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Date : 20221214


Dossier : IMM-1554-22

Référence : 2022 CF 1724

Ottawa (Ontario), le 14 décembre 2022

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

KOFFI ADJASSODE

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, un ressortissant togolais, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 21 janvier 2022 par la Section d’appel des réfugiés (SAR) rejetant sa demande d’asile. En bref, la SAR rejette les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur et confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle il n’était pas crédible.

I. Contexte

[2] Le demandeur allègue craindre d’être arrêté et tué par les autorités au Togo en raison de son implication au sein du Parti National Panafricain (PNP).

[3] Le PNP aurait permis au demandeur d’organiser des manifestations au cours des années 2017-2018 dénonçant le gouvernement togolais. Le 6 décembre 2017, le demandeur aurait été exposé à des gaz lacrymogènes durant une manifestation dans la ville de Lomé. Craignant pour sa vie, il s’est réfugié dans la brousse pendant une vingtaine de jours. Le demandeur aurait ensuite été hébergé par un dénommé M. Thomas jusqu’au 30 juin 2019.

[4] Pendant la période où il vivait caché, le demandeur aurait fait le va-et-vient entre chez M. Thomas et chez lui. Sa femme l’aurait alors informé du fait qu’il avait reçu une convocation lui intimant de se présenter pour les fins d’une enquête judiciaire ou administrative. Craignant d’être enlevé par le gouvernement, le demandeur serait retourné se cacher chez M. Thomas jusqu’aux élections locales du 30 juin 2019.

[5] Le 24 novembre 2019, le demandeur a quitté le Togo en destination des États-Unis, où il est resté quelques jours avant de voyager au Canada pour demander l’asile.

[6] Le 10 septembre 2021, la SPR rejette la demande d’asile du demandeur, ayant identifié des omissions et des incohérences dans sa preuve. Elle conclut alors que le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

[7] Le demandeur porte cette décision en appel devant la SAR.

II. La décision de la SAR

[8] La SAR refuse d’admettre les deux nouveaux éléments de preuve déposés par le demandeur conformément au paragraphe 110(4) de la LIPR : (1) une déclaration assermentée du demandeur datée du 10 novembre 2021 (la déclaration) ; et (2) une lettre de son agent d’immigration. Elle conclut que la déclaration ne contient aucun fait survenu depuis le rejet de la demande d’asile par la SPR. Selon la SAR, la déclaration étaye les arguments du demandeur concernant les erreurs que la SPR aurait commises. Elle estime que les arguments du demandeur à ce sujet étaient inclus dans son mémoire d’appel et qu’elle en tiendrait compte lors de son analyse. En ce qui concerne la lettre de l’agent d’immigration, la SAR l’a retrouvé dans le dossier de la SPR et conclut donc que la lettre ne constitue pas un nouvel élément de preuve au sens du paragraphe 110(4) de la LIPR.

[9] La SAR conclut que la SPR n’a commis aucune erreur en jugeant que la crédibilité du demandeur avait été entachée par une accumulation des omissions, des incohérences et une contradiction dans sa preuve. Les conclusions déterminantes de la SAR sont les suivantes :

  1. La SPR a été attentive au témoignage du demandeur et ne lui a ni induit en erreur ni déformé ses propos. La SPR lui a posé des questions concernant la date à laquelle il aurait été gazé pendant une manifestation, soit le 6 décembre 2017 ou le 6 décembre 2018. Elle a fait référence dans sa décision aux explications du demandeur, mais les a jugées déraisonnables. En appel, la SAR accepte que le demandeur ait fait référence à la date du 6 décembre 2017 comme étant celle où il a été gazé. Cependant, en réponse à la question posée par la SPR, c’est le demandeur qui a changé son témoignage concernant la date de la manifestation (au 6 décembre 2018). De plus, M. Thomas a expressément écrit dans sa lettre à l’appui de la demande d’asile qu’il avait hébergé le demandeur après les manifestations du 6 décembre 2018.

  2. Le demandeur a témoigné qu’il avait vécu en cachette chez M. Thomas pendant six ou sept mois et qu’il s’était sorti de cette cachette après les élections locales de juin 2019. Entre le 6 décembre 2017 et le 30 juin 2019, on compte une période d’environ 18 mois et non pas une période de six ou sept mois. Les explications du demandeur selon lesquelles il y avait eu un mauvais calcul ou qu’il a fait le va-et-vient entre chez lui et chez M. Thomas ne sont pas convaincantes. Même en acceptant que le demandeur ait pu se rendre à deux reprises chez lui, la différence entre les deux périodes demeure trop importante.

  3. Le demandeur a omis de déclarer qu’il avait vécu chez M. Thomas dans son formulaire FDA. La SAR n’a pas retenu les arguments selon lesquels le demandeur n’a pas prêté attention au formulaire et qu’il ne l’a pas bien lu.

  4. Le demandeur s’est contredit au sujet des dates de ses convocations. En outre, son explication de sa décision de reprendre ses activités professionnelles et politiques après les élections de décembre 2018 et de juin 2019 n’est pas acceptable, car il a déjà reçu plusieurs convocations en septembre 2018.

  5. La SPR a prié le demandeur d’expliquer l’absence d’intervention par les autorités entre son retour chez lui à la fin de juin 2019 et son départ du Togo le 24 novembre 2019. Le demandeur a répondu qu’il avait été embêté par les policiers qui lui avaient interdit de tenir une réunion avec quelques jeunes. Le demandeur n’a pas mentionné ce renseignement dans son formulaire FDA et son explication que c’était seulement une interdiction n’est pas acceptable.

  6. En ce qui concerne les convocations déposées en preuve, elles n’établissent pas que le demandeur était recherché à cause de ses activités politiques. Elles indiquent simplement qu’il était convoqué au sein d’une enquête judiciaire ou administrative sans préciser la nature de cette enquête.

[10] La SAR confirme donc la décision de la SPR et le rejet de la demande d’asile.

III. Analyse

[11] Le demandeur soutient que la SAR a erré puisqu’elle (1) a omis d’analyser tous les critères prévus au paragraphe 110(4) de la LIPR dans son analyse de la déclaration; et (2) a rendu une décision déraisonnable.

[12] Le refus de la SAR d’admettre les nouveaux éléments de preuve du demandeur et le fond de sa décision sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 (Vavilov); Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 au para 9; Okunowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 175 aux para 27-28). Lorsque la norme applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle de la cour de révision consiste à examiner les motifs du décideur administratif et à déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

La déclaration du demandeur – paragraphe 110(4) de la LIPR

[13] Le demandeur soutient que l’omission par la SAR de considérer les trois critères du paragraphe 110(4) de la LIPR est une erreur révisable qui demande l’intervention de la Cour. Le demandeur constate que la SAR a effectivement analysé seulement le premier critère du paragraphe. Elle ne mentionne que la déclaration « ne contient aucun fait survenu depuis le rejet de [la] demande d’asile ». La SAR n’a pas cherché à déterminer si les faits n’étaient alors pas accessibles ou, s’ils l’étaient, que le demandeur n’aurait pas normalement présentés au moment de rejet.

[14] Le défendeur accepte que la SAR ait commis une erreur dans son analyse du paragraphe 110(4). Cependant, il soutient que la lacune est purement théorique parce que la SAR a tenu en compte les observations et les arguments présentés par le demandeur au cours de sa considération de l’appel. L’erreur d’analyse commise par la SAR et l’exclusion de la déclaration n’ont alors eu aucun impact sur ses conclusions ultimes (Vavilov au para 100).

[15] Je souscris aux arguments du défendeur.

[16] Il est important de garder à l’esprit que l’analyse de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve devant la SAR part du principe que l’appel d’une décision de la SPR est essentiellement « sur dossier » (Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725 au para 59).

[17] Le demandeur soutient que les faits avancés dans sa déclaration n’étaient pas normalement accessibles avant d’écouter l’audience et de recevoir la décision de la SPR. Selon le demandeur, la déclaration est importante parce qu’elle explique comment la SPR a déformé son témoignage. Toutefois, un appel interjeté devant la SAR n’offre pas une deuxième chance de présenter des éléments de preuve pour corriger les faiblesses relevées par la SPR (Kumar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1440 au para 16; Abdullahi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 260 au para 15). Le fait que le demandeur soit en choc après avoir reçu la décision de la SPR n’est pas un fait nouveau au sens du paragraphe 110(4) de la LIPR (Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 847 au para 27).

[18] En tout état de cause, la SAR déclare dans sa décision qu’elle tiendrait en compte les arguments du demandeur concernant les erreurs que la SPR aurait commises en rejetant la demande d’asile. Une comparaison de la déclaration du demandeur et du mémoire d’appel démontre que toutes les observations abordées dans la déclaration sont incluses dans le mémoire d’appel. Par exemple, le demandeur soutient dans la déclaration et dans le mémoire que la SPR a commis une erreur déterminante en déformant ses propos quant aux dates à partir desquelles il a été gazé lors d’une manifestation et a donc commencé à habiter chez M. Thomas. Le demandeur souligne que ce n’est que lorsqu’il a pris connaissance de la décision et a écouté l’enregistrement de l’audience qu’il a pu réaliser l’erreur commise par la SPR.

[19] La SAR fournit dans sa décision une liste détaillée des erreurs déterminantes que la SPR aurait commises. À mon avis, cette liste aborde les arguments pertinents du demandeur dans son mémoire. Nonobstant que la SAR aurait erré dans son analyse des critères du paragraphe 110(4), il s’agit d’une erreur sans importance puisque l’information dans la déclaration a été intégrée dans le mémoire d’appel du demandeur et les arguments énoncés dans le mémoire ont été considérés par la SAR. Je conclus alors que la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en refusant l’admission de la déclaration.

La question de la décision raisonnable

[20] Le demandeur prétend que la SAR a omis de considérer certains éléments de preuve, notamment son argument selon lequel la SPR lui a induit en erreur et lui a déstabilisé en posant au demandeur des questions concernant la date de la manifestation déclencheur. Je note que ces deux propositions figurent de manière proéminente dans le mémoire d’appel.

[21] L’argument du demandeur n’est pas convaincant. À mon avis, la SAR a bien motivé sa conclusion et elle n’a ignoré aucun élément de preuve ou argument important. La SAR aborde la question à savoir si la SPR « vous aurait induit en erreur, aurait déformé vos propos et ignoré une partie de votre témoignage ainsi que vos explications ». La SAR conclut que ces arguments ne sont pas fondés et que la SPR a manifesté une attitude constante de courtoisie lors de l’audience. La SAR explique ensuite les motifs qui sous-tendent sa conclusion. Elle décrit les questions posées par la SPR, les réponses du demandeur, les deux versions de son formulaire FDA au dossier et les différences entre les deux versions à l’égard de la date de la manifestation. La SAR explique aussi l’importance de la lettre de M. Thomas. Elle précise comment la lettre et le témoignage du demandeur contredisent son affirmation selon laquelle la manifestation avait eu lieu le 6 décembre 2017. La SAR décrit ensuite les incohérences concernant l’étendue de la période de cachette du demandeur chez M. Thomas. En effet, la lettre suggère une trame factuelle différente de celle provenant de la preuve du demandeur.

[22] Par ailleurs, la SAR conclut que le demandeur s’est contredit au sujet des dates des convocations qu’il a déposées en preuve. De plus, la SAR constate que la SPR lui a demandé d’expliquer sa décision de reprendre ses activités professionnelles et politiques après les élections de décembre 2018 et 2 juin 2019 lorsqu’il a déjà reçu plusieurs convocations. La SAR juge que son explication n’était pas acceptable. Il ne revient pas à cette Cour de réévaluer et de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion qui serait favorable au demandeur.

[23] Enfin et tout comme la SPR, la SAR n’accorde aucun poids à la preuve documentaire du demandeur. À son avis, une fois que la SPR a jugé le demandeur non crédible, elle peut alors douter de la crédibilité de la preuve documentaire présentée. En ce qui concerne les convocations, même en les présumant authentiques, la SAR conclut qu’elles n’établissent pas que le demandeur était recherché à cause de ses activités politiques et, au surplus, le demandeur n’a jamais indiqué avoir eu des problèmes à cause de ces convocations nonobstant sa décision de retourner vivre chez lui et de reprendre ses activités.

[24] En résumé, j’estime que la SAR n’a pas omis d’apprécier la preuve documentaire du demandeur. Premièrement, il était loisible à SAR d’examiner les éléments de preuve documentaire dans le contexte de la preuve dans son ensemble (Ogaulu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 547 au para 26). Deuxièmement, la SAR considère les convocations, les contradictions quant aux dates des convocations découlant du témoignage du demandeur et l’ampleur de ses activités politiques en dépit de son récit de nombreuses convocations.

[25] Après examen de l’ensemble des motifs de la SAR, je suis d’avis que le demandeur n’a pas démontré le caractère déraisonnable de la décision et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT AU DOSSIER IMM-1554-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Elizabeth Walker »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1554-22

 

INTITULÉ :

KOFFI ADJASSODE c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Saïd Le Ber-Assiani

 

Pour le demandeur

 

Me Philippe Proulx

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hasa Avocats

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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