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Date: 20221220


Dossier: T-1925-21

Référence: 2022 CF 1774

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2022

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

STÉPHANE DESAUTELS

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le demandeur, M. Stéphane Desautels, présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision du 17 novembre 2021 par laquelle un agent de l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] responsable de la conformité des prestations [l’agent] a conclu que le demandeur n’était pas admissible à la Prestation canadienne de relance économique [la PCRE].

[2] M. Desautels soutient qu’il est travailleur autonome dans le domaine de la rénovation et qu’il a été privé de revenus durant la crise de la COVID-19 puisqu’il ne pouvait se rendre chez des clients. Il prétend qu’il est admissible à la PCRE puisqu’il a eu des revenus de travail supérieurs à 5 000$ dans les 12 mois précédant le début de la COVID-19.

[3] M. Desautels joint également à sa demande de contrôle judiciaire un affidavit incluant un bordereau bancaire qui démontre un dépôt d’une somme supérieure à 5 000$, fait par lui-même dans un compte bancaire allemand. M. Desautels estime donc que puisqu’il a été en mesure de faire un transfert d’une somme supérieure à 5 000$, il a par conséquent eu un revenu supérieur à ce montant durant la période qualificative à cet effet.

[4] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de conclure en l’admissibilité ou non de M. Desautels à la PCRE, ni de considérer de nouveaux arguments et de nouvelles preuves portant sur cette admissibilité. Le rôle de la Cour est simplement de déterminer, à la lumière de la preuve et des arguments qui ont été présentés devant l’agent, si sa décision est raisonnable et si le processus était conforme aux principes d’équité procédurale.

[5] Pour les motifs qui suivent, et en conformité avec le rôle de la Cour, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable.

II. Le contexte

[6] La Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, ch 12, art 2 [la LPCRE], est entrée en vigueur le 2 octobre 2020 et a établi la PCRE. Cette prestation était offerte afin de fournir un soutien au revenu pour toute période de deux semaines comprise entre la période commençant le 27 septembre 2020 et se terminant le 23 octobre 2021, aux salariés et aux travailleurs indépendants admissibles qui ont été directement touchés par la pandémie de COVID-19. Le ministre responsable de la PCRE est le ministre de l’Emploi et du Développement social (LPCRE, art 2, 3 et 4). Cependant, la PCRE est administrée par l’ARC.

[7] Pour y être admissible, un contribuable doit satisfaire les critères cumulatifs prévus à l’article 3 de la LPCRE, notamment:

- Le contribuable qui travaille à son compte doit démontrer que ses revenus s’élevaient à au moins 5 000 $ pour l’année 2019 ou 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande.

- Pour chaque période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées, le contribuable doit avoir été empêché d’exercer un emploi ou d’exécuter un travail pour son compte pour des raisons liées à la COVID‑19, ou d’avoir subi une réduction d’au moins 50 % de ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi ou de travail à son compte par rapport à l’année précédente ou au cours des 12 mois précédant la date à laquelle il a présenté sa demande, pour des raisons liées à la COVID‑19.

- Pour chaque période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées, le contribuable doit également démontrer avoir fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte, afin de combler le manque à gagner.

- Le contribuable doit démontrer avoir été présent au Canada et en mesure de travailler durant la période de deux semaines pour laquelle des prestations sont demandées.

[8] Le fardeau de la preuve quant à l’admissibilité à la PCRE appartient au contribuable. En vertu de l’article 6 de la LPCRE, le demandeur est tenu de fournir tout renseignement exigé par l’agent relativement à sa demande.

A. La première décision de l’ARC

[9] M. Desautels a demandé et obtenu la PCRE pour un total de 7 périodes, soit du 27 septembre 2020 au 2 janvier 2021. Il a également fait une demande pour la période du 17 janvier 2021 au 30 janvier 2021 (période 9), mais ne l’a pas obtenue en raison de l’examen de son dossier.

[10] Selon les notes du dossier de l’agente responsable du premier examen, l’ARC aurait communiqué avec le demandeur le 21 décembre 2020. Dans cette conversation, le demandeur a précisé avoir gagné 5 000$ dans les trois mois entre janvier et mars 2020. Ce revenu provenait d’un travail indépendant. M. Desautels a indiqué ne pas avoir travaillé dans les années précédentes. Dans les notes de l’agente, il est précisé que M. Desautels n’a déclaré aucun revenu d’emploi ou de travail indépendant en 2019.

[11] Le 11 janvier 2021, le dossier du demandeur a été sélectionné pour un examen approfondi de son admissibilité à la PCRE et la demande de PCRE du demandeur pour la période 9 a été bloquée en raison de l’examen de son dossier. Celui-ci n’a donc pas reçu de versement pour cette période.

[12] Le ou vers le 19 janvier 2021, M. Desautels a transmis à l’ARC deux factures pour des services qu’il aurait rendus. Sur la première facture, le demandeur indique avoir fourni un service de « travaux extérieurs effectués sur l’immeuble de la rue Pierre-Tétreault entre le 3 et le 25 février 2020 » pour une somme de 3260$ pour M. Jasmin Tremblay. Sur la deuxième facture, le demandeur indique avoir fourni un service « pour des menus travaux effectués » pour Madame Lucille Forget en janvier 2020 pour la somme de 2490$. Par contre, M. Desautels n’a remis aucun relevé bancaire prouvant que les factures avaient été payées.

[13] Le 9 février 2021, l’agente de l’ARC a procédé au premier examen de l’admissibilité à la PCRE du demandeur en le contactant par téléphone. Durant cet appel, l’agente de l’ARC a confirmé la réception des documents du demandeur (les factures) et a passé en revue les conditions d’admissibilité à la PCRE. Le demandeur a affirmé qu’il était un travailleur indépendant, qu’il travaillait dans le domaine de la rénovation et qu’il avait dû arrêter de travailler à cause de la COVID-19 en mars 2021. Durant cet appel, l’agente lui a demandé de fournir d’autres factures, reçus, relevés bancaires avec nom et adresse ainsi qu’une liste de dépenses de 2020 à aujourd’hui. L’agente lui a également demandé une preuve de travail et une preuve de recherche d’emploi.

[14] Le 18 février 2021, le demandeur a transmis à l’ARC une lettre afin de justifier le manque de pièces justificatives pour le traitement de sa demande. Dans cette lettre, le demandeur explique encore une fois qu’il est travailleur autonome depuis des années dans le domaine de la rénovation, qu’il se fait payer presque exclusivement en argent comptant. Il affirme également qu’une telle pratique est courante dans ce corps de métier et que cela explique pourquoi il est impossible pour lui de fournir des relevés bancaires en preuve. Le demandeur ne précise pas pourquoi il lui est impossible de démontrer un dépôt bancaire quelconque identifiant un dépôt relatif au paiement de ses factures avec de l’argent comptant. Il précise que les factures utilisées pour le travail accompli font aussi office de reçus. Le demandeur soutient également dans cette lettre qu’il est difficile de trouver des clients avec la situation de la pandémie puisqu’il fonctionne par bouche-à-oreille et que personne ne veut voir des étrangers dans leur maison.

[15] Le 4 mars, le demandeur a téléphoné l’ARC à nouveau. Lors de cette conversation, le demandeur a expliqué que les « reçus » qu’il avait envoyés le 17 janvier 2021 représentent également les factures pour ces mêmes services rendus, et qu’il a été payé en argent. Il a aussi mentionné qu’il n’avait pas de relevés bancaires à transmettre à l’ARC, tel qu’on lui avait demandé lors de la conversation du 9 février 2021.

[16] Le 10 mars 2021, une première décision est alors rendue à l’égard de l’admissibilité du demandeur à la PCRE, dans laquelle l’agente de l’ARC conclut qu’il n’est pas éligible à la PCRE. Le motif allégué pour son inadmissibilité est le fait qu’il n’a pas gagné au moins 5 000$ de revenus d’emploi ou de travail indépendant en 2019, 2020 ou au cours des 12 mois précédant la date de sa première demande.

[17] Le 16 mars 2021, le demandeur a envoyé une lettre à l’agente de l’ARC afin d’obtenir des explications concernant la décision du 10 mars 2021. Dans cette lettre, le demandeur allègue qu’il a envoyé à l’ARC des factures de travailleur autonome qui datent du début de l’année 2020 ainsi qu’une lettre explicative démontrant son éligibilité. Il demande également à savoir si ces documents se sont bien rendus à l’ARC et dans le cas échéant, quelles pièces justificatives sont alors manquantes.

[18] Le 22 mars 2021, le demandeur a communiqué avec l’ARC par téléphone. Selon les notes de l’agent, on a expliqué au demandeur qu’il n’avait pas fourni assez de détails et qu’il devait envoyer d’autres documents, notamment des relevés bancaires.

B. La deuxième décision de l’ARC

[19] Le 23 mars 2021, le demandeur a envoyé une lettre à l’ARC afin d’obtenir un deuxième examen de sa demande. Dans cette lettre, le demandeur explique qu’il est incapable de produire des relevés bancaires qui seraient associés aux factures qu’il a déjà transmises (Mme Forget et M. Tremblay). Il réitère également dans cette lettre le fait que les paiements dans le milieu des rénovations se font généralement en argent comptant qu’il ne possède pas non plus de relevés de dépenses puisque son entreprise n’a pas de revenus assez élevés.

[20] Le 15 novembre 2021, l’agent de l’ARC responsable du deuxième examen [le deuxième agent] a procédé à la révision de la décision. Le deuxième agent mentionne avoir demandé au demandeur s’il avait d’autres documents à lui communiquer pour l’analyse de sa demande. Celui-ci a indiqué ne pas avoir d’autres documents ou information à fournir ni de preuve des montants reçus. De plus, lors de cette conversation, le demandeur a précisé qu’il avait jugé inutile d’envoyer des relevés, car il était payé en argent comptant et que ces paiements ne figuraient pas sur ses relevés. Il confirme également lors de cette conversation l’allégation écrite dans sa lettre du 23 mars 2021, selon laquelle « les paiements dans le milieu des rénovations se fait [sic] généralement en argent comptant ».

[21] La preuve au dossier démontre que le demandeur a transmis les documents suivants dans le cadre du premier et second examen de sa demande:

  1. Une facture pour des services rendus à Lucielle Forget datée du 3 février 2020;

  2. Une facture pour des services rendus à Jasmin Tremblay datée du 5 mars 2020;

  3. Une lettre datée du 18 février 2021 expliquant l’absence de pièces justificatives pour le traitement de son dossier;

  4. Une lettre datée du 16 mars 2021 adressée à la première agente de validation;

  5. Une lettre datée du 23 mars 2021 demandant un second examen, précisant son incapacité à produire des relevés bancaires puisque le paiement de services dans le milieu de la rénovation se fait généralement en argent comptant.

[22] L’agent disposait également des informations contenues aux déclarations de revenus du demandeur pour les années d’imposition 2017 à 2020, lesquelles n’indiquaient aucun revenu admissible aux fins de la PCRE, hormis un montant de 5 750$ pour les deux factures notées plus haut pour des services rendus en 2020, mais pour lesquelles il n’y avait aucun relevé bancaire notant les paiements.

[23] Le 17 novembre 2021, suite au deuxième examen, le deuxième agent de l’ARC a conclu que le demandeur ne respectait pas les conditions d’admissibilité à la PCRE pour toutes les périodes visées par sa demande. La décision est rédigée en ces termes:

Selon notre examen, vous êtes inadmissible. Vous ne satisfaites pas aux critères d’admissibilité ci-après:

Vous n’avez pas gagné au moins 5 000$ (avant impôts) de revenus d’emploi ou de revenus nets de travail indépendant en 2019, en 2020, ou au cours des 12 mois précédant la date de votre première demande.

Vous n’avez pas eu une baisse de 50% de votre revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

[24] Toujours en désaccord avec la décision, le demandeur a présenté sa demande en contrôle judiciaire le 17 décembre 2021.

III. Question en litige et norme de contrôle

[25] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions:

  1. Les nouveaux éléments de preuve soumis par M. Desautels devant la Cour sont-ils admissibles?

  2. La décision du 17 novembre 2021 rendue par le deuxième agent de l’ARC concluant que M. Desautels est inadmissible pour recevoir la PCRE est-elle déraisonnable?

[26] La norme de contrôle appropriée pour la révision d’une décision d’un agent de l’ARC est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 16-17 [Vavilov]; Maltais c Canada (Procureur général), 2022 CF 817 aux paras 18-19). Le rôle de notre Cour est d’examiner le raisonnement suivi par le décideur administratif et le résultat obtenu pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles » (Vavilov au para 85). Le fardeau de preuve de démontrer qu’une décision est déraisonnable incombe à la partie qui conteste la décision (Vavilov au para 100; voir aussi Aryan v Canada (Attorney General), 2022 FC 139 au para 16 [Aryan]; Hayat v Canada (Attorney General), 2022 FC 131 au para 14; Kleiman v Canada (Attorney General), 2022 FC 762 au para 29 [Kleiman]).

IV. Analyse

A. Les nouveaux éléments de preuve soumis par M. Desautels devant la Cour ne sont pas admissibles

[27] Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, M. Desautels a déposé un affidavit avec un bordereau bancaire qui, selon lui, démontrerait la traçabilité des sommes perçues de son activité de travailleur autonome. Ce bordereau bancaire démontre deux dépôts dans un compte bancaire allemand, qui ensemble démontrent une somme de plus de 5 000$. Selon le demandeur, ceci démontrerait qu’il a eu un revenu de plus de 5 000$ admissible pour les fins de la PCRE.

[28] Pour sa part, le défendeur soutient que le demandeur ne peut pas bonifier sa preuve à l’étape du contrôle judiciaire en produisant des documents qui n’avaient pas été soumis au décideur administratif.

[29] Le dépôt d’un affidavit dans le cadre d’un contrôle judiciaire est sujet aux règles 306 et suivantes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 et d’une jurisprudence constante de la Cour d’appel (Canada (Procureur général) c Canadian North Inc, 2007 CAF 42 aux paras 3–5, 7–9, 12; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c Alberta, 2015 CAF 268 aux paras 17–22). Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, le rôle de la Cour est d’examiner la légalité ou la raisonnabilité de la décision du décideur administratif, dans le contexte juridique et factuel présenté au décideur. Généralement, les documents dont ne disposait pas le décideur ne sont pas admissibles lors du contrôle judiciaire et la Cour ne doit pas en tenir compte (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19).

[30] La Cour d’appel fédérale a reconnu trois (3) exceptions à cette règle générale : (1) les nouveaux éléments de preuve contiennent des renseignements contextuels généraux (2) les nouveaux éléments de preuve répondent à des questions d’équité procédurale ou (3) les nouveaux éléments de preuve font ressortir l’absence totale de preuve devant le décideur administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux paras 19‑20).

[31] Dans le cadre de contrôles judiciaires de décisions de l’ARC en vertu de la LPCRE, la Cour a déjà statué qu’elle ne devait pas considérer des documents supplémentaires fournis dans un affidavit à l’appui de la demande et qui n’avaient pas été soumis au préalable au décideur administratif (Datta c Canada, 2022 CF 973 aux paras 29-30; Lussier c Canada, 2022 CF 935 au para 2).

[32] En l’espèce, l’affidavit de M. Desautels présente un élément de preuve, soit un bordereau bancaire, qui n’était pas devant l’agent.

[33] Durant l’audience, le demandeur a affirmé qu’il n’avait pas fait de recherche pour ce relevé puisqu’il ne pensait pas qu’on allait lui refuser la PCRE. Or, celui-ci aurait dû se « douter » qu’on allait possiblement lui refuser la PCRE puisque son dossier était sous étude dès la décision du premier examen en mars 2021. Cette explication n’est pas crédible d’autant plus que l’ARC lui avait demandé des relevés bancaires afin de prouver ses revenus de travail autonome.

[34] D’ailleurs, tel que le soutient le défendeur, ce document date de 2020 et par conséquent, il existait lors des deux examens d’admissibilité. Le demandeur aurait donc dû les fournir à l’ARC lorsqu’on lui a demandé s’il possédait d’autres éléments de preuve pour soutenir son dossier.

[35] De plus, le bordereau présenté entre en contradiction avec les affirmations du demandeur lors du processus d’examen par l’ARC, lors duquel M. Desautels a affirmé ne pas avoir de relevés bancaires démontrant qu’il avait reçu des sommes des travaux qui auraient été effectués en février et mars 2020.

[36] Enfin, à la face même du relevé bancaire présenté dans l’affidavit, celui-ci présente des doutes quant à sa fiabilité. Par exemple, on ne voit pas le nom du propriétaire du compte sur le document, et le relevé bancaire est incomplet.

[37] En fait, même si ce document avait été accepté en preuve, je ne lui aurais attribué aucune crédibilité. Lors de l’audience, le demandeur a précisé que les montants apparaissant sur ce bordereau bancaire correspondaient à la somme qu’il avait lui-même déposée dans un compte en Allemagne, suggérant que ces montants avaient été gagnés pour les travaux effectués pour Mme Forget et M. Tremblay. Or, les dates des dépôts ne correspondent pas avec les « factures » présentées.

[38] Certes, lors de l’audience, M. Desautels a indiqué que des montants étaient payés en avance. Ceci dit, la prétention de M. Desautels qu’il ne peut présenter de relevé bancaire en raison du fait qu’il est payé en argent comptant n’est pas crédible. Même s’il est payé en argent comptant, ces montants devraient tout de même être déposés dans un compte bancaire et être déclarés dans sa déclaration de revenus. Or, il semble que ce n’était pas le cas, du moins pour les années avant 2020. Aussi, il n’y a aucune preuve que les fonds qui furent utilisés aux fins du transfert au compte bancaire allemand proviennent d’une source de revenus admissible aux fins de la PCRE.

[39] Par conséquent, l’affidavit, ainsi que le bordereau bancaire, ne répondent pas aux exceptions prévues par la jurisprudence. Dans son ensemble, l’affidavit de M. Desautels est donc inadmissible en preuve et la Cour ne peut en tenir compte. (‘Namgis First Nation v Canada (Fisheries and Oceans), 2019 FCA 149 aux paras 7-12; Ohwofasa v Canada (Citizenship and Immigration), 2020 FC 266 aux paras 13-15; Kleiman c Canada (Procureur général) 2022 FC 762 au para 26).

[40] Pour toutes ces raisons, la Cour ne tiendra pas compte de l’affidavit en question.

B. La raisonnabilité de la décision

[41] Le fardeau incombe à M. Desautels de démontrer à l’ARC qu’il satisfait, selon la prépondérance des probabilités, aux critères établis par la LPCRE afin de recevoir une prestation (Walker v Canada (Attorney General of Canada), 2022 FC 381 au para 55).

[42] Tel que discuté, le fardeau incombe aussi à M. Desautels, dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, de démontrer que la décision du deuxième agent est déraisonnable.

[43] Il est important de noter que dans l’analyse de la raisonnabilité de la décision du deuxième agent, la Cour peut considérer le rapport sur la deuxième révision de l’ARC ainsi que les notes de cet agent. Ceux-ci font partie des motifs de l’agent, comme le sont les notes du Système mondial de gestion des cas utilisés par les agents d’immigration (Aryan au para 22; Kleiman au para 9; Vavilov, aux paras 94‑98).

[44] J’ai examiné les observations du demandeur au regard du régime législatif de la PCRE et la preuve des parties qui sont au dossier, et j’ai conclu que le demandeur n’a relevé aucune erreur ou omission importante dans la deuxième décision qui justifie l’intervention de la Cour.

[45] Dans ses notes, le deuxième agent précise que pour parvenir à sa décision, il a examiné les renseignements fournis par M. Desautels lors de sa demande initiale, il a considéré les notes du premier agent, ainsi que tous les documents déposés par le demandeur. Il a aussi lui-même communiqué avec le demandeur afin de lui permettre de compléter son dossier.

[46] Le raisonnement derrière la décision du deuxième agent découle du fait que le demandeur n’a pas été en mesure de prouver qu’il respectait les critères de la PCRE. En effet, étant donné le manque de preuve fourni par celui-ci, il a été impossible pour le deuxième agent d’établir qu’il avait gagné un revenu de travail indépendant de plus de 5 000$ dans les dernières années et qu’il avait subi une perte de plus de 50% de son revenu en raison de la COVID-19.

[47] Tout d’abord, suite à la conversation avec le demandeur le 15 novembre 2021, le deuxième agent a noté dans son journal de communication « observations » des systèmes de l’ARC que les factures fournies par le demandeur ne ressemblent pas à des factures conventionnelles, mais qu’elles semblent plutôt être « imprimées sur une page blanche à la maison » et que l’information semble s’adresser directement à l’ARC plutôt qu’à son client.

[48] Le deuxième agent précise également que lors de sa conversation avec le demandeur, celui-ci a réitéré qu’il n’avait pas d’autres relevés car il est payé en argent comptant, ce qui est commun dans le milieu de la rénovation. Aucune explication, cependant, n’est donnée à savoir pourquoi M. Desautels n’a aucun compte de banque pouvant démontrer des dépôts.

[49] De plus, le deuxième agent note que suite à la demande de fournir davantage de relevés bancaires pour démontrer que le demandeur avait réellement perçu les sommes pour les travaux qu’il aurait effectués au cours de l’année 2020, celui-ci a jugé inutile d’envoyer des relevés puisque les sommes auraient été payées en argent comptant. Le demandeur a précisé qu’il n’avait aucune autre information à fournir.

[50] Ensuite, comme le demandeur n’a pas non plus déclaré de revenus à titre d’employé ou de travailleur autonome indépendant pour les années d’imposition 2018 et 2019, le deuxième agent note qu’il lui fut ainsi impossible de constater si le demandeur avait réellement gagné un revenu de travail indépendant d’au moins 5 000$ avant sa première demande de prestation.

[51] Enfin, le deuxième agent n’a pas été en mesure d’évaluer la baisse de 50% des revenus hebdomadaires moyens du demandeur par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19, car il n’y a pas de déclaration de gains en 2019, ni même en 2018. Il est aussi impossible de déterminer si M. Desautels a subi une baisse de revenu de plus de 50% durant les 12 derniers mois, puisque, faute de relevé bancaire, il est impossible de déterminer s’il a reçu un revenu admissible.

[52] À mon avis, le dossier démontre que le deuxième agent a tenu compte de tous les documents et informations fournis par M. Desautels. En fait, c’est le manque de documents justificatifs qui explique la décision du décideur. Le deuxième agent précise d’ailleurs à la fin de ses notes sur l’examen: « en absence de preuves de revenus qu’il ne possède pas, rien ne peut renverser la décision ».

[53] À cela, durant l’audience, M. Desautels a indiqué qu’il participait à ce qu’il a appelé « économie informelle », ce qui justifiait selon lui le fait qu’il était payé en argent comptant, et qu’il ne pouvait prouver ses revenus par un relevé bancaire. En réponse à cette affirmation, la Cour ne peut qualifier de déraisonnable la décision du deuxième agent à l’effet qu’il n’a pas été en mesure de déterminer le revenu du demandeur, et qu’en conséquence, le demandeur n’a pas été en mesure de démontrer qu’il avait des revenus admissibles aux fins de la PCRE. Rappelons à cet effet que les articles 3 et 6 de la LPCRE imputent au demandeur le fardeau de démontrer qu’il remplit chacun des critères d’éligibilité donnant droit aux prestations de PCRE.

[54] En sommes, à la lecture du dossier et de l’information qu’il possédait, le raisonnement du deuxième agent est cohérent, fondé sur la preuve qui lui a été soumise et se justifie à l’égard de la LPCRE. La conclusion du second agent voulant que cette preuve documentaire était insuffisante n’est pas déraisonnable. Ses motifs sont intelligibles, justifiés à la lumière de la preuve et du dossier devant lui, et illustrent une logique interne satisfaisante.

V. Conclusion

[55] Après avoir examiné les pièces justificatives de M. Desautels et après avoir pris en considération les arguments des parties, je conclus, pour tous les motifs qui précèdent, que la décision du deuxième agent est raisonnable. Elle satisfait aux critères énoncés puisqu’elle est intrinsèquement cohérente en plus d’être transparente, justifiée et intelligible.

[56] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[57] Les parties se sont entendues sur un montant de 800$ à verser au défendeur à titre de dépens.

[58] Finalement, je note qu’à la demande du défendeur, en conformité avec la règle 303 des Règles des Cours fédérales, l’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T-1925-21

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties se sont entendues sur un montant de 800$ à verser au défendeur à titre de dépens.

  3. L’intitulé de la cause est modifié de façon à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme défendeur.

«Guy Régimbald»

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-660-22

 

INTITULÉ :

STÉPHANE DESAUTELS c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Régimbald

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DéCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS:

Stéphane Desautels

POUR LE DEMANDEUR

(NON REPRÉSENTÉ)

 

Me Dominique Castagne

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉfENDEUR

 

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