Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20221220


Dossier : IMM-3568-20

Référence : 2022 CF 1772

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2022

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

MUBASHAR HAYAT

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente demande est présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) qui sollicite l’annulation de la décision rendue le 28 juillet 2020 par la Section d’appel des réfugiés (la SAR).

[2] La SAR a fait droit à l’appel interjeté par le défendeur de la décision rendue le 22 mars 2019 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR).

[3] Le ministre soutient que la SAR, n’ayant cerné aucune erreur, a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a renvoyé l’affaire à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue au motif d’une iniquité envers le défendeur.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, la demande sera accueillie.

II. Contexte factuel

[5] Le défendeur est citoyen du Pakistan. Il est arrivé au Canada en décembre 2017 et a présenté une demande d’asile fondée sur son exposition à la persécution de la part d’extrémistes religieux, de l’État et de la famille de son ex-partenaire en raison de son orientation sexuelle en tant qu’homme bisexuel.

[6] La SPR a conclu que le manque de crédibilité du défendeur constituait la question déterminante, compte tenu des incohérences et des omissions entre son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) et son témoignage.

[7] Compte tenu du fait que le défendeur démontrait une constante incapacité à répondre à des questions directes sur son témoignage confus, la SPR a conclu qu’il n’était [TRADUCTION] « pas un homosexuel ».

[8] Dans un nouvel exposé circonstancié, le défendeur a affirmé devant la SAR que des gens l’avaient initialement incité à inventer une histoire de bisexualité. Il a déclaré que l’entièreté de sa demande d’asile, y compris son orientation sexuelle, les éléments de preuve documentaire et l’exposé circonstancié dans son formulaire FDA, était fausse et qu’il éprouvait des regrets.

[9] Le défendeur a affirmé dans le nouvel exposé circonstancié qu’il travaillait comme [TRADUCTION] « journaliste et directeur de production pour la chaîne locale TV A+ » et qu’en raison de son travail, [TRADUCTION] « certains acteurs politiques du Parti du peuple pakistanais et surtout du Mohajir Qaumi Mahaz (le MQM) ne [l]’aim[aient] pas du tout ».

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[10] Le défendeur a présenté dix photographies à la SAR sans dates ni explications. La SAR n’a pas accepté les photographies à titre de preuve. Elle a conclu que le défendeur n’avait pas respecté les exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) en matière d’admission de nouveaux éléments de preuve.

[11] La SAR a admis la preuve du défendeur selon laquelle des gens l’avaient incité à fabriquer son récit initial dans lequel il affirmait être bisexuel.

[12] La SAR a conclu que les observations du défendeur concernant la raison pour laquelle il n’avait pas été franc dans un premier temps étaient vagues. Le défendeur n’a pas précisé qui l’avait détourné du droit chemin et il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure qu’il avait déposé une plainte auprès du Barreau, même si, selon la SAR, il était possible que ce soit quelqu’un d’autre que son avocat qui lui avait conseillé de faire de fausses déclarations.

[13] En ce qui a trait à la possibilité de préjudice de la part du MQM, la SAR a examiné la preuve documentaire relative au Pakistan. Elle a conclu qu’il y avait des éléments de preuve à l’appui du fait que des journalistes ont été pris pour cible par le MQM.

[14] Le défendeur a fait valoir qu’il ferait l’objet d’accusations dès son retour au Pakistan en raison du fait qu’il a demandé l’asile. La SAR a constaté que la preuve documentaire, qui date de 2003, contenait des renseignements selon lesquels les demandeurs d’asile déboutés ne subissent pas de conséquences pour leur retour à moins d’être remis aux autorités.

[15] Ayant conclu que la loi a peut-être changé au cours des 17 dernières années, la SAR a déclaré « [qu’]il est équitable de donner pleinement l’occasion à l’appelant de présenter son appel ».

[16] La SAR a souligné que le défendeur avait soulevé deux arguments défendables à l’appui de sa demande d’asile. Compte tenu du fait que le défendeur n’était pas représenté, la SAR a conclu que les circonstances étaient particulières.

[17] La SAR était d’avis qu’elle devait accorder le bénéfice du doute au défendeur, conformément aux principes énoncés dans le Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Elle a également décidé que, dans l’intérêt de l’équité, le défendeur aurait l’occasion de présenter pleinement sa demande d’asile. Ainsi, il bénéficierait d’une audience complète et équitable et il aurait la possibilité de présenter pleinement des éléments de preuve documentaire.

[18] Après avoir noté différentes questions à trancher qui seraient soulevées, notamment la crédibilité, la possibilité de refuge intérieur et la protection de l’État, la SAR a déclaré que « dans la présente affaire et dans les circonstances qui nous occupent, il convient de donner à l’appelant l’occasion de présenter pleinement sa preuve. J’estime qu’il convient de lui accorder le bénéfice du doute ».

[19] Après examen du Guide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, la SAR a décidé de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR au titre du paragraphe 111(1) de la LIPR.

IV. Question en litige

[20] Les parties conviennent que la seule question est de savoir si la décision est raisonnable.

[21] La question déterminante consiste donc à savoir si la SAR, n’ayant précisé aucune erreur, a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a renvoyé l’affaire à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue pour des motifs d’équité.

V. Norme de contrôle

[22] La Cour suprême du Canada a établi que, lorsqu’une cour procède à un contrôle judiciaire d’une décision administrative sur le fond – autre qu’un contrôle lié à un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale – la norme de contrôle qui est présumée s’appliquer est celle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) au para 23. Bien que cette présomption soit réfutable, aucune des exceptions à cette présomption n’est présente en l’espèce.

[23] Le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision. Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‐mêmes la question en litige : Vavilov, au para 83.

[24] La décision raisonnable est celle qui, d’une part, est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et qui, d’autre part, est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. La norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue envers une telle décision : Vavilov, au para 85.

[25] Avant de pouvoir infirmer une décision, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision : Vavilov, au para 100.

VI. Analyse

[26] Pour satisfaire aux exigences législatives permettant de renvoyer une affaire à la SPR afin qu’une nouvelle décision soit rendue, la SAR doit d’abord établir, conformément au paragraphe 111(2) de la LIPR, que la décision de la SPR était erronée en droit, en fait ou, encore, en droit et en fait.

[27] La SAR n’a tiré aucune conclusion à cet égard.

[28] Le ministre soutient que la SAR a outrepassé sa compétence au moment de rendre sa décision, car le paragraphe 111(2) de la LIPR ne s’appliquait pas.

[29] J’en conviens.

[30] La SAR a décidé de renvoyer l’affaire à un tribunal différemment constitué de la SPR au titre du paragraphe 111(1) de la LIPR. Toutefois, elle n’a pas tenu compte des conditions obligatoires énoncées au paragraphe 111(2).

[31] Le paragraphe 111(2) précise clairement que la SAR ne peut renvoyer une affaire à la SPR « que si elle estime, à la fois a) que la décision attaquée de la Section de la protection des réfugiés est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait; b) qu’elle ne peut confirmer la décision attaquée ou casser la décision et y substituer la décision qui aurait dû être rendue sans tenir une nouvelle audience en vue du réexamen des éléments de preuve qui ont été présentés à la Section de la protection des réfugiés » (Non souligné dans l’original).

[32] La SAR n’a tiré aucune conclusion au titre des alinéas 111(2)a) et b).

[33] Étant donné qu’elle a omis de tirer une telle conclusion, la SAR n’a pas pris en compte ni appliqué les contraintes juridiques auxquelles elle était assujettie avant de renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’une nouvelle décision soit rendue. La décision n’est donc pas raisonnable : Vavilov, au para 85.

VII. Conclusion

[34] Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie.

[35] La décision est annulée et l’appel est renvoyé à la Section d’appel des réfugiés pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

[36] Aucune question grave de portée générale n’a été soulevée par les parties et il n’en existe aucune à la lumière des faits en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3568-20

LA COUR STATUE :

  1. La demande est accueillie.

  2. La décision est annulée et l’appel est renvoyé à la Section d’appel des réfugiés pour nouvelle décision par un tribunal différemment constitué.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER :

IMM-3568-20

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c MUBASHAR HAYAT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 janvier 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 décembre 2022

 

COMPARUTIONS :

Idorenyin Udoh-Orok

 

Pour le demandeur

 

Nasir Maqsood

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Nasir Maqsood

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.