Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221110


Dossier : IMM-8650-21

Référence : 2022 CF 1533

Montréal (Québec), le 10 novembre 2022

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

kevin omarea levy

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Kevin Omarea Levy, est citoyen de la Jamaïque et résident permanent du Canada depuis février 1987. En mai 2017, la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR] accorde à M. Levy un sursis de trois ans d’une mesure de renvoi émise à son endroit suite à des condamnations criminelles. En décembre 2020, la SAI déclare abandonné l’appel de M. Levy à l’encontre de sa mesure de renvoi, car celui-ci ne s’est pas présenté à l’audience de justification et n’a jamais répondu aux avis de convocation envoyés par la SAI à cet égard. Dans une décision rendue le 13 octobre 2021 [Décision], la SAI rejette la demande de M. Levy pour la réouverture de son appel, que ce dernier avait présentée en vertu de l’article 71 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. M. Levy invoquait qu’en déclarant le désistement de son appel, la SAI avait manqué à un principe de justice naturelle en raison d’une erreur cléricale dans la transcription de son adresse courriel.

[2] M. Levy sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la Décision de la SAI. Il demande à la Cour de renvoyer son dossier à la SAI pour une nouvelle audience et d’ordonner spécifiquement la réouverture de l’appel devant un autre commissaire de la SAI. M. Levy soutient que la Décision de la SAI de lui refuser la réouverture de son appel au motif que la conduite de la SAI n’aurait pas porté atteinte aux principes de justice naturelle est déraisonnable. Il demande par ailleurs à la Cour de renvoyer la présente affaire directement à la SAI pour la continuation de l’appel au fond, et non pas pour un simple réexamen de sa demande de réouverture. De plus, il maintient que des raisons spéciales justifient l’adjudication de dépens en sa faveur.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de M. Levy sera rejetée. Après avoir examiné les motifs de la SAI, la preuve au dossier et le droit applicable, je suis d’avis que, dans les circonstances, la SAI a raisonnablement conclu qu’aucun manquement à un principe de justice naturelle n’avait été commis lorsqu’elle a prononcé le désistement de l’appel de M. Levy.

II. Contexte

A. Les faits

[4] M. Levy est résident permanent du Canada depuis février 1987. En 2012, il est reconnu coupable d’infractions de possession et trafic de stupéfiants. En février 2013, une mesure de renvoi pour grande criminalité est donc prise à son encontre. M. Levy fait appel de cette mesure de renvoi, comme le lui autorise le paragraphe 63(3) de la LIPR, afin de pouvoir demeurer au Canada. En mai 2017, la SAI lui accorde un sursis temporaire de trois ans de la mesure de renvoi, sous réserve de certaines conditions. Parmi celles-ci, M. Levy est entre autres tenu d’aviser l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] et la SAI de tout changement d’adresse. De plus, M. Levy est informé à ce moment que son appel de la mesure de renvoi sera réexaminé vers le 1er juin 2020.

[5] Entre 2017 et 2020, M. Levy déménage à plusieurs reprises et change ses coordonnées. Il n’en avise uniquement l’ASFC, mais pas la SAI, croyant — à tort — que cela était suffisant.

[6] Entre juin et octobre 2020, la SAI tente de joindre M. Levy à plusieurs reprises par courrier pour l’aviser que le réexamen du sursis temporaire de la mesure de renvoi qui pèse contre lui sera entrepris. Comme la SAI n’a plus les coordonnées à jour de M. Levy, les communications par la poste sont retournées à la SAI avec les mentions « Déménagé/Inconnu ». M. Levy ne présente donc pas ses soumissions dans les délais et ne comparaît pas à l’audience de justification qui se tient le 28 octobre 2020 pour réexaminer le sursis de la mesure de renvoi. Lors de cette audience, le représentant de l’ASFC partage toutefois avec la SAI les nouvelles coordonnées que M. Levy avait transmises à l’ASFC.

[7] Étant donné l’absence de réponses de la part de M. Levy, les retours de courrier pour non-livraison et les nouvelles coordonnées obtenues de l’ASFC, la SAI décide de ne pas immédiatement prononcer le désistement de l’appel — comme elle pouvait le faire — mais ordonne plutôt une nouvelle date pour permettre la présentation de soumissions sur le réexamen du sursis de la mesure de renvoi, soit le 20 novembre 2020. Afin d’informer M. Levy de cette nouvelle date d’audience, la SAI envoie ainsi, le 30 octobre 2020, un nouvel avis de convocation à M. Levy, par la poste et par courriel, aux nouvelles adresses données par l’ASFC. Par erreur, l’adresse courriel de M. Levy n’est pas correctement prise en note par la SAI, si bien que le courriel transmis à M. Levy lors de cette nouvelle tentative de le rejoindre ne lui parvient jamais. La SAI reçoit d’ailleurs des notifications quant à l’échec d’envoi du courriel. Cependant, la SAI ne reçoit aucun retour de courrier eu égard à l’avis transmis par la poste à la nouvelle adresse postale de M. Levy.

[8] Le 20 novembre 2020, la SAI n’a toujours reçu aucun document de la part de M. Levy. À ce moment, elle n’a aucun indice faisant état d’un problème avec l’envoi de son avis de convocation par la poste. Le 15 décembre 2020, la SAI tente une dernière fois de joindre M. Levy par téléphone, mais sans succès, le numéro de téléphone en sa possession n’étant plus en service.

[9] Suite à ce nouveau défaut de M. Levy de transmettre ses soumissions et de comparaître, la SAI prononce donc le désistement de l’appel de M. Levy le 18 décembre 2020, conformément au paragraphe 168(1) de la LIPR. Cette disposition autorise les sections de la CISR, dont la SAI, à « prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication ». Au début de janvier 2021, la SAI transmet sa décision du 18 décembre 2020 à M. Levy. Ce n’est que le 22 avril 2021 — soit bien après que la SAI ait prononcé le désistement — que la SAI reçoit un retour de courrier avec les mentions « Déménagé/Inconnu », l’informant que sa décision du 18 décembre 2020 n’a pas pu être transmise à l’adresse postale de M. Levy.

[10] En mai 2021, l’ASFC communique avec M. Levy par courriel. C’est à la suite de cette communication que M. Levy apprend que la SAI a prononcé le désistement de son appel en décembre 2020.

[11] Au cours du mois de juin 2021, M. Levy prend diverses mesures pour enquêter sur le désistement d’appel prononcé par la SAI. Finalement, le 13 juillet 2021, M. Levy demande la réouverture de la décision de la SAI sur le désistement de son appel, aux termes de l’article 71 de la LIPR.

B. La Décision de la SAI

[12] Dans la Décision, la SAI conclut que M. Levy avait l’obligation d’aviser la SAI de ses changements de coordonnées, mais qu’il a omis de le faire. Elle se dit aussi d’avis qu’aucune erreur ayant entraîné une atteinte à la justice naturelle n’a été commise dans le traitement du dossier de M. Levy.

[13] La SAI mentionne d’abord que M. Levy avait l’obligation légale de lui communiquer le changement de ses coordonnées par écrit en vertu du paragraphe 13(4) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 [Règles]. Également, la décision de la SAI rendue en 2017 portant sur le sursis de la mesure de renvoi à l’égard de M. Levy comportait, en des termes clairs et précis, cette obligation qu’il avait d’aviser autant l’ASFC que la SAI de tout changement de coordonnées. Or, malgré l’obligation légale qu’il avait, M. Levy n’a pas avisé la SAI de ses changements d’adresse plus de trois ans après avoir déménagé à deux reprises.

[14] La SAI soutient que l’absence de mise à jour des coordonnées explique pourquoi M. Levy n’a pas été en mesure de répondre aux avis de convocation envoyés, n’a pas présenté de soumissions, et ne s’est pas présenté à l’audience de justification. La SAI soumet que conformément à l’affaire Jones c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 84 [Jones], après avoir envoyé un avis de convocation à la dernière adresse connue d’un appelant, elle n’est pas tenue de faire des vérifications supplémentaires. Pourtant, le commissaire de la SAI a quand même tenté d’appeler M. Levy au dernier numéro de téléphone connu, mais sans succès. Vu les difficultés répétées à rejoindre M. Levy, la SAI a même ordonné une nouvelle date pour le réexamen final du sursis de la mesure de renvoi prise à son encontre.

[15] Bien qu’elle ait fait une erreur en notant l’adresse courriel que le représentant de l’ASFC lui avait remise lors de l’audience du 28 octobre 2020, la SAI avait également transmis un avis par la poste à la dernière adresse connue que M. Levy avait donnée à l’ASFC. La SAI détermine donc qu’elle a fait preuve de diligence alors qu’elle n’était pas tenue de prendre des mesures supplémentaires pour tenter de joindre M. Levy qui, lui, avait l’obligation initiale de mettre à jour ses coordonnées. La SAI observe qu’au 18 décembre 2020, la SAI avait tenté de contacter M. Levy à plus de six reprises par lettre, par courriel et par téléphone, mais en vain.

[16] Pour ces raisons, la SAI a rejeté la demande de réouverture de l’appel au motif que M. Levy n’avait pas démontré, par prépondérance des probabilités, que la SAI avait commis un manquement aux principes de justice naturelle en prononçant le désistement de son appel.

C. La norme de contrôle

[17] M. Levy et le défendeur, le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [Ministre], sont tous deux d’avis que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions portant sur la réouverture d’appels à la SAI (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Liu, 2021 CF 306 aux para 16–17; Naman c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 58 [Naman] aux para 28–36). Je suis d’accord. La norme de la décision raisonnable est d’ailleurs présumée s’appliquer chaque fois qu’une cour doit décider une demande de contrôle judiciaire attaquant le mérite d’une décision administrative (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[18] La norme de la décision raisonnable se concentre sur la décision prise par le décideur administratif, ce qui englobe à la fois le raisonnement suivi et le résultat (Vavilov aux para 83, 87). Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74). C’est à la partie qui conteste une décision administrative que revient le rôle de démontrer son caractère déraisonnable.

[19] L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable tire son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Vavilov aux para 13, 46, 75). Une décision administrative ne sera pas infirmée sur la base de simples erreurs superficielles ou accessoires. La décision attaquée doit plutôt comporter de graves lacunes, telles qu’un raisonnement intrinsèquement incohérent (Vavilov aux para 100–101).

III. Analyse

[20] M. Levy soumet que la SAI n’aurait pas rempli son obligation de transmettre des avis en bonne et due forme étant donné l’erreur qu’elle a commise dans la retranscription de son adresse courriel. Aux dires de M. Levy, ceci constitue un manquement aux principes de justice naturelle puisque cette erreur l’a empêché d’être entendu. M. Levy prétend également que les nombreux retours de courrier et de courriels que la SAI a reçus faisaient clairement état de la non-transmission de ses avis de convocation, et que la SAI avait alors l’obligation de déployer des efforts supplémentaires pour les lui transmettre. Par ailleurs, M. Levy maintient qu’il croyait que le respect de ses obligations auprès de l’ASFC valait également pour la SAI, et que son respect de toutes ses autres obligations démontre sa bonne foi. Enfin, M. Levy fait valoir que l’impossibilité pour la SAI de localiser l’enregistrement audio de la première audience de justification du 28 octobre 2020 l’empêche de réviser convenablement la Décision, ce qui va à l’encontre des règles d’équité procédurale et des principes de justice naturelle.

[21] Je ne partage pas la position de M. Levy et suis plutôt d’avis que la SAI a rendu une décision tout à fait raisonnable en concluant que M. Levy n’avait pas droit à la réouverture de son appel vu son défaut de démontrer un manquement à la justice naturelle, comme l’exige l’article 71 de la LIPR. Étant donné cette conclusion, il n’est pas nécessaire de traiter des autres questions en litige soulevées par M. Levy dans sa demande de contrôle judiciaire, à savoir la nature des remèdes que la Cour peut imposer et sa demande de dépens.

[22] Il faut d’abord préciser que la compétence de la SAI de rouvrir un appel en vertu de l’article 71 de la LIPR est restreinte (Naman au para 43). Cette compétence se limite aux instances pour lesquelles un manquement à un principe de justice naturelle est imputable à la SAI (Naman au para 44). Ici, l’erreur reprochée à la SAI s’est produite uniquement dans les efforts supplémentaires que la SAI a déployés pour tenter de rejoindre M. Levy, et non dans ses communications initiales, lesquelles respectaient l’obligation qu’elle avait en vertu de la LIPR et des Règles. Certes, il y a eu une erreur dans la retranscription de l’adresse courriel de M. Levy, mais aucune erreur n’a entaché l’envoi du deuxième avis de convocation par courrier à la dernière adresse postale que M. Levy avait transmise à l’ASFC. D’ailleurs, le dossier ne contient aucune preuve à l’effet que cet envoi par courrier n’aurait pas été reçu par M. Levy.

[23] Il n’y a pas de manquement aux principes de justice naturelle lorsque la SAI prononce le désistement d’un appel après avoir transmis un avis d’audience à la dernière adresse fournie par l’appelant, ce qu’elle a fait en l’espèce (Jones au para 20; Wilks c Canada Commission de l'immigration et du statut de réfugié, 2009 CF 306 [Wilks] aux para 41–43). Au surplus, la jurisprudence est claire à l’effet qu’il ne revient pas à la SAI, lorsque ses envois lui sont retournés en raison d’une mauvaise adresse, de faire enquête pour retrouver et localiser la personne concernée (Guo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 15 aux para 31–32).

[24] Dans le cas de M. Levy, les démarches volontaires entreprises par la SAI suite à l’annulation de la première audience allaient au-delà des obligations qui lui incombent en vertu des principes de justice naturelle, alors qu’elle était autorisée à prononcer le désistement de l’appel de M. Levy dès son défaut de se présenter à cette première audience.

[25] Somme toute, je ne suis pas persuadé qu’il était déraisonnable pour la SAI de rejeter la demande d’ouverture d’appel de M. Levy. C’est plutôt le manquement répété de M. Levy de se conformer à son obligation de mettre à jour ses coordonnées, et non l’erreur de la SAI dans l’orthographe de son adresse courriel, qui est à la source de l’impossibilité de lui transmettre les informations lui permettant de participer à l’audience de son appel sur la mesure de renvoi.

[26] Il convient de noter les propos que cette Cour a tenus dans l’affaire Jones, au paragraphe 21 :

Il peut certes arriver que, dans certains cas, la SAI fasse plus que le nécessaire et se renseigne, soit en communiquant avec l’ASFC, soit en composant les numéros de téléphone mentionnés dans les avis d’appel ou les avis consécutifs de changement de coordonnées, afin d’entrer directement en contact avec l’appelant. Mais on ne peut lui reprocher de ne pas l’avoir fait en l’espèce, surtout que rien dans le dossier n’indique qu’un changement d’adresse a été fait auprès de l’ASFC. La SAI a tout à fait le droit de prononcer le désistement d’un appel lorsque son courrier lui est retourné, et elle n’est pas tenue d’investiguer dans le but d’établir si un changement d’adresse a été signifié à l’ASFC ou à d’autres ministères.

[27] Les arguments avancés par M. Levy ignorent son propre défaut initial de transmettre ses coordonnées à jour à la SAI. Il est difficile de reprocher à la SAI d’avoir fait une erreur en tentant de venir en aide à M. Levy et de lui fournir une chance supplémentaire d’être entendu, malgré sa propre incurie. N’eut été le défaut de M. Levy de communiquer ses nouvelles coordonnées, il aurait reçu les avis de convocation que la SAI lui a dûment transmis. Par ailleurs, je souligne que rien dans la preuve devant la SAI ne lui permettait de conclure que M. Levy n’avait pas reçu le deuxième avis de convocation envoyé par la poste le 30 octobre 2020. Je note que, même dans son affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, M. Levy ne précise pas où il demeurait entre les mois d’octobre 2020 et d’avril 2021, ni n’affirme-t-il qu’il ne résidait pas à son adresse sur la rue Rousseau à Lasalle au moment de l’envoi du second avis de convocation le 30 octobre 2020. J’ajoute que son affidavit atteste que le premier avis de convocation envoyé le 21 septembre 2020 à son adresse sur la rue Stirling à Lasalle et la décision du 18 décembre 2020 envoyée le 7 janvier 2021 à son adresse sur la rue Rousseau à Lasalle ont tous deux été retournés à la SAI par Postes Canada avec les mentions « Déménagé/Inconnu ». Toutefois, l’affidavit de M. Levy est silencieux sur le sort du deuxième avis de convocation envoyé par la poste le 30 octobre 2020, et pour lequel il n’y a au dossier aucune preuve de retour de courrier pour non-livraison de la part de Postes Canada.

[28] Il est vrai que la SAI peut être tenue de prendre des mesures supplémentaires lorsqu’elle possède la connaissance qu’une adresse fournie n’est pas valide (Wilks au para 42). C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait en obtenant les coordonnées de M. Levy auprès de l’ASFC, en ordonnant une deuxième date pour l’envoi de soumissions, puis en envoyant un nouvel avis de convocation à M. Levy par courriel ainsi que par la poste. Il est aussi vrai que suite à cette deuxième tentative, la SAI avait connaissance de l’échec de son envoi par courriel étant donné la notification de non-transmission qu’elle a reçue. Cependant, l’avis postal envoyé le 30 octobre 2020 n’a fait l’objet d’aucun retour avec une mention de non-livraison. Seul l’envoi par la poste de la décision du 18 décembre 2020 a été retourné à la SAI avec les mentions « Déménagé/Inconnu » en avril 2021. Conséquemment, il est clair que la SAI n’avait pas connaissance que la dernière adresse postale de M. Levy était erronée au moment de son second avis d’octobre 2020 ou même de sa décision du 18 décembre 2020. La SAI pouvait donc raisonnablement conclure que l’avis avait bel et bien été transmis à M. Levy (Wilks au para 43).

[29] Nous sommes ici bien loin d’une situation où la SAI maintient une mesure de renvoi et prononce un désistement d’appel sans permettre à la personne visée de faire valoir ses prétentions. Ici, la SAI a fait les démarches requises pour aviser M. Levy et ce dernier n’a pas rempli les obligations qui étaient les siennes. Il était donc tout à fait loisible à la SAI de conclure qu’aucun manquement à un principe de justice naturelle ne plombait sa décision de rejeter l’appel de M. Levy et de le déclarer abandonné.

[30] Dans l’affaire Osegueda c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CanLII 79213 (CA CISR), aux paragraphes 29 et 30, la SAI reconnaît que de nombreux appelants croient que la SAI et l’ASFC sont une seule et même chose. La SAI explique cependant l’importance de distinguer les deux entités, étant donné l’indépendance de la SAI par rapport au Ministre et à l’ASFC. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi l’obligation de transmettre un avis de changement de coordonnées tant à la SAI qu’à l’ASFC est clairement inscrite sur les envois que transmet la SAI. De plus, dans le cas de M. Levy, les conditions de sursis de la mesure de renvoi à son encontre mentionnaient très clairement son obligation de transmettre un avis de changement d’adresse aux deux entités. L’argument de M. Levy voulant qu’il croyait que l’accomplissement de ses obligations auprès de l’ASFC valait également pour la SAI ne peut certes pas rendre la Décision de la SAI déraisonnable.

[31] En somme, je suis satisfait que les motifs fournis par la SAI justifient la Décision de manière transparente et intelligible. Ils permettent à la Cour de comprendre le fondement sur lequel repose la Décision rendue par la SAI et confirment qu’aucun fait pertinent n’a été omis. Je ne décèle, dans la Décision ou dans le dossier qui la supporte, aucune lacune grave qui rendrait la Décision déraisonnable à la lumière des faits (Vavilov au para 100).

[32] Lors de ses représentations devant la Cour, l’avocate de M. Levy a insisté sur le fait qu’en décidant de donner une seconde chance à M. Levy et en lui envoyant un nouvel avis de convocation à la fin octobre 2020, la SAI aurait fait renaître une nouvelle obligation à l’égard de M. Levy, qui aurait somme toute effacé les manquements de M. Levy à son obligation d’informer la SAI de tout changement d’adresse. Je ne souscris pas à ces arguments. La décision de la SAI de faire un nouvel envoi par courriel et par la poste n’a pas eu pour effet d’investir la SAI d’une nouvelle responsabilité quant à la transmission de ses communications. Il est aussi inexact de prétendre que le courriel était le moyen privilégié de communiquer avec M. Levy. La SAI a envoyé son deuxième avis de convocation à la fois par courriel et par la poste, et rien n’indique que l’envoi par la poste n’a pas été reçu.

[33] Dans de telles circonstances, il n’était pas déraisonnable pour la SAI de conclure que M. Levy n’avait pas fait la démonstration d’un manquement à un principe de justice naturelle dans le traitement de son appel et dans la conclusion sur le désistement qui s’en est suivie.

[34] J’ajoute une remarque, qui fait écho à une observation faite par l’avocate du Ministre lors de l’audience devant cette Cour. Le statut de résident permanent est assorti d’un certain nombre d’obligations, et c’est d’autant plus le cas lorsqu’un résident permanent se retrouve sous le coup d’une mesure de renvoi à laquelle l’ASFC accepte de surseoir. M. Levy était bien au fait et avait été dûment informé des conditions de son sursis, et il lui appartenait de s’y conformer. Il ne peut certes pas reprocher à la SAI sa propre négligence et son propre défaut de fournir les changements d’adresse requis, lesquels constituent la première cause du désistement d’appel prononcé par la SAI.

[35] En terminant, je signale que les propos de M. Levy sur l’absence de l’enregistrement audio de l’audience du 28 octobre 2020 doivent aussi échouer. Dans Aliai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 82, au paragraphe 22, la Cour a souligné que l’absence d’enregistrement audio ou de transcriptions est un facteur important seulement s’il est démontré qu’il existe une « possibilité sérieuse qu’il soit impossible de présenter un motif de contrôle judiciaire sans transcription ». Or, M. Levy n’a soumis aucun élément de preuve ni aucun argument qui permettrait à la Cour de conclure en ce sens dans la présente affaire. De plus, personne ne conteste qu’il y ait eu erreur de la part de la SAI dans la retranscription de l’adresse courriel de M. Levy. L’obtention de l’enregistrement audio de l’audience d’octobre 2020 ne changerait en rien la situation ou les arguments que M. Levy pouvait présenter dans le cadre de son recours.

IV. Conclusion

[36] Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Levy est rejetée. Je ne relève rien d’irrationnel dans le processus décisionnel suivi par la SAI ou dans ses conclusions à l’effet qu’en prononçant le désistement de l’appel de M. Levy, la SAI n’avait commis aucun manquement aux principes de justice naturelle qui puisse permettre la réouverture de l’appel. J’estime plutôt que l’analyse faite par la SAI possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et que la Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. Selon la norme de la décision raisonnable, il suffit que la Décision soit fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et soit justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur administratif est assujetti. C’est manifestement le cas en l’espèce.

[37] Aucune question de portée générale n’a été soulevée pour fins de certification, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-8650-21

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-8650-21

 

INTITULÉ :

KEVIN OMAREA LEVY c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 OCTOBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 NOVEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Me Julie Devillers

Pour le demandEUR

 

Me Margarita Tzavelakos

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet de Me Hugues Langlais

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour lE demandeUr

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour la défenderesse

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.