Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20230123


Dossier : IMM-6328-20

Référence : 2023 CF 105

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 janvier 2023

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ADESOLA VICTORIA AFE

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent a conclu qu’elle était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Pour les motifs exposés ci‑après, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

I. Contexte

[2] La demanderesse est citoyenne du Nigéria. Elle est entrée au Canada en septembre 2013 munie d’un permis d’études et s’est inscrite à l’Université de la Saskatchewan. Elle affirme qu’elle a demandé une prolongation de son permis d’études en juillet 2019. Elle a inclus dans sa demande une lettre d’inscription frauduleuse du gestionnaire des services aux étudiants de premier cycle de l’Université de la Saskatchewan datée du 19 juillet 2019. Il était écrit dans la lettre d’inscription que la demanderesse avait commencé ses études en septembre 2013 et qu’elle était inscrite au baccalauréat ès arts en sociologie, programme qu’elle mènerait à bien en 2020.

[3] Lorsque la demanderesse a demandé la prolongation de son permis d’études, le 21 juillet 2019, elle a joint à son dossier de demande une lettre d’accompagnement faisant mention de la lettre d’inscription et la lettre comme telle. La demanderesse a reçu une lettre d’équité procédurale le 11 août 2020 dans laquelle l’agent l’a informée qu’il était possible qu’elle soit interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations, étant donné qu’il avait découvert que la lettre d’inscription était frauduleuse.

[4] L’avocat de la demanderesse a envoyé une lettre de réponse [la lettre de réponse] le 23 août 2023 qui expliquait que la demanderesse n’avait pas pu obtenir une confirmation de son inscription de l’université parce que son compte faisait l’objet d’une retenue financière. Deux amis de son frère ont offert leur aide à cet égard. Selon la lettre de réponse de l’avocat, ces deux hommes auraient affirmé à la demanderesse qu’ils avaient parlé à quelqu’un à l’université pour expliquer sa situation et qu’elle recevrait une confirmation de son inscription, et la demanderesse a effectivement reçu la lettre d’inscription par la poste. La demanderesse a produit la lettre dans le cadre de sa demande. Elle affirme qu’elle ignorait que la lettre était frauduleuse lorsqu’elle a présenté son dossier pour la prolongation du permis d’études.

[5] Après avoir pris en compte la lettre de réponse, l’agent a établi, le 2 décembre 2020, que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations [la décision]. L’agent a souligné que [traduction] « le fait de ne pas savoir qu’il y a eu une fausse déclaration n’empêche pas une personne de respecter les règles établies dans la LIPR et le RIPR ».

II. Arguments avancés par la demanderesse

[6] La demanderesse soutient que la décision était déraisonnable pour deux motifs : En premier lieu et avant tout, elle soutient qu’il s’agissait d’une fausse déclaration faite de bonne foi, en ce sens qu’elle ne savait pas, honnêtement et raisonnablement, que la lettre d’inscription était frauduleuse. Elle affirme qu’elle n’avait aucune raison de croire que la lettre était frauduleuse, étant donné que celle-ci était arrivée à près au moment où son père avait acquitté les droits de scolarité impayés à l’université. La demanderesse prétend que, dans les circonstances, elle devrait bénéficier de l’exception prévue à l’article 40 relative aux fausses déclarations faites de bonne foi parce qu’elle ne savait pas que la lettre était frauduleuse et parce qu’elle s’était comportée en tout temps en supposant honnêtement qu’elle était bel et bien inscrite à l’université une fois que son père avait acquitté les frais impayés à l’université.

[7] La demanderesse invoque les décisions Osisanwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1126, et Medel c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 CF 345, pour soutenir que la Cour a pardonné de fausses déclarations faites de bonne foi lorsqu’un demandeur a démontré qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne dissimulait pas un fait important. De plus, elle invoque la décision Tuiran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 324 [Tuiran] pour soutenir qu’il s’agissait d’une situation exceptionnelle, dans le cadre de laquelle la connaissance de la fausse déclaration échappait à sa volonté.

[8] En second lieu, la demanderesse affirme que le contenu de la lettre d’inscription est véridique et que l’agent ne l’a pas contesté, en ce sens qu’elle était inscrite à l’Université de la Saskatchewan depuis septembre 2013 et qu’elle était toujours inscrite au baccalauréat en sociologie au moment où l’agent a tranché l’affaire, comme le prouve une lettre de l’administration de l’université datée du 11 septembre 2019 qui a été envoyée au Centre de traitement des demandes d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC].

III. Analyse

[9] Il convient d’examiner en premier lieu les dispositions législatives sur les fausses déclarations, que le juge Strickland a résumées de façon succincte il y a dix ans dans la décision Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au para 28 [Goburdhun], et qui renferment toujours les principaux éléments se rapportant au libellé formulé de manière large de l’article 40 :

1) Il convient d’interpréter l’article 40 de manière large afin de faire ressortir l’objet qui le sous-tend;

2) L’article 40 est libellé de manière large en vue d’englober les fausses déclarations, même si elles ont été faites par une tierce partie, dont celles d’un consultant en immigration, à l’insu du demandeur;

3) L’exception à cette règle est assez étroite et ne s’applique qu’aux circonstances véritablement exceptionnelles où le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important et où il ne s’agissait pas d’un renseignement dont la connaissance échappait à sa volonté;

4) L’article 40 a pour objectif de dissuader un demandeur de faire une fausse déclaration et de préserver l’intégrité du processus d’immigration. Pour atteindre cet objectif, le fardeau de vérifier l’intégralité et l’exactitude de la demande incombe au demandeur;

5) Les demandeurs ont une obligation de franchise et doivent fournir des renseignements complets, fidèles et véridiques en tout point lorsqu’ils présentent une demande d’entrée au Canada;

6) Le demandeur étant tenu responsable du contenu de la demande qu’il signe, on ne peut considérer qu’il croyait raisonnablement ne pas avoir présenté faussement un fait d’importance s’il a omis de revoir sa demande et de vérifier qu’elle était complète et exacte avant de la signer;

7) Pour décider si une fausse déclaration est importante, il est nécessaire de tenir compte du libellé de la disposition ainsi que de l’objet qui la sous‑tend;

8) Une fausse déclaration n’a pas à être décisive ou déterminante. Il suffit qu’elle ait une incidence sur le processus amorcé;

9) Un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse de la notion du fait important ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande.

(Non numéroté et non souligné dans l’original; renvois omis.)

[10] L’article 40 est clairement libellé de façon large. Il n’y a pas d’exigence quant au caractère intentionnel, délibéré ou négligent des fausses déclarations.

A. L’agent a eu raison de conclure que l’exception quant à la fausse déclaration faite de bonne foi ne s’appliquait pas

[11] En l’espèce, la preuve indique clairement que la demanderesse savait ou aurait dû savoir qu’en faisant appel aux amis de son frère pour obtenir une preuve de son inscription à l’université – après avoir été clairement incapable d’obtenir cette preuve elle-même –, elle aurait dû se méfier lorsqu’elle a reçu ce qui est désormais reconnu comme une lettre d’inscription frauduleuse.

[12] L’explication donnée par la demanderesse voulant qu’il s’agisse d’une erreur de bonne foi fait problème en ce sens qu’elle contredit le contenu du courriel détaillé d’une page reçu par la demanderesse et son père le 22 juillet 2019 de la directrice du soutien et des services académiques aux étudiants [la directrice]. Dans ce courriel, envoyé trois jours après la présentation de la demande de la demanderesse, la directrice fait le point sur l’inscription de cette dernière et sur son compte qui était en souffrance à l’époque.

[13] Le contenu du courriel de la directrice est on ne peut plus clair. Cette dernière a envoyé le courriel en copie conforme à deux autres représentants de l’université, dont le gestionnaire des services aux étudiants de premier cycle, qui a confirmé qu’il n’avait jamais signé la lettre frauduleuse. Dans son courriel, la directrice s’est notamment exprimée ainsi :

[traduction]
J’ai bien reçu votre courriel. J’ai mis votre père, M. [X], en copie conforme puisqu’il a aussi contacté notre bureau en votre nom.

Veuillez trouver ci-joint une fiche de suivi qui fait état des cours que vous devez suivre pour terminer votre programme de baccalauréat de quatre ans en sociologie. Votre compte fait l’objet à l’heure actuelle d’une retenue financière […]

Adesola, ainsi que vous le savez, vous ne pourrez vous inscrire à aucun cours tant que vos frais de scolarité en souffrance n’auront pas été payés et que la retenue financière n’aura pas été levée. De plus, nous ne pouvons pas vous fournir une lettre d’inscription au collège des arts et des sciences tant que la retenue n’aura pas été levée et que vous ne serez pas inscrite à vos cours.

[14] Vu la teneur de ce courriel, la demanderesse aurait dû voir clairement la contradiction fondamentale entre la position qu’elle a énoncée dans sa demande de prolongation de son permis d’études et le fait qu’elle croyait être dûment inscrite à l’université. Les documents qui suivent étaient joints à sa demande : (i) sa lettre d’accompagnement du 23 juin 2019, (ii) la lettre frauduleuse du 19 juillet 2019, (iii) une lettre de [traduction] « parrainage » rédigée par son père et datée du 24 juin 2019 et iv) le formulaire de demande qu’elle a signé le 23 juin 2019.

[15] À la lumière des circonstances exposées précédemment, la demanderesse aurait dû savoir pertinemment dès le départ qu’il y avait des problèmes concernant son inscription à l’université. Même dans le cas peu probable où la demanderesse n’a pas relevé le caractère incongru de la lettre d’inscription après l’avoir reçue par la poste – entre le 19 juillet 2019 (date figurant sur la lettre) et le 21 juillet 2019 (lorsqu’elle a produit la lettre avec sa demande) –, elle aurait pu et aurait dû constater qu’il y avait un problème en prenant connaissance du contenu du courriel que la directrice lui a envoyé le 22 juillet 2019.

[16] Abstraction faite des clarifications de l’établissement d’enseignement que la demanderesse a fournies après avoir présenté sa demande, cette dernière a omis d’informer IRCC de la situation. Elle a plutôt attendu que le ministère lui fasse part du problème qu’il avait relevé dans le cadre de son processus de diligence raisonnable après avoir contacté l’université pour confirmer le contenu de sa demande. Il incombait à la demanderesse d’informer le ministère, et non pas l’inverse.

[17] Par conséquent, j’estime que la fausse déclaration n’échappait clairement pas à la volonté de la demanderesse (Goburdhun, précitée, au point 3; voir également Tuiran, au para 27). L’exception relative aux fausses déclarations faites de bonne foi ne s’applique qu’aux situations exceptionnelles ou extraordinaires. Elle ne peut pas être établie par simple inadvertance (Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 62 au para 49; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 107 au para 30 [Ahmed]). En l’espèce, la demanderesse aurait dû informer immédiatement IRCC du problème, conformément à l’obligation de franchise qui lui incombait afin de s’assurer que sa demande était exacte et complète (Goburdhun, précitée, au point 5). Je constate que des circonstances exceptionnelles ne sont exposées ni dans l’affidavit de la demanderesse ni dans la lettre de réponse de son avocat.

[18] L’avocat de la demanderesse a souligné pendant l’audience que la demanderesse est issue d’une bonne famille de professionnels, dont son père qui assume le coût de ses études – lui-même titulaire d’un doctorat et PDG d’une entreprise pétrolière – ainsi que les membres de sa fratrie qui ont du succès sur le plan professionnel. L’obligation de franchise, cependant, ne fait pas de distinctions quant au statut professionnel. Elle s’applique à toute personne qui présente une demande au titre de la LIPR. Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale, l’obligation de franchise est un principe prépondérant de la LIPR (Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 169, au para 70).

[19] Dans le meilleur des cas, il est clair que la demanderesse savait qu’il y avait un problème avec son dossier et qu’elle savait alors – si tant est qu’elle n’était au courant de rien auparavant – qu’elle avait reçu une lettre contrefaite. Dans le pire des cas, elle a volontairement fermé les yeux sur le fait qu’elle n’était pas dûment inscrite lorsqu’elle a présenté sa demande de prolongation de son permis d’études, ou, tout au plus, un jour plus tard. Enfin, il incombait à la demanderesse de démontrer que l’erreur avait été commise de bonne foi (Ahmed, au para 45). La demanderesse ne l’a pas fait, et l’agent a eu raison de tirer sa conclusion à la lumière de cette omission.

B. La pertinence et l’importance de la fausse déclaration

[20] La demanderesse soutient par ailleurs qu’elle était dûment inscrite à l’université au moment où son avocat a présenté la lettre de réponse et au moment où IRCC a rejeté sa demande. Elle soutient que la lettre d’inscription frauduleuse n’était donc ni importante ni pertinente aux fins de l’établissement de son admissibilité à une prolongation de son permis d’études. Ici encore, un survol de la jurisprudence relative à l’interprétation de l’interdiction de territoire pour fausses déclarations prévue à l’article 40 est utile face à cet argument.

[21] Selon la jurisprudence, la fausse déclaration n’a pas besoin d’être décisive ou déterminante. Un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été mise au jour par les autorités d’immigration avant l’examen final de la demande. L’analyse du caractère important de la fausse déclaration ne se limite pas à un moment particulier dans le traitement de la demande. Autrement dit, si la fausse déclaration est suffisamment importante pour avoir une incidence sur le processus amorcé, elle est alors importante (voir Goburdhun, précitée, aux points 7-9).

[22] Par conséquent, l’importance de la fausse déclaration est établie au moment où elle est faite (Inocentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1187 au para 16). Comme l’a récemment déclaré le juge McHaffie dans la décision Ji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1210 au para 24 :

Même si la procédure avait abouti au même résultat dans ces circonstances, la fausse déclaration peut néanmoins être importante. Cette approche confirme la pertinence de l’objectif sous-jacent de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, à savoir dissuader de faire une fausse déclaration et préserver l’intégrité du processus d’immigration en imposant à chaque demandeur la responsabilité de vérifier l’intégralité et l’exactitude de sa demande […]

[23] En l’espèce, même si l’agent a fini par confirmer l’inscription de la demanderesse par d’autres moyens que la lettre d’inscription frauduleuse, la fausse représentation a quand même eu une incidence sur le processus amorcé en ce sens qu’elle aurait pu éviter à l’agent d’effectuer d’autres recherches au sujet de l’inscription de la demanderesse, ce qu’il a dû faire en dernière analyse dans le cadre de son propre processus de diligence raisonnable et, par la suite, dans celui du processus d’équité procédurale.

IV. Conclusion

[24] Dans l’ensemble et à la lumière de toutes les circonstances, l’agent a eu raison de conclure que l’explication de la demanderesse ne répondait pas aux préoccupations sous-jacentes concernant la lettre frauduleuse et, par conséquent, la demanderesse était interdite de territoire pour fausses déclarations. La décision de l’agent était justifiée et raisonnable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques. Je rejetterai donc la demande de contrôle judiciaire. Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-6328-20

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

1) La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2. Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.

3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6328-20

 

INTITULÉ :

ADESOLA VICTORIA AFE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JANVIER 2023

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 JANVIER 2023

 

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.