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Date : 20230106


Dossier : IMM-6326-21

Référence : 2023 CF 29

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 6 janvier 2023

En présence de madame la juge Furlanetto

ENTRE :

AB

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 26 juillet 2021 [la décision], par laquelle la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a annulé le statut de réfugié au sens de la Convention de la demanderesse, en vertu de l’article 109 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] et au titre de l’article 64 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, au motif que la demanderesse avait fait, devant la SPR, une présentation erronée sur son identité ou une réticence sur des faits importants quant à un objet pertinent.

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente demande sera rejetée.

I. Question préliminaire – Demande d’ordonnance d’anonymat

[3] À titre préliminaire, la demanderesse demande que l’intitulé de la cause de même que la présente décision soient anonymisés afin de protéger son identité. Elle propose qu’on la désigne par « AB » et que l’autre personne mentionnée dans la décision soit désignée par « NP ».

[4] En vertu de l’article 151 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, la Cour peut ordonner que des documents ou des éléments matériels déposés soient considérés comme confidentiels si elle est convaincue de la nécessité de les considérer ainsi, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

[5] La demanderesse soutient que les conditions préalables à une ordonnance de confidentialité, soit les conditions suivantes, s’appliquent en l’espèce :

1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

(Sherman (Succession) c Donovan, 2021 CSC 25 au para 38; voir aussi Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 au para 53.)

[6] La demanderesse soutient que la publication des noms cités dans la présente instance poserait un risque sérieux pour sa sécurité au Cameroun et pour la vie privée de l’autre personne. Elle affirme qu’une ordonnance visant à protéger son identité et celle de l’autre personne est nécessaire pour prévenir ce risque et que les avantages de l’ordonnance l’emportent sur les effets négatifs.

[7] Le défendeur ne s’oppose pas à la demande de la demanderesse. Compte tenu de ce consentement et des réserves soulevées, j’estime que l’ordonnance d’anonymat devrait être accordée et que l’intitulé de la cause devrait être modifié en conséquence.

II. Contexte

[8] La demanderesse, AB, est une ressortissante du Cameroun âgée de 25 ans. Le 20 août 2014, elle serait entrée au Canada et aurait demandé l’asile, craignant d’être persécutée en raison de son orientation sexuelle.

[9] Le 3 novembre 2014, la SPR a accueilli la demande d’asile de la demanderesse. La SPR a accepté l’identité de la demanderesse en se fondant sur les documents que celle-ci avait produits, notamment un certificat de naissance et une carte d’identité nationale du Cameroun, ainsi qu’un dossier scolaire. La demanderesse n’avait pas produit de passeport, car elle affirmait être entrée au Canada sous une fausse identité munie d’un passeport fourni par un agent.

[10] Après que la demanderesse eut présenté une demande de permis de conduire, le logiciel de reconnaissance faciale du ministère des Transports de l’Ontario [MTO] a établi une correspondance entre la photo de la demanderesse et celle d’une autre femme [NP] qui avait présenté une demande de pièce d’identité avec photo au MTO. NP était entrée au Canada le 15 juillet 2014 munie d’un passeport camerounais. Elle avait obtenu un permis d’études, arrivé à échéance le 31 août 2018, pour fréquenter le Centennial College de Toronto.

[11] Le 4 septembre 2019, le défendeur a demandé à la SPR d’annuler le statut de réfugié de la demanderesse, affirmant que cette dernière et NP n’étaient en fait qu’une seule et même personne et que, par conséquent, la demanderesse avait fait une présentation erronée sur un fait important, ou une réticence sur ce fait, dans sa demande d’asile.

[12] Le 15 juillet 2021, la demanderesse a demandé à la SPR de citer un agent du MTO à comparaître afin qu’il témoigne au sujet des éléments de preuve qui faisaient partie de la demande du défendeur. Le 19 juillet 2021, le défendeur s’est opposé à la demande de la demanderesse.

III. Décision faisant l’objet du contrôle

[13] La décision est datée du 26 juillet 2021. La SPR a accueilli la demande et annulé sa décision du 3 novembre 2014, par laquelle elle avait accordé le statut de réfugié à la demanderesse, révoquant ainsi son statut de résidente permanente au Canada.

[14] La SPR a entendu le témoignage de la demanderesse au sujet de sa demande d’asile et de son arrivée au Canada avec l’aide de l’agent qui avait obtenu un faux passeport pour elle. La demanderesse ne connaissait pas le nom, les renseignements ou le pays d’origine indiqués sur le passeport qu’elle avait utilisé pour entrer au Canada. La SPR n’a pas jugé crédible l’explication de la demanderesse selon laquelle l’agent qui avait voyagé avec elle du Cameroun à la France puis au Canada avait gardé son passeport secret.

[15] La SPR a admis que la demanderesse avait utilisé les identités d’AB et de NP au Canada et qu’en omettant de déclarer son autre identité au moment où elle avait présenté sa demande d’asile en 2014, elle avait fait, directement, une présentation erronée sur son identité, ce qui constituait un motif pour annuler son statut de réfugié. De plus, la SPR a jugé que les documents sur lesquels la demanderesse s’était appuyée pour présenter sa demande d’asile étaient insuffisants pour justifier l’octroi de l’asile indépendamment de la présentation erronée.

[16] La SPR a rejeté la demande de la demanderesse visant la citation de l’agent du MTO à comparaître, estimant que le témoignage de celui-ci n’était pas nécessaire à l’instruction approfondie de l’affaire puisqu’elle avait le pouvoir de déterminer l’identité de la demanderesse.

IV. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[17] La demanderesse soulève les questions suivantes en l’espèce :

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant, en l’absence du témoignage d’un expert, que ses pièces d’identité n’étaient pas authentiques?

  2. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que son explication concernant son passeport n’était pas crédible?

  3. La SPR a-t-elle commis une erreur en se fondant sur les ressemblances entre les photos et les renseignements personnels?

[18] Les parties affirment, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Aucune des situations qui permettraient de réfuter la présomption relative à l’application de la norme de la décision raisonnable à l’égard des décisions administratives ne se présente en l’espèce (Vavilov, aux para 16-17).

[19] Lorsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, aux para 85-86; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 aux para 2, 31). Une décision est raisonnable si, lorsqu’elle est lue dans son ensemble et que le contexte administratif est pris en compte, elle possède les caractéristiques de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité (Vavilov, aux para 91-95, 99-100).

[20] Il convient de mentionner que, lorsque les conséquences d’une décision sont particulièrement graves ou sévères, les décideurs ont la responsabilité accrue de s’assurer que leurs motifs sont justifiés au regard des faits et du droit (Vavilov, aux para 133-135).

V. Analyse

A. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant, en l’absence du témoignage d’un expert, que les pièces d’identité de la demanderesse n’étaient pas authentiques?

[21] Le paragraphe 109(1) de la LIPR confère à la SPR le pouvoir discrétionnaire d’annuler le statut de réfugié d’une personne qui a obtenu l’asile au moyen de présentations erronées. Aux termes du paragraphe 109(2), malgré une conclusion de présentation erronée, une demande d’annulation du statut de réfugié peut être rejetée si la SPR estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

Demande d’annulation

Vacation of refugee protection

109 (1) La Section de la protection des réfugiés peut, sur demande du ministre, annuler la décision ayant accueilli la demande d’asile résultant, directement ou indirectement, de présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent, ou de réticence sur ce fait.

109 (1) The Refugee Protection Division may, on application by the Minister, vacate a decision to allow a claim for refugee protection, if it finds that the decision was obtained as a result of directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter.

Rejet de la demande

Rejection of application

(2) Elle peut rejeter la demande si elle estime qu’il reste suffisamment d’éléments de preuve, parmi ceux pris en compte lors de la décision initiale, pour justifier l’asile.

(2) The Refugee Protection Division may reject the application if it is satisfied that other sufficient evidence was considered at the time of the first determination to justify refugee protection.

[22] En l’espèce, en accueillant la demande du ministre visant l’annulation du statut de réfugié de la demanderesse, la SPR a conclu que cette dernière avait omis de déclarer, au tribunal initial de la SPR, son autre identité ainsi que le passeport au nom de NP qu’elle avait utilisé pour entrer au Canada. La SPR a estimé qu’il s’agissait d’un fait important. Elle a conclu, au titre du paragraphe 109(2), que les autres documents que la demanderesse avait présentés au moment de sa demande d’asile (son certificat de naissance et sa carte d’identité nationale) auraient été considérés comme moins importants que le passeport et qu’ils n’auraient pas été suffisants, en présence d’un passeport portant un nom différent, pour justifier l’asile. La décision indique ce qui suit :

[...] L’intimée, en ne divulguant pas son autre identité au premier tribunal de la SPR, a empêché celui-ci de procéder à une analyse exhaustive et détaillée de son identité personnelle. Il s’agit clairement, à mon avis, d’une présentation erronée directe et d’une réticence sur un fait concernant l’identité, ce qui est un motif suffisant pour accueillir la demande présentée par le ministre, comme la Cour fédérale l’a confirmé dans la décision Chahil, C‑H‑A-H-I-L, référence 2007 ACF 1573, à 21, dans laquelle il a été confirmé que l’identité est fondamentale dans une demande d’asile.

J’ai tenu compte, encore ici aujourd’hui, du fait que l’intimée a présenté d’autres documents lorsqu’elle a demandé l’asile devant le tribunal initial de la SPR. Il est cependant mentionné qu’un passeport est la principale façon d’évaluer l’identité d’une personne en tant que citoyenne d’un certain pays. Ces autres documents fournis par la personne dans le cadre de la demande d’asile initiale à la SPR sont de moindre importance et auraient été importants, de l’avis du tribunal initial, s’ils avaient été présentés avec le passeport délivré au nom de [NP].

[...]

[...] À mon avis, lorsque les éléments de preuve du ministre et ceux de l’intimée sont examinés ensemble, le tribunal conclut qu’il ne reste pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier que l’intimée conserve l’asile.

[23] La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en concluant que ses documents d’identité n’étaient pas authentiques sans s’appuyer sur le témoignage d’un expert. Toutefois, cet argument repose sur le fait que la SPR aurait conclu que les autres documents d’identité de la demanderesse (certificat de naissance, carte d’identité nationale) n’étaient pas authentiques. À mon avis, une telle conclusion n’a pas été tirée.

[24] En fait, la SPR a simplement conclu que le passeport portant le nom de NP aurait été traité comme un document important, de sorte que sa présence aurait amoindri l’importance des autres pièces d’identité de la demanderesse si tous les renseignements avaient été présentés à la SPR au moment de la demande d’asile initiale. Par conséquent, les autres documents n’auraient pas été suffisants pour justifier l’octroi de l’asile à AB.

[25] De plus, je conviens avec le défendeur que l’affirmation selon laquelle le témoignage d’un expert était nécessaire pour déterminer qu’une présentation erronée avait été faite n’est pas étayée par la loi. Comme l’a souligné la SPR, la Cour a conclu que celle-ci a le pouvoir de déterminer si un demandeur est, ou n’est pas, la personne photographiée sur une pièce d’identité sans avoir à recourir au témoignage d’un expert pour se prononcer à ce sujet (Olaya Yauce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 784 [Olaya Yauce] au para 9; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 377 [Liu] aux para 9-10).

[26] La demanderesse soutient que le témoignage d’un expert n’est pas nécessaire pour établir l’authenticité d’une pièce d’identité uniquement s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la conclusion tirée (Culinescu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5539). Elle fait valoir qu’en l’espèce, la SPR ne disposait pas d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de déterminer que la demanderesse n’était pas celle qu’elle prétendait être.

[27] Dans les affaires Liu et Olaya Yauce, une analyse de photos avait été faite pour déterminer que la personne représentée sur la pièce d’identité du demandeur n’était pas celui-ci. À mon avis, la même logique s’applique si l’on compare des photos pour déterminer les ressemblances plutôt que les dissemblances.

[28] En l’espèce, pour prendre sa décision, la SPR a examiné l’ensemble de la preuve, qui comprenait non seulement une comparaison des photos du MTO et de la base de données des services d’immigration, mais aussi des renseignements secondaires concernant l’entrée de la demanderesse au Canada et sa date de naissance, ainsi que son témoignage. Selon moi, rien ne donne à penser que le témoignage d’un expert était aussi nécessaire.

B. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que l’explication de la demanderesse concernant son passeport n’était pas crédible?

[29] De plus, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la Cour n’a aucune raison de modifier les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité concernant la fuite de la demanderesse vers le Canada avec l’aide d’un agent. La demanderesse a affirmé que l’agent ne lui avait jamais dit le nom, la date de naissance ou le pays indiqués sur le passeport qu’elle avait utilisé pour quitter le Cameroun, entrer en France, puis entrer au Canada. Elle a expliqué que l’agent lui avait seulement dit de ne pas s’inquiéter, qu’il s’occuperait des détails et qu’elle devait garder le silence et faire semblant de ne pas connaître la langue.

[30] La SPR a conclu que le récit de la demanderesse au sujet de son passeport n’était pas crédible. Dans la décision, la SPR a déclaré ce qui suit : « [...] ce n’était tout simplement pas crédible. Autrement dit, il est difficile de croire que le passeur n’aurait communiqué aucun renseignement à l’intimée, qu’il faisait passer par ces différents pays en prenant des vols de différentes compagnies aériennes, et en se présentant devant les autorités de l’immigration à la fois en France et au Canada. » La SPR s’est appuyée sur la décision Ahmedin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1127 [Ahmedin], dans laquelle le demandeur avait fui l’Érythrée avec l’aide d’un passeur et avait traversé l’Égypte et la France pour se rendre au Canada sans connaître le nom ou les renseignements figurant sur le passeport qu’il avait utilisé. Dans cette décision, la Cour a conclu qu’il était raisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que le demandeur déploie le minimum d’efforts pour connaître le nom sous lequel il voyageait et le pays de délivrance de son passeport, compte tenu « des graves conséquences que lui et le passeur auraient subies si un agent d’immigration lui avait posé des questions de base » (Ahmedin, au para 42). Comme l’a souligné la SPR, dans la décision Ahmedin, la Cour a conclu, en s’appuyant sur le paragraphe 7 de la décision Valtchev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 776 [Valtchev], qu’il était raisonnable de tirer une conclusion d’invraisemblance dans les circonstances, puisque les faits présentés débordaient le cadre de ce à quoi on pouvait logiquement s’attendre.

[31] La demanderesse soutient que la conclusion d’invraisemblance tirée en l’espèce était déraisonnable parce qu’elle n’avait pas été formulée en des termes clairs et sans équivoque. Elle affirme que, pour justifier sa conclusion selon laquelle elle n’était pas crédible, la SPR n’a pas expliqué que cette conclusion était fondée sur un manque de vraisemblance. En outre, elle soutient que la SPR a eu tort de s’appuyer sur la décision Ahmedin, car cette affaire concernait un homme de 35 ans qui avait fui l’Érythrée avec l’aide d’un passeur, alors qu’elle était entrée au Canada à 18 ans et qu’on n’aurait pas pu s’attendre à ce qu’elle s’occupe seule des formalités d’immigration. Elle affirme que dans son cas, contrairement à la décision Ahmedin, c’est l’agent qui s’est entretenu avec les autorités d’immigration et qu’elle n’a jamais eu l’occasion de voir le passeport. Elle fait valoir que ces différences sont révélatrices de la vraisemblance de son récit.

[32] La SPR peut tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur l’invraisemblance du récit d’un demandeur, à condition que les inférences qu’elle tire soient raisonnables. Cependant, une conclusion d’invraisemblance ne devrait être tirée que dans les cas les plus évidents, par exemple lorsque les faits présentés débordent le cadre de ce à quoi on pourrait logiquement s’attendre ou lorsque la preuve documentaire démontre que les événements n’auraient pas pu se produire de la manière alléguée, et une telle conclusion doit être formulée clairement en des termes tenant compte des différences culturelles (Valtchev, au para 7; Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 au para 26; Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 au para 14).

[33] En l’espèce, la conclusion de la SPR selon laquelle le récit de la demanderesse n’était pas crédible constituait manifestement une conclusion d’invraisemblance, d’autant plus qu’elle suivait l’analyse faite par la SPR de la décision Ahmedin et des commentaires formulés dans celle-ci par la Cour au sujet de la décision Valtchev. À mon avis, il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’il était invraisemblable que le passeur n’ait pas communiqué certains renseignements à la demanderesse, qu’il faisait passer par différents pays en prenant des vols de différentes compagnies aériennes et en se présentant devant les autorités de l’immigration à la fois en France et au Canada.

[34] De plus, la tentative de la demanderesse d’établir une distinction entre l’espèce et la décision Ahmedin n’est pas convaincante. La demanderesse était une jeune adulte qui avait fait deux années d’études de premier cycle au moment où elle est entrée au Canada. Bon nombre des réserves soulevées dans la décision Ahmedin s’appliquent en l’espèce, et il était loisible à la SPR de conclure qu’il était invraisemblable que l’agent n’ait communiqué aucun renseignement à la demanderesse, en particulier compte tenu des questions que les autorités d’immigration risquaient de lui poser aux points de contrôle en France et au Canada.

[35] À mon avis, la SAR n’a pas commis d’erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité.

C. La SPR a-t-elle commis une erreur en se fondant sur les ressemblances entre les photos et les renseignements personnels?

[36] De même, la demanderesse n’a pas établi que les motifs de la SPR étaient inadéquats ou que la justification de la comparaison des photos d’AB et de NP faisait défaut.

[37] Dans la décision, la SPR a expressément déclaré qu’elle ne s’était pas fondée sur la technologie de reconnaissance faciale du MTO. Elle a plutôt effectué sa propre comparaison de quatre photos, deux d’AB et deux de NP. Deux des photos étaient tirées des dossiers du MTO et les deux autres faisaient partie des documents d’immigration. La SPR a expliqué en détail les nombreuses caractéristiques et mesures qu’elle avait comparées pour parvenir à la conclusion que l’identité de la personne sur les photos était la même :

J’ai comparé la forme du visage. J’ai comparé les sourcils, leur forme, leur longueur, la distance entre ceux-ci et les yeux, la largeur entre les yeux eux-mêmes, la forme des yeux, la forme du pli des yeux. J’ai également comparé le nez, les narines, leur forme, la largeur et la longueur du nez, la distance entre la base du nez et le haut de la lèvre, la forme des lèvres, le philtre ou le philtrum [...], au bas de la région, juste sous le nez, où commence la lèvre. J’ai comparé le menton et la forme de l’ensemble du visage. En particulier, je remarque une caractéristique commune entre les quatre photos dont je parle, soit une décoloration distinctive particulière, si vous voulez, ou un point juste à droite de l’iris dans le blanc de l’œil du sujet des quatre photos aux pages 32, 35, 44 et 46. L’intimée a affirmé que c’était une chose qu’elle avait remarquée pour la première fois dans sa petite enfance, mais qui avait grossi au fil du temps. Alors, encore une fois, cette caractéristique distinctive particulière peut ne pas être unique à ces photos du sujet, mais fournit une corroboration supplémentaire, à mon avis, du fait que les quatre photos ont un seul et même sujet.

[38] La demanderesse s’appuie sur les paragraphes 74 et 75 de la décision Barre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1078 [Barre], pour affirmer que les comparaisons effectuées sont insuffisantes, mais à mon avis, cette décision se distingue de l’espèce. Dans la décision Barre, la Cour a jugé déraisonnable la décision de la SPR parce que cette dernière avait omis de fournir les justifications requises pour conclure qu’il existait de « grandes ressemblances » entre les séries de photos qui avaient été comparées, au-delà des ressemblances dans les traits communs à l’origine ethnique des demanderesses. De plus, même s’il existait des ressemblances entre les photos, des dissemblances marquées étaient aussi décrites dans les observations présentées à la SPR, dissemblances que la SPR n’avait pas conciliées.

[39] En l’espèce, la SPR a souligné les multiples caractéristiques comparées qui se ressemblaient, notamment la longueur de diverses caractéristiques du visage et la distance entre celles-ci, ainsi que la décoloration distinctive à droite de l’iris dans le blanc l’œil qui était la même sur les quatre photos. Il n’existait pas de dissemblances marquées à concilier.

[40] De même, la décision Gedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 318 invoquée par la demanderesse n’est d’aucune utilité. Il a été conclu, dans cette décision, que la SPR n’avait pas expliqué quels traits distinctifs l’avaient amenée à conclure qu’il s’agissait de photos de la même personne (aux para 19-21). En l’espèce, les caractéristiques comparées sont décrites en détail dans la décision.

[41] De plus, l’analyse comparative en l’espèce était aussi étayée par les ressemblances relevées entre les renseignements personnels de la demanderesse et ceux de NP. En plus d’être étonnamment similaires, ces renseignements, examinés au vu du témoignage de la demanderesse concernant son voyage vers le Canada, expliquaient aussi la probabilité que la demanderesse soit entrée au pays en tant que NP, révélant une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle ayant mené à la conclusion selon laquelle la demanderesse avait fait une présentation erronée au sujet de son identité dans sa demande d’asile.

[42] À mon avis, la demanderesse n’a établi l’existence d’aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de la SPR.

VI. Conclusion

[43] Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée.

[44] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-6326-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. L’intitulé de la cause et la décision sont anonymisés de sorte que la demanderesse soit désignée par « AB » et que l’autre personne mentionnée soit désignée par « NP ».

  2. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Angela Furlanetto »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6326-21

 

INTITULÉ :

AB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2022

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FURLANETTO

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 janvier 2023

 

COMPARUTIONS :

Kes Posgate

 

Pour la demanderesse

 

Jean Provart

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Migration Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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