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Date : 20230104


Dossier : IMM-8795-21

Référence : 2023 CF 8

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

AHMAD, Rauf

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Rauf Ahmad, citoyen du Pakistan, demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 12 novembre 2021, qui accueille la demande de constat de perte d’asile du demandeur, déposée par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre], en application du paragraphe 108(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La SPR a examiné les éléments de preuve concernant l’utilisation par M. Ahmad de son passeport pakistanais – acquis après avoir obtenu l’asile au Canada – pour retourner au Pakistan à cinq reprises, entre 2008 et 2014, et elle a établi que le critère à trois volets, énoncé dans la décision Nsende c Canada, 2008 CF 531, au para 13, avait été rempli et que M. Ahmad s’était réclamé de nouveau et volontairement de la protection du Pakistan, aux termes de l’alinéa 108(1)a) de la Loi. Par conséquent, en application du paragraphe 108(3) de la Loi, le constat a été assimilé au rejet de la demande d’asile de M. Ahmad.

[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SPR est déraisonnable. En l’espèce, la question déterminante portait sur la façon dont la SPR, dans sa décision quant au deuxième volet du critère relatif au fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine, a évalué la motivation de M. Ahmad à acquérir un passeport pakistanais et à voyager au Pakistan, à savoir si M. Ahmad avait l’intention, par ses actions, de se réclamer de nouveau de la protection du Pakistan. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Galindo Camayo, 2022 CAF 50 [Camayo], la Cour d’appel fédérale a récemment traité de la façon dont l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine doit être évaluée et elle a énoncé une série de facteurs que la SPR pourrait prendre en considération lorsqu’elle évalue l’élément subjectif de l’intention.

[3] En l’espèce, M. Ahmad a fourni divers motifs qui indiquaient sa motivation de voyager au Pakistan. Cependant, à part avoir énuméré ces motifs et les observations de M. Ahmad, au début de sa décision, la SPR n’a pas suffisamment tenu compte de ces motifs pour évaluer correctement l’intention subjective de M. Ahmad, ce qui va à l’encontre de ce que l’arrêt Camayo de la Cour d’appel fédérale nous enseigne. En toute justice, l’affaire Camayo a été jugée après que la SPR a rendu la décision qui fait l’objet de la présente demande. Cependant, le raisonnement de la SPR, qui m’est présenté, doit être évalué à la lumière de la décision rendue récemment par la Cour d’appel fédérale. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

II. Faits et décisions sous-jacentes

[4] M. Ahmad est arrivé au Canada en juillet 2005 et a demandé d’asile, car un imam fondamentaliste sunnite, qui vivait dans les environs de son village, l’avait accusé de blasphème et parce qu’il était recherché en raison du rôle actif qu’il jouait dans la promotion de l’islam chiite. En avril 2006, la SPR a accueilli la demande d’asile de M. Ahmad et ce dernier est devenu résident permanent du Canada en février 2007. Environ cinq mois plus tard, en juillet 2007, M. Ahmad a demandé et obtenu un nouveau passeport pakistanais et, en janvier 2008, il s’en est servi pour se rendre au Pakistan, où il est resté jusqu’en mai 2008. Son voyage aurait été motivé par son intention de régler un différend avec son frère relatif à un héritage, à la suite du décès de leur père.

[5] M. Ahmad a continué à aller au Pakistan au cours des années qui ont suivi : en janvier 2009, il a obtenu la prorogation de la validité de son passeport pakistanais et il s’est rendu au Pakistan, où il est resté pendant près de quatre mois. Il a voyagé de nouveau au Pakistan en utilisant son passeport pakistanais de juin à septembre 2010. Selon M. Ahmad, il a dû effectuer ces deux voyages en raison du mauvais état de santé de sa femme, qui souffrait de dépression.

[6] Après avoir demandé une nouvelle prorogation de la validité de son passeport pakistanais en juillet 2012 et avoir réussi à parrainer sa famille, qui a obtenu la résidence permanente au Canada, M. Ahmad est retourné au Pakistan pour la quatrième fois en octobre 2012, où il est resté pendant près d’un mois pour, selon lui, aider sa famille à venir au Canada. Enfin, après avoir reçu un nouveau passeport pakistanais en juillet 2013 et alors que sa famille se trouvait déjà au Canada, M. Ahmad a accompagné sa fille au Pakistan en mai 2014, où elle devait se marier. Il y est resté pendant près d’un mois et il a assisté au mariage.

[7] En outre, depuis 2017, M. Ahmad a utilisé plusieurs fois son passeport pakistanais pour se rendre aux États-Unis, afin de travailler en tant que conducteur de grand routier.

[8] Le 5 septembre 2018, plus de onze ans après que M. Ahmad a d’abord obtenu la résidence permanente au Canada, le ministre a présenté à la SPR, en application du paragraphe 108(2) de la Loi, une demande de constat de la perte d’asile de M. Ahmad, au motif que ce dernier s’était réclamé de nouveau de la protection diplomatique du Pakistan, comme l’attestent ses multiples voyages aller-retour à l’aide de son passeport pakistanais; c’est la protection diplomatique – qui se distingue de la protection de l’État et qui découle des motifs pour lesquels une demande d’asile est présentée – qui s’applique dans les cas de perte d’asile (Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1060, au para 60). Le ministre affirme qu’il lui est loisible de se fonder sur la présomption d’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine qui a été établie lorsque M. Ahmad a obtenu et renouvelé son passeport pakistanais, moment où il appartenait à M. Ahmad d’établir qu’il ne s’était pas, en fait, réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459, au para 42 [Li]); en l’espèce, le ministre a fait valoir que les motifs fournis par M. Ahmad, pour justifier ses voyages au Pakistan, ne changeaient pas le caractère volontaire de sa conduite (Cabrera Cadena c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 67, au para 22) et qu’ils ne suffisaient pas pour établir que les voyages étaient absolument nécessaires dans les circonstances pour réfuter la présomption d’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine.

[9] Dans sa décision, la SPR a souligné que M. Ahmad, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait demandé un passeport pakistanais en juillet 2007, a déclaré, durant son témoignage, qu’il l’avait fait parce qu’il cherchait un outil lui permettant de voyager et de protéger sa famille – un titre de voyage canadien l’aurait empêché de se rendre au Pakistan. Plus précisément, M. Ahmad a expliqué que son père, en tant qu’homme, avait joué un rôle de protecteur pour sa femme et ses enfants, après que M. Ahmad avait quitté le Pakistan en 2005. Cependant, depuis le décès de son père en 2006, sa femme et ses enfants ne bénéficiaient d’aucune protection masculine et M. Ahmad a déclaré que l’objectif de son voyage au Pakistan en 2008 était en fait de leur assurer cette protection. La SPR a établi que si le motif impérieux de son retour au Pakistan, après la mort de son père, était la protection de sa famille, M. Ahmad n’aurait pas attendu 18 mois après le décès de son père pour retourner au Pakistan et il s’y serait en fait rendu plus souvent qu’il ne l’a fait.

[10] Lorsqu’elle a évalué la nature de chacun des voyages au Pakistan de M. Ahmad, la SPR a été disposée à accepter que M. Ahmad ait été contraint d’effectuer son premier voyage en 2008, en partie parce qu’il devait régler le différend relatif à l’héritage, mais elle n’a pas accepté le fait que des circonstances particulières ont obligé M. Ahmad à retourner dans son pays les quatre autres fois, et surtout la cinquième fois, lorsqu’il s’est rendu au Pakistan pour le mariage de sa fille. En ce qui concerne les deuxième et troisième voyages – que l’état de santé de la femme de M. Ahmad a censément rendus nécessaires – la SPR a fait remarquer que la maladie de sa femme n’a été invoquée comme le motif de son absence du Canada ni dans le questionnaire sur la résidence, qu’il a rempli lors de sa demande de citoyenneté de 2013 ni dans sa demande de carte de résident permanent de 2016, dans lesquels il a indiqué, respectivement, que des « vacances » et une « visite familiale » ont motivé son voyage au Pakistan. En outre, bien que la SPR admette que la femme de M. Ahmad a pu souffrir de dépression et que M. Ahmad a joué un rôle de soutien lorsqu’elle a été hospitalisée, la SPR a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve convaincant attestant que la présence de M. Ahmad était absolument nécessaire pour les soins que sa femme recevait.

[11] La SPR a ensuite examiné le quatrième voyage que M. Ahmad aurait effectué afin d’aider sa famille à organiser son voyage au Canada. Lorsque la SPR a demandé si sa présence au Pakistan à cette occasion était absolument nécessaire, M. Ahmad a témoigné que, même si sa vie était toujours en danger dans sa communauté d’origine, il était extrêmement préoccupé par ce qui pourrait arriver à sa femme et à ses enfants. De plus, il ne voulait pas que sa femme s’effondre éventuellement à l’aéroport. La SPR a toutefois noté que M. Ahmad avait auparavant témoigné que sa sœur, le mari de celle-ci et le frère de sa femme avaient accompagné sa famille à l’aéroport. La SPR a ainsi conclu que sa femme et ses enfants bénéficiaient d’un soutien familial plus que suffisant, de sorte que la présence de M. Ahmad au Pakistan n’était pas absolument nécessaire.

[12] La SPR a constaté que le cinquième et dernier voyage de M. Ahmad au Pakistan a eu lieu du 2 mai au 3 juin 2014, après l’arrivée de sa famille au Canada. M. Ahmad a témoigné qu’il était au départ prévu que sa femme fasse le voyage et accompagne leur fille pour son mariage, mais que sa femme avait dû rester au Canada, car leur fils s’était cassé le bras et avait besoin de recevoir des soins hospitaliers à Toronto. Il a également déclaré que sa fille, qui n’avait jamais voyagé seule, ne pouvait pas se rendre au Pakistan sans être accompagnée. La SPR a noté que, selon le témoignage de M. Ahmad, 2 000 personnes ont assisté au mariage et que, lorsqu’on lui a demandé s’il était inquiet qu’un agent de persécution apprenne sa présence au Pakistan, M. Ahmad a répondu qu’il n’y voyait aucun danger.

[13] La SPR a organisé son analyse en se fondant sur les trois conditions énoncées au paragraphe 119 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR, 2019, Document ONU HCR/1P/4/FRE/REV (Genève, 2019) [le Guide du HCR], du Haut Commissariat des Nations Unies, ainsi que sur la jurisprudence pertinente, pour évaluer la demande du ministre en application de l’alinéa 108(1)a) de la Loi – à savoir si M. Ahmad : a) a agi volontairement; b) avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection diplomatique du Pakistan; et c) s’est en fait réclamé de nouveau de la protection diplomatique du Pakistan.

[14] En ce qui a trait à la première condition, la SPR a établi que la prépondérance de la preuve établissait que M. Ahmad avait agi volontairement, étant donné qu’aucune autorité ne l’avait contraint à renouveler son passeport ou à retourner au Pakistan. En outre, M. Ahmad n’avait pas montré que l’état de santé de sa femme faisait partie des circonstances prévues au paragraphe 125 du Guide du HCR et il n’avait présenté aucun élément de preuve convaincant attestant que la santé mentale de sa femme l’avait obligé à retourner au Pakistan en 2009 et en 2010. En outre, la SPR a estimé que la durée de ses voyages et le fait qu’il avait réservé des billets d’avion de retour révélaient que ces voyages ont en fait été organisés à l’avance. Selon la SPR, cela supposait en outre que ses voyages, plutôt que de résulter d’une urgence, qui les aurait rendus nécessaires, ont plus probablement simplement été effectués en vue de « rendre visite à la famille », ce qui est cohérent avec la façon dont il a décrit les voyages dans ses documents d’immigration de 2013 et de 2016.

[15] En ce qui a trait à la deuxième condition, la SPR a conclu que M. Ahmad, en utilisant son passeport à de multiples reprises, pour entrer au Pakistan et en ressortir, avait démontré qu’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine. Ce faisant, au Pakistan, M. Ahmad s’est présenté comme l’un des citoyens de ce pays et non comme une personne protégée du Canada. Puisqu’il avait l’intention de voyager au Pakistan, seules l’obtention et l’utilisation d’un passeport pakistanais lui permettraient d’accomplir ses diverses missions une fois là-bas.

[16] La SPR a reconnu qu’il y avait des éléments de preuve indiquant que M. Ahmad a pris des précautions pour éviter son agent de persécution, en ne retournant pas dans sa communauté d’origine, à Chak‑19, où l’imam vivait également, et en restant à Sargodha, à quelque 75 kilomètres de Chak-19. Elle a toutefois constaté que l’information contenue dans son questionnaire sur la résidence de 2013, dans lequel M. Ahmad a indiqué qu’il est resté à Chak-19 au cours de ses trois premiers voyages au Pakistan, contredisait ces éléments de preuve. La SPR a aussi établi qu’au cours de son premier voyage en 2008, M. Ahmad a été tenu de se présenter en personne au panchayat (conseil de village ou tribune publique) afin d’obtenir son héritage, qu’il s’est rendu avec sa femme dans au moins deux hôpitaux publics, pendant qu’il était au Pakistan en 2009 et 2010 et qu’il a assisté au mariage très public d’un membre de sa famille en 2014. La SPR a constaté que tous ces événements se sont produits dans la même région géographique générale au Pakistan et elle a présumé que si l’agent de persécution de M. Ahmad, du fait de ses nombreux contacts au Pakistan, était aussi puissant et « omniscient » que ce qu’il était censé être, on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que l’imam fondamentaliste sunnite, qui vivait dans les environs de son village et qui l’avait accusé de blasphème, ait eu connaissance de la présence de M. Ahmad, notamment soit lors du panchayat en 2008, soit lors du mariage public de sa fille en 2014. En fin de compte, la SPR a jugé que les efforts déployés par M. Ahmad, pour éviter que son agent de persécution ne le retrouve, étaient tout au plus minimes.

[17] En outre, la SPR s’est penchée sur l’affirmation de M. Ahmad, selon laquelle les retards administratifs liés au traitement en cours de la demande de résidence permanente de sa famille, qui ont retardé sa réunion avec sa famille au Canada, ont justifié qu’il retourne dans son pays en 2008, 2009 et 2010 et que, par conséquent, ces voyages ne pouvaient pas être considérés comme une preuve de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine. La SPR a conclu qu’aucun élément de preuve sur la question de sa demande visant à parrainer la venue de sa famille au Canada n’a été fourni et que cette question n’a été traitée qu’indirectement dans son affidavit. La SPR a constaté que M. Ahmad a quitté le Pakistan en 2005, qu’il a obtenu l’asile en 2006 et qu’à l’époque, il était libre de présenter sa demande de résidence permanente en y ajoutant les membres de sa famille ou de les parrainer à une date ultérieure. La SPR a déclaré qu’on sait seulement, à partir du dossier de M. Ahmad, qu’à un certain moment avant le retour de M. Ahmad au Pakistan en 2012, des visas d’immigrant ont été délivrés aux membres de sa famille. Il est évident que la SPR n’a pas cru M. Ahmad, lorsqu’il a déclaré avoir tenté de parrainer sa famille en même temps qu’il a lui-même présenté une demande de résidence permanente en 2006. La SPR a plutôt conclu que si un demandeur d’asile choisit de retarder l’arrivée de sa famille au Canada, il est alors rendu en partie responsable de tout retard et que ce retard, à lui seul, ne crée pas de circonstances spéciales l’autorisant à rejoindre le lieu où il a été persécuté.

[18] En ce qui a trait à la troisième condition, la SPR a conclu que M. Ahmad, en s’en remettant aux services consulaires du Pakistan et en entrant dans ce pays à plusieurs reprises, avait en fait obtenu la protection diplomatique du Pakistan. La SPR a aussi conclu que M. Ahmad, en se rendant au Pakistan, puis aux États-Unis, aux fins d’emploi, s’était présenté comme un citoyen du Pakistan et non comme une personne protégée du Canada. Elle a également établi, contrairement aux observations de l’avocat de M. Ahmad, que pour qu’une personne obtienne une protection diplomatique à l’étranger, un passeport lui est délivré. Cette protection lui est accordée en raison du passeport.

III. Cadre législatif

[19] Le paragraphe 108(1) de la Loi est rédigé comme suit :

Rejet

Rejection

108(1) Est rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger dans tel des cas suivants :

108(1) A claim for refugee protection shall be rejected, and a person is not a Convention refugee or a person in need of protection, in any of the following circumstances:

a) il se réclame de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité;

(a) the person has voluntarily reavailed themselves of the protection of their country of nationality;

[…]

e) les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus.

(e) the reasons for which the person sought refugee protection have ceased to exist.

Perte de l’asile

Cessation of refugee protection

(2) L’asile visé au paragraphe 95(1) est perdu, à la demande du ministre, sur constat par la Section de protection des réfugiés, de tels des faits mentionnés au paragraphe (1).

(2) On application by the Minister, the Refugee Protection Division may determine that refugee protection referred to in subsection 95(1) has ceased for any of the reasons described in subsection (1).

Effet de la décision

Effect of decision

(3) Le constat est assimilé au rejet de la demande d’asile.

(3) If the application is allowed, the claim of the person is deemed to be rejected.

[…]

[20] Le Canada est un pays signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [la Convention sur les réfugiés]. L’article 1A de la Convention sur les réfugiés définit le terme « réfugié » et indique que la définition du terme « réfugié au sens de la Convention » a été incorporée à la loi canadienne, en application de l’article 96 de la Loi. Les conditions aux termes desquelles une personne cesse d’être un réfugié sont énoncées aux paragraphes 1C(1) à (6) de la Convention sur les réfugiés, qui sont souvent qualifiés de clauses de cessation, et sont exposées à l’article 108 de la Loi. L’article 1C dispose que « [c]ette Convention cessera, dans les cas ci-après, d’être applicable à toute personne visée par les dispositions de la section A ci-dessus : (1) Si elle s’est volontairement réclamée à nouveau de la protection du pays dont elle a la nationalité », ce qui correspond à l’alinéa 108(1)a) de la Loi.

[21] Le paragraphe 119 du Guide du HCR énonce les trois conditions à prendre en considération pour déterminer s’il y a eu perte d’asile au titre du paragraphe 1C(1) de la Convention :

a) la volonté : le réfugié doit avoir agi volontairement;

b) l’intention : le réfugié doit avoir accompli intentionnellement l’acte par lequel il s’est réclamé à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité;

c) le succès de l’action : le réfugié doit avoir effectivement obtenu cette protection.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[22] La seule question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la SPR est raisonnable. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux para 16, 17, 23 [Vavilov]). Notre Cour ne devrait intervenir que si la décision faisant l’objet du contrôle ne possède pas « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » et si la décision n’est pas justifiée « au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au para 99).

[23] En outre, lorsque la décision a des répercussions considérables sur la personne visée, comme cela est le cas lorsque la conséquence d’une décision est la perte de l’asile, la faculté d’adaptation de la décision doit refléter ces enjeux (Vavilov, au para 133; Camayo, au para 50). En fin de compte, et comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Camayo, au para 57, « dans les cas où le décideur administratif doit examiner le sens approprié d’une disposition législative, la cour de révision doit être convaincue que le décideur administratif est “conscient [implicitement ou explicitement] de[s] éléments essentiels” du texte, du contexte et de l’objet et qu’il a pris en compte au moins “les aspects principaux du texte, du contexte [et] de l’objet” » (Vavilov, aux para 120-122; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Mason, 2021 CAF 156, au para 42).

V. Discussion

[24] Comme il a été mentionné précédemment, la décision de la SPR a été rendue le 12 novembre 2021. Environ quatre mois plus tard, le 29 mars 2022, la Cour d’appel fédérale a rendu l’arrêt Camayo qui, selon elle, a été la première occasion de traiter un cas de perte d’asile, depuis la décision Vavilov de la Cour suprême.

[25] Dans l’arrêt Camayo, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé le critère énoncé dans le Guide du HCR. Ce critère, par lequel elle n’était pas nécessairement liée et qui permettait de déterminer s’il y avait eu perte d’asile, comporte trois volets qui sont la volonté, l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine et le fait de se réclamer effectivement de nouveau de cette protection. Elle a aussi réaffirmé le principe contenu dans le Guide du HCR voulant qu’« il existe une présomption selon laquelle les réfugiés qui acquièrent des passeports délivrés par leur pays de nationalité et les utilisent pour se rendre dans ce pays ou dans un pays tiers ont eu l’intention de se réclamer de la protection de leur pays de nationalité » (Camayo, au para 63; Abadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 29, au para 16 [Abadi]; Mayell c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 139, au para 12 [Mayell]).

[26] Devant la Cour, M. Ahmad a admis que la demande et l’obtention de son passeport pakistanais, ainsi que ses voyages au Pakistan, étaient volontaires. Par conséquent, le premier volet du critère relatif au fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine a été rempli.

[27] Comme je l’ai mentionné plus tôt, la question déterminante en l’espèce porte sur le deuxième volet du critère relatif au fait de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine, à savoir l’établissement de l’élément subjectif de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine. Les parties ont soulevé deux éléments inhérents à l’évaluation de l’élément de l’intention, le premier étant la force de la présomption, qui pourrait exister en faveur d’une conclusion concernant le fait que le demandeur s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine, et le deuxième étant les facteurs qu’un décideur devrait prendre en considération au moment d’évaluer si la présomption a été réfutée.

[28] Sur cette question, M. Ahmad admet que, bien que la demande d’un passeport du Pakistan puisse créer, en droit, la présomption selon laquelle il s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine, cette présomption est facilement réfutée. Il affirme qu’une conclusion de perte d’asile exige la preuve de l’intention d’un réfugié de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine avant que sa présence effective dans un pays n’annule son statut de réfugié, ce qui implique essentiellement un lourd fardeau pour le ministre à qui il incomberait d’en faire la preuve. Ainsi, les éléments de preuve qui se limitent à l’obtention et à l’utilisation d’un passeport provenant du pays d’origine d’un réfugié ne peuvent pas, à eux seuls, être interprétés de façon à créer une forte présomption en faveur de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine et « un séjour temporaire par un réfugié dans le pays où il craint la persécution, alors qu’il n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente, ne devrait pas impliquer la perte du statut de réfugié » (Camargo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1434, au para 35 [Camargo]; Abawaji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1065, au para 15 [Abawaji]; Chitsinde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1066, au para 39 [Chitsinde]).

[29] Je ne peux être d’accord avec M. Ahmad. La présomption qui est créée lorsqu’un réfugié obtient un passeport délivré par le pays dont il a la nationalité et qu’il se rend dans ce pays est, en fait, une présomption factuelle en faveur de l’élément subjectif de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de ce pays. Cette présomption est bien évidemment réfutable (Mayell, au para 12). Il n’est toutefois pas très logique d’enjoindre au ministre de déterminer l’élément subjectif de l’intention, en plus de tirer parti de la présomption. Quoi qu’il en soit, il faut garder à l’esprit que les décisions Camargo, Abawaji et Chitsinde concernaient toutes des demandes d’asile et la question n’était pas de savoir si les demandeurs s’étaient réclamés de la protection de leur pays, après avoir obtenu l’asile, mais plutôt si leur retour dans le pays dont ils avaient la nationalité – le pays dans lequel ils craignaient d’être persécutés – avant de venir au Canada pour faire une demande d’asile, correspondait à un comportement incompatible avec celui de personnes craignant d’être persécutées. En l’espèce, tant le contexte que la question sont très différents.

[30] La présomption est qualifiée de « particulièrement forte » dans le cas où le réfugié voyage dans le pays dont il a la nationalité en utilisant le passeport délivré par ce pays. Dans la décision Abadi, le juge Fothergill a déclaré ceci :

[16] À mon sens, la SPR a appliqué correctement le critère relatif au point de savoir si l’on s’est réclamé à nouveau de la protection du pays de sa nationalité, et c’est de manière raisonnable qu’elle a conclu que M. Shamsi n’avait pas réfuté la présomption voulant qu’il eût l’intention de se réclamer à nouveau de la protection de l’Iran en se faisant délivrer un passeport iranien et en se rendant dans ce pays. Le réfugié qui demande et obtient un passeport du pays dont il a la nationalité est présumé avoir eu l’intention de se réclamer à nouveau de la protection diplomatique de ce pays; voir Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, au paragraphe 121 [le Guide relatif aux réfugiés]; et Nsende c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 531, au paragraphe 14). La présomption que le réfugié se réclame à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité est particulièrement forte dans le cas où il utilise son passeport national pour se rendre dans ce pays. Selon certains juristes, ce fait rendrait même la présomption irréfragable; voir Guy Goodwinn‑Gill et Jane McAdam, The Refugee in International Law, 3e édition, à la page 136.

[17] Cependant, l’opinion dominante est que la présomption susdite peut être réfutée par une preuve contraire; voir le Guide relatif aux réfugiés, au paragraphe 122. La charge pèse sur le réfugié de produire des éléments de preuve qui suffisent à cette réfutation; voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Nilam, 2015 CF 1154, au paragraphe 26 [Nilam], où l’on cite le paragraphe 42 de Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459.

[Non souligné dans l’original.]

[Voir aussi Seid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1167 au para 14 [Seid]; Hamid v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 FC 1541 au para 15 [Hamid])]

[31] Dans l’arrêt Camayo, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

[63] Comme je l’ai mentionné précédemment, il existe une présomption selon laquelle les réfugiés qui acquièrent des passeports délivrés par leur pays de nationalité et les utilisent pour se rendre dans ce pays ou dans un pays tiers ont eu l’intention de se réclamer de la protection de leur pays de nationalité. En effet, le passeport permet à son titulaire de voyager sous la protection du pays qui l’a délivré. Cette présomption est encore plus forte lorsque les réfugiés retournent dans leur pays de nationalité, car non seulement ils se placent sous la protection diplomatique pendant leur voyage, mais ils confient également leur sécurité aux autorités gouvernementales à leur arrivée.

[…]

[65] La jurisprudence contraignante de la Cour fédérale indique toutefois que la présomption est réfutable. Il incombe au réfugié de produire une preuve suffisante pour réfuter la présomption selon laquelle il s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Nilam, 2015 CF 1154, au para. 26; Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 459, au para. 42).

[Non souligné dans l’original.]

[32] À mon avis, si le fait pour un réfugié de se rendre dans le pays dont il a la nationalité sous le couvert d’un passeport délivré par ce même pays rend la présomption, selon laquelle il s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine, « encore plus forte », cette présomption était déjà forte lorsque le réfugié avait simplement obtenu le passeport et voyagé avec celui-ci. Comme l’a déclaré le juge Barnes dans la décision Ortiz Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1346 [Ortiz], « [u]ne nouvelle réclamation de la protection de l’État tend habituellement à indiquer une absence de risque ou une absence de crainte subjective de persécution. En l’absence de motifs impérieux, les gens n’abandonnent pas des refuges pour retourner dans des endroits où leur sécurité personnelle est menacée » : au para 8 (jugement cité avec approbation dans l’arrêt Camayo, au para 64).

[33] Cela dit, la présomption étant réfutable, tout dépend de la quantité d’éléments de preuve qui est nécessaire pour faire pencher la balance d’une façon inédite. Dans la décision Li, le juge O’Reilly a bien formulé la question de la manière suivante :

[39] La présomption selon laquelle une personne s’est réclamée à nouveau de la protection de son pays d’origine est de nature factuelle. La preuve qu’une personne a obtenu un passeport crée une présomption selon laquelle cette personne s’est réclamée à nouveau de la protection de l’État qui lui a délivré son passeport. Cependant, comme il a été mentionné ci-dessus, ce n’est pas la classification de la présomption qui compte réellement. La véritable question a trait à la quantité d’éléments de preuve qui sont requis afin de réfuter ladite présomption.

[…]

[42] Il incombe au ministre de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la personne s’est réclamée à nouveau de la protection de son pays d’origine. Pour ce faire, il est loisible au ministre de se fonder sur cette présomption en établissant que le réfugié a obtenu ou renouvelé un passeport de son pays d’origine. Une fois que cela a été établi, il incombe au réfugié de montrer qu’il ne cherchait pas réellement à se réclamer de la protection de son pays d’origine. Comme il ressort du Guide du HCR, s’il existe une preuve qu’un réfugié a obtenu ou renouvelé un passeport « il sera présumé, en l’absence d’éléments de preuve contraires, avoir voulu se réclamer à nouveau de la protection du pays dont il a la nationalité » (paragraphe 121).

[43] M. Li se fonde sur une déclaration d’un article juridique sur le constat de perte de l’asile dans lequel les auteurs écrivent : [traduction] « il convient d’accorder le bénéfice du doute au réfugié, car cela concorde avec l’interprétation stricte à donner aux dispositions relatives à la perte de l’asile » (Joan Fitzpatrick et Rafael Bonoan, « Cessation of Refugee Protection » dans l’ouvrage commun d’Erika Feller, Volker Türk et Frances Nicholson, Refugee Protection in International Law : UNHCR’s Global Consultations on International Protection, New York : Cambridge University Press, 2003, aux pages 491 à 525). Cependant, au-dessus de cette déclaration, les auteurs citent en fait le Guide du HCR, qui fait manifestement peser sur les réfugiés le fardeau juridique de réfuter, selon la prépondérance des probabilités, la présomption qu’ils se sont réclamés à nouveau de la protection de leur pays d’origine. Dans ce contexte, je considère que les auteurs veulent dire qu’il y a lieu d’accorder aux réfugiés le bénéfice du doute quant à savoir s’ils ont réfuté la présomption. Les auteurs ne disent pas que les réfugiés ont simplement à soulever un doute quant au fait qu’ils se sont réclamés à nouveau de la protection de leur pays d’origine.

[Non souligné dans l’original.]

[34] Pour déterminer s’il existait « une preuve suffisante pour réfuter la présomption selon laquelle il s’est réclamé de nouveau de la protection de son pays d’origine », il incombait à la SPR de procéder à une évaluation individualisée de tous les éléments de preuve dont elle disposait, y compris les éléments de preuve produits par M. Ahmad quant à son intention subjective, pour déterminer si la présomption selon laquelle il s’était réclamé de nouveau de la protection de son pays de nationalité a été réfutée en l’espèce (Camayo, aux para 65, 66).

[35] Quant aux facteurs qu’un décideur devrait prendre en considération lorsqu’il traite de cas de perte d’asile, je suis d’accord avec la juge Go, dans la décision Hamid, pour dire que l’arrêt Camayo de la Cour d’appel fédérale a eu pour effet de présenter une série de facteurs (au paragraphe 84) que la SPR devrait prendre en considération – qui vont au-delà de déterminer simplement si les circonstances, qui ont nécessité le voyage, étaient exceptionnelles (voir les décisions Seid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1167, au para 20; Abadi, au para 18) – au moment d’examiner et de pondérer les éléments de preuve, afin d’établir si la présomption d’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine a été réfutée. Il s’ensuit que la SPR devrait alors évaluer et pondérer d’autres éléments de preuve pour décider, de manière définitive, de quel côté de l’analyse touchant le fait de se réclamer de la protection de son pays d’origine la balance penche, M. Ahmad ayant le fardeau de convaincre la SPR, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’avait pas l’intention de se réclamer de la protection du Pakistan, une fois que l’obtention de son passeport pakistanais et que ses voyages de retour au Pakistan ont été produits en preuve.

[36] M. Ahmad affirme que la SPR n’a pas procédé à une évaluation valable de ses principaux arguments concernant la question de savoir s’il avait l’intention de se réclamer de nouveau de la protection diplomatique du Pakistan. Devant la SPR, M. Ahmad a soutenu que le risque auquel il était exposé au cours d’un bref séjour temporaire au Pakistan était probablement beaucoup plus faible que le risque que l’imam présenterait s’il retournait dans ce pays de façon permanente. M. Ahmad affirme que, dans son esprit, ce risque était plus faible par rapport aux motifs importants de son voyage qui, selon lui, nécessitaient sa présence au Pakistan. En substance, M. Ahmad fait valoir qu’il n’a jamais cessé de craindre son agent de persécution. Cependant, la menace que représentait cet acteur non étatique et le niveau subjectif de crainte de persécution devaient être évalués en contexte. La menace posée par l’imam se rattachait à une situation où M. Ahmad demeurait dans son village et continuait à défendre ses croyances religieuses de la façon dont il les défendait avant de fuir le pays en 2005; une conclusion qu’il aurait été facile de tirer, selon ce qu’affirme M. Ahmad, si la SPR avait examiné la décision par laquelle il a obtenu l’asile en premier lieu. Une fois qu’il a obtenu l’asile au Canada, la menace posée par l’imam a diminué, étant donné que pour ce dernier et ses enseignements, M. Ahmad ne représentait plus une menace, comme cela était auparavant le cas au Pakistan. Cependant, il affirme que cette menace réémergerait certainement, s’il retournait dans son village pendant une période prolongée. En bref, M. Ahmad prétend que le calme est revenu depuis que l’agent de persécution est débarrassé de M. Ahmad, que le degré de risque qu’il percevrait, s’il retournait dans sa région pendant de courtes périodes, ne serait plus le même et, en substance, qu’il faisait profil bas lorsqu’il se trouvait là-bas.

[37] De plus, M. Ahmad allègue qu’à chaque voyage, il s’enhardissait raisonnablement pour continuer à prendre le risque de retourner dans le pays dont il a la nationalité, mais uniquement lorsque cela était nécessaire. Par conséquent, il soutient que toute évaluation de son intention subjective de se réclamer de nouveau de la protection du Pakistan devait tenir compte de son degré de risque perçu, sachant qu’il ne devait rester dans le village que pendant une courte période, tout en prenant les précautions nécessaires pour se tenir à l’écart de son agent de persécution, par rapport à sa décision quant à la nécessité de retourner au Pakistan. Cependant, la SPR a simplement omis de le faire.

[38] Je suis d’accord avec M. Ahmad.

[39] La SPR, en évaluant l’intention subjective de M. Ahmad de se réclamer de nouveau de la protection du Pakistan, a commencé son analyse par la présomption créée par l’obtention par M. Ahmad de son passeport pakistanais et par ses voyages au Pakistan. Je comprends. Cependant, ce qui s’est passé par la suite ne tient pas.

[40] La SPR a ensuite mentionné qu’un simple titre de voyage canadien n’aurait pas autorisé M. Ahmad à voyager au Pakistan et elle a noté l’affirmation de M. Ahmad selon laquelle il a obtenu et renouvelé son passeport pour s’en servir comme moyen de voyager et de protéger sa famille. Cependant, la SPR n’a d’aucune façon évalué le caractère raisonnable de l’allégation de M. Ahmad quant à la raison pour laquelle il a obtenu le passeport. La SPR a plutôt simplement déclaré que, si M. Ahmad avait dû réellement protéger sa famille, elle se serait attendue à ce qu’en 13 ans, il se rende au Pakistan plus que cinq fois seulement. J’estime que l’analyse de la SPR est inintelligible et qu’elle fait appel à de la pure spéculation, surtout qu’il se peut très bien que d’autres voyages au Pakistan aient renforcé l’argument en faveur de l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine. La SPR a omis de traiter la raison pour laquelle, depuis qu’il avait obtenu la résidence permanente au Canada, M. Ahmad ne s’était rendu au Pakistan que cinq fois. Je me serais attendu à ce que cette question soit pertinente pour déterminer son intention subjective de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine. M. Ahmad a affirmé qu’il avait besoin du passeport pour pouvoir voyager au Pakistan afin de jouer le rôle d’homme protecteur de sa famille lorsque la situation l’exigeait. La SPR n’a jamais vérifié cette affirmation. La SPR a ensuite reconnu que M. Ahmad a déployé des efforts pour éviter que son agent de persécution ne le retrouve, mais ces efforts ont été tout au plus minimes.

[41] La SPR n’a pas non plus tenu compte de l’affirmation de M. Ahmad, selon laquelle les retards administratifs liés au traitement des visas d’immigrant de sa famille, qui l’empêchaient de retrouver rapidement sa famille, justifiaient son retour au Pakistan. La SPR a conclu à l’absence d’élément de preuve sur la question – qui n’a été traitée qu’indirectement dans l’affidavit de M. Ahmad – et a reproché à ce dernier de ne pas avoir soumis plus tôt une demande pour faire venir sa famille au Canada.

[42] Cependant, la présomption d’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine est réfutable et, à mon avis, pour évaluer le caractère raisonnable de la conclusion de la SPR quant à l’intention, il est essentiel de se demander si elle a tenu compte des éléments de preuve qui auraient vraisemblablement amené à réfuter cette présomption. J’estime qu’elle ne l’a pas fait. Dans la décision Ortiz, le juge Barnes a fait observer, au paragraphe 8, qu’« [u]ne nouvelle réclamation de la protection de l’État tend habituellement à indiquer une absence de risque ou une absence de crainte subjective de persécution ». À aucun moment, durant l’évaluation de l’intention subjective de M. Ahmad de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine, la SPR n’a examiné l’argument principal qu’il a formulé, à savoir que l’évaluation de son intention de se réclamer de nouveau de la protection diplomatique du Pakistan devait tenir compte de son niveau de risque ou de crainte de persécution perçu, dans le contexte des circonstances de son retour dans son pays. Comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Camayo, au paragraphe 71, « sans cette analyse, la conclusion de la SPR sur le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité n’était pas un résultat défendable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques ».

[43] Je ne prétends pas que la SPR était tenue d’accepter les affirmations de M. Ahmad quant à la question de l’intention subjective ou que ses éléments de preuve étaient suffisants pour réfuter la présomption créée par l’obtention de son passeport pakistanais et par l’utilisation de celui-ci pour voyager au Pakistan. Je dis seulement que les affirmations auraient dû être examinées et évaluées, étant donné qu’elles portaient sur la question de l’intention subjective de M. Ahmad de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine. Tout au long de l’analyse d’un cas de perte d’asile, l’accent doit être mis sur la question de savoir si le comportement du réfugié, ainsi que les déductions qui peuvent en être tirées, peut indiquer de manière fiable que le réfugié avait l’intention de renoncer à la protection du pays d’asile (Camayo, au para 83). Je n’ai pas besoin de reproduire la liste non exhaustive des facteurs énoncés dans l’arrêt Camayo que la SPR doit prendre en considération, mais je mentionnerai que le fait de tenir compte des observations précises du défendeur, qui portent sur l’intention subjective de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine, et de la nature de l’agent de persécution, qu’il soit ou non un acteur non étatique, fait partie de ces facteurs qui occupent une place prédominante.

[44] Comme je l’ai mentionné précédemment, et en toute justice, l’arrêt Camayo a été rendu après le prononcé de la décision de la SPR qui fait l’objet de la présente demande. Cependant, j’estime qu’en demandant à maintes reprises à M. Ahmad de démontrer que sa présence au Pakistan était absolument nécessaire, la SPR a fait exactement ce que la Cour, dans l’arrêt Camayo, a cherché à éviter relativement à l’évaluation de l’intention subjective, à savoir qu’elle a omis d’examiner dans quelle mesure les motifs de M. Ahmad étaient, du point de vue de celui-ci, impérieux. J’estime que la SPR, au vu de l’argument de M. Ahmad, selon lequel chaque décision de retourner au Pakistan émanait du fait qu’il était d’avis que les motifs y afférents étaient suffisamment impérieux pour l’emporter sur le risque de subir un préjudice de la part de son agent de persécution, avait l’obligation d’évaluer l’importance de ces motifs et leur incidence sur la question de l’intention de M. Ahmad de se réclamer de nouveau de la protection du Pakistan. Comme cela est indiqué dans l’arrêt Camayo, au paragraphe 71 : « sans cette analyse, la conclusion de la SPR sur le fait de se réclamer de nouveau de la protection du pays de nationalité n’était pas un résultat défendable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques, et [...] elle était donc déraisonnable (Cerna c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1074, aux para. 18 et 19; Mayell c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 139, aux para. 17 à 19) ».

[45] Enfin, j’estime que la SPR a tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité, qui l’ont aussi empêchée d’évaluer correctement le but des voyages de M. Ahmad et son intention, le cas échant, afférente aux voyages, de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine. En ce qui concerne le processus d’immigration de la famille de M. Ahmad, la SPR a tiré les conclusions suivantes :

[40] En ce qui concerne l’argument voulant que le retard administratif de la réunification familiale au Canada justifie le retour de l’intimé au Pakistan, lequel ne peut donc pas être considéré comme la preuve d’une intention de se réclamer de nouveau de la protection, aucun élément de preuve à ce sujet n’a été présenté à l’audience et il est mentionné seulement indirectement dans l’affidavit de l’intimé.

[41] Je note que l’intimé a laissé sa famille au Pakistan en 2005 ou vers cette année‑là. Il a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention en 2006. Il lui était loisible à ce moment‑là d’inclure sa famille sur sa demande de résidence permanente, comme membres de la famille d’un réfugié au sens de la Convention. Rien ne démontre qu’il a pris cette mesure à ce moment‑là. Il aurait également pu parrainer sa famille plus tard. Encore une fois, rien ne montre quelle mesure il a prise pour amener sa famille au Canada. Aucune information n’a été fournie concernant un quelconque problème survenu au cours du traitement de la demande qui aurait pu entraîner un retard. Toutefois, nous savons qu’à un certain moment avant le retour de l’intimé au Pakistan en 2012, des visas d’immigrant ont été délivrés aux membres de sa famille, ce qui leur permettait de venir au Canada.

[42] Le retard est inhérent aux processus administratifs, et l’immigration ne fait pas exception. Un réfugié au sens de la Convention qui a fui son pays en raison de la persécution doit accepter cette réalité. De plus, si le demandeur d’asile a choisi de reporter la venue de sa famille au Canada, il est en partie responsable de tout retard. En soi, le retard ne crée pas une situation particulière qui justifie le retour du réfugié là où il a été persécuté, sauf dans des circonstances exceptionnelles, qui n’existent pas dans le cas présent.

[Non souligné dans l’original.]

[46] Le ministre admet que la SPR a commis une erreur dans ses conclusions, étant donné que dans son affidavit, M. Ahmad a expressément mentionné qu’il a présenté une demande de résidence permanente pour sa famille dès qu’il a obtenu l’asile. Je reconnais que M. Ahmad n’a pas inclus d’éléments de preuve indépendants de ces demandes dans ses documents présentés à la SPR. Cependant, à mon avis, eu égard à la mention expresse selon laquelle M. Ahmad a présenté une demande pour lui-même et sa famille, il incombait à la SPR d’examiner ces éléments de preuve qui contredisaient directement sa conclusion, plutôt que de soulever des questions sur la crédibilité. La SPR a plutôt conclu que M. Ahmad était en partie responsable du retard lié à l’arrivée de sa famille au Canada. Elle a néanmoins omis d’examiner l’argument de M. Ahmad, selon lequel la séparation d’un père pakistanais de sa femme et de ses cinq enfants, pendant plusieurs années, peut créer des circonstances spéciales qui justifient son retour dans le pays dont il a la nationalité, lorsqu’elle est examinée en regard de ce qui pourrait constituer une diminution de la perception du risque de subir un préjudice de la part de son agent de persécution.

[47] Je conclus que, dans l’ensemble, la décision de la SPR était déraisonnable. Je conclus que la SPR n’a pas suffisamment examiné les arguments de M. Ahmad, afin d’évaluer correctement son intention subjective, conformément à ce que l’arrêt Camayo de la Cour d’appel fédérale nous enseigne. À ce titre, et comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale : « [l]e fait qu’un décideur n’ait pas réussi à “s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise” : [Vavilov, au para 128]. Par conséquent, “si des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […], la décision sera déraisonnable” : [Vavilov, au para 136] » (Camayo, au para 49). En l’espèce, et comme cela fut le cas dans l’arrêt Camayo, la gravité des répercussions de la décision de la SPR sur M. Ahmad a renforcé l’obligation de la SPR d’expliquer sa décision.

[48] La SPR a également tiré des conclusions sur la crédibilité en se fondant sur des erreurs de fait qui ont eu une incidence sur son analyse de l’intention de M. Ahmad de se réclamer de nouveau de la protection du Pakistan. Par conséquent, je suis d’avis que la conclusion de la SPR, relativement au deuxième volet du critère de perte d’asile, qui concerne l’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine, ne témoigne pas du niveau requis de justification, de transparence et d’intelligibilité. Les conclusions de la SPR, selon lesquelles M. Ahmad n’a pas réfuté la présomption d’intention de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine et il y avait eu constat de perte d’asile de M. Ahmad, ne peuvent donc pas être retenues.

[49] Compte tenu de mes conclusions relatives à l’intention de M. Ahmad de se réclamer de nouveau de la protection de son pays d’origine, je n’ai pas besoin d’examiner le troisième volet du critère qui est de savoir si M. Ahmad s’est effectivement réclamé de nouveau de la protection diplomatique du Pakistan. La présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-8795-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision de la Section de la protection des réfugiés, en date du 12 novembre 2021, est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8795-21

 

INTITULÉ :

AHMAD, RAUF c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 octobre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 janvier 2023

 

COMPARUTIONS :

Me Jean-François Bertrand

Pour le demandeur

Me Annie Flamand

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers, Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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