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         Date : 20060210

Dossier : IMM-2872-05

Référence : 2006 CF 176

Ottawa (Ontario), le 10 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

ASHKAN MIRZAIE FASHAMI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) du 14 avril 2005, dans laquelle M. Farid Osmane a conclu que le demandeur n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Ce dossier soulève deux questions :

            1.         Le tribunal a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour en                                           concluant que le demandeur n'était pas crédible?

            2.         Le tribunal a-t-il agit avec partialité?

[3]                Pour les motifs suivants, la réponse à la première question est positive. Vu la réponse à la première question, il n'est pas nécessaire de répondre à la deuxième question.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                Le demandeur est citoyen de l'Iran. Il est né le 2 avril 1982 à Téhéran.

[5]                Le demandeur allègue craindre d'être persécuté par les autorités iraniennes en raison d'un incident qui aurait eu lieu le 8 juillet 2004 à Téhéran.

[6]                Le demandeur et son ami Ata sont intervenus pour interrompre un incident lors duquel un homme se faisait battre dans la rue par deux autres personnes. Dans la confusion, la victime s'est enfuie et l'un des attaquants s'est lancé à ses trousses. Le demandeur et Ata ont continué à se débattre avec l'autre assaillant, et le demandeur croit que ce dernier s'est blessé à la tête en tombant. Ce n'est qu'alors qu'il se serait aperçu que l'assaillant avait une paire de menottes accrochée à sa ceinture, ce qui l'a mené à conclure qu'il s'agissait d'un policier en civil. Le demandeur et Ata se sont immédiatement enfuis.

[7]                Le demandeur apprit un peu plus tard qu'Ata avait été arrêté. Craignant de subir le même sort, le demandeur a quitté son domicile pour se cacher des autorités iraniennes.

[8]                Le 9 juillet 2004, les autorités ont perquisitionné le domicile du demandeur. Ne le trouvant pas sur les lieux, elles ont arrêté son père. Lors de sa détention, le père du demandeur apprit que les hommes que le demandeur et Ata avaient combattu la veille étaient des agents du gouvernement, et que la victime était un opposant politique. Le père du demandeur apprit également que les autorités iraniennes soupçonnaient le demandeur et Ata d'être de connivence avec cet opposant politique.

[9]                Le père du demandeur fut éventuellement libéré, mais il fut à nouveau interrogé par les autorités et convoqué à comparaître devant la Cour révolutionnaire dans le cadre de l'enquête visant le demandeur. Son manque de collaboration avec les autorités lui a valu de perdre son emploi.

[10]            Le demandeur est arrivé au Canada le 6 août 2004, et présenta immédiatement une demande d'asile.

[11]            Sa demande a été entendue le 26 janvier 2005, et rejetée le 14 avril 2005.

DECISION CONTESTÉE

[12]            Le tribunal a rejeté la demande d'asile du demandeur au motif qu'il n'était pas crédible lorsqu'il alléguait avoir une crainte raisonnable de persécution aux mains des autorités iraniennes.

[13]            Dans ses motifs, le tribunal relève de nombreuses incohérences et omissions dans les déclarations du demandeur lors de son arrivée au Canada. Le tribunal cite en particulier les exemples suivants :

            -            déclarations vagues quant à la façon dont le demandeur est parvenu à arriver au                                     Canada;

            -            déclarations vagues quant à sa participation à une manifestation le 24 juin 2004 : le                                 demandeur invoque des problèmes de traduction et un changement d'interprète,                                    alors que rien n'indique qu'un tel changement d'interprète ait eu lieu;

            -            contradictions quant à l'existence d'un mandat d'arrêt visant le demandeur;

            -            improbabilité du fait que le demandeur n'ait rien mémorisé du faux passeport grec                                  avec lequel il avait voyagé, compte tenu de la vigilance des autorités douanières                                 européennes, qui l'auraient interpellé;

            -            omission quant à la crainte du demandeur d'être maltraité lors du service militaire                                   obligatoire auquel il serait assujetti s'il retourne en Iran;

            -            improbabilité du fait que le père du demandeur n'ait pas engagé d'avocat pour                           apprendre la nature des chefs d'accusation visant le demandeur.

[14]            Le tribunal mentionna également la demande de récusation pour cause d'apparence de partialité présentée par la procureure du demandeur. Citant le test élaboré par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, le tribunal rejeta cette demande en déclarant qu'une personne informée ne croirait pas, selon la prépondérance des probabilités, qu'il ne rendrait pas une décision impartiale.

ANALYSE

[15]            Les dispositions pertinentes de la Loi se lisent comme suit :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

Norme de contrôle

[16]            L'évaluation de la crédibilité du témoignage d'un demandeur par le tribunal est une question de fait, et l'intervention de cette Cour n'est justifiée qu'en présence d'une erreur manifestement déraisonnable. Dans Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (QL), le juge Décary écrit au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. [...]

[17]            Le demandeur allègue que le tribunal a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire et sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait.

[18]            Le demandeur cite plusieurs instances de conclusions de fait erronées, dont voici quelques exemples :

            -            La preuve documentaire soumise par le défendeur à l'audience démontre qu'il y a eu                 changement de traducteur entre la première entrevue du demandeur le 6 août 2004 et                       la seconde entrevue le 7 août 2004. Le premier interprète était M. Tiedad Bakhshi, et                      le second était Mme Feresteh Rohani-Najad.

            -            Lors de ses premières entrevues avec les agents d'immigration, le demandeur a dit                                 que les autorités iraniennes voulaient l'arrêter, et non qu'un mandat d'arrêt avait été                          émis à son encontre.

            -            La conclusion du tribunal selon laquelle les autorités iraniennes auraient émis un                          mandat d'arrêt à l'encontre du demandeur si elles voulaient vraiment l'arrêter est                                    contredite par la preuve documentaire dont il disposait, notamment le United States                               Department of State Country Report on Human Rights Practices 2003 ainsi que le                               UK Country Assessment portant sur l'Iran.

            -            La conclusion du tribunal quant à la vigilance des douaniers européens ne repose sur                  aucun élément de preuve connu.

            -            Les motifs du tribunal insinuent qu'à l'audience, le demandeur a rajouté sa crainte                                  du service militaire pour aider les chances de succès de sa demande, alors qu'il a                            constamment insisté sur le fait que sa crainte de persécution découlait des                                      évènements du 8 juillet 2004.

[19]            Le nombre d'erreurs de fait commises par le tribunal dans les quelques pages que représentent ses motifs semble indiquer que l'évaluation de la demande d'asile du demandeur n'a peut-être pas reçu le plus haut niveau d'attention et de rigueur.

[20]            De plus, le silence du tribunal quant à deux éléments de preuve documentaire qui appuient les prétentions du demandeur constitue selon moi une erreur manifestement déraisonnable.

[21]            La jurisprudence a clairement établi que le rôle de cette Cour n'est pas d'examiner à la loupe les motifs du tribunal (Medina c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F), et que ce dernier est présumé avoir pris connaissance de l'ensemble de la preuve dont il disposait (Florea c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)).

[22]            Cependant, le tribunal ne peut simplement ignorer des éléments de preuve qui soutiennent les prétentions d'un demandeur. Plus ces éléments de preuve sont importants, plus l'obligation du tribunal de mentionner le poids qu'il leur accorde devient impérative.

[23]            Dans Mahanandan c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1228 (C.A.F.) (QL), le juge en chef Isaac écrit au paragraphe 8 :

[...] Lorsqu'une preuve documentaire comme celle en cause est admise en preuve à l'audience, et pourrait vraisemblablement influer sur l'appréciation, par la Commission, de la revendication dont elle est saisie, il nous semble que plus qu'une simple constatation de son admission, la Commission doit indiquer dans ses motifs l'incidence, si elle existe, de cette preuve sur la revendication du requérant. Comme je l'ai déjà dit, la Commission ne l'a pas fait en l'espèce. À notre avis, cette omission équivalait à une faute irréparable, et il s'ensuit que la décision de la Commission ne peut être maintenue.

[24]            En l'occurrence, les éléments de preuve en question sont les suivants :

            -            Une lettre du 11 août 2004 de la compagnie Goltash (pièce P-4, page 46, dossier du                            tribunal), par laquelle elle communique son congédiement au père du demandeur en                               raison de son manque de collaboration avec les autorités au sujet du demandeur.

            -            La déclaration écrite du père du demandeur (pièce P-5, page 48, dossier du                                          tribunal) qui relate les interrogatoires auxquels il fut soumis.

            -            Une convocation du père du demandeur à comparaître devant la Cour                                       révolutionnaire (pièce P-11, page 62, dossier du tribunal) pour fournir certaines                                     explications au sujet du demandeur.

[25]            Il me semble évident que le tribunal ne pouvait à la fois rester muet au sujet de ces éléments de preuve et déclarer que le demandeur n'avait pas réussi à fournir de preuve au sujet des problèmes qu'il alléguait avoir eu en Iran.

[26]            Aussi, aucune analyse n'est faite au sujet de l'incident du 8 juillet 2004, qui est en fait l'élément central de la réclamation du demandeur.

[27]            Ainsi, je conclus que cette décision est entachée de plusieurs erreurs manifestement déraisonnables.

[28]            Les parties ont décliné de soumettre des questions pour être certifiées. Ce dossier n'en contient aucune.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. Le dossier est retourné devant un tribunal nouvellement constitué pour être réexaminé. Aucune question n'est certifiée.

« Michel Beaudry »

JUGE


COUR FÉDÉ RALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2872-05

INTITULÉ :                                        ASHKAN MIRZAIE FASHAMI

                                                            c. LE MINISTRE DE LA

                                                            CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 8 février 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                       le 10 février 2006

COMPARUTIONS:

Annie Bélanger                                                              POUR LES DEMANDERESSES

Ian Demers                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bélanger, Fiore                                                              POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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