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Date : 20060607

Dossier : IMM-5848-05

Référence : 2006 CF 709

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2006

En présence de Monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

SUKHPAL SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 ( « LIPR » ) d'une décision de la Section de la protection des réfugiés ( « SPR » ) datée du 1er septembre 2005. Par cette décision, la SPR refusait la demande d'asile de Sukhpal Singh ( « demandeur » ). Selon la SPR, le demandeur n'est pas un réfugié, ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR parce qu'il disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) et parce que l'extorsion qu'il allègue avoir subi n'est pas un motif de protection prévu à la Convention des nations unies relative au statut de réfugié, R.T. Can 1969, no 6 (Convention).

I.          Questions en litige

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

-          La SPR a-t-elle erré en décidant que l'extorsion n'est pas un motif prévu à la Convention et que le demandeur n'est, en conséquence, pas un réfugié?

-          La SPR a-t-elle erré en faits ou en droit en décidant que le demandeur pouvait se prévaloir d'une PRI et qu'il n'est donc ni un réfugié, ni une personne à protéger?

[3]                Dans ses prétentions écrites, le demandeur a notamment soutenu qu'il n'est pas possible d'exclure une personne risquant d'être soumise à la torture en se fondant sur le fait que cette personne peut se prévaloir d'une PRI, compte tenu du libellé de l'alinéa 97(1)a) de la LIPR. Le demandeur a renoncé à cet argument à l'audience. Il n'est donc pas nécessaire d'en disposer.

II.        Conclusion

[4]                            La demande de contrôle judiciaire est accordée.

III.       Faits

[5]                Le demandeur est originaire du Panjab, en Inde.

[6]                Son père est propriétaire d'une compagnie de camionnage. En tant que membre du conseil de son village, il s'est toujours opposé aux abus commis par les autorités à l'endroit des jeunes Sikhs. Le demandeur allègue que pour cette raison, les autorités s'en sont prises à son père, l'accusant de collaborer avec des activistes Sikhs.

[7]                En août 2003, la police arrêta le père du demandeur, au motif que des explosifs avaient été trouvés dans l'un des camions de sa compagnie. Le père du demandeur fût arrêté, maltraité puis relâché. Après avoir été de nouveau arrêté et torturé, le père du demandeur prit la fuite.

[8]                Le demandeur et son frère prirent en main la compagnie de camionnage. La police commença à s'en prendre aux deux jeunes hommes, prétendument dans le but de leur soutirer des aveux concernant leur père et l'un des employés de la compagnie lui aussi suspecté de complicité avec les activistes Sikhs, Mohinder Singh.

[9]                Le demandeur et son frère furent arrêtés et torturés à deux reprises par la police, soit en avril 2004 et en novembre 2004. Les deux fois, le demandeur et son frère furent libérés grâce au paiement de pots-de-vin. Le demandeur quitta l'Inde le 3 janvier 2005 et demanda l'asile le 10 janvier 2005.

IV.       Analyse

[10]            La SPR a d'abord conclu que le demandeur avait été victime d'extorsion, et que des allégations d'extorsion ne permettent pas de fonder une demande du statut de réfugié au sens de la Convention.

[11]            Il s'agit d'une erreur dans la qualification des faits. Le Formulaire de renseignements personnels (dossier du tribunal, pp. 19 et 20) et le témoignage du demandeur (dossier de la SPR, pp. 237 et 240) faisaient état de la torture que le demandeur et son frère allèguent avoir subi en détention. Pourtant, la SPR a insisté sur un aspect secondaire des faits, soit les allégations selon lesquelles la famille du demandeur a déboursé des sommes d'argent pour permettre la remise en liberté du demandeur et de son frère. Autrement dit, la SPR semble avoir considéré que le demandeur souhaitait obtenir la protection du Canada en raison de l'extorsion des sommes d'argent ayant permis de remettre en liberté le demandeur et son frère. Cet élément fait certainement partie des faits pertinents, mais il ne constitue pas un fondement de la revendication formulée par le demandeur. Ce n'est pas parce que le demandeur craint d'être victime d'extorsion qu'il demande la protection du Canada, mais bien parce qu'il dit craindre d'être torturé.

[12]            Dans l'affaire Abarajithan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. No. 54 (C.A.F.), le juge MacGuigan explique qu'une mauvaise interprétation sur un élément important de la preuve peut, dans certains cas, vicier une décision :

À notre avis, il ressort des quelques mots que la section du statut de réfugié a choisi pour énoncer son raisonnement qu'elle était manifestement dans l'erreur. (Dossier d'appel p. 88) Voici le libellé:

[TRADUCTION] Selon l'opinion du tribunal, l'intéressé n'a pas de bons motifs pour craindre la persécution au cas où il retournerait au Sri Lanka. D'après son propre témoignage, il peut obtenir un emploi dans n'importe quel centre de distribution du nord et de l'est du Sri Lanka. Dans des endroits très éloignés du village où habitait la famille de l'intéressé et où personne n'a connaissance que son père agissait comme interprète pour la population locale de Tamouls dans ses rapports avec le IPFK. Comme l'indique la preuve documentaire, le IPFK a quitté le Sri Lanka. Dans la partie nord-est du Sri Lanka la paix est rétablie et une coopération existe entre la LTTE et l'armée Sri Lankaise. Dans le sud, l'armée Sri Lankaise a défait le JVP. C-4 "Old Tigers in new skins The Economist (31 mars 1990).

Selon notre interprétation, l'appelant n'a pas témoigné qu'il n'aurait pas de difficulté à obtenir un emploi comme ingénieur électricien au Sri Lanka dans la situation à l'époque en cause, mais à la condition, a-t-il précisé, [traduction] "que la paix règne au Sri Lanka". (Dossier d'appel p.31) Les mauvaises interprétations de la preuve de ce genre par un tribunal ne portent pas toutes un coup fatal à sa décision, mais la section du statut de réfugié a, en l'espèce, fait de cette conception erronée de la preuve, le point central de son raisonnement. La décision ne peut par conséquent être maintenue [je souligne].

[13]            Comme le remarque le juge MacGuigan, une erreur importante ne justifie pas nécessairement, à elle seule, le renvoi du dossier à la SPR. L'erreur doit être centrale dans le raisonnement.

[14]            L'erreur, en l'espèce, est certainement au coeur de la décision puisqu'elle touche le fondement même de la demande d'asile. Cependant, l'existence d'une PRI pour le demandeur peut néanmoins justifier le rejet de la demande d'asile.

[15]            Dans l'affaire Fedonin c. Canada, [1997] A.C.F. No. 1684 (C.F.), au para. 2, le juge Pinard écrit en obiter :

¶ 2       Dès le début de son argumentation, l'avocate des requérants a indiqué qu'elle n'était pas en mesure de faire invalider cette partie de la décision du tribunal voulant que les requérants puissent bénéficier d'un refuge interne au nord du Kazakhstan. Ce faisant, comme je le lui ai dit à l'audition, elle écartait toute chance de succès de la demande de contrôle judiciaire. L'avocate a néanmoins tenté de me convaincre que le tribunal avait commis une erreur tellement flagrante, quant à son appréciation de la preuve et à sa façon de distinguer persécution et discrimination, que cette Cour devait intervenir [je souligne].

[16]            Dans l'affaire récente Afolabi v. Canada, 2006 FC 468, au para. 7, le juge Kelen mentionne, en obiter, que la question de la PRI est décisive :

[MA TRADUCTION] Le demandeur n'a pas remis en question plusieurs des conclusions de la Section, dont la conclusion selon laquelle le demandeur disposait d'une possibilité de refuge intérieur au sud du Nigeria. La Cour estime que la conclusion portant sur la PRI n'est pas déraisonnable. Ainsi, la Section n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur n'est ni un réfugié, ni une personne à protéger. Cela est déterminant.

[17]            En dernier lieu, je crois qu'il importe de mentionner que la Cour d'appel fédérale a décidé, dans l'affaire Kanagaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. No. 75, que la SPR n'est pas tenue de déterminer si la crainte de persécution d'une personne est bien fondée au sens de l'article 96 de la LIPR lorsqu'elle en vient à la conclusion qu'il existe une PRI :

¶ 3       Le juge de première instance a ensuite conclu que la décision de la Commission concernant la possibilité de refuge était appropriée et a rejeté la requête.    Néanmoins, il a accepté de certifier la question suivante pour la présente Cour :

Faut-il trancher au préalable la question de savoir si un demandeur a raison de craindre d'être persécuté dans la région dont il est originaire avant d'examiner la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays?

¶ 4       La réponse à cette question est "NON".    En examinant s'il existe une possibilité raisonnable de refuge dans une autre partie du même pays, la Commission doit bien entendu tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes.    C'est ce qu'elle a fait en l'espèce.    Étant donné qu'une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existait, la requérante ne pouvait, par définition, avoir raison de craindre d'être persécutée dans le pays dont elle a la nationalité.    Ainsi, bien que la Commission puisse certainement le faire si elle en décide ainsi, elle n'était aucunement tenue en droit de décider, au préalable, si la requérante avait raison de craindre d'être persécutée dans la région dont elle était originaire lorsqu'elle s'est prononcée sur la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays.

[18]            Cette décision de la Cour d'appel fédérale dans Kanagaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) me convainc du caractère déterminant de la question de l'existence d'une PRI sur le sort d'une demande d'asile. Aussi, je partage l'avis de mes collègues selon lequel une demande de contrôle judiciaire ne peut être accueillie lorsque le demandeur d'asile dispose d'une PRI, même si la SPR a par ailleurs commis des erreurs de fait. Cela dit, je crois que cette règle doit être appliquée avec prudence. Dans certaines circonstances, une erreur fondamentale de qualification des faits peut affecter l'ensemble de l'analyse, y compris les conclusions de la SPR portant sur la question de la PRI. L'analyse sur la question de la PRI serait, en pareil cas, elle-même entachée d'une erreur résultant de la mauvaise qualification de la situation de fait du demandeur. La Cour devrait alors, en refusant d'accorder la demande de contrôle judiciaire, expliquer en quoi l'analyse de la SPR portant sur la question de la PRI n'est plus valable ou perd son caractère persuasif en tenant compte de l'erreur de fait commise. La démarche pourrait aussi consister à démontrer que l'erreur est « le point central [du] raisonnement [de la SPR] » , comme c'était le cas dans l'affaire Abarajithan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), supra. L'ensemble du contexte et de la décision doit être pris en considération pour déterminer s'il y a lieu d'accorder la demande de contrôle judiciaire lorsqu'une erreur fondamentale de qualification des faits a été commise et que la SPR a rejeté la demande d'asile en raison de l'existence d'une PRI.

[19]            En l'espèce, je crois que l'ensemble du contexte justifie d'accorder la demande de contrôle judiciaire pour les raisons suivantes.

[20]            D'abord, l'erreur commise dans la qualification des faits par la SPR a un caractère fondamental, tel qu'expliqué ci-dessus [voir les para 10 à 14 de la présente décision].

[21]            De plus, je ne dispose pas des éléments de preuve pouvant me permettre de déterminer si l'analyse de la SPR sur la question de la PRI a été faite correctement. C'est ce que j'explique dans les paragraphes qui suivent.

[22]            Le test applicable pour déterminer si une personne peut se prévaloir d'une PRI est résumé par le juge Mosley, dans l'affaire Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 601, au para. 20 :

¶ 20       Pour que la Commission puisse conclure que le demandeur a une PRI viable et sûre, le critère à deux volets suivant, qui a été énoncé et appliqué dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.), et Thirunavukkarasu, précité, doit être rempli :

(1) la Commission doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où il existe une PRI;

(2) la situation dans la partie du pays où il existe une PRI doit être telle que, compte tenu de toutes les circonstances y compris de sa situation personnelle, il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur, de s'y réfugier [je souligne].

Le passage de la décision de la SPR traitant de la question de la PRI se trouve aux pages 5 et 6 de la décision (décision de la SPR, p. 5-6) :

[MA TRADUCTION] Le tribunal conclut que le demandeur, qui aura 18 ans le 16 octobre 2005, n'est pas une personnalité connue au Pendjab et qu'il peut se réinstaller ailleurs en Inde.

Il est indiqué à la Pièce A-1, section 2.1, sous-section 6.137 du Cartable Régional de Montréal pour l'Inde de Juillet 2004, UK Country Assessment, que les Sikhs du Pendjab peuvent se réinstaller dans une autre partie de l'Inde et que, du fait qu'il s'agit d'une communauté assez nomade, qu'il y a des Sikhs partout en Inde.

À la section 6.138 du même rapport britannique, il est indiqué qu'aucune vérification des nouveaux arrivants dans une nouvelle partie de l'Inde n'est faite, y compris les Sikhs du Panjab, contrairement à ce qu'affirme le demandeur.

Les forces de police locales n'ont ni les ressources ni les compétences langagières pour contrôler les personnes en provenance d'autres régions de l'Inde. Il n'y a pas de système d'enregistrement des citoyens. À la section 6.139, il est indiqué qu'il serait possible pour une personne peut connue de se réinstaller ailleurs en Inde. Le même document indique qu'une personne qui a ou a eu des problèmes au Pendjab ne devrait avoir aucun problème à habiter ailleurs en Inde. Il est également indiqué que les autorités à New Delhi ne sont pas informées des personnes recherchées au Panjab.

Le tribunal conclut que, du fait qu'une PRI est raisonnablement accessible, le demandeur peut se réinstaller ailleurs en Inde [notes omises].

[23]            Le premier volet du test résumé dans Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), supra, ne pose pas problème en l'espèce, puisque la décision de la SPR en traite de façon exhaustive. L'analyse de la SPR est centrée sur la question de savoir si le demandeur pourrait, une fois en Inde, se déplacer d'une région à l'autre.

[24]            Le second volet, par contre, est abordé de façon beaucoup moins détaillée et personnalisée. À cet égard, je remarque que la SPR n'a pas fait référence au passage du rapport britannique expliquant la manière dont sont traités les demandeurs d'asile renvoyés en Inde notamment lors du retour (voir Country Information & Policy Unit, Immigration and Nationality Directorate, Home Office, United Kindom, India Country Report, April 2004, sous-sections 6.320 à 6.322, joint à l'affidavit de Geneviève Cadotte). Le demandeur allègue que la SPR était tenue d'évaluer dans chaque cas si un demandeur d'asile serait intercepté à l'aéroport. Le défendeur soutient plutôt que la SPR n'a pas semblable obligation.

[25]            À mon avis, l'analyse du caractère raisonnable d'une PRI doit être particularisée, tel qu'il appert de la jurisprudence sur la question. Dans l'affaire Rasaratnam c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 56 (C.A.F.), au para. 10, le juge Mahoney écrit

À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge [je souligne].

[26]            Dans certains cas, la façon dont le demandeur risque d'être traité à son arrivée à l'aéroport dans son pays d'origine peut faire partie des circonstances devant être prises en considération dans le deuxième volet du test tel que formulé dans Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), supra. Encore faut-il, cependant, que le demandeur ait allégué qu'il pourrait encourir un tel risque à l'aéroport, ou que son procureur en ait fait mention dans ses plaidoiries.

[27]            Le 1er juin 2005, constatant que certains éléments importants semblaient n'avoir pas été joints au dossier du tribunal, le soussigné a formulé une directive, dont le passage pertinent se lit comme suit :

À la lecture de la transcription de l'audition dans le dossier IMM-5848-05, je remarque que le procureur du demandeur devant la Section de la protection des réfugiés (SPR), Me Bertrand, indique qu'il a fait la veille des représentations sur la question de la possibilité de refuge interne et qu'il a déposé des documents à ce sujet (dossier du tribunal, p. 265; transcription de l'audition, p. 50) :

A. The last point was IFA. We discussed at length on this yesterday, so I don't really have more to say than what I said yesterday on these issues. I think we went around the lot of it yesterday. And...

- Even had a copy.

A. Yeah.

- Right here.

A. Right, and...

- In my left hand.

A. I will take a few minutes after the hearing to highlight those portions of the decision that I referred to yesterday.

- Yeah, but I've noted the pages.

A. Yeah, that's right. As you remember from my citing the page numbers, they're all together.

- Yeah.

A. At the... it's a very short decision, so I mean it's very easy to spot. Thank you, Mr. President.

À quel endroit ces représentations et ces documents se trouvent-ils dans le dossier du tribunal?

[...]

[28]            La procureure du défendeur a répondu à la directive par une lettre datée du 2 juin 2006. Dans cette lettre, elle explique qu'elle s'est informée auprès du procureur du demandeur devant la SPR, et que les observations et les documents en question ont été déposés le 14 juin 2005, dans le dossier d'un autre demandeur d'asile. Le procureur du demandeur a aussi communiqué avec le procureur du demandeur devant la SPR et il en arrive à la même constatation de faits. Le dossier du tribunal est donc incomplet.

[29]            N'ayant pas eu l'occasion de prendre connaissance de l'ensemble des arguments du demandeur devant la SPR, la Cour ne peut savoir si celui-ci a attiré l'attention de la SPR sur le risque qu'il pourrait encourir à l'aéroport s'il était renvoyé en Inde. Il est vrai que c'est au demandeur d'asile qu'il incombe de démontrer qu'il ne peut se prévaloir d'une PRI : il en a le fardeau. Cependant, la SPR est quand même tenue, dans l'éventualité où elle choisit de rejeter une demande d'asile au motif qu'il existe une PRI, de traiter des deux volets du test tel que résumé dans Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), supra. L'absence de certains documents au dossier m'empêche d'évaluer si c'est le demandeur qui a fait défaut d'invoquer le risque qu'il pourrait encourir à l'aéroport en cas de renvoi ou si c'est plutôt la SPR qui a négligé de traiter de l'argument du procureur du demandeur.

[30]            Il ne s'agit pas ici d'imposer à la SPR une obligation d'évaluer dans chaque cas si un demandeur d'asile serait intercepté à l'aéroport. Toutefois, si pareil argument est formulé par un demandeur d'asile, il me semble que la SPR pourrait être tenue d'en traiter dans le cadre de son analyse du second volet du test résumé dans Kumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), supra. L'état du dossier ne permet pas de savoir si un tel argument a été présenté à la SPR par le procureur du demandeur.

[31]            La décision de la SPR est viciée, compte tenu de l'erreur de qualification des faits par la SPR et de l'absence au dossier de certains documents essentiels pour apprécier si l'analyse de la SPR sur question de la PRI a été faite correctement. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.   

V.        Questions à certifier

[32]            Les parties furent invitées à poser des questions pour fins de certification. Le demandeur a posé la question suivante :

Dès lors que le tribunal conclut que le demandeur dispose d'une possibilité de refuge interne valable dans son pays, cela suffit-il pour disposer de sa demande d'asile lorsqu'on aborde la question du point de vue de l'article 96 ou de l'article 97 de la Loi ou faut-il que le tribunal considère les risques de retour à l'aéroport ou aux frontières de son pays advenant le renvoi du demandeur dans son pays?

[33]            Cette question comporte deux volets très distincts. Le premier volet concerne la question de savoir si l'existence d'une PRI suffit à rejeter une demande de contrôle judiciaire. Le second volet touche la question de savoir si la SPR est tenue de traiter dans tous les cas, lorsqu'elle applique le test de la PRI, de la façon dont un demandeur d'asile serait traité à son retour dans son pays d'origine.

[34]            Pour déterminer si une question doit être certifiée, il faut recourir aux critères établis dans Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liyanagamage, [1994] A.C.F. No. 1637, au para. 4. La question doit transcender les intérêts des parties au litige, avoir une portée générale et être déterminante quant à l'issue de l'appel.

[35]            Le premier volet de la question n'a pas à être certifié, puisqu'une question portant sur ce premier volet ne transcenderait pas les intérêts des parties au litige, puisque la jurisprudence établit clairement que l'existence d'une PRI peut suffire à rejeter une demande de contrôle judiciaire (voir paras. 14 à 18 de la présente décision).

[36]            Le second volet de la question ne transcenderait pas, lui non plus, les intérêts des parties au litige. En effet, le test applicable devant les tribunaux pour déterminer s'il existe une PRI dans un cas donné est très bien établi en jurisprudence (voir paras. 21 à 25 de la présente décision). La SPR n'est tenue d'évaluer le risque de retour à l'aéroport dans le cadre du second volet du test jurisprudentiel que si le demandeur invoque un argument à cet égard et que les faits permettent raisonnablement de le soutenir.

[37]            Pour ces motifs, aucune question n'est certifiée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE :

-          La demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que le dossier soit renvoyé à la SPR pour être examiné par un tribunal différemment constitué;

-          Aucune question n'est certifiée.

« Simon Noël »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                   IMM-5848-05

INTITULÉ :                                   

SUKHPAL SINGH

Demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :            Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :          16 mai 2006

MOTIFS DU JUGEMENT :      L'honorable Juge Simon Noël

DATE DES MOTIFS :                 Le 7 juin 2006                    

                                                                

COMPARUTIONS:

Me Michel Le Brun

                                                      POUR LE DEMANDEUR

                                                     

Me MichPle Joubert

                                                      POUR LE DÉFENDEUR                      

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Michel Le Brun

Montréal, Québec

                                                      POUR LE DEMANDEUR                     

John H. Sims, c.r.

Sous-Procureur général du Canada

                                                      POUR LE DÉFENDEUR

                                                     

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