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Date : 20230104


Dossier : IMM‑7576‑21

Référence : 2023 CF 17

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ZEYNAB KHANSARI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Zeynab Khansari, est une citoyenne iranienne. Elle demande le contrôle judiciaire au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] de la décision du 6 octobre 2021 par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté sa demande de permis d’études.

[2] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que la décision est déraisonnable. La demande est accueillie.

II. Contexte

[3] La demanderesse a été admise en avril 2020 au programme d’études supérieures en administration des affaires du Langara College, à Vancouver. Elle affirme qu’elle a l’intention de suivre un cours d’anglais, langue seconde [ALS], suivi du programme de deux ans menant à un diplôme au Langara College.

[4] La demande de permis d’études de la demanderesse a été rejetée en août 2020. L’agent des visas n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour en raison de ses liens familiaux au Canada et en Iran, de ses antécédents de voyage et du but de sa visite. Une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable a été accueillie sur consentement, et l’affaire a été renvoyée afin d’être réexaminée.

[5] Dans le cadre du processus de réexamen, la demanderesse a dû déposer la lettre d’acceptation originale du Langara College, la preuve des fonds dont elle disposait et la preuve que les droits de scolarité avaient été payés. Le Langara College a envoyé à la demanderesse une lettre d’acceptation à jour, et les documents demandés ont été téléchargés.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[6] Après le réexamen, la demande a de nouveau été rejetée. Comme dans la décision initiale, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour, mentionnant lui aussi les liens familiaux de la demanderesse au Canada et en Iran, le but de sa visite, ses antécédents de voyage, ainsi que ses biens personnels et sa situation financière.

[7] Les notes que l’agent a consignées dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC] constituent les motifs de sa décision. Elles sont brèves et, par souci de commodité, je les reproduis intégralement :

[traduction]

J’ai examiné la demande de réexamen. Dans mon examen de la demande, j’ai noté que la demanderesse principale (la DP) avait présenté une demande de permis d’études le 25 mai 2020 et que la demande avait été rejetée le 18 août 2020 en raison du but de sa visite, de ses liens familiaux et de ses antécédents de voyage. Après la réouverture de sa demande, la DP disposait de 30 jours pour fournir tout document permettant de répondre aux préoccupations reflétées dans les motifs de rejet initiaux : Art 216(1) du RIPR – But de la visite, antécédents de voyage et liens familiaux. J’ai examiné les facteurs favorables mentionnés par la DP, y compris les droits de scolarité payés, les relevés bancaires et les autres éléments de preuve, mais j’ai accordé moins de poids aux facteurs favorables pour les raisons suivantes : La cliente vient pour suivre un cours d’ALS, puis un programme d’études supérieures de deux ans en administration des affaires. Elle est titulaire d’un baccalauréat en gestion des affaires et d’une maîtrise en psychologie. Elle possède également une vaste expérience en gestion. Compte tenu des études de la DP et de son expérience de travail, je ne suis pas convaincu qu’elle ne profite pas déjà des avantages de ce programme. À la lumière des études antérieures et de l’emploi actuel de la DP, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse d’une progression raisonnable dans son cheminement étudiant. La DP sera accompagnée de deux enfants à charge. Compte tenu des deux enfants à charge qui l’accompagneront, il m’apparaît que la DP aura plus de liens avec le Canada qu’avec son pays d’origine, et ce, même si son époux demeurera dans son pays d’origine. Bien que les droits de scolarité aient été payés, la famille de la DP ne semble pas suffisamment bien établie pour que les études proposées constituent une dépense raisonnable. Les relevés bancaires fournis montrent différents montants forfaitaires déposés dans les six mois qui ont précédé le voyage éventuel ou les études internationales de la DP. Je ne suis pas convaincu que la DP dispose de suffisamment de fonds compte tenu du but de sa visite. J’ai noté que la DP avait certains antécédents de voyage. Ils ne sont cependant pas suffisants pour que je puisse considérer ses voyages internationaux antérieurs comme un facteur favorable dans mon évaluation. Compte tenu des motifs qui précèdent, j’estime que les raisons qu’a la DP de rester au Canada peuvent l’emporter sur ses liens avec son pays de résidence. Pour cette raison, je ne suis pas convaincu que la demanderesse quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée. Pour les motifs qui précèdent, je rejette la présente demande.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[8] La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable, qu’il y a eu manquement à l’équité et que l’agent a agi de mauvaise foi. Je suis d’avis qu’il est préférable d’examiner l’argument de la mauvaise foi en même temps que celui de l’équité. J’ai formulé les questions en litige de la façon suivante :

  1. La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

  2. Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?

[9] Le rejet par l’agent de la demande de permis d’études au motif qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse quitterait le Canada doit être contrôlé selon la norme de la décision raisonnable (Aghaalikhani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1080 au para 11; Ocran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 175 au para 14 [Ocran]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 10 [Vavilov]).

[10] Même si les motifs de l’agent des visas n’ont pas nécessairement besoin d’être exhaustifs, la décision doit être étayée par une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui est justifiée au regard des faits et du droit applicable pour être raisonnable. Elle doit posséder les « caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov, aux para 85 et 99).

[11] Lorsqu’elle examine les questions d’équité procédurale, la cour de révision doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances. L’accent est mis sur la nature des droits en cause et sur les conséquences pour les parties concernées. Au bout du compte, la question que doit trancher la cour de révision consiste à savoir si la partie connaissait la preuve à réfuter et si elle a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre. Bien qu’aucune norme de contrôle ne soit appliquée à proprement parler, c’est la norme de la décision correcte qui reflète le mieux le rôle de la Cour dans le contexte en l’espèce (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54‑56).

V. Analyse

A. La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

1) Position des parties

  • [12]La demanderesse soutient que l’agent a commis les erreurs suivantes :

  1. Il a ignoré ses liens avec l’Iran et a conclu, sans explication, qu’elle n’y est pas bien établie. Elle fait valoir que son époux, ses parents et ses cinq frères et sœurs résident au pays, ainsi que sa famille élargie, ses amis et sa belle‑famille. La demanderesse a également des liens professionnels étroits avec l’Iran puisqu’elle est propriétaire d’une maison de courtage immobilier et d’une entreprise avec son époux. En revanche, elle n’a aucun lien familial, économique ou professionnel avec le Canada.

  2. Il a conclu qu’elle avait déjà retiré les avantages du programme d’études proposé. Le programme du Langara College mène à un [traduction] « diplôme d’études supérieures », ce qui indique un niveau de scolarité plus élevé que le diplôme en administration des affaires de la demanderesse. Celle‑ci affirme qu’elle a fait sa maîtrise dans un domaine différent et que son expérience de travail n’est pas liée au programme d’études proposé. La demanderesse a fourni des éléments de preuve montrant qu’elle a l’intention de suivre ce programme parce qu’elle et son époux veulent élargir leurs activités commerciales en Iran.

  3. Il n’a pas été convaincu que ses fonds étaient suffisants pour financer ses études. La demanderesse soutient qu’elle a fourni un certain nombre de documents financiers montrant qu’elle avait suffisamment de fonds. L’agent n’a pas expliqué pourquoi ces documents étaient insuffisants et a ignoré le fait qu’elle avait payé les droits de scolarité pour sa première année d’études. La demanderesse soutient en outre que l’agent a commis une erreur en concluant subjectivement que les études proposées ne constitueraient pas une dépense raisonnable.

  4. Il a tiré une conclusion défavorable en se fondant sur les antécédents de voyage limités de la demanderesse.

[13] Le défendeur fait valoir que la demanderesse demande en réalité à la Cour de soupeser de nouveau la preuve. Il soutient que l’agent a raisonnablement tiré les conclusions suivantes :

  1. Le programme du Langara College ne serait pas avantageux pour la demanderesse en raison des études qu’elle a faites et de ses antécédents professionnels.

  2. La demanderesse aurait des liens plus étroits avec le Canada qu’avec l’Iran parce qu’elle serait accompagnée de ses deux enfants.

  3. Les études proposées ne constitueraient pas une dépense raisonnable compte tenu du degré d’établissement de la famille en Iran. En outre, la demanderesse n’a pas prouvé qu’elle disposait de suffisamment de fonds pour entreprendre les études proposées puisqu’il y a dans ses comptes des dépôts forfaitaires inexpliqués.

[14] Le défendeur reconnaît que l’agent a commis une erreur en invoquant les antécédents de voyage de la demanderesse comme motif de rejet de sa demande, mais il soutient que cette erreur ne rend pas l’ensemble de la décision déraisonnable.

2) La décision de l’agent est déraisonnable.

[15] Même s’il n’est pas nécessaire que la décision d’un agent des visas soit longue ou détaillée pour être raisonnable, elle doit, comme il a été mentionné ci‑dessus, reconnaître les principaux éléments de preuve et en tenir compte, et elle doit reposer sur une analyse logique qui appuie les conclusions tirées. Les notes consignées dans le SMGC ne respectent pas ce critère.

[16] Les notes du SMGC indiquent à tort que la demanderesse a eu la possibilité de fournir des documents pour répondre aux réserves qui étaient à l’origine du rejet initial de la demande – le but de sa visite, ses antécédents de voyage et ses liens familiaux. Dans la lettre que la demanderesse a reçue, on lui demandait seulement de fournir un ensemble limité de documents : la preuve qu’elle avait été admise dans un établissement d’enseignement, la preuve des fonds dont elle disposait et la preuve que les droits pour sa première année de scolarité avaient été payés. Bien que je ne trouve rien à redire sur le fait que l’agent ait limité la possibilité pour la demanderesse de présenter de nouveaux éléments de preuve, il m’apparaît manifeste qu’il a commis une erreur en ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve demandés et ceux présentés par la demanderesse. Cette erreur soulève la question de savoir si l’agent a omis de tenir compte de la preuve ou s’il l’a mal interprétée. Bien qu’elle ne suffise pas à elle seule à justifier l’intervention de la cour, il s’agit de l’une des nombreuses erreurs qui, ensemble, m’ont convaincu que la décision de l’agent était déraisonnable.

[17] Sur la question des liens familiaux de la demanderesse, l’agent a tiré la conclusion suivante : [traduction] « Compte tenu des deux enfants à charge qui l’accompagneront, il m’apparaît que la DP aura plus de liens avec le Canada qu’avec son pays d’origine, et ce, même si son époux demeurera dans leur pays. » L’agent a tiré cette conclusion sans tenir compte de la preuve de la demanderesse qui montrait qu’en plus de son époux, ses parents et ses cinq frères et sœurs demeurent en Iran, qu’elle a des liens financiers avec ce pays et qu’elle y possède des biens.

[18] Je ne conteste pas l’opinion du défendeur selon laquelle l’agent a correctement tenu compte du fait que les deux enfants de la demanderesse l’accompagneraient au Canada au moment d’évaluer la solidité de ses liens avec le Canada plutôt qu’avec son pays d’origine. Toutefois, lorsqu’il existe des liens familiaux solides au Canada et dans le pays d’origine, la Cour a reconnu qu’en l’absence d’une analyse transparente et intelligible à l’appui de la conclusion selon laquelle un demandeur a [traduction] « plus de liens au Canada que dans son pays d’origine », un tribunal peut conclure que la conclusion est déraisonnable (Balepo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 268 au para 16).

[19] Les conclusions de l’agent selon lesquelles la demanderesse n’a pas démontré qu’elle disposait de suffisamment de fonds compte tenu du but de sa visite et que les études qu’elle voulait suivre ne constitueraient pas une dépense raisonnable vu son établissement en Iran semblent reposer sur les réserves suscitées par les divers dépôts forfaitaires récents que montrent ses relevés bancaires. La demanderesse a donné des explications pour un certain nombre de ces dépôts forfaitaires, mais l’agent n’y a pas fait référence. Le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas fourni d’explication pour tous les dépôts forfaitaires dans ses observations et que, de ce fait, la conclusion de l’agent était raisonnable. Je ne suis pas de cet avis. Il appartenait à l’agent, et non au défendeur, d’expliquer pourquoi il continuait d’avoir des réserves à l’égard des dépôts forfaitaires malgré les explications de la demanderesse.

[20] Nul ne conteste le fait que l’agent a commis une erreur en rejetant la demande en raison des antécédents de voyage limités de la demanderesse qui constituaient, tout au plus, un facteur neutre (Ocran, aux para 47‑48).

[21] Les conclusions de l’agent concernant la situation financière de la demanderesse, ses liens avec l’Iran par rapport à ses liens avec le Canada, et ses antécédents de voyage sont des éléments fondamentaux de la décision dans son ensemble. Comme j’ai conclu que les conclusions de l’agent dans chacun de ces domaines sont déraisonnables et compte tenu de l’interprétation erronée de la nature des observations demandées et reçues au cours du réexamen, je suis convaincu qu’une intervention est justifiée.

VI. Aucun manquement à l’équité procédurale

[22] Je n’aborderai que brièvement la question de l’équité puisque j’ai conclu que la décision était déraisonnable.

[23] La demanderesse soutient que l’agent n’a pas réexaminé la demande de permis d’études, mais qu’il a plutôt examiné la décision de rejeter cette demande et qu’il n’a pas considéré ou reconnu que la décision initiale avait été annulée. Je ne suis pas convaincu que ce soit le cas.

[24] Dans les notes du SMGC, l’agent a reconnu l’historique de la demande de permis d’études, et il a indiqué ce qui suit pour commencer : [traduction] « J’ai examiné la demande de réexamen. » L’agent a manifestement compris que l’objet du réexamen était la demande initiale.

[25] Lors du réexamen, rien n’a empêché l’agent de donner à la demanderesse la possibilité de présenter des documents supplémentaires. Ainsi, rien dans le dossier n’indique que l’agent a agi de mauvaise foi ou que le processus était inéquitable. La déclaration inexacte de l’agent dans les notes du SMGC concernant l’importance des observations supplémentaires demandées et reçues ne soulève pas de question d’équité. J’ai plutôt examiné cette déclaration dans le cadre de mon analyse du caractère raisonnable ci‑dessus.

[26] La demanderesse sollicite également des dépens dans la présente affaire au motif qu’il existe des raisons spéciales, comme le prévoit l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93‑22.

[27] La demanderesse reconnaît que le critère relatif aux « raisons spéciales » est rigoureux, et elle s’appuie principalement sur la mauvaise foi alléguée de l’agent pour étayer sa position. Elle n’a pas démontré que le processus décisionnel était entaché de mauvaise foi ni qu’il existait une autre raison spéciale permettant de s’écarter de la règle générale selon laquelle des dépens ne doivent pas être adjugés en matière d’immigration.

VII. Conclusion

[28] Je suis convaincu que la demanderesse a démontré de graves lacunes dans la décision de l’agent pour les motifs exposés ci‑dessus. La demande est donc accueillie.

[29] Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

[30] Aucuns dépens ne sont adjugés.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑7576‑21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1. La demande est accueillie.

2. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvelle décision.

3. Aucune question n’est certifiée.

4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

en blanc

« Patrick Gleeson »

en blanc

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑7576‑21

 

INTITULÉ :

ZEYNAB KHANSARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 mai 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 janvier 2023

 

COMPARUTIONS :

Samin Mortazavi

 

Pour la demanderesse

 

Devi Ramachandran

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pax Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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