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Date : 20230125


Dossier : IMM-4776-21

Référence : 2023 CF 109

[TRADUCTION FRANÇAISE]

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 25 janvier 2023

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

LUIS ANGEL MORENO ORDAZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS ET JUGEMENT

[1] M. Luis Angel Moreno Ordaz (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention visée à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Ordaz en raison de conclusions défavorables quant à la crédibilité et de l’absence de risque éventuel évalué selon la prépondérance des probabilités.

[2] Le demandeur est citoyen du Mexique. Il a demandé l’asile pour les motifs énoncés dans les demandes fondées sur le risque de persécution présentées antérieurement par sa mère, son beau-père et sa sœur. La mère était la demanderesse principale et a fourni un exposé circonstancié à l’appui de son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA). Dans son exposé, elle disait craindre d’être persécutée par le cartel de Los Zetas, qui aurait kidnappé son premier mari et exigé de l’argent pour qu’il soit libéré. Elle a allégué que le cartel continue de les menacer, elle et sa famille, et de leur extorquer de l’argent.

[3] La mère a également affirmé qu’elle risquait d’être persécutée par l’ex-épouse de son premier mari. Selon elle, cette femme et sa famille étaient impliquées dans le cartel de Sinaloa.

[4] Le demandeur et sa sœur ont chacun déposé un formulaire FDA.

[5] Dans son formulaire FDA, le demandeur a expliqué que, en avril 2019, il a commencé à voir des hommes le surveiller depuis des camions postés à l’extérieur de son université. Il a également allégué que les agents de persécution avaient communiqué avec des membres de sa famille et avaient menacé de lui faire du mal.

[6] Les demandes d’asile ont été entendues conjointement et rejetées. La SPR a conclu que le demandeur et sa famille n’avaient établi aucun lien avec les motifs justifiant l’octroi de la qualité de réfugié au sens de la Convention énoncés à l’article 96 de la Loi. Les demandes d’asile ont été évaluées au titre du paragraphe 97(1) de la Loi. La SPR a conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas l’existence d’une probabilité de préjudice ou de risque personnel pour le demandeur ou les membres de sa famille et a rejeté les demandes d’asile.

[7] La mère, le beau-père et la sœur du demandeur ont interjeté appel devant la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAR), qui a accueilli leurs appels. Le demandeur n’avait pas le droit de faire appel puisqu’il était assujetti à la restriction énoncée à l’alinéa 110(2)d) de la Loi du fait qu’il était arrivé au Canada en passant par les États-Unis. Son seul recours consiste à demander un contrôle judiciaire.

[8] Le demandeur a inclus une copie de la décision favorable de la SAR dans son cahier des lois, de la jurisprudence et de la doctrine. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) s’est opposé à l’inclusion de cette décision, mais le demandeur a obtenu l’autorisation de la conserver dans son cahier.

[9] Dans le cadre de la présente instance, le demandeur fait maintenant valoir que la SPR a tiré des inférences déraisonnables de la preuve, n’a pas tenu compte des explications relatives aux lacunes et aux omissions dans la preuve, a tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité qui étaient fondées sur des conjectures, a tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité de certains documents, a omis de tenir compte des explications raisonnables avancées par le demandeur au sujet de son défaut de se réclamer de la protection des États-Unis et, de façon générale, n’a pas examiné tous les éléments de preuve.

[10] Le demandeur soutient en outre que la Cour devrait adopter le raisonnement du tribunal de la SAR qui a fait droit aux appels des membres de sa famille, étant donné que des risques et des critères juridiques similaires sont en jeu.

[11] Le défendeur fait valoir que la décision est raisonnable et montre que la SPR a tenu compte de la preuve. À son avis, le demandeur sollicite maintenant une nouvelle appréciation de la preuve par la Cour. Il souligne par ailleurs que la question déterminante pour la SPR était la crédibilité.

[12] Suivant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], la décision de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[13] Dans son examen du caractère raisonnable, la Cour doit se demander si la décision faisant l’objet du contrôle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si [elle] est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur [elle] » : voir Vavilov, au para 99.

[14] Je suis d’accord avec le défendeur quand il affirme que les divers arguments maintenant soulevés par le demandeur concernent le poids de la preuve. Or, l’appréciation de la preuve incombe au décideur, et non à la Cour.

[15] Le fait qu’un tribunal de la SAR a accueilli l’appel de la mère, du beau-père et de la sœur du demandeur ne permet pas de trancher la présente demande de contrôle judiciaire.

[16] Dans l’arrêt Tobar Toledo c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 1 RCF 215 [Tobar Toledo], la Cour d’appel fédérale s’est exprimée au sujet des demandes présentées par des membres d’une même famille, aux paragraphes 52, 53 et 55 :

[52] Il est clair, à la lecture de ces règles, que chaque membre d’une unité familiale qui revendique le statut de réfugié fait sa propre demande, sans quoi il ne serait pas possible ni de les joindre ni de les entendre séparément. Lorsque les demandes sont toutes fondées sur les mêmes faits, le fait de les joindre est une mesure d’économie qui évite la nécessité d’entendre la même preuve de nombreuses fois avec le risque de résultats contradictoires. […]

[53] Il arrive, de temps en temps, qu’une des demandes jointes soit acceptée et que les autres soient rejetées, possibilité qui n’est envisageable que si toutes les demandes sont indépendantes les unes des autres. […]

[…]

[55] Un tel résultat s’explique par le fait que chaque demande d’asile est indépendante de toute autre demande faite par les membres d’une même unité familiale, et ce, sans égard pour la similitude des faits à l’origine des demandes. Ce qui ne veut pas dire que la similitude des faits n’a pas d’incidence sur le sort de ces demandes. Lorsque les faits à l’appui de plusieurs demandes sont les mêmes, il n’y a rien de surprenant à ce que les demandes subissent toutes le même sort. Lorsque les faits à l’origine des demandes ne sont pas les mêmes, il n’est guère plus surprenant que chaque demande soit jugée en fonction des faits qui lui sont propres.

[17] En l’espèce, les éléments de preuve présentés par le demandeur et au nom des membres de sa famille sont en grande partie les mêmes. Bien que la SPR ait rejeté toutes les demandes, la SAR a accueilli les appels de la mère, du beau-père et de la sœur.

[18] L’arrêt Tobar Toledo porte à croire que la cour de révision devrait examiner les faits lorsque des décisions différentes ont été rendues relativement à des membres d’une même famille.

[19] En l’espèce, la SPR a expressément analysé l’allégation du demandeur aux paragraphes 47 à 52 de sa décision. Ses conclusions sont énoncées aux paragraphes 51 et 52 :

[51] Le tribunal estime que la description de l’agent du préjudice faite par Luis Angel après qu’il eut décidé de rester sur place lorsque sa famille eut quitté le Mexique est vague et peu détaillée, et n’est pas claire, cohérente et convaincante. Sa crainte est hypothétique. Il n’a pas été abordé, rien ne lui a été dit et il n’a pas subi de préjudice, même s’il continuait à voir les mêmes personnes fréquemment.

[52] Le tribunal estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a pas d’agent du préjudice particulier du fait duquel Luis Angel serait personnellement exposé à un risque. Par conséquent, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucune probabilité de préjudice si Luis Angel devait retourner au Mexique.

[20] Après avoir examiné les éléments de preuve versés au dossier certifié du Tribunal et tenu compte des observations orales et écrites des parties, je ne suis pas convaincu que la décision de la SPR ne satisfait pas à la norme de contrôle applicable, à savoir celle de la décision raisonnable.

[21] Le demandeur n’a pas quitté le Mexique avec les membres de sa famille. Il a retardé son départ de plusieurs mois. Il n’a pas demandé la protection du premier pays dans lequel il est entré après avoir quitté le Mexique, attendant d’arriver au Canada.

[22] La SPR a qualifié sa crainte au Mexique d’« hypothétique ». Il lui était loisible de tirer cette conclusion sur la base des éléments de preuve dont elle disposait.

[23] L’issue aurait pu être différente si d’autres éléments de preuve avaient été présentés. Si la décision de la SAR est considérée comme un « élément de preuve », elle ne peut avoir d’incidence sur le contrôle judiciaire de la décision de la SPR, puisqu’elle n’était pas à la disposition du décideur; de fait, elle n’existait même pas au moment de l’audience.

[24] Si la décision de la SAR est assimilée à de la « jurisprudence », elle ne lie pas la Cour.

[25] Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4776-21

LA COUR REND LE JUGEMENT qui suit :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4776-21

INTITULÉ :

LUIS ANGEL MORENO ORDAZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SEPTEMBRE 2022

MOTIFS ET JUGEMENT :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

 

LE 25 JANVIER 2023

COMPARUTIONS :

Hermione Shou

POUR LE DEMANDEUR

Emma Arenson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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