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Date : 20221222


Dossier : IMM-9581-21

Référence : 2022 CF 1788

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 22 décembre 2022

En présence de madame la juge Go

ENTRE :

SHARBIL ASHKAR

BREJET ASHKAR

ELINOR ASHKAR

NASER ASHKAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Sharbil Ashkar [le demandeur principal], Brejet Ashkar [l’épouse du demandeur principal] et leurs enfants mineurs Elinor et Naser [collectivement, les demandeurs] sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] confirmant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

[2] Les demandeurs sont des Arabes palestiniens de foi chrétienne. Ils sont citoyens d’Israël et résidaient dans ce pays avant d’arriver au Canada en 2018. Ils ont déposé une demande d’asile en avril 2019, en se fondant sur la crainte d’être persécutés par un acteur non étatique, MS, un musulman qui a pourchassé et menacé les demandeurs à la suite d’une dispute à propos de la religion avec le demandeur principal.

[3] Dans sa décision du 21 mai 2021, la SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs en raison de doutes quant à la crédibilité et au motif qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. En appel, la SAR a confirmé la décision de la SPR le 7 décembre 2021 et a établi que la question déterminante dans cette affaire était la protection de l’État [la décision]. La SAR a confirmé que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au titre les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Les demandeurs contestent la décision.

[4] Je rejetterai la demande, car je juge que la SAR a raisonnablement tranché la question de la protection de l’État.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[5] Les demandeurs reconnaissent que la SAR a mentionné le bon critère juridique concernant l’efficacité concrète, mais soutiennent qu’elle a échoué à l’appliquer. Ils soutiennent que la décision était déraisonnable, car la SAR (1) n’a pas appliqué le bon critère juridique pour évaluer la protection de l’État et (2)a négligé et mal interprété la preuve.

[6] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État en appliquant le bon critère juridique pour analyser la protection de l’État et en traitant correctement de la preuve dont elle disposait.

[7] Les parties conviennent que ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, comme le prévoit l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[8] Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, au para 85. La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif en question, du dossier dont le décideur était saisi et de l’impact de la décision sur les personnes touchées par ses conséquences : Vavilov, aux para 88-90, 94, 133-135.

[9] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer qu’elle contient des lacunes suffisamment capitales ou importantes : Vavilov, au para 100. Ce ne sont pas toutes les erreurs ou causes de préoccupation relevées dans une décision qui justifieront une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait de celui-ci : Vavilov, au para 125. Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ou constituer une « erreur mineure » : Vavilov, au para 100.

III. Analyse

A. La SAR a-t-elle appliqué le bon critère juridique en matière de protection de l’État?

[10] Selon les demandeurs, ils ont été la cible d’agressions perpétrées par MS et certains de ses comparses, y compris l’utilisation, à plusieurs reprises, de bombes assourdissantes visant leur domicile, à partir du 20 octobre 2018. Ils ont également décrit un incident au cours duquel MS est allé chercher les demandeurs mineurs à leur école le 22 octobre 2018. L’épouse du demandeur principal a signalé l’incident à la police, qui s’est rendue au domicile des demandeurs pour les interroger. Les policiers ont dit qu’ils examineraient l’affaire et sont revenus le soir même, déclarant qu’ils avaient parlé à MS, qui a nié toute responsabilité. Les policiers ont informé les demandeurs qu’ils ne pouvaient rien faire de plus. Ceux-ci n’ont plus jamais tenté de signaler des incidents à la police à la suite d’autres agressions survenues entre octobre et novembre 2018, et se sont plutôt enfuis au Canada.

[11] Dans sa décision, la SAR a conclu qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs fassent plus qu’une unique tentative pour épuiser tous les recours mis à leur disposition. La SAR s’est appuyée sur la preuve objective indiquant l’existence de mécanismes pour contester les actions ou les inactions de la police, ainsi que d’organisations de la société civile qui auraient pu aider les demandeurs à accéder à ces mécanismes. Comme les demandeurs n’ont pas fait d’efforts pour accéder aux mesures opérationnelles mises en place en Israël pour renforcer la responsabilité de la police, la SAR a conclu qu’ils n’ont pas pu démontrer que ces mesures étaient inefficaces.

[12] Les demandeurs soutiennent que le caractère efficace de la protection offerte par l’État doit être apprécié sur le plan opérationnel. Même si les efforts pour mettre en œuvre une telle protection sont pertinents, le décideur doit tenir compte de la capacité de l’État à mettre en œuvre des mesures de protection qui sont concrètes pour la ou les personnes concernées. À ce titre, les demandeurs soutiennent que le critère juridique ne consiste pas à établir quelles mesures ont été mises en place, mais plutôt jusqu’à quel point une personne est protégée : Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 [Magonza] aux para 71-75; AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237 au para 17; Poczkodi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 956 [Poczkodi] aux para 36, 37; Galamb c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1230 aux para 32, 33; Kovacs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 337 au para 71.

[13] Au lieu de mesurer l’efficacité concrète de la protection de l’État, les demandeurs soutiennent que la SAR s’est concentrée sur les mesures de protection de l’État prises par le gouvernement d’Israël pour rejeter l’affirmation des demandeurs selon laquelle l’État n’aurait pas la capacité ou la volonté de les protéger. Les demandeurs affirment que le fait d’avoir insisté à tort sur ce point a mené la SAR à se fonder sur le nombre de fois où ils ont sollicité la protection de l’État et à retenir ce nombre contre eux de manière déraisonnable.

[14] Les demandeurs affirment également que l’analyse hautement contextuelle de la protection de l’État diffère pour ce qui est des personnes ayant les mêmes origines ethniques et la même nationalité. Par conséquent, il est possible qu’un État qui offre habituellement une protection adéquate ne la fournisse pas à certains de ses citoyens : Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 367 [Lakatos] au para 22. Les demandeurs soutiennent que l’analyse contextuelle repose sur la situation personnelle des demandeurs d’asile, qui peut révéler des cas où il est « objectivement raisonnable pour un demandeur de ne prendre que des mesures limitées pour demander la protection de l’État, selon la capacité et la volonté de l’État d’offrir une protection » : Lakatos, au para 22, s’appuyant sur Poczkodi, au para 40 et sur Bozik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 961 [Bozik] aux para 29, 30.

[15] Les demandeurs soutiennent que la présente affaire représente un tel cas; en plus de tenir compte la nature démocratique et hautement développée de l’État d’Israël, la SAR devait également tenir compte de tous les aspects de la protection de l’État, y compris son échec bien documenté de la protection de sa population arabe.

[16] Plus précisément, les demandeurs sont en désaccord avec le recours de la SAR au rapport du Département d’État des États-Unis sur les pratiques en matière de droits de la personne pour Israël, la Cisjordanie et Gaza [le rapport des États-Unis], qui était inclus dans le cartable national de documentation [CND]. Dans sa décision, la SAR a cité le rapport des États-Unis pour conclure que le gouvernement israélien progressait dans sa lutte contre la discrimination à l’égard des citoyens arabes. Les demandeurs affirment que la SAR s’est indûment appuyée sur des éléments de preuve du CND pour conclure que, puisque l’État faisait des progrès, les demandeurs ne pouvaient pas établir qu’ils ne pourraient pas bénéficier de la protection de l’État.

[17] Les demandeurs se sont encore appuyés sur le paragraphe 75 de la décision Magonza pour démontrer que la Cour a mis en garde contre le fait d’insister sur les mesures prises plutôt que sur l’efficacité concrète de ces mesures lors de l’analyse de la protection de l’État. En se concentrant sur le fait que le gouvernement israélien avait pris des mesures pour lutter contre la discrimination à l’égard des Arabes israéliens et en jugeant que la protection de l’État était donc offerte, la SAR a conclu que l’unique tentative infructueuse des demandeurs pour recourir à la protection de l’État était insuffisante pour renverser la présomption.

[18] Je ne rejette pas l’observation présentée par les demandeurs selon laquelle l’analyse de la protection de l’État est très contextuelle ni l’affirmation voulant que même les États démocratiques très développés puissent fournir et fournissent souvent un niveau de protection différent à leurs citoyens en raison de discriminations fondées sur la race, la foi ou d’autres facteurs.

[19] En effet, la Cour a confirmé une fois de plus dans la décision Jaworowska c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 626, que l’appréciation du caractère adéquat de la protection de l’État est un exercice hautement factuel qui doit tenir compte de l’identité du demandeur. La Cour a déclaré au paragraphe 45 :

Le caractère adéquat de la protection de l’État dépend fortement des faits particuliers d’une affaire. Il est presque inévitable que le caractère adéquat de la protection offerte dans un pays soit lié à la situation du ou des demandeurs qui se trouvent devant le décideur et à leur capacité d’utiliser les ressources offertes par l’État. En général, le fait de conclure qu’un demandeur d’asile ne peut obtenir une protection adéquate de l’État n’établit pas si cette protection est adéquate pour d’autres demandeurs appartenant au même groupe ou segment de la population d’un pays. L’analyse de la protection de l’État est trop complexe pour se traduire par une réponse unique d’application générale. Un décideur doit commencer son analyse en examinant la nature de l’État en question et ses processus en matière de sécurité et de justice; ensuite, il examine l’efficacité opérationnelle de ces processus dans le contexte du groupe particulier auquel les demandeurs appartiennent, puis, il analyse la capacité des demandeurs d’asile en cause à se prévaloir de la protection offerte par l’État et les mesures qu’ils ont prises pour s’en prévaloir.

[Non souligné dans l’original.]

[20] Toutefois, en l’espèce, je ne suis pas convaincue que la SAR n’ait pas adopté une approche contextuelle, qu’elle n’ait pas pris acte de la discrimination à laquelle doivent faire face les Arabes israéliens ou qu’elle se soit concentrée à tort sur les efforts de l’État plutôt que sur l’efficacité concrète lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[21] Il est bien établi en droit que tous les demandeurs d’asile doivent démontrer que l’État est incapable de fournir la protection qu’ils lui demandent. Comme l’a fait valoir le défendeur, l’utilisation de la présomption de la protection de l’État comme point de départ découle de la raison d’être du régime international de protection des réfugiés, qui a été définie comme une « “protection auxiliaire ou supplétive” fournie uniquement en l’absence de protection nationale » : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward] au para 25.

[22] Réfuter la présomption de la protection de l’État nécessite une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer cette protection, qui n’a pas à être parfaite, mais adéquate : Ward, au para 57; Flores Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 19; Komatsia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 695 au para 12.

[23] Dans le contexte de l’espèce, la SAR a non seulement énoncé le bon critère juridique, mais elle a aussi apprécié de manière raisonnable l’efficacité concrète de la protection offerte par l’État sur le plan opérationnel conformément à l’analyse contextuelle exigée par la jurisprudence à cet égard.

[24] La SAR a reconnu l’existence de la discrimination à l’encontre de minorités telles que les chrétiens d’origine arabe en Israël. La SAR a également pris acte des éléments de preuve sur les conditions dans le pays démontrant la discrimination à l’encontre des communautés arabes en Israël, qui se traduit par des taux de criminalité plus élevés et des niveaux de confiance plus faibles envers la police. La SAR a jugé que ces éléments de preuve relatifs à la discrimination correspondaient à la position des demandeurs. Toutefois, elle a également souligné que le gouvernement israélien avait reconnu ces problèmes et pris des mesures ciblées pour y remédier.

[25] En citant le rapport des États-Unis, la SAR a mentionné certaines mesures adoptées par le gouvernement israélien, comme [traduction] « l’ouverture d’un certain nombre de nouveaux postes de police au sein des communautés arabes, l’amélioration de la communication en arabe, l’amélioration des services de police communautaires et une meilleure application de la loi ». La SAR a conclu que « [c]es éléments de preuve montrent que les autorités israéliennes déploient des efforts ciblés pour mettre en œuvre des mesures au niveau opérationnel afin d’accroître leur capacité à protéger les Arabes israéliens comme les [demandeurs] ». Le raisonnement de la SAR, à mon avis, confirme qu’elle a procédé à une appréciation de l’efficacité opérationnelle desdites mesures.

[26] Les demandeurs soutiennent également que l’affirmation selon laquelle les demandeurs d’asile doivent épuiser tous les recours mis à leur disposition avant de réfuter la présomption de la protection de l’État devrait être plus contextuelle. Les demandeurs s’appuient sur la décision Bozik, dans laquelle la Cour a annulé la décision d’un agent qui avait conclu que les demandeurs n’avaient pas épuisé tous les recours mis à leur disposition. La Cour a conclu que l’agent n’avait pas examiné les éléments de preuve sur les conditions dans le pays concernant le refus de la police hongroise d’aider les citoyens roms : Bozik, au para 31.

[27] Cependant, je souligne qu’au paragraphe 29 de la décision Bozik, la Cour fait référence au concept de « l’éventail démocratique » et déclare « [qu’u]n demandeur peut être tenu d’épuiser tous les recours dont il dispose dans les démocraties développées comme les États-Unis et Israël ».

[28] Le défendeur maintient que la SAR a appliqué correctement l’analyse de la protection de l’État en abordant, entre autres, la situation personnelle des demandeurs, et a ainsi adopté une approche contextuelle. Le défendeur s’appuie sur le paragraphe 33 de la décision Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 966 [Burai] pour démontrer qu’une approche contextuelle exige nécessairement que la SAR dispose de suffisamment d’éléments de preuve pour déterminer si la protection de l’État est adéquate dans chaque cas particulier.

[29] Dans la décision Burai, la Cour a passé en revue les nombreuses affaires dans lesquelles elle a accueilli ou rejeté les demandes de contrôle judiciaire après avoir tiré des conclusions relatives à la protection de l’État concernant des citoyens roms de Hongrie. Au paragraphe 33, la Cour a résumé :

Comme l’a déjà noté la Cour, la situation en Hongrie est difficile à jauger et l’appréciation du caractère adéquat de la protection de l’État dépendra de la preuve soumise dans chaque cas particulier. La protection de l’État sera parfois adéquate, parfois non (Ruszo 2018 au para 28; Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 316 au para 35; Molnar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 530 [Molnar] au para 105). Comme le démontrent les observations de M. Burai et de Mme Forgacs, il existe effectivement de nombreux précédents dans lesquels la Cour a accueilli des demandes de contrôle judiciaire et annulé des conclusions relatives à la protection de l’État à l’égard de citoyens roms de Hongrie et d’autres pays. Mais l’inverse est également vrai. En fin de compte, chaque affaire doit être examinée et tranchée selon ses propres faits et son bien‐fondé. Le point de départ est la décision même et la teneur véritable des motifs, en reconnaissant que c’est le décideur administratif qui a la principale responsabilité de tirer ce type de conclusions factuelles.

[Non souligné dans l’original.]

[30] Je juge que l’analyse de la Cour dans la décision Burai s’applique avec justesse en l’espèce. Les demandeurs ne m’ont pas convaincue que la SAR n’a pas appliqué le bon critère juridique. La SAR a pris acte du fait qu’il a été appliqué par rapport à la protection de l’État. Elle a pris conscience de la discrimination envers les Arabes israéliens, comme les demandeurs, à la lumière des éléments de preuve contenus dans le CND et a fait une appréciation raisonnable de l’efficacité concrète de la protection de l’État en se concentrant sur les mesures opérationnelles adoptées par l’État.

B. La SAR a-t-elle déraisonnablement répondu à la preuve ou mal interprété celle-ci dans sa conclusion relative à la protection de l’État?

[31] Les demandeurs font valoir que la SAR a déraisonnablement répondu à la preuve dont elle disposait, en relevant notamment trois erreurs.

[32] Premièrement, les demandeurs soutiennent que la SAR a appliqué de manière sélective des éléments de preuve contenus dans un même document. Les demandeurs font référence au recours de la SAR au rapport des États-Unis pour conclure qu’il y avait une protection adéquate de l’État en Israël en raison des mesures visant à lutter contre la discrimination à l’encontre des Arabes israéliens. Cependant, les demandeurs font remarquer que ce même rapport contient des éléments de preuve contradictoires détaillant l’insuffisance de la protection de l’État envers les chrétiens d’origine arabe en Israël. Ils soulignent un extrait qui mentionne que les minorités telles que les chrétiens d’origine arabe continuent de se heurter à des niveaux élevés de criminalité et de violence, une situation causée, entre autres, par le faible niveau du maintien de l’ordre.

[traduction]

Il y a eu de nombreux cas de profilage racial de citoyens arabes par des services de sécurité ou par d’autres citoyens. Certains dirigeants de la société civile arabe ont décrit l’attitude du gouvernement à l’égard de la minorité arabe comme étant ambivalente; d’autres ont relevé des exemples où les dirigeants politiques israéliens ont encouragé le racisme à l’égard de la communauté arabe ou l’ont présentée comme une ennemie.

[33] Deuxièmement, les demandeurs contestent le traitement par la SAR d’un article présenté comme nouvel élément de preuve [l’article], qui, selon les demandeurs, démontre [traduction] « l’intimidation et les représailles policières constantes à l’encontre des Arabes israéliens ». L’article décrit les arrestations de plus de 1 000 personnes à la suite du conflit entre Israël et le Hamas, dont une grande majorité était d’origine arabe israélienne. L’article donne à penser que ces arrestations étaient discriminatoires et équivalaient à une campagne d’intimidation et de représailles contre les Arabes israéliens.

[34] À l’audience, les demandeurs ont ajouté un autre moyen, faisant référence à un courriel qu’ils ont reçu d’un membre de la famille prétendant que la police [traduction] « n’a[vait] rien fait » à la suite d’une attaque visant son domicile. Les demandeurs soutiennent que cela constituait un élément de « preuve » démontrant que d’autres personnes dans la même situation qu’eux avaient été laissées pour compte par la police israélienne. Je note cependant que la SAR avait jugé le courriel inadmissible en tant que nouvel élément de preuve parce que l’identité de l’expéditeur n’avait pas pu être confirmée. Les demandeurs n’ont jamais contesté le refus de la SAR d’admettre ce nouvel élément de preuve, et il est inapproprié pour eux de l’invoquer dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire.

[35] Quoi qu’il en soit, je ne trouve aucune erreur dans l’examen de la preuve fait par la SAR. Au contraire, je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que le passage du rapport des États-Unis sur lequel les demandeurs se sont appuyés ne contredit pas la conclusion de la SAR. Il leur incombait de fournir une preuve « claire et convaincante » que la police israélienne aurait refusé ou aurait été dans l’incapacité de les protéger. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de juger que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État uniquement parce que la police n’avait pas arrêté MS après que les demandeurs s’étaient rendus qu’une seule fois à la police et parce qu’il existe une discrimination sociétale à l’encontre des Arabes en Israël.

[36] Je juge aussi que la SAR a raisonnablement apprécié l’article et conclu qu’il n’a pas démontré que les demandeurs n’avaient pas accès à une protection de l’État adéquate en Israël. La SAR a souligné le contexte dans lequel les arrestations ont été menées, à savoir que la plupart d’entre elles sont survenues lors de manifestations politiques. Ainsi, la SAR a jugé que les inconduites policières alléguées étaient dirigées vers les participants aux manifestations politiques plutôt que vers la population arabe israélienne en général, et que les demandeurs n’avaient pas affirmé avoir participé à des manifestations politiques. Pour ces motifs, la SAR a jugé que l’article n’était pas convaincant sur la manière dont les autorités israéliennes traitaient les citoyens qui s’adressaient à elles pour obtenir une protection en tant que victimes de crimes. Elle a conclu que l’identité arabe israélienne des demandeurs n’était pas suffisante pour établir qu’ils sont exposés à un risque sérieux d’être persécutés par la police.

[37] À part affirmer que l’article confirme que les Arabes israéliens comme eux ne peuvent pas s’attendre à obtenir une protection de l’État adéquate auprès de la police, les demandeurs n’expliquent pas pourquoi l’analyse de la SAR concernant l’article était déraisonnable. Je ne juge pas non plus qu’il y ait lieu de modifier les conclusions de la SAR en appliquant la norme de la décision raisonnable.

[38] Bien qu’un autre décideur aurait pu parvenir à une conclusion différente sur la question de la protection de l’État pour les Arabes en Israël avec un ensemble de faits différent, à la lumière de l’analyse effectuée par la SAR dans la présente espèce avec la preuve dont elle disposait, je ne peux conclure que la décision était déraisonnable.

[39] La SAR a examiné la situation des demandeurs et la preuve documentaire, notamment en ce qui concerne le traitement de la population arabe israélienne par la police, et a procédé à une analyse détaillée et approfondie fondée sur le dossier. Par conséquent, la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Vavilov, au para 86.

IV. Conclusion

[40] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[41] Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-9581-21

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Avvy Yao-Yao Go »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-9581-21

 

INTITULÉ :

SHARBIL ASHKAR, BREJET ASHKAR, ELINOR ASHKAR, NASER ASHKAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 NOVEMBRE 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GO

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2022

 

COMPARUTIONS :

Tatiana Gulyaeva

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Tatiana Gulyaeva

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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