demandeurs à l’égard de la vidéo promotionnelle, du moins en partie, afin d’obtenir la reconnaissance des services d’Eden Tree et, par le fait même, de faire la promotion de ses services. Je suis convaincu que les violations visaient le profit commercial d’Eden Tree, et les demandeurs ont droit à des dommages‐intérêts préétablis.

[35] Dans la décision Bell Canada c L3D Distributing Inc (INL3D), 2021 CF 832 [Bell Canada], la juge Janet Fuhrer a produit un tableau résumant certains des montants pour dommages‐intérêts accordés par la Cour (au para 98, citant Rallysport, au para 22) :

Décision

Nombre et types de travaux

Montant/œuvre

Montant total accordé

Wing c Velthuizen, 2000 CanLII 16609 (CF)

1 journal personnel

10 000 $

10 000 $

Telewizja Polsat S.A. c Radiopol Inc, 2006 CF 584

2 009 émissions de télévision

150 $

301 350 $

Microsoft Corporation c 9038‐3746 Québec Inc, 2006 CF 1509

25 CD (contenant des programmes informatiques)

20 000 $

500 000 $

Louis Vuitton Malletier S.A. c Yang, 2007 CF 1179

2 imprimés de monogrammes polychromes

20 000 $

40 000 $

Trader c CarGurus, 2017 ONSC 1841

152 532 photographies d’automobiles

2 $

305 064 $

Collett c Northland Art Company Canada Inc, 2018 CF 269

6 photographies et la page d’accueil du site Web

7 500 $

45 000 $

Century 21 Canada Limited Partnership v Rogers Communications Inc, 2011 BCSC 1196

99 photographies, 29 descriptions de biens réels

250 $

32 000 $

Ritchie v Sawmill Creek Golf & Country Club Ltd, 2003 CanLII 24511

9 photographies, 5 agrandissements

200 $

2 800 $

Royal Conservatory of Music c Macintosh (Novus Via Music Group Inc.), 2016 CF 929

21 œuvres musicales

500 $

10 500 $

Nintendo of America Inc. c King, 2017 CF 246 [Nintendo]

585 jeux

20 000 $

11 700 000 $

Thomson c Afterlife Network Inc, 2019 CF 545 [Thomson]

1 141 790 notices nécrologiques

8,76 $

10 000 000 $

Young c Thakur, 2019 CF 835

2 chansons

1 000 $

2 000 $

Rallysport Direct LLC c 2424508 Ontario Ltd, 2020 CF 794

1 430 photos

250 $

357 500 $

Louis Vuitton Malletier S.A. c Wang, 2019 CF 1389

2 imprimés de monogrammes polychromes

20 000 $

40 000 $

[36] Le montant des dommages‐intérêts préétablis est fixé au cas par cas, compte tenu de « la totalité des circonstances pertinentes, dans le but de parvenir à une solution équitable » (Rallysport, au para 6). Il n’y a pas lieu de confondre les dommages réels et les dommages‐intérêts préétablis (Rallysport, aux para 8‐9) :

**Certaines affaires donnent à penser qu’il faudrait que les dommages‐intérêts préétablis soient liés aux dommages réels ou probables, même si l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur n’est pas restreint de cette manière. Je souscris toutefois au principe selon lequel des [traduction] « dommages probables [ne sont] pas déterminant[s], et l’utilisation de cette estimation dans la détermination des dommages‐intérêts préétablis [n’est qu’un moyen pour] s’assurer que les dommages‐intérêts accordés sont justes et proportionnels ». [...]

Il n’y a pas lieu de confondre les dommages réels et les dommages‐intérêts préétablis. Ces derniers ne sont pas destinés à être directement proportionnels aux pertes probables qui peuvent être prouvées. Ils peuvent plutôt englober à la fois les pertes économiques prouvables et des facteurs supplémentaires, tels que la dissuasion [renvois omis].

[37] Le paragraphe 38.1(5) de la Loi sur le droit d’auteur énumère les facteurs suivants à prendre en compte lors de l’évaluation des dommages‐intérêts préétablis:

Facteurs

(5) Lorsqu’il rend une décision relativement aux paragraphes (1) à (4), le tribunal tient compte notamment des facteurs suivants :

a) la bonne ou mauvaise foi du défendeur;

b) le comportement des parties avant l’instance et au cours de celle‐ci;

c) la nécessité de créer un effet dissuasif à l’égard de violations éventuelles du droit d’auteur en question;

d) dans le cas d’une violation qui est commise à des fins non commerciales, la nécessité d’octroyer des dommages‐intérêts dont le montant soit proportionnel à la violation et tienne compte des difficultés qui en résulteront pour le défendeur, du fait que la violation a été commise à des fins privées ou non et de son effet sur le demandeur.

Factors to consider

(5) In exercising its discretion under subsections (1) to (4), the court shall consider all relevant factors, including

(a) the good faith or bad faith of the defendant;

(b) the conduct of the parties before and during the proceedings;

(c) the need to deter other infringements of the copyright in question; and

(d) in the case of infringements for non‐commercial purposes, the need for an award to be proportionate to the infringements, in consideration of the hardship the award may cause to the defendant, whether the infringement was for private purposes or not, and the impact of the infringements on the plaintiff.

[38] La mauvaise foi doit être comprise dans son contexte (Rallysport, au para 10) :

Ce qui constitue de la mauvaise foi dépend du contexte, et cela peut inclure les aspects suivants : i) faire fi d’une lettre de mise en demeure (Microsoft Corporation c PC Village Co Ltd, 2009 CF 401 [PC Village] aux para 33‐35; Century 21, au para 416), ii) violer à plusieurs reprises le droit d’auteur afférent à des produits différents (Twentieth Century Fox Film Corp v Hernandez, 2013 CarswellNat 6160), iii) racler ou copier des photos directement d’un site Web (Trader, précitée, au para 61), iv) faire abstraction d’offres de ne pas porter le différend devant les tribunaux si l’on met fin à la violation (Polsat, précitée, au para 50), et v) utiliser un faux nom pour éviter d’être détecté (Collett, précitée, au para 64).

[39] Les demandeurs demandent 20 000 $ en dommages‐intérêts préétablis, soit le maximum disponible. Ils affirment que [traduction] « la conduite de M. McCuaig est l’exemple même de la mauvaise foi », comme le démontrent les éléments suivants :

  • M. McCuaig a admis que, s’il a à maintes reprises publié la vidéo promotionnelle de la Villa Cortile, c’est parce qu’il était fâché du refus de M. Pugliese de reconnaître son travail, et qu’il [traduction] « s’est arrogé le droit de se venger de ses griefs personnels en violant intentionnellement le droit d’auteur des demandeurs ».

  • M. McCuaig a [traduction] « délibérément modifié la vidéo pour retirer à la fois le logo d’Audax et le lien vers le site Web, ce qui démontre une intention claire de présenter de manière inexacte la propriété de cette vidéo, et de détourner le trafic d’Audax » (ce que conteste M. McCuaig).

  • Bien que M. McCuaig ait d’abord supprimé la vidéo promotionnelle des comptes de médias sociaux des défendeurs à l’insistance des demandeurs, il l’a ensuite publiée de nouveau à l’insu de ces derniers. Il a ainsi évité la détection par les demandeurs pendant près d’un an.

  • M. McCuaig savait que ses actions constituaient une violation parce que son avocat lui avait déjà conseillé d’enlever la vidéo.

  • Le 15 mai 2021, M. McCuaig a publié un message empreint de colère qui critiquait et diffamait injustement les demandeurs.

  • M. McCuaig a répondu par un message texte [traduction] « arrogant et hostile » à la deuxième demande des demandeurs de retirer les publications attentatoires.

  • M. McCuaig n’a pas tenu compte de la lettre de mise en demeure transmise par l’avocat des demandeurs en juin 2021, les demandeurs ont donc dû intenter des poursuites et consommer inutilement des ressources judiciaires limitées.

  • M. McCuaig a finalement supprimé la vidéo attentatoire seulement après que les demandeurs eurent entrepris cette demande.

[40] Les demandeurs affirment que la Cour devrait accorder des dommages‐intérêts pour dissuader les personnes [traduction] « qui agissent en toute impunité et violent intentionnellement et à répétition des documents protégés par le droit d’auteur qu’elles obtiennent en ligne, et résistent à toute demande de cessation de leurs activités, malgré qu’elles sont bien conscientes de leur inconduite ». Ils soutiennent qu’il est particulièrement important de dissuader ceux qui portent atteinte au droit d’auteur en croyant que le propriétaire manque de ressources pour intenter une action en justice ou n’est pas disposé à dépenser des ressources pour une violation aussi [traduction] « insignifiante ».

[41] Les défendeurs affirment que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve qu’ils ont subi des dommages ou que les défendeurs se sont enrichis injustement de la violation (citant MacNutt c. Acadia University, 2016 NSSC 160 au para 49 [MacNutt], conf 2017 NSCA 57). Cependant, la décision MacNutt portait sur l’évaluation des dommages‐intérêts réels, et non sur les dommages‐intérêts préétablis. Il n’y a pas lieu de confondre les deux (Rallysport, aux para 8‐9).

[42] À certains égards, la présente affaire est analogue à la décision Young, où il n’y avait aucune preuve que les défendeurs avaient tiré un profit commercial de la violation de la vidéo protégée par le droit d’auteur des demandeurs (para 63). La juge Kane a néanmoins accordé des dommages‐intérêts préétablis de 1 000 $ pour chaque œuvre violée, ce qui a donné lieu à un montant total de 2 000 $ (Young, aux para 64‐65).

[43] La juge Kane a conclu qu’aucun facteur aggravant n’avait été établi dans la décision Young, malgré le refus des défendeurs de retirer la vidéo attentatoire jusqu’à ce que la demande en justice soit introduite. En l’espèce, les défendeurs ont continué d’adopter le comportement attentatoire après avoir reçu des lettres de mise en demeure, et ils savaient probablement que la nouvelle publication de la vidéo promotionnelle contrevenait à la Loi sur le droit d’auteur. Les défendeurs ont agi de mauvaise foi en violant à plusieurs reprises le droit d’auteur des demandeurs et en formulant des commentaires désobligeants. Le comportement non professionnel s’est poursuivi dans les communications entre les parties.

[44] La réputation d’aucune des parties ne ressort indemne de ce malheureux épisode. Tout le litige aurait vraisemblablement pu être évité si les demandeurs avaient reconnu la contribution d’Eden Tree au projet de la Villa Cortile lorsqu’on le leur avait demandé. Bien que la Cour ait encouragé les parties à régler leurs différends sans intervention judiciaire, elles n’ont pas pu ou n’ont pas voulu le faire.

[45] Si ce n’était des facteurs aggravants et atténuants, les demandeurs auraient droit à des dommages‐intérêts préétablis modestes de 1 000 $ (Young, au para 64). Toutefois, certains aspects aggravants du comportement des défendeurs militent en faveur d’un montant plus élevé.

[46] Le calcul des dommages‐intérêts préétablis en l’absence de preuve de perte ou de gain réel est nécessairement une tâche imprécise. Compte tenu de tous les facteurs pertinents, je fixe à 5 000 $ les dommages‐intérêts préétablis payables aux demandeurs par les défendeurs. Ce montant est conforme à la décision Young, mais reconnaît également la conduite aggravante des défendeurs et la nécessité d’un certain niveau de dissuasion.

[47] Les demandeurs demandent également des dommages‐intérêts exemplaires de 50 000 $. Les dommages‐intérêts exemplaires sont « vraiment l’exception et non la règle » (Bauer Hockey Corp c Sport Maska Inc (Reebok‐CCM Hockey), 2014 CAF 158 au para 26, citant Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18 [Whiten] au para 94). Ils ne devraient être accordés que lorsqu’il y a eu une conduite opprimante, malveillante, arbitraire ou hautement répréhensible qui s’écarte de façon marquée des normes ordinaires de comportement acceptable. Les dommages‐intérêts punitifs chevauchent la frontière entre le droit civil, c.‐à‐d. l’indemnisation, et le droit criminel, c.‐à‐d. la punition (Whiten, au para 36).

[48] J’ai pris en compte la conduite des parties pour évaluer l’octroi de dommages‐intérêts préétablis. Je ne suis pas convaincu du fait qu’un montant supplémentaire de dommages‐intérêts exemplaires est approprié ou nécessaire pour punir les défendeurs ou pour dissuader ceux‐ci de commettre d’autres violations (Patterned Concrete Mississauga Inc c Bomanite Toronto Ltd, 2021 CF 314 au para 72).

V. Conclusion

[49] La demande est accueillie. Les demandeurs ont droit à la réparation suivante :

  • a)une déclaration selon laquelle les défendeurs ont fait une utilisation non autorisée du matériel protégé par le droit d’auteur appartenant aux demandeurs, contrairement à la Loi sur le droit d’auteur;

  • b)une injonction permanente interdisant aux défendeurs de publier la vidéo promotionnelle de la Villa Cortile dans des conditions qui portent atteinte aux droits d’auteur des demandeurs;

  • c)des dommages‐intérêts préétablis de 5 000 $ en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur;

  • d)les dépens de la présente demande, calculés conformément à la fourchette médiane de la colonne III du tarif B.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande est accueillie.

  2. Les défendeurs sont déclarés avoir fait l’utilisation non autorisée de matériel protégé par le droit d’auteur appartenant aux demandeurs, en violation de la Loi sur le droit d’auteur.

  3. Il est interdit de façon permanente aux défendeurs de publier la vidéo promotionnelle de la Villa Cortile de manière à violer le droit d’auteur des demandeurs.

  4. Les défendeurs doivent verser aux demandeurs des dommages‐intérêts préétablis de 5 000 $ en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur le droit d’auteur.

  5. Les dépens de la présente demande, calculés conformément à la fourchette médiane de la colonne III du tarif B, sont adjugés aux demandeurs.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‐1091‐21

 

INTITULÉ :

AUDAX ARCHITECTURE INC. ET GIANPIERO PUGLIESE c SCOTT MCCUAIG ET EDEN TREE DESIGN INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2022

 

JUGEMENT et motifs :

Le juge FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Ariel Neuer

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nicolas Cartel

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NEUER.

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Cartel & Bui LLP

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs

 

 

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